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DON CARLOS
ET
PHILIPPE II.
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mm ©AiMiL®i,
FTTiS DE PHTrilPPE H.
D'après 1^ portrait original de ^.S. Coellr
i'œistanf ail Musoe royal Je Matirid .
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DON CARLOS
ET
PHILIPPE II,
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M.>ACHAIID,
De l'iuléBie rijate ées kicmm. 4m Icum et to bea»-<rU et fc ta CuniidM re;al« é'hiiloirt 4e Belfi^ve ;
4«s AM4éBiet 4e Tlriw. Ia4ri<i. iMich. Aaiter4Ui, «te.
TOME PKEMIER.
drureUes^
EMM. DEVROYE, IMPRIMEUR DU ROI,
RUE DE LOUVAIN, 40.
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PRÉFACE.
L'histoire moderne n'offre pas d'événement qui ait
excité un intérêt plus universel, plus soutenu, que
l'arrestation et la mort de don Carlos, fils de Phi-
lippe II.
Après trois siècles écoulés, cet événement est en-
core aujourd'hui l'objet d'une curiosité non moins
vive que celle qu'il fit naître à l'époque où il se pro-
/ duisit.
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I
é
II DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Ce n'est pas seulement la soudaineté, l'éelat de la
catastrophe, qui frappe Fiinagination ; c'est aussi, et
surtout, l'obscurité, le mystère qui plane sur les
causes auxquelles elle doit être attribuée.
Les historiens espagnols contemporains surent peu
de chose du drame dont l'intérieur du palais de Madrid
avait été témoin, et ils ne dirent pas même tout ce
qui était parvenu à leur connaissance : ils écrivaient
sous le contrôle d'une double censure qui n'aurait
point souffert que la moindre atteinte fut portée à la
mémoire de Philippe IL
Parmi les historiens étrangers, tous ou presque tous
se plurent à accueillir, à accréditer, à répandre les
versions les plus absurdes, les plus invraisemblables,
uniquement parce qu'elles flattaient les préventions
populaires, parce qu'elles étaient hostiles à un mo-
narque dont la politique avait soulevé des haines
invétérées.
Le roman et le théâtre s'emparèrent à leur tour de
don Carlos , et mêlèrent les fictions de la fable aux
réalités de l'histoire.
De nos jours , où les études historiques ont pris
un si grand essor, où la recherche de la vérité est
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/
!
PRÉFACE. III
la passion des esprits sérieux, on s'étonnait de ne
posséder pas encore un récit Gdèle, circonstancié,
des faits qui amenèrent la fin prématurée du fils de
Philippe II.
C'était, dans les annales du xvi« siècle, une regret-
table lacune.
J'ai essayé de la remplir en faisant paraître le livre
que je soumets aujourd'hui au jugement du public.
Y ai-je réussi? Le lecteur en décidera.
Mais qu'il me soit permis de dire comment j'ai été
entraîné à écrire ce livre, et quels éléments ont servi
à sa composition.
Lorsque, il y a vingt ans, le gouvernement belge
me confia la mission d'aller rechercher, dans les ar-
chives et les bibliothèques de la Péninsule, les actes
de la domination espagnole aux Pays-Bas, ce fut à la
bibliothèque nationale, à Madrid, que je commençai
mes investigations.
Ce bel établissement, qui doit son origine à Phi-
lippe V, renferme une magnifique collection de manus-
crits. J'y fis une ample moisson de documents sur
l'histoire de la Belgique.
Entre les manuscrits qui attirèrent mon attention,
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•
DON CARLOS ET PHILIPPE II.
il y en avait un (') où étaient contenus deux recueils
de pièces ainsi intitulés :
El despacho gênerai qu£ se hizo para el rey sobre
el recogimiento del principe don Carlos ;
El despacho gênerai que se hizo para los perlados,
grandes, etc., sobre lo de la muerte del principe
nuestro sehor.
Le premier de ces recueils était formé des lettres
adressées par Philippe II, le 22 janvier 1568, aux
évèques, aux provinciaux des ordres religieux, aux
villes et aux corrégidors de Castille, sur l'arrestation
de son fils.
Dans le second étaient les lettres du 27 juillet de
la même année par lesquelles ce monarque annonça
aux prélats, aux grands et aux villes la mort du prince,
arrivée trois jours auparavant, ainsi qu'une lettre
particulière du secrétaire d'Etat Francisco de Erasso
écrite à ce sujet aux corrégidors et aux présidents des
audiences royales.
La révolution qui marqua les derniers temps de la
vie de don Carlos ne pouvait rester étrangère à mes
(») Il est marqué F f 9.
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PRÉFACE. V
recherches.^ car elle se rattachait au soulèvement des
Pays-Bas par les intelligences qu'on supposait que le
fils de Philippe II avait eues avec les. Flamands. Je
pris copie de toutes les pièces dont je viens de donner
l'indication.
Je trouvai, dans un autre manuscrit (*), les lettres
de Philippe à la reiiie douairière de Portugal, Catherine
d'Autriche, et au pape Pie V, datées toutes deux du
20 janvier 1568, et les transcrivis de même.
La curiosité que ces pièces avaient éveillée en moi
s'augmenta par la lecture de la correspondance manus-
crite, conservée aussi à la bibliothèque de Madrid, de
Giovanni-Battista Castagna, archevêque deRossano,
nonce en Espagne durant les pontificats de Pie IV,
de Pie V et de Grégoire XIII, et qui fut appelé lui-
même à occuper la chaire de saint Pierre (^). Là, en
effet, étaient consignés des délails aussi neufs que
('] Marqué D d 59.
(*) Elle est renfermée dans un MS. marqué X 472 et intitulé : Régis-
tro di letiere di monsignor arcivescovo di Bossano, che fu poi papa
Vrbano VII, délia sua nuntiatura di Spagna, soUo Pio IV, V el Gre-^
gorioXIlI. Volume primo. Ce volume, qui a 4002 pages, commence par
une lettre écrite de Bologne, le 4 8 septembre 4505, et finit par une
lettre datée de Madrid, le 2 janvier 4569.
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VI DON CARLOS ET PHILIPPE IL
curieux sur ce qui avait précédé, accompagné, suivi
remprisonnemenl de don Carlos, et sur les circon-
stances de sa mort.
Ces premières découvertes m'inspirèrent le désir de
pénétrer plus avant dans les mystères dont l'histoire
de don Carlos était enveloppée : pour cela, il fallait
pouvoir explorer le célèbre dépôt des archives de la
couronne de Castille établi par Philippe II au château
de Simancas.
L'accès des archives de Simancas n'était pas en ce
temps-là aussi aisé qu'il l'est aujourd'hui. Le gou-
vernement belge avait eu quelque peine à obtenir (*)
que j'y fusse reçu pour l'accomplissement de ma mis>
sion. Plus tard(^), parut un règlement ministériel, sous
la signature du marquis de Penaflorida, qui ouvrait
aux étrangers, aussi bien qu'aux nationaux, les divers
dépôts d'archives de l'État dans la Péninsule , mais
en exceptant, des pièces dont il serait donné commu-
nication, celles qui contenaient des renseignements
particuliers sur la vie privée des rois, des princes et
n Au mois de juillet 4843.
(•) Le 20 avril 4844. Voy. Correspondance de Philippe li sur les
affaires des Pays-Bas, t. I, p. 57.
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PRÉFACE. VII
d'autres personnages éminents ('); pour celles-ci une
permission spéciale était nécessaire.
Je la sollicitai par rapport aux papiers qui concer-
naient don Carlos.
M. le marquis de Pidal, qui, après avoir joué un rôle
brillant sur la scène politique de son pays Q). consacre
aujourd'hui ses loisirs aux lettres f), avait remplacé
M. le marquis de Peflaflorida au ministère de l'inté-
rieur; il m'accorda gracieusement ma demande (*).
Je compulsai, au dépôt de Simancas, les negociados
de Castille, de Portugal, de Rome, d'Allemagne,
(') « Seràn reservados para todos, à no ser que se concéda especial
autorizacion, los papales que tengan noticias particule res acerca de la vida
privada de los senores reyes, principes ù otros personages etnineotes. »
(') M. de Pidal a été chargé deux fois, en 1844 et 4846, du portefeuille
de Tintérieur, et deux fois aussi, en 4854 et 4857, de celui des affaires
étrangères.
(') Il a publié , Tannée dernière , sous le titre de Hiitoria de las
alteraciones de Aragon en el reinado de Felipe II, 2 vol. in-8", un livre
qui a obtenu un grand et légitime succès.
(*) Par une real ôrden adressée, le 42 août 4844, à Tarcbivisle de
Simancas, et dont voici la teneur : « .... La reyna ba tenidoà bien
« autorizar à M.Gachard para sacar copia de las piezas que exislan en
tf ese archive relativas al arresto y muerte del principe don Carlos,
« bijo del rey don Felipe H, como tarabien de las que se refieran â sus
« primeros aîîos y â la caida quediô en Alcala... »
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VIII DON CARLOS ET PHILIPPE IL
d'Angleterre : on sait que le negociado de France est
aux archives impériales, à Paris, où il fut transféré
en 18H, quand les Français occupaient la province
de Valladolid.
Une belle récolle de pièces diplomatiques fut le
fruit de ces investigations.
J'eus le regret cependant, en visitant le negociado de
Portugal, d'y constater l'absence de la correspondance
tout entière de Philippe II avec la reine douairière
Catherine d'Autriche, grand'tante et aïeule de don
Carlos. Nul doute que cette correspondance ne ren-
fermât, sur le caractère, les habitudes, la conduite
du prince des Asturies, bien des choses particulières;
ce devait être même le motif pour lequel elle n'avait
pas été déposée aux archiyes. Les papiers de cette
nature, Philippe II avait pour principe de les garder
dans son cabinet, sous sa clef, et quand il sentit appro-
cher ses derniers instants, il prit des mesures afin
qu'après sa mort on livrât aux flammes ceux qu'il
n'aurait pas détruits lui-même (').
Ce qu'il y a de singulier, c'est que la correspon-
n Voy. le t. Il, p. 519.
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PRÉFACE^ ,x
danee de Catherine et de Philippe manque aussi aux
archives royales de la Torre-do-Tombo, à Lisbonne,
comme j'en fus informé, quelques années après, à
la suite d'une vérification provoquée par la légation
belge dans cette capitale.
En résultât, je revins d'Espagne avec quantité de
documents, restés ignorés des historiens, sur la vie
et la mort de don Carlos (*).
Pendant une dizaine d'années, occupé de publica-
tions assez considérables (^), je laissai dormir dans
mes cartons tous ces documents ; j'étais même indécis
sur l'usage que j'en ferais. Les mettrais-je en lumière
tout simplement, en me contentant d'y ajouter quel-
ques notes? ou en ferais-je la matière d'une compo-
{*) La plupart de ceux dont j'avais pris copie ou extrait furent publiés,
en 4855, dans la Coleccion de documentos inédilos para ta historia de
Espana, t. XXVI et XXVIÎ.
(*) La Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas,
dont quatre volumes in-4» ont paru jusqu'ici ; les Actes des états gêné-*
vaux de 4600, in-k^ de cli et 4048 pages, publié en 4849 ; les Actes des
étais généraux de 4632, iD-4<', 4853 ; la Correspondance de Guillaume le
Taciturne, prince d'Orange, dont le 6» volume est aujourd'hui sous
presse ; les Lettres sur la retraite de Charles V au monastère de Yuste,
3 vol. in-8», qui onl vn le jour eu 1854 el 4855, etc.
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X DON CAULOS ET PHILIPPE H.
sition historique? Telle était Talternative qui s'offrait
à moi. A la persuasion de mes amis^ ee fut le dernier
parti que j'adoptai.
Mais alors je reconnus que^ si précieux que fussent
les matériaux dont mes recherches à la bibliothèque
de Madrid et aux archives de Simancas m'avaient mis
en possession, il y avait encore plus d'un point impor-
tant de la vie de don Carlos qu'ils laissaient dans
l'ombre, ou qu'ils n'éclairaient pas d'un jour suffisant.
Sur les rapports, par exemple, qui avaient existé
entre le prince d'Espagne et son père antérieurement *
à la catastrophe, sur les faits qui furent la cause im-
médiate de celle-ci, les actes officiels étaient, pour ainsi
dire, muets; les dépêches du nonce soulevaient seules
un coin du voile dont ils restaient couverts : or, sans
connaître et ces rapports et ces faits, comment com-
prendre, comment apprécier l'arrestation de don Car-
los? Cette arrestation même et la mort du prince, ne
fallait-il pas, pour les raconter, pouvoir comparer,
avec les relations émanées de la chancellerie de Phi-
lippe II, d'autres récits encore que ceux de l'arche-
vêque de Rossano?
De nouvelles recherches devenaient donc néces-
saires ; je me décidai à les entreprendre. ]
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PRÉFACE. XI
Je consultai^ dans le fonds de Simaneas, aux ar-
chives de l'Empire, à Paris, le negociado de France
dont j'ai parlé il y a un instant. J'y recueillis, entre
autres pièces intéressantes, les lettres qui furent écri-
tes à Philippe II par son ambassadeur, don Francés
d'Alava, sur l'impression que l'emprisonnement et la
mort du prince d'Espagne produisirent à la cour de
Charles IX.
 la bibliothèque impériale, je parcourus, une à
une, les dépêches de Sébastien de l'Aubespine, évéque
de Limoges, de Jean-Evrard baron de Saint-Sulpice
et de Raymond de Pavie, seigneur de Fourquevaulx,
qui représentèrent successivement la France à Madrid
dans les années lS6i à 1568 (*). La position des
(*] Les lettres de révoque de Limoges, transcrites par son secrétaire,
sont contenues dans le MS. Saint-Germain Harlay 228 ; elles commen-
cent au 3 juillet 4564 et finissent au 44 mai 4562.
I^ « Registre des despesches de M. de Sainct-Sulpice, ambassadeur
« en Espagne soubs le règne du roy Charles neufviesme, » remplit les
MSS. 9746, 9747, 9748. La première dépêche de cet ambassadeur écrite
de Madrid porte la date du 24 mai 4562; les dernières, celle du
44 août 4565.
Le recueil des dépêches de Fourquevaulx a été fait par les soins de
son fils en deux volumes, qui sont marqués Suppl. franc. 225^-225*, sous
le titre suivant : « Lettres d'Estat où sont contenus les affdires particu-
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XII DON CARLOS ET PHILIPPE II.
ambassadeurs français à la cour d'Espagne était pri-
vilégiée : ils avaient leurs entrées libres chez la reine,
et des rapports journaliers avec ses dames; ils pou^
valent par là apprendre et même voir de leurs yeux
presque tout ce qui se passait dans la maison royale.
Aussi je me promettais beaucoup du dépouillement de
Jeurs correspondances. Mon attente ne fut pas déçue.
Il y avait une autre correspondance diplomatique
à laquelle j'attachais un grand prix : c'était celle
« liers de divers royaumes, soubs la négociation faicte en Espaigne près
« du roy catholique Philippe d*Austriche, par le sieur de Forquevauls,
• ambassadeur du roy très-chrestien Charles neufviesme. Tome premier
* (deuxième). A Forquevauls, Tan M.D.XGVL » Le premier volume
commence au 7 juillet 4565 et finit au 3 octobre 4568 ; il a 4478 pages.
Le second, qui en a 4340, va du 45 octobre 4568 au 45 avril 4573.
Dans le MS. Saint-Germain Harlay 228, cité plus haut, il y a cent
quatre-vingt et une lettres originales de Fourquevaulx, du mois de sep-
tembre 4567 au mois d'avril 4572.
C'est du MS. Suppl. franc. 225* que je me suis servi, comme étant
plus complet, quoique la copie puisse n*ôtre pas toujours d'une exacti-
tude minutieuse.
M. le marquis du Prat a donné une cinquantaine de lettres de Four-
quevaulx, des années 4566, 4567 et 4568, dans son Histoire, si tou-
chante et si complète, <ï Elisabeth de Valois, reine d*Espagne, Paris,
Techener, 4859, in-8o.
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PRÉFACE. ' XIII
du baron Adam de Dietrichstein , que Tempcreur
Ferdinand I*"^ envoya en Espagne, à la fin de 1S63,
pour y remplir à la fois la charge de son ambassa-
deur et celle d'ayo ou gouverneur des archiducs
Rodolphe et Ernest, ses petits-fils. Déjà, à l'épo-
que où Dietrîchstein quittait Vienne, il s'agissait du
mariage de l'archiduchesse Anne, sœur de ces prin-
ces, avec don Carlos, mariage qui, un peu plus tard,
fut convenu entre les deux cours : il était donc permis
de supposer que l'envoyé d'Autriche avait reçu la
recommandation d'instruire régulièrement la maison
impériale de tout ce qui se rapportait au prince des
Asturies.
La direction des archives de cour et d'État à Vienne
mit la plus grande complaisance à me procurer copie
des lettres du baron de Dietrichstein. Déjà elle m'avait
fait parvenir celles qui concernaient remprisonnement
de don Carlos, lorsque parut à Leipzig un recueil de
doeumenis (') où toutes les dépêches de Dietrichstein,
(») Quellen zur Geschichte des Kaisers Maximilian IL in Archiven
gesammelt und erldutert von M. Koch; Leipzig, Voigt et Gûnther, 4857;
in'8« de vi et 303 pages. Les lettres de Dielrichstein remplissent les
pages 109-247 ; elles sontau nombre de quatre-vingt-neuf.
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iir DON CARLOS ET PHILIPPE II.
depuis le 19 novembre 1563 jusqu'au 25 mai 1568 (*),
étaient insérées. Ce recueil avait pour auteur M. Mat-
thias Koch, de Stuttgart^ qui, dans ces dernières
années, a publié différents écrits sur le règne de Phi-
lippe II Q. On verra de quel secours il m'a été, par
les citations que j'en ai faites.
Les correspondances du nonce, des envoyés de
France et de l'ambassadeur d'Autriche, jointes aux
papiers d'État que j'avais rapportés de Simancas,
c'était là déjà une collection de matériaux d'une haute
valeur. Grâce au concours d'hommes aussi obligeants
que zélés pour la science historique, elle s'augmenta
notablement encore.
M. le chevalier de Mutinelli, directeur général des
archives de Venise, eut la bonté de faire transcrire
pour moi les principales dépèches de Paolo Tiepolo^
et de Sigismondo Cavalli, qui étaient ambassadeurs de
la sérénissime république en Espagne : le premier,
(') Il D*y a pas de lettre de Dietrichstein sur la mort de don Carlos,
aux archives de Vienue.
(*) Notamment : Untersuchungen Uber die Empôrung und denAbfall
der Niederlande von Spanien; Leipzig, Voigtet Gûnlher^ 4860 ; in-8» de
XII et 24 9 pages.
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PRÉFACE. XV
quand don Carlos fit à Âlcala la chute dont les suites
mirent sa vie en danger; le second, lors de l'arresta-
tion et de la mort de ce prince.
M. le professeur Albèri, à qui est dû l'inappréciable
recueil des Relazioni degli ambasciatori veneti al
senato durante il secolo decimo sesto, se donna la
peine, en ma faveur, d'extraire, dans les archives de
Florence, les lettres écrites, sur les événements que
je viens de rappeler, par l'ambassadeur de Côme de
Médicis à Madrid, le chevalier Leonardo de Nobili.
Quelques-unes de ces lettres seulement avaient été
communiquées au dernier historien, de Philippe II,
William H. Prescolt.
M. le comte Giuseppe Greppi , aujourd'hui conseiller
de la légation de S. M. le roi d'Italie à Constantinople,
voulut bien m'envoyer différentes pièces tirées des
archives du royaume, à Turin, et qui appartenaient,
soit à la correspondance du protonotaire Marcantonio
Sauli, résident de la république de Gènes à la cour
d'Espagne en 1567 et 1568, soit à celle de Baldassaro
Ravoyra délia Croce, qui était à Vienne l'envoyé du
duc Emmanuel-Philibert de Savoie, dans le temps
qu'on y reçut la nouvelle de l'arrestation de don Carlos.
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l
XVI DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Toutes ces dépêches italiennes abondaient en détails
sur les mystères que j'avais à approfondir : mais celles
de Sigismondo Cavalli et de Leonardo Nobili étaient
spécialement importantes; elles justifiaient à tous
égards la vieille renommée de la diplomatie de Flo-
rence et de Venise.
Je reçus aussi de MM. Albèri et Greppi des extraits
de relations vénitiennes sur don Carlos, relations qui
depuis ont vu le jour dans le tome XIII Q) du recueil
de M. Albèri.
Vers la même époque, le gouvernement belge, sur
la proposition de la commission royale d'histoire,
chargea M. Ernest Van Bruyssel(^) de visiter les
archives et les bibliothèques de Londres. Un des
points de l'instruction donnée à M. Van Bruyssel lui
' recommandait de rechercher, au State paper Office
et au British Musaeum, les documents qui concer-
naient les règnes de Charles-Quint et de Philippe II.
Il trouva , dans le premier de ces dépôts , les dépê-
ches de sir Thomas Chaloner et du doyen John
Mann, ambassadeurs de la reine Elisabeth à Madrid;
(1) Publié eu 4861.
(^] Actuellemeut chef du bureau paléographique.
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PRÉFACE. XVII
il prit copie de celles qui étaient relatives à don
Carlos.
J'avais ainsi en mon pouvoir les correspondan-
ces adressées à sept des gouvernements de l'Europe,
entre lesquels on comptait les plus considérables,
par les diplomates qu'ils entretenaient à la cour de
Philippe II, lorsque s'y passèrent les événements dont
je me proposais de faire le récit. Et ce n'était pas un
médiocre avantage que la réunion de ces corres-
pondances diverses, car elles se contrôlaient et se
complétaient, en quelque sorte, les unes par les au-
tres. Chacune d'elles avait d'ailleurs son caractère et
son mérite propres.
Tandis que je mettais à contribution les archi-
ves étrangères , l'établissement qui est confié à mes
soins me fournissait aussi son contingent de maté-
riaux.
A son départ pour l'Espagne, après la conclusion
de la paix de Cateau-Cambrésis , Philippe II s'y fit
suivre de deux ministres belges qui devaient s'oc-
cuper, auprès de sa personne, des affaires des Pays-
Bas : l'un, Charles de Tisnaeq, en qualité de garde
des sceaux; l'autre, Josse de Courtewiile, comme
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xviif DON CARLOS ET PHILIPPE 1[.
secrétaire d'État. En 1566, Tîsnacq fut, à sa de-
mande, remplacé par Joachim Hopperus ; le roi lui
conféra la dignité de président du conseil d'État des
Pays-Bas : mais, à cause des troubles qui agitaient ces
provinces, il ne voulut pas se priver de ses conseils,
et il le retint à Madrid jusqu'à la fin de 1569. Cour-
tewille quitta l'Espagne avec le duc d'Albe, au mois
d'avriH567.
Tisnacq, Courtewille, Hopperus, avaient une cor-
respondance suivie avec Viglius de Zuichem, chef et
président du conseil privé aux Pays-Bas. Les lettres
d'Hopperus ont été publiées au commencement de ce
siècle (*). Celles de Tîsnacq et de Courtewille sont
restées inédites; elles forment deux recueils, aux
archives de Bruxelles.
Les correspondances des minisires belges n'ont sans
doute pas une importance égale à celle des dépêches
des ambassadeurs étrangers. Les premiers ne se mon-
trent pas aussi bien informés que les seconds de ce
qui se faisait et se disait à la cour : sur les choses
(') Joachimi Hopperi, Frisii^ Epistolae ad Viglium ah Aytta Zuiche^
mum, sanctions consilii praesidem. Utrecht, 1802, in-4".
«
s
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y
PRÉFACE. XIX
qu'ils apprennent, ils s'expriment avec réserve, prin-
cipalement s'il s'agit des actes et de la politique du
maître; ils se croient obligés, par leur position offi-
cielle , à des ménagements , à des réticences. Néan-
moins, dans ce qu'ils écrivent, il y a une foule d'in-
dications dont l'historien ne manquera pas de pren-
dre noie, ou parce qu'elles précisent mieux des détails
déjà connus, ou parce qu'elles en révèlent d'ignorés.
J'ai recueilli plusieurs particularités essentielles
dans les lettres d'Alonso de Laloo à Philippe de
Montmorency, comte de Homes, que M. le profes-
seur Van Vloet, de Deventer, a placées à la suite de
sa Notice sur la vie et la mort du baron de Monti-
gny ('). Laloo était le secrétaire du comte de Homes,
qui l'envoya en Espagne, au commencement de 1566,
pour ses affaires particulières Q ; il y séjourna jus-
qu'au mois de mars de l'année suivante. La biblio-
thèque de l'université de Leyde possède les lettres
qu'il écrivit à Philippe de Montmorency, de Madrid
(') Montigny's levenen dood inSpanje, 4566-4570; Amsterdam, Fre-
derik Muller, 4853 ; in-S» de 74 et 36 pages.
(') Son instruction est du 5 janvier 4566. Nous l'avons aux archives
du royaume, dans un recueil de lettres adressées au comte de Hornes.
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V
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XX DON CARLOS ET PHILIPPE II.
et de Ségovie, dans les mois de mai, d'août, de sep-
tembre et d'octobre iS66; ce sont celles que M. Van
Vloet a livrées à la publicité.
Enfin j'ai fait quelques emprunts à l'Histoire des
protestants espagnols, de M^ de Castro (*), où l'on
regrette que des recherches infiniment curieuses soient
mêlées à des assertions hasardées et à des jugements
inspirés par l'esprit de système.
L'énumération , qu'on vient de lire, des sources
dans lesquelles ont été puisés les éléments de cet
ouvrage (sans parler de celles qui sont généralement
connues), montrera, je pense, qu'il est peu de sujets
historiques sur lesquels on ait rassemblé autant et
d'aussi notables documents.
Je suis loin de me le dissimuler : ces riches maté-
riaux auraient voulu une plume plus exercée pour
les mettre en œuvre.
Don Carlos aurait du avoir pour historien l'illus-
tre auteur d'Antonio Ferez et Philippe II f ) , ou
l'écrivain éminent qui a peint, d'une main si sûre
(^) Historia de los protestantes espanoles y de su persecucion por
Felipe 11; Cadiz, imprenta de la Revisla médica, 4851 ; in-S" de 460 pages.
(«) M. MiGNET.
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PRÉFACE. XXI
et si vigoureuse, les princes et les peuples de l'Europe
méridionale au xvi® et au xvii® siècle (*).
Ne pouvant pas m'élever à la hauteur de ces maî-
tres de l'art,' j'ai pris à tâche de rpvracer les faits avec
simplicité, mais surtout je m^uis imposé la loi d'être
vrai et impartial.
J'ose espérer que l'intérêt saisissant du drame fera
excuser la faiblesse de la composition.
Ce livre, dont des fragments ont été lus dans les
séances de l'académie royale de Belgique des i i jan-
vier, !«' mars, H octobre 1888, 7 mars et 6 mai
18S9 ('), et auquel la commission royale d'histoire a
accordé les honneurs de l'impression, le iO janvier
de celte dernière année f ), devait paraître beaucoup
{') M. Ranke, FUrsten und VOlker von SUd-Europa im XVU» und
XVI I«» Jahrkundert.
{>) Voir les BuUetins de cette compagnie, 3« série, t. IV, pp. ^5, 264 ;
t. V, p. 3<9 ; t. VI, p. 375 ; t. VU, p. 243.
(») Bulletins de la commission, 2« série, t. XII, p. >H5.
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DON CARLOS ET PHILIPPE II.
plus tôt. Si nous nous abstenons de faire connaître
ici les causes qui en ont retardé la publication , c'est
qu'elles intéresseraient médiocrement le lecteur.
Mai 1865.
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DON CARLOS
KT
PHILIPPE IL
CHAPITRE PREMIER.
Mariage du prince Philippe avec Marie de Portugal. — Nais.^ance de
don Carlos. — Mort de la princesse : affliction c{ue cet événement
cause à Philippe et à toute TEspagne. — Baptême de don Carlos. ~
Joie de Tempereur, en apprenant à Worms quMi lui est né un petit-^
fils, bientôt troublée par l'arrivée du courrier qui lui apporte la nou-
velle de la mort de la mère. — Changement dans les projets qu*il
avait formés. — Instincts étranges de don Carlos, qui mange le sein
de sa nourrice. — Difficulté qu'il éprouve à parler : mot de Tempereur
à ce sujet. — Age de don Carlos, quand le filet lui est coupé. —
Dona Leonor de Mascarenas lui est donnée pour gouvernante; portrait
de cette dame. — Résidence de Tinfant à Alcala de Henarès et à Toro.
— Instruction de l'empereur sur Tordre à observer dans la maison
de son petit-fils. — Officiers attachés à la personne de Tinfant. —
Chagrin manifesté par don Carlos lors de sa séparation d'avec sa tante
' dona Juana. — Philippe le fait passer des mains des femmes dans
celles des hommes, et lui donne pour gouverneur don Antonio de
Rojas.— Partant d'Espagne pour l'Angleterre, il nomme Honorato Juan
son précepteur. — Éloge de Juan. — Perspective que lui offre la
charge à laquelle il vient d'être appelé. — Plan qu'il soumet à Philippe ;
observations de ce prince. — Recommandations de l'empereur à don
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DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Antonio de Rojas. — Application à Tétade montrée dans le principe
par don Carlos, mais qui ne se soutient pas.
Le 45 novembre 4843, Philippe II épousa à Sala-
manque là princesse dofSa Maria, infante de Portugal,
fille du roi Jean III et de Catherine d'Autriche, sœur
de Charles-Quint. Ce mariage conciliait les exigences
de la politique avec les convenances mutuelles des
époux. Les Espagnols voyaient avec plaisir se res-
serrer Falliance qui unissait depuis de longues années
les deux monarchies de la Péninsule ibérique. Phi-
lippe avait seize ans et demi (^); il était l'un des
princes de son temps les mieux faits et les plus
agréables (^). Marie de Portugal, dont l'âge ne diffé-
rait du sien que de quelques mois f ), réunissait en sa
personne des avantages précieux : sans être grande,
elle était bien prise dans sa taille; elle avait de
l'embonpoint sans en avoir trop, un visage charmant
et un sourire plein de grâce. Elle rappelait beaucoup
sa bisaïeule Isabelle la Catholique (*).
n n était né le 21 mai 4527.
(') a En estos tiempos era de los gallardos y hermosos que avia en e)
mundo.... » (Sawdoval, Historia de Carlos V, liv. XXVI, § 1.)
(*) Càbrbra, Hiêtoria de Felipe 11, liy. I, chap. II, p. 7, lui donne cinq
mois de moins. Selon Sandoval, /. c, elle avait, au contraire, quatre
mois de plus.
(*) « Era la princesa muy gentil dama, mediana .de cuerpo, y bien
proporcionada de faciones, àntes gorda que delgada, muy buena gracia
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CHAPITRE I. 3
Le ciel sembla d abord vouloir favoriser une union
formée sous de si heureux auspices. Philippe avait
établi sa résidence à Yalladolid; le 8 juillet i545,
à minuit, la princesse y donna le jour à un fils.
Sa délivrance avait été laborieuse, car les douleurs
n'avaient pas duré moins de deux jours; mais son
état était tout à fait satisfaisant (*). Philippe s'em-
pressa de dépécher à l'empereur, pour lui porter cette
bonne nouvelle, Ruy Gomez de Silva, son écuyer
tranchant, et déjà alors son favori (-).
La joie que répandit dans toute l'Espagne la nais-
sance d'un futur héritier de la monarchie, se changea
bientôt en une affliction universelle. Quatre jours
après son accouchement, la princesse mourut. Les
historiens espagnols ne nous expliquent pas les causes
de cette mort inopinée; ils font seulement supposer
qu'une imprudence y eut quelque part (^).
Il est plus aisé de se figurer que de dépeindre la
. en elr ostro, y donayre en la risa. Parecia bien à la casta del emperador,
y macho à la calholica reyna dona Isabel, su biaabuela. » (Sandoyal,
îiv. XXVI, § 2.) ~ * £ra la princesa muy hermosa , no grande en el
cuerpo.... » (Cabrera, /. c.) /^~"
(^) « La princesa continué su prenado con salud, hasta que ayer, à
medianoche, plugo à Nuestro Senor alumbrarla con bien de un hijo; y
aunque tuvo el parto trabajoso, porque duré cerca de dos dias, ba que-
dado muy buena.... » (Lettre du prince Philippe à l'empereur, écrite
de Valladolid, le 9 juillet 4545, dans la Coleccion de documento$ inéditos
para la historia de Espana, t. XXYI, p. 467.)
(») Ibid.
n A la marge du passage de Saivdoval (Iiv. XXVII, § 4) où cet his-
torien annonce la mort de la princesse, on lit : « Dixose que rauriô de
« mudarse la ropa sin tiempo, y otros de corner un limon, estando rezien
« parido. »
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4 DON CAHLOS ET miUPPE II.
douleur où Philippe fut plongé par la mort de sa
jeune épouse. Il se retira au monastère de TAbrojOv,
prés de Valladolid, où il passa trois semaines sans
voir personne. Le 2 août, eut lieu le baptême de
rinfîint, qui fut appelé Carlos, du nom de son aïeul.
Ce fut l'évêque de Cartagéne Ç) qui lui administra
ce sacrement. Les parrains étaient l'évêque de Léon
et don Alejo de Meneses, grand maître de la princesse
défunte; la marraine, sa camarera mayor . doîïa
Margarîta de Mendoza. Philippe rentra à Valladolid
le surlendemain de la cérémonie (-).
Charles-Quint était à Worms, où il avait tenu la
diète de l'Empire, lorsque, le 2i juillet, Ruy 6ome2
lui apporta la nouvelle de la naissance de son petit-
fils ; il en iéprouva une satisfaction indicible. F^e soir
même, il voulut que cet événement fut célébré par
des feux de joie, et, le lendemain, il fit chanter, dans
la chapelle de la cour, une messe, suivie du Te
Deum, à laquelle assistèrent le roi des Romains
Ferdinand, les archiducs ses fils et le cardinal d'Augs-
bourg Q. Le courrier qui devait lui apprendre la
mort de la princesse arriva à Worms le 30 (*). En ce
(») Cabrera, liv. I, chap II, fait administrer le baptême à l'infant par
le cardinal de Tavera, archevêque de Tolède. Or, ce prélat était mort
a veille de la cérémonie, comme nous l'apprend la lettre du 43 août
mentionnée à la note suivante.
(') Lettre du grand commandeur Covos à Charles-Quint, du 43 août
4545, dans la Coleccion de documentas inéditos, etc., t. XXVI, p. 469.
(5) Journal MS. des voyages de Charles-Quint et de Philippe II, par
Vandenbsse.
(*) Ibid,
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CriAPlTRE 1." 5
moment, it se proposait de visiter le duché de Gueldre,
donl, deux années auparavani, il avait fait la con-
quête : il changea de résolution, et se rendit direc-
tement à Bruxelles, après avoir recommandé à la
reine Marie, sa sœur, gouvernante des Pays-Bas, de
prendre les mesures nécessaires pour que les obsèques
de la princesse fussent faites aussitôt après son arri-
vée dans cette capitale (').
Si nous en croyons lambassadeur vénitien Paolo
Tiepolo, don Carlos annonça, dès son entrée dans la
vie, des instincts étranges. Non-seulement il mordait
mais encore il mangeait le sein de sa nourrice ; il en
eut ainsi trois, auxquelles il fit des morsures telles
qu'elles faillirent en mourir (-). On erut, pendant
plusieurs années, selon le même ambassadeur, qu'il
serait muet : il avait cinq ans lorsqu'il prononça la
première parole, et celte parole fut non. L'empereur
fut si charmé de savoir que la langue de son petit-fils
s'était déliée qu'il plaisanta sur le mot sorti de sa
bouche, disant qu'il avait bien besoin et bien raison
de dire non à tout ce que dépensaient et donnaient
son aïeul et son père ('*). Que cette dernière anecdote
(*) Lettre de Charles-Qiiint à la reine Marie, écrite de VVorms, le
30 juillet 4545.
L'empereur arriva à Bruxelles le 25 août, et les obsèques de la prin-
cesse d'Espagne eureut lieu le lendemain. [Journal de Vandenessk.)
O t 11 principe Carlo.... tiene alcuni modi di procedere et costiimi
niollo noiabili, perche fanciulo non solameote mordete ma mangiô
anchor i pelli a tre sue baile, clie per queslo rispetlo forono vicine a
morire.... » (Relation faite au sénat de Venise, le 49 janvier 1563, aux
Archives do Venise.)
{^) « .... Non parlé innanzi i cinqueanni, et la prima parolaaverlita
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6 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
soU vraie ou supposée, toujours est-il certain que don
Carlos avait vingt et un ans, quand on lui coupa le
filet C).
Philippe choisit, pour gouvernante de Tinrant,
dona Leonor de Mascareiias, aux soins de laquelle
il avait été confié lui-même dans son bas âge : c'était
une dame portugaise de haule naissance ; elle avait
accompagné la princesse Isabelle en Espagne , lors-
qu'elle y vint épouser Charles-Quint ; elle était âgée
de quarante-deux ans en iS4S. Philippe lui dit, en
remettant Tinfant entre ses mains : a Mon fils a perdu
i( sa mère; vous lui en servirez; traitez-le comme
« telle (^). w
Quand don Carlos passa du gouvernement des
femmes à celui des hommes, dona Leonor de Masca-
renas voulut prendre le voile ; elle avait fait vœu,
dès son enfance, de vivre en état de chasteté : elle en
référa au prince Philippe, qui lui conseilla de fonder
plutôt un couvent, afin de rester libre de se livrer à
d'autres exercices de piété. Elle érigea à Madrid le
couvent de Santa Maria de los Angeles^ de l'ordre
in lui fu nOf la quai subito raportata alP imperatore suo avo, per Tinditto
che dava cheegli oon dovesse restar muto, corne si dubitava, gli diede
occasion di moteggiare sopra , perché disse cbe a quel che suo avo et
suo padre spendevaDO et dODavano, havea il figliolo ben ragfoo et
bisogno di dir di no.... »
(*) L'article suivant fait partie d'un compte conservé aux Archives
de Simancas: « Jueves, 28 de novembre 4566, dio, por mandado de
• Su AUeza, à Rui Diaz de Quintanilla, mil y cien reaies, porque corto
« el frenillo à Su Alteza. » (Contddurias générales, pliego 58, p. i.)
(') a Mi hijo queda sin madre; vos lo aveis de ser suya, tralàdmele
como tal. »
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CHAPITRE I. 7
de Saint-François, dont les constructions furent ache-
vées en 4ÎI63. Elle mourut le 20 décembre 1584 (*).
Don Carlos passa les premiers temps de son enfance
à Âlcala de Henarès, sous la surveillance de ses
tantes, les princesses dofia Maria et dona Juana Q.
Au mois de décembre 1547, Philippe, qui venait de
tenir les cortès d'Aragon, conduisit ses sœurs et son
flls à Yalladolid , où bientôt après arriva l'archiduc
Maximilien, fils aîné du roi des Romains, pour épouser
la princesse Marie. Philippe était appelé par l'empe-
reur en Allemagne ; il quitta Yalladolid le 1^^ octobre
de l'année suivante, en recommandant spécialement
son 61s à la sollicitude de dona Juana. Cette princesse
alla s'établir à Toro avec l'infant (^).
Le 15 novembre 1549, Charles-Quint, étant à
Bruxelles, fit et signa l'instruction suivante, sur
Tordre qui devait être observé dans la maison de son
petit-fils, alors âgé de quatre ans et quatre mois :
ce Premièrement, Francisco de Medrano veillera à ce
ce que le sérénissime infant soit bien servi, et sa sur-
w veillance s'exercera surtout sur ce qu'on donnera
i( à l'infant pour sa nourriture, selon les ordres de
« dona Leonor de Mascarenas, sa gouvernante. 2*» Les
<c vêtements nécessaires audit infant seront faits ainsi
(*) Teat7V de las grandezas de Madrid^ por el maestro Gil Gonzalez
p'AviLA, Madrid, 4623, in-fol., p. 287.
(') El felicissimo viaje del principe don Phelipe, etc., descle Espana
d sus lierras de la Bajoa Alemana, por J. G. Galvete de Estrella ,
Anvers, 4552, fol. 4 v». — Cabrera, liv. I, chap. I^ p. 40.
(^) Vamdenesse , Journal des voyages de Çharles-Quiut et de Phi-
lippe II.
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8 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
a que doiia Leonor le dira. 3** Luis Sarmîento (') sera
« présent, quand dona Leonor réglera ces différents
« points; il interviendra aussi à la fixation des
c( dépenses et à la reddition des comptes : tout ce qui
« concerne l'emploi des deniers lui sera soumis.
« 4° Ledit Francisco de Medrano fera rapport de tout
« à ladite dona Leonor et audit Luis Sarmienlo, afin
« que l'infant soit mieux servi, et qu'il y ait en sa
u maison l'ordre qu'il convient (-). »
Dans des ordonnances de payement de l'année 1 §50,
nous trouvons mentionnés, comme ofiiciers de la
maison de don Carlos, après doua Leonor de Masca-
reilas : Francisco Osorio, aumônier {limosnero);
Gaspar Muriel, chargé en chef des dépenses de la
table (despensero mayor de mesa); Fernando Orliz
de Bibaneo, contrôleur de la dépense {veedor de /os
(*) Don Luis Sarmîento doMendoza, qui avait négocié à Lisbonne, au
nom de l'empereur, le mariage du prince Philippe avec la princesse
Marie , et qui était revenu en Castille à la suite de cette princesse.
En 4552, il accompagna eu Portugal dona Juana, sœur de Philippe, qui
allait y épouser le prince don Juan, et resta dans ce pays comme
ambassadeur de l'empereur. (Coleccion de documentos inéiHtos para la
historia de Espana, t. XXVI, p. 393. — Sandoval, liv. XXVl, § 2.)
C*^) « Primeramente, que Francisco de Medrano tenga cargo de qu'el
illuslrissirao infante sea bien servido, teniendo especiai cuidado de mirar
lo que se le ha de darde corner, segun lo ordenare dona Leonor Masca-
renas, su aya ; y que los vestidos que se hubieren de hacer para el
dicho infante se hagan conforme à lo qu'ella dijere ; y que Luis Sar-
miento se halle présente a ello, y â las quentas y gastos, y que se le dé
razon do lodo lo que tocare al dinero ; y que el dicho Francisco de
Medrano dé de lodo cuenta y razon à la dicha dona Leonor y al dicho
Luis Sarmiento, para qu'el dicho infante sea mejor servido, é baya la
buena ôrden que convenga en su casa. » (Archives de Simancas, Casa
real, ieg. 41.)
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CHAPITRE I. 9
gastos); Fernan Alvarez Osorio, garde de l'argenlericî
et du linge {que fué recibido para tener cargo de la
plata y ropa); Jorge Suarez et Juan Lopez, domes-
tiques d'antiehambre (reposteros de camas); Juan de
la Pena et Pedro Hurtado, huissiers (reposteros d'es-
trados) ; Juan Bernaldo^ maréchal des logis {aposen-
tador); trois pages, don Antonio, don Benilo et don
Alonso de Teves ; deux cuisiniers, un brasero^ un
portier, une lavandière et une esclave, du nom d'An-
lona (0-
Don Carlos était encore à Toro avec sa tante doila
Juana, quand Philippe revint en Espagne au mois de
juillet iSSl. 11 continua d'y résider, même après que
la princesse, au mois de juin de l'année suivante, en
fut partie pour Lisbonne, où elle allait épouser le prince
don Juan, héritier présomptif de la couronne de Por-
tugal. La séparation de dona Juana et de son neveu
fut des plus touchantes ; ils pleurèrent l'un et l'autre
durant trois jours. On entendit don Carlos s'écrier en
sanglotant : « Que va devenir l'enfant (ainsi s'appelait-
cc il lui-même), seul ici, sans père ni mère, mon aïeul
« étant en Allemagne, et mon père à Monzon ? » Il se
jeta dans les bras de don Luis Sarmiento, qui avait
reçu l'ordre d'accompagner la princesse, en le priant
de revenir bien vite (^). Cette scène, racontée par un
0) Cédule du 3 juin 4550, dooDée, sous le nom du roi Charles, par
Maximilien et Marie, gouverneurs des royaumes d'Espagne. (Archives
de Simancas, Casa real, leg. 44 .)
n « .... A la partida de la princesa de Toro, fué cosa grande su des-
pidimiento del infante, que duré 1res dias el llorar del uno y del olro....
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iO DON CARLOS ET PHILIPPE II.
témoin oculaire, prouve qu'au moins dans ses pre-
mières années, don Carlos n'était pas dépourvu de
sensibilité.
Jusqu'à l'âge de sept ans accomplis, Philippe laissa
son iils entre les mains des femmes. Sur la fin de
1552, il résolut de lui donner un gouverneur. Il tenait
alors, à Monzon, les cortès d'Aragon, de Catalogne et
de Valence : il commanda à don Antonio de Rojas,
S"" de Villerias de Campos, son premier sommelier de
corps, à Gutierre Lopez de Padilla*, l'un de ses maî-
tres d'hôtel, et à Jean de Yandenesse, son contrôleur,
de lui soumettre un projet pour l'organisation de la
maison de rinfant(*). Le gouverneur sur qui il avait
jeté les yeux était don Antonio de Rojas lui-même.
Ce seigneur alla chercher don Carlos à Toro, et le
conduisit à Madrid ; il n'entra toutefois dans l'exer-
cice de sa charge qu'après l'arrivée de Philippe en
celte ville, qui eut lieu le 13 janvier 1553 Q.
L'année suivante, Philippe quitta de nouveau l'Es-
pagne : celte fois, c'était pour aller épouser la reine
d'Angleterre, Marie Tudor ; il s'embarqua à la Corogne
El infante decia : a El nino (que asî se nombra él à si mismol^ como ha
« de quedaraqui solo, sin padre ni sin madré, y teniendo el agùelo en
« Âlemania y mi padre en Monzon? • y echàndome à mi los brazos,
diciéndome que me volviese luego. » (Lettre de don Luis Sarmiento de
Mendoza à Tempereur, du 24 novembre 1552, dans la Coleccion dedocu-
menlos inéditos, etc., t. XXVI, p. 392.)
(') Malgré toutes les recherches que don Manuel Garcia a eu la com-
plaisance de faire dans les Archives de Simancas, il n*y a trouvé ni le
règlement que Philippe fit pour la maison de son fils, ni la liste des
officiers dont il la composa.
(^) Vandenesse, Journal des voyages de Charles-Quint et de Philippe IL
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CHAPITRE I. <4
le 12 juillet ('). Avant son départ^ il nomma précep-
teur de son fils Honorato Juan : « L'expérience que j'ai
<c acquise de votre bonlé et de votre science, pendant
« le temps que vous avez été au service de l'empe-
c< reur et au mien, — lui écrivit-il — m'a engagé à
c( vous choisir pour maître 4e l'infant don Carlos ,
ce mon fils, comme don Antonio de Rojas vous le dira.
c( Je vous charge beaucoup de travailler à le former
c< à la vertu et aux connaissances humaines, ainsi
« que vous le devez à la grande confiance que j'ai
« placée en vous, en vous donnant un emploi de tant
« d'importance Q. » Un religieux sur lequel nous
savons peu de chose, fray Juan de Munatones, était,
depuis quelque temps déjà, chargé d'enseigner au
jeune prince les premiers éléments de la grammaire ;
Philippe le remercia de ses soins et l'invita à les con-
tinuer, selon les instructions qu'il recevrait de don
Antonio de Rojas (*). Don Carlos devait résider à
Yalladolid, auprès de sa tante la princesse dona
Juana, veuve, après un an de mariage, du prince don
Juan de Portugal, et que l'empereur avait nommée
gouvernante des royaumes d'Espagne pendant l'ab-
sence qu'allait faire son fils.
Le choix que le prince avait fait d'Honorato Juan
fut universellement approuvé. Né à Valence le 14 jan-
(*) Vandenesse, Journal des voyages de Cbarles-Quiiit el de Philippe II.
(') Lettre du 3 juillet 4554, apud âth. Kircher, Principis christiani
archelypon poliiicum, etc., 1672, in-i», p. -136.
(3) Lettre de la même date, dans la Coîeccion de documentos inédi-
los, etc., t. XXVI, p. 396.
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12 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
vier 1507,el issu d'une famille ancienne et distinguée,
Juan, après avoir fait de brillantes études dans son
pays, était allé à Louvain, où il avait suivi les leçons
du savant Vives; il passait pour un des hommes les
plus instruits de l'Espagne : c< Sa science dans toutes
c( les branches des belles-leltres — dit un contempo-
« rain — est si grande et si rare qu'elle a émerveillé
« tous ceux de notre temps, italiens, allemands, fran-
w çais, flamands, anglais, espagnols, qui sont vérita-
« blement doctes, et qui tous rendent témoignage de
« son génie extraordinaire, ainsi que de la variété et
« de rétendue de ses connaissances dans les littéra-
le tures grecque et latine, dans la philosophie natu-
c( relie et morale, et dans les mathématiques ('). »
Honorato Juan à un savoir prodigieux joignait le
caractère le plus élevé et des mœurs exemplaires.
Charles-Quint, qui appréciait le mérite, l'avait appelé
à sa cour Q. Il faisait partie de la suite de Philippe,
quand ce prince passa aux Pays-Bas, en 1S48 Q.
C'était une difficile et délicate mission que celle
qu'acceptait le disciple de Vives; mais aussi quelle per-
spective n'offrait-elle pas à celui à qui elle était con-
fiée? Adrien d'Ulrecht, précepteur de Charle^-Quint,
{') a Su sciencia en lodo género de letras es tanta y lan rara, que
lodos los verdaderamente doclos de este tiempo, ilalianos, alemanes,
franceses, flamencos, iogleses y espanoles, admirados, han dado testi-
mouio de su muy peregrino iogenio, y del mucho y hondo conocimiento
que en los autores griegos y latinos, y en la filosofia natural y moral, y
disciplinas matemâticas, tiene.... »> (Alvaro Nunez, cil6 par KificuER,
p. U6.)
(^) KiRciiER, Priucipis chnstiani archetypon, etc., p. (31.
H Alonso Ulloa, Vita CaroU V, lib. IV, fol. 243.
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CHAPITRE r. 43
s'était élevé des derniers rangs de la hiérarchie ecclé-
siastique jusqu'au trône pontifical. Juan Marlinez
Siliceo, de simple professeur de théologie en l'uni-
versité de Salamanque, était devenu cardinal et
archevêque de Tolède, pour avoir été le précepleur
du prince Philippe. Honorato Juan ne se trouvait pas,
il esterai, dans les mêmes conditions ; il était laïque :
mais que fallait-il pour que, lui aussi, il put aspirer
aux hautes dignités de l'Église? Il fallait seulement
qu'il prît les ordres, et ce fut ce qu'il fît, avec l'assen-
timent du roi, dans la cinquième année de l'exercice
de sa charge (').
Juan ne perdit pas de temps pour commencer l'édu-
cation de don Carlos, puisque nous le voyons, dès le
mois d'août 1554, lui donner ses premières leçons (-).
Quelques mois après, il soumit au prince Philippe,
alors en Angleterre, le plan qu'il se proposait de sui-
vre pour développer graduellement l'intelligence de
son élève : Philippe , tout en approuvant ce plan ,
engagea le précepteur de son fils à mettre entre ses
mains, dans le principe, les auteurs les plus faciles,
afin que les difficultés ne le rebutassent point, et ne
lui fissent pas abhorrer l'étude Q).
(^) a He holgado de que os determinàsedes â mudar àbito, como
escrivis que lo aveys hecho, porque sera mas à propôsito para el rezar
y asistir à la missa, como tengo ordenado. » (Lettre du roi à Honorato
JuaD, écrite de Bruxelles, le 31 mars 45S9, ap. Kircher, p. UO.)
(2) Dans une lettre en date du 4 novembre 4554 (ap. Kircher, p. 436),
Philippe lî exprime à Juan la satisfaction avec laquelle il a appris, par
la sienne du 25 août, qu'il a commencé a à leer al infante. »
(^) « .... Lo que me parece sobre ello es que por aora, à los principios.
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U DON CARLOS ET PHILIPPE II.
De son côté, Charles-Quint écrivait à don Antonio
de Rojas, ayo et grand maître de don Carlos : « Don
« Hernando de Rojas m'a rendu compte avec détail
€< de la santé de l'infant et d'autres particularités que
« j'ai été charmé d'apprendre, comme je l'ai été de
<i savoir qu'on observe un ordre tel qu'il ne se refuse
Ci pas à l'étude, et qu'il est si bien corrigé et disci-
<i pliné. Je vous en remercie et le tiens à service.
c( Quoique cela ne soit pas nécessaire, d'après le soin
ce et la diligence que vous apportez en tout, je vous
« charge d'être très-attentif à ce qu'il vive retiré, et
« de faire en sorte qu'il se modère dans ses actions,
<( qu'il ne soit pas aussi libre qu'il l'a été jusqu'ici,
« car on me dit qu'il l'a été trop, et vous comprenez
(( les conséquences que cela peut avoir, surtout eu
« égard à son âge ; enfin je désire que vous l'éloigniez,
« autant que possible, de la société des femmes ('). »
Les soins d'Honorato Juan produisirent d'abord le
le deve^'s pooer en los autores mas faciles, porque la dificuUad no le
espante, 6 le haga aborrecer las letras. ...» (Lettre de Philippe II à Juan,
écrite de Hamptoncourt, le 6 mai 1555, ap. Kircheb, p. 437.)
(') « .... Don Hernando de Rojas me ha hecho relacion particularmente
de la salud del infante y otras particularidades que he holgado de saber,
y asî de que se teoga tal ôrden que no rehuse el estudio y esté tan bien
corregido y deciplinado, lo cual os agradezco y tengo en servicio. Y aun-
que no sera menester, segund el cuidado y diligencia que en todo poneis,
os encargo mireis mucho por su recogimiento , endereszando que sea
templado y moderado, y no tan libre como hasta aqui, que me dicen
que ha sido demasiado, pues veis lo que en ello va, especialmente
teniendo los anos que tiene, apartàndole lo que se sufriere de la cornu-
nicacion de las mugeres.... » (Lettre du 40 janvier 4555, écrite de
Bruxelles, dans la Co/ecdon de documentas inéditos, etc., t. XXVI,
p. 478.)
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CHAPITRE I. 45
fruit qu'il pouvait s'en promettre : l'infant montrait
de l'application ; il écoutait avec plaisir les leçons qui
lui étaient données; il en profitait. Il ne manquait
pas, d'ailleurs, d'esprit naturel, et l'on citait de lui
des saillies dont on fit même un recueil , pour l'en-
voyer à l'empereur, son aïeul ('). On- conçoit la joie
de Philippe, en recevant des nouvelles aussi satis-
faisantes (-).
Malheureusement, comme on le verra bientôt, cette
ardeur de don Carlos pour l'étude ne se soutint pas ;
ce beau commencement eut une suite qui y répondit
peu.
(') Relation de Federico Badoaro, faite au sénat de Venise en 4557.
Voy. nos Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles- Quint et
Philippe II, p. 65.
(') Philippe, écrivant, de Bruxelles, le 2 mai 4556, à Honora to Juan,
lui accuse la réception de sa lettre du 93 mars, et ajoute : « Holgué cou
« ella, por las nuevas que me dais de los estudios del principe mi bijo,
• y de lo bien que aprovecha, que no avia cosa que me pudiesse dar
« mayor contentamiento, que ver que del trabajo que ternays sale el
« fruto que yo desseo. » (Kircher, p. 438.)
Voy. encore ce qu*Honorato Juan dit des commencements de don
Carlos, dans sa lettre du 30 octobre 4558, que nous donnons à la fin du
chap. II.
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46 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
CHAPITRE IL
Abdication de Charles-Quint. — Philippe II est proclamé à Valladolid :
don Carlos préside à cette cérémonie. — Joie et impatience mani-
festées par le jeune prince, à la nouvelle du débarquement de l'em-
pereur a Laredo. — Lettre qu'il lui écrit. — Entrevue de Charles
avec son petit-fils. — Il arrive à Valladolid; séjour quMl y fait. —
Scène plaisante entre lui et le prince, à qui il racontait ses entreprises
de guerre. — Don Carlos veut avoir un poêle qu'il avait apporté des
Pays-Bas; il le lui refuse. — Versions différentes sur le jugement
porté par l'empereur de son petit-fils. — - Amélioration dans les études
et les exercices de don Carlos. — Lettre de son gouverneur sur sa
situation physique, remploi de ses journées et les dispositions qu'il
montrait. — Philippe 11 envoie Ruy Gomez en Espagne : l'historien
Cabrera prétend, à tort, qu'il l'avait chargé d'emmener don Carlos
aux Pays-Bas. — La princesse dona Juana songe à établir la demeure
de son neveu hors du palais et même de Valladolid : raisons pour
lesquelles il n'est pas donné suite à ce dessein. — Philippe II, à son
tour, désigne Tordesillas pour la résidence de son fils; mais les ren-
seignements pris par don Garcia de Tolède l'engagent à ne pas obser-
ver les instructions du roi. — Maladies et mortalité à Valladolid. —
Les médecins, consultés, s'opposent à ce que la résidence du prince
soit transférée ailleurs. — Éloge de don Carlos par l'aumônier Fran-
cisco Osorio; témoignages opposés de don Garcia de Tolède, qui
supplie l'empereur d'appeler sou petit -fils auprès de lui. — La prin-
cesse écrit à son père pour le même objet. — Induction qu'on peut
tirer de ces démarches. — Portrait de don Carlos par l'ambassadeur
vénitien Badoaro. — Motifs qui portent Charles -Quint à fermer
l'oreille aux supplications de don Garcia de Tolède. — Influence de la
mort de l'empereur sur les penchants de don Carlos : lettre notable
de son précepteur au roi ; réponse de Philippe. — Invasion des doc-
trines luthériennes en Espagne : Constantino Ponce de la Fuente ;
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CHAPITRE II. 47
Aguslino Cazalla. — Découverte, par l'inquisitioD , d'un foyer de
luthéranisme à ValladoHd ; arrestation des affiliés à la nouvelle secte ;
poursuites dirigées contre eux. — Indignation et colère de Charles-
Quint, en apprenant que le luthéranisme a pénétré dans la Castille :
il écrit lettres sur lettres pour que les hérétiques soient châtiés exem-
plairement; il envole Quijada à Valladolid; il fait des recommanda-
tions expresses à son fils dans son codicille. — Auto-da-fé célébré à
Valladolid, en présence de dona Juana et de don Carlos : serment
que la princesse et le prince prêtent entre les mains des inquisiteurs.
— Assertion de Llorente à ce sujet, dénuée de preuves.
Usé par les fatigues et les maladies^ las des gran-
deurs dont quarante années d'exercice du pouvoir
suprême l'avaient rassasié^ Charles-Quint avait pris la
résolution de descendre du trône, pour passer le reste
de ses jours dans la retraite et la solitude d'un cloître,
au fond de l'Estrémadure. Le 25 octobre 1555, en
présence des états généraux des Pays-Bas assemblés
au palais de Bruxelles, il céda à son fils la souveraineté
de ces provinces ; le 16 janvier suivant, il abdiqua les
couronnes de Castille, d'Aragon et de Sicile Q) : il pos-
sédait encore, à titre héréditaire, le comté de Bourgo-
gne ; il le transmit au roi Philippe le 10 juin 1556 (^).
Des considérations politiques d'une haute importance
lui firent différer jusqu'au mois de février 15581a rési-
gnation de la dignité impériale.
Les actes de renonciation de Charles-Quint aux
(») Retraite et mort de Charles-Quint au monastère de Yuste, Intro-
duction, p. 444.
n /6td.,p. 447.
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^ -A
48 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
royaumes d'Espagne parvinrent à Valladolid vers le
milieu du mois de mars : la princesse dofia Juana^
dont son frère venait de confirmer les pouvoirs, prit
incontinent les mesures nécessaires pour faire pro-
clamer le nouveau souverain. Le 28 mars, à trois
heures de l'après-mîdî, don Carlos (') partit du palais
de Valladolid, précédé de deux rois d'armes, et accom-
pagné de don Duarte de Âlmeida, ambassadeur de Por-
tugal, de l'évêque don Antonio de Fonseca, président
du conseil de Castille, de l'évêque de Lugo, du duc de
Sesa, de l'amiral des Indes, du marquis de Mondejar,
du comte de Tendilla^ son fils, du comte de Buendia,
du comte de Gelves, de plusieurs autres gentils-
hommes, et des membres du conseil de Castille, de la
chancellerie et de la contaduria mayor ; il se rendit
sur la place, où avait été dressée une estrade au centre
de laquelle était un dais de brocart d'une grande
richesse. Il s'assit sous ce dais, et fit placer, à sa gau-
che, sur l'estrade, l'ambassadeur de Portugal : les
prélats, les grands, le conseil, la chancellerie, la con^
taduria mayor se rangèrent tout autour, debout ; les
deux rois d'armes avec deux massiers étaient devant.
Le magistrat et le conseil de la ville arrivèrent peu
d'instants après ; ils apportaient l'étendard de Castille.
Don Carlos se leva ; il fil déployer l'étendard , et le
prenant en mains, avec l'aide de don Antonio de Rojas,
(1) Dona Juana écrivait au roi le 26 mars : « Ha parescido que el
« principe mi sobrino, con los consejos y la villa , se halle en el auto
o que desto se biziere, y sea el que levanlare el pendon. » (Archives de
Simancas, E«/af/o, leg. 442.)
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CHAPITRE H. ft
son gouverneur^ il dit à haute voix : « Castille ! Cas-
ce tille! pour le roi don Philippe, notre seigneur! »
La cérémonie terminée, il retourna au palais (*).
Gharles-Quint s'était proposé de partir pour l'Es-
pagne avant l'hiver de 1556 : des circonstances que
nous avons rapportées ailleurs Q le retinrent aux
Pays-Bas beaucoup plus longtemps qu'il ne l'aurait
voulu ; ce fut seulement le 15 septembre de celte
année qu'il s'embarqua à Flessingue^ Il descendit à
Laredo le 28.
Dès que don Carlos apprit l'arrivée de Fempereur
en Caslille, il manifesta la joie la plus vive, avec une
extrême impatience de voir son aïeul (^). Il voulait
aller à sa rencontre : don Garcia de Tolède, qui avait
remplacé auprès de lui ^ dans les charges de gouver-
neur et de grand maître, don Antonio de Rojas, mort
depuis peu, eut beaucoup de peine à l'en empêcher;
il li'y parvint qu'en lui disant qu'agir ainsi, sans con-
naître la volonté de l'empereur, serait lui manquer
de respect (*). Le prince alors se détermina à envoyer
à son aleuI don Pedro Pimenlel, gentilhomme de sa
chambre, porteur de la lettre suivante, qu'il écrivît et
rédigea lui-même Q) :
(1) SandovaL, Historia de Carlos V, lit. XXXÏI, § 28, t. II, p. 606.
(') Retraite et mort de Charles-Quint, Introduction, pp. 405etsuiv.
C] Lettre de don Garcia de Tolède à Charles-Quint, du 3 octobre 4556.
(Colecciwx de documentos inéditos, etc., t. XXVII, p. 482.)
(*) « .... Para detenelle, no ba babido otro medio sino decille que tan
gran desacato séria determinar nada .sin saber la voluntad de V. M. »
[Ibid.)
(*) « .... Sin ayudarse de nadie, • dit don Garcia de Tolède dans sa
lettre du 3 octobre.
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20 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
ce Sacrée Impériale et Catholique Majesté,
t( J'ai appris que Votre Majesté est arrivée saine et
sauve. Je m'en suis réjoui infiniment, et tant que je
ne le saurais assez exprimer. Je supplie Votre Majesté
de me faire savoir si je dois aller la recevoir, et en
quel lieu. Don Pedro Pîmentel, gentilhomme de ma
chambre et mon ambassadeur, va trouver Votre Ma-
jesté. Je la supplie d'ordonner ce qui se doit faire en
cela, pour qu'il me l'écrive. Je baise les mains de
Votre Majesté. Valladolid, 2 oclobre.
c( Très-humble fils de Votre Majesté,
« Le Prince Ç). »
Don Pedro Pimentel fut reçu par l'empereur , le
8 octobre, à Agûera ("). Charlos-Quint, après l'avoir
entendu, choisit, pour son entrevue avec son petit-
fils, le bourg de Cabezon, à deux lieues de Valla-
dolid , où il arriva le 20 octobre. Il est à- regretter
(*) Voici le texle.'dont on trouvera le fac-similé en tête de ce volume,
et qui a été publié dans la Coleccion de documenios inéditos, etc.,
t. XXVn, p. -183 :
« S. C. C. Mt,
« Yo e sabido que V. M» esta en salvamento, y e holgado dello in-
finitamente, tanto que no lo puedo mas encarecer. Suplico à V. M< me
haga saber si e de salir à recebir à V. Ms y adénde. Ay va don Pedro
Pimente!» genlilhombre de mi câmara y mi embaxador, al quai suplico
à V. M« mande lo que en esto se ha de bazer, para que él me lo escriva.
Beso las manos de V. M^ En Valladolid, "t de otubre.
« Muy humilde hijo de V. M»,
« El Principe. •
{*) Retraite et mort de Charles-Quint, etc., t. I, p. 41.
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CHAPITRE II. 24
que le majordome Quijada et le seerélaire Gazielù,
auxquels nous devons tant et de si minutieux détails
sur les faits et gestes de l'empereur pendant son
voyage à travers la Castille ('), ne nous apprennent
rien de cette entrevue^ qui aurait fourni plus d'une
particularité intéressante à l'histoire : car Charles-
Quint ne connaissait pas encore son petit-fils, ayant
quitté l'Espagne, la dernière fois, en 1543, et sans
doute il était avide de juger par lui-même des espé-
rances qu'il pouvait fonder sur celui qui était appelé
à continuer sa dynastie. Quelques jours auparavant,
à Palenzuela, Quijada lui disant la fête que le prince se
faisait des moments qu'il allait passer avec lui, il avait
répondu que cette ardeur se calmerait bien vite (~).
L'empereur flt son entrée à Valladolid le 21 octo-
bre ; don Carlos alla au devant de lui jusque hors de
la ville, suivi des grands qui étaient à la cour. Un
témoin oculaire raconte que, comme le temps était
un peu froid, il s'était vêtu d'une robe fourrée qui lui
seyait à ravir et lui donnait l'air d'un étranger (*).
Charles-Quint passa deux semaines à Valladolid, et
eut ainsi tout le temps de juger du caractère et des
penchants de son petit-fils. On rapporte qu'un jour où
il lui faisait le récit de ses entreprises de guerre, il le
(») Retraite et morl de Charles-Quint, etc., t. I et II, passim.
{*) Ibid., l l, p. 27.
(') « .... El dia que saliô à rccebir à Su Magestad, bacia ud poco
fresco, y llevô uoa ropa aforrada que le parecia muy bien, y parecia
Su Alteza eslrangero.... » (Lettre de Francisco Osorio à Philippe II,
du 26 octobre 4556, dans la Retraite et mort de Charles-Quint au mo-
nastère de Yuste, t. II, p. 401.)
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22 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
trouva si attentif qu'il en éprouva un plaisir extrême ;
il s'émerveilla surtout lorsque, lui ayant dit la néces^
site où rélecteur Maurice le mit de s'enfuir, le jeune
prince lui déclara qu'il était content de ce qu'il venait
d'entendre, mais que, pour lui, il n'aurait jamais pris
la fuite. L'empereur eut beau lui expliquer qu'il y
avait été contraint par le manque d'argent, de capi-
taines et de soldats, ainsi que par l'indisposition de sa
personne : il répondit toujours qu'il n'aurait jamais
voulu fuir. L'empereur chercha à lui faire com^
prendre alors que, s'il y avait eu un pareil nombre
de ses pages qui eussent cherché à s'emparer de lui,
il lui aurait bien fallu prendre la fuite : il répliqua tout
en colère, au milieu des éclats d'admiratioi^ et de rire
de l'empereur et des personnes qui étaient présentes,
que lui jamais ne se serait enfui Q).
Un des traits par lesquels se manifestait, dès ce
temps-Jà, le caractère de don Carlos, était une véhé-
mence de désirs que rien n'arrêtait. Charles-Quint
eut l'occasion de s'en convaincre. Ses inQrmités le
rendant très-sensible au froid, il avait apporté des
Pays-Bas un poêle pour échauffer sa chambre. Ce
meuble n'était pqs connu en Castille; don Carlos
lui témoigna l'envie de l'avoir, et il y mit une telle
insistance Q, que son grand-père fut obligé de lui
(') Relation de Federico Badoaro faite au sénat de Venise, en 1557.
[Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charîes-Quinl et Philippe 7i,
p. U.)
p) Lettre de Quijada au secrétaire Vazquez, du 8 novembre 1556i.
[RetraUe et mort de Charles-Quint, etc., t. I, p. 37.)
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CHAPITRE II. - 23
répondre : « Tu l'auras quand je serai mort ('). >i
Nous avons des versions différentes sur l'impression
que l'empereur, en quittant Valladolid, emporta de
l'héritier présomptif de la monarchie espagnole. Selon
l'aumônier du prince, Osorio, il aurait été si charmé
de son petit-fils qu'il aurait voulu qu'on l'appelât au
conseil d'Etat, quand on aurait eu à y discuter des
affaires importantes f ). Selon d'autres, au contraire,
il aurait dit à la reine Éléonore : « Il me semble
« qu'il est très-turbulent ; ses manières et son humeur
c< ne me plaisent guère ; je ne sais ce qu'il pourra
« devenir un jour (^) : » il l'aurait même repris sur
le peu de respect et d'égards qu'il montrait à la prin-
cesse dona Juana, sa tante {*). »
Quoi qu'il en soit, après cette séparation de don
Carlos d'avec son aïeul, qu'il ne devait plus revoir, une
amélioration se fit remarquer dans ses études et dans
les exercices de son âge auxquels on s'appliquait à le
former f ), amélioration assez peu sensible toutefois
(') Charles-Quini, son abdicalion, son séjour et sa mort au monastère
de Yuste, par M. Mionet, p. 453.
(') En gran manera Su Magestad se hueiga con el principe nuestro
senor, y me dicen que tiene muy gran contentamiento de Su Alteza, y
muestra que es tanto que, ouando se ofreciere algo que importe, le a Su
Magestad de tenerle en consejo d'Estado.... » (Lettre du 2& octobre 4556,
citée p. 24 , note 3.)
C) Manuscrit du chanoine Gonzalez, cité par M. Mignet, Charlss-
Quint, etc., p. 455.
[*) m Reprehendio al principe su nieto supoca mesura i mucha desen-r
boltura con que vi via y trataba con su tia.... » (Cabrera, Historiade
Felipe II, liv. II, chap. XI, p. 94.)
(^) « .... Uasta agora no se baofrecido de que avisar à V. M<* en la
érden de vida que el principe tiene, .... continuando lo del esludio y
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24 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
pour que son précepteur crût devoir encore engager
le roi à lui adresser des exhortations à ce sujels(').
A la vérité, don Garcia de Tolède prenait à tache de
lui épargner tout travail, toute fatigue, qui aurait pu
nuire à sa santé Q).
Une lettre de ce seigneur, qui porte la date du
27 août 1557, nous donne des renseignements très-
précis et très-curieux sur la situation physique de
don Carlos, sur l'emploi de ses journées, et sur les
dispositions qu'il montrait :
« Le prince — écrit don Garcia à l'empereur —
est en bonne santé. Dieu merci. En ce qui concerne
le manger, comme en tout le reste, sa vie est bien
réglée. Il se lève avant sept heures ; la prière et le
déjeuner le conduisent jusqu'à huit heures et demie,
que commence la messe. Après la messe, il se met à
ses études. A onze heures, il dine. Le dîner achevé,
et jusqu'à son goûter, qui a lieu à trois heures et
demie, il cause avec les personnes de sa maison ; il
joue aussi un instant au truc ou au palet, et fait un
estotros ezercicios que en su edad pueden aprovechalle ; y auaque todas
estas cosas haze Su Alla cou poca inclinacion, bay harta mejorîa en
ellas.... w (Lettre de don Garcia de Tolède à Tempereur, du 29 juil-
let 4557, Archives de Simancas, Estado, leg. 449.)
{') « S. A. estudia como alla dira el marqués de las Navas, que es el
que mas veces se ha haUado en sus liciones, aunque mucho harà al
caso que V. M<1 en sus cartas se lo acuerde, que harto lo deseo aigunas
veces....» (Lettre d'Honorato Juan au roi, du 2 août 4557, dans la
Coleccion de documentos inédilos, etc., t. XXVI, p. 479.)
(*) « .... En ninguna cosa aprieto mas de lo que enticndo que no
duede danar à la salud de Su Alteza.... « (Lettre de don Garcia de Tolède,
du 29 juillet 1557.)
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CHAPITRE II. 25
peu d'escrime. Dès qu'il a goûté, il prend sa leçon. Il
va quelquefois à la campagne, avant ou après le souper,
selon le temps qu'il fait. Il se couche ordinairement à
neuf heures, après qu'il a dit son rosaire, de manière
qu'il passe au lit neuf heures et demie, et quelque-
fois dix. Il dort si bien que, depuis plus d'un an que
je suis à son service, il s'est éveillé une seule fois, à
cause de quelque indisposition qu'il eut cette nuît-là.
Il n'a pas bonne couleur, et jamais il ne l'a eue ; mais,
comme il ne se porte pas mal, il n'y a point à s'en
inquiéter. A l'égard de ses études, il est peu avancé,
parce qu'il étudie de mauvaise grâce. Il en est de
même des exercices de la gymnastique et de l'escrime.
Pour tout, il a besoin d'être excité par l'appât d'une
récompense. Quelquefois il a couru à cheval ; mais
je ne l'y laisse pas monter souvent , parce que j'ai
appris qu'il est trop évaporé , pour pouvoir le faire
sans danger (»). »
(>) • s. C. G. M«ï,.... Sa ARa es sano, à Dios gracias, y en lo del
corner, como en todo lo demàs, Irae la vida bien concertada. Lebantase
ânles de las siete, y en rezar y almorzar tarda hasta las ocho y média
que se comîenza la missa, y luego en acabàndola comieiiza à estudiar ;
corne à las once; desde que a comido, hasta las très y média que
merienda, gasta el tiempo eu bablar con los que alli estâmes, y en jugar
algun rato à los trucos 6 à los tejoSf y esgrime un poco ; después de ia
mericnda comîenza la licton; sale Su Alt* algunas vezes al campo, àntes
de cenar 6 despues, sigun bace el dia. Acuéstase ordinariamente â las
nueve, haviendo rezado àntes un rosario, de manera que esta en la cama
nueve boras y média, y algunas vezes diez ; duerme tau bien que, desde
que yo sirvo à Su Alt* hasta oy, que a mas de un ano, no ha despertado
Dias de una noche, que tuvo cierta indispusicion. La color no traebuena,
y siempre la ha tenido asi, pero, con no ser de mala dispusicion, no hay
que parar en esto. En lo del estudio esta poco aprobechado, porque lo
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26 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
D'après les lignes que nous venons de transcrire,
il semblerait que don Carlos jouit d'une santé satis-
faisante. Cependant on lit, dans un autre passage
de la même lettre : c< Jusqu'aujourd'hui, je ne sache
<( pas que les médecins aient pensé à donner quel-
ce que chose au prince pour la bile. Je ne consen-
te tirais pas qu'ils le fissent, sans en rendre compte
« préalablement à Votre Majesté. Je ne vois point,
(c d'ailleurs, qu'il y ait nécessité, quant à présent,
« de lui administrer pour cela des médecines Ç). »
Or, cette bile, ce teint l:^]ème du prince étaient des
symptômes réels et sérieux du mal qui éclata peu d'an-
nées après, et qui rendit sa jeunesse si languissante.
Quelque temps auparavant, Ruy Gomez de Silva,
qui possédait toute la confiance de Philippe II, avait
été envoyé par ce monarque en Espagne, avec la
mission d'y solliciter l'envoi de prompts secours en
hommes et en argent f). Cabrera prétend, à tort, que
Ruy Gomez était chargé d'emmener don Carlos aux
Pays-Bas, pour être reconnu comme futur souverain
de ces provinces, et les gouverner après le départ du
roi, mais que son incapacité en fit abandonner le
hace de mala gana, y ansimismo los otros exercicios de jugar y esgrerair :
que para todo es menester premio. Algunas vezes ba corrido à caballo,
pero no le he dexado hazer este mucbas, porque entiendo que esta muy
descuidado à caballo, para hacello sin peligro.. . » (Archives de Simancas,
E8tado,leQ, M9.)
(I) « Hasta agora do se que les médicos ayan tratado de dar ninguna
cosa al principe para la cèlera, ni yo lo oonsin liera hazer, sin dar pri-
mero quenta dello à V. M<i, ny veo que tenga necesidad hasta agora de
preparar este con medicinas. »
(') fietraite et mort de Charles-^Quint, etc., t. 11, p. nu.
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CHAPITRE H. tl
dessein ('). Les instructions de Ruy Gomez sont con-
nues aigourd'hui ; elle ne disent mot de ce projet (^),
non plus que les documents si nombreux qui ont été
exhumés des archives de Simancas, depuis quel-
ques années, sur les hommes et les choses de ce
temps^là. Au contraire, dans celles que Philippe II
donna, le 5 juin 1558, à fr^y Bartolomé de C^rranza,
archevêque de Tolède, on trouve la recommandation
suivante, au sujet des démarches que ce prélat devait
faire auprès de la reine Marie de Hongrie, afin de
rengager à reprendre le gouvernement des Pays-
bas : « Si la reine vous parle d'emmener avec elle
u le prince, mon fils, en alléguant que ce serait le
» véritable remède à la situation présente, vous lui
a direz que, quand le priQce aura été inauguré dans
c( les royaumes de C^stille et dans ceux d'Aragon, de
<< Valence et de Catalogne, jl en pourra être fait ainsi
« qu'elle le jugera convenable : alors le prince sera
« plus âgé et plus propre pour seconder la reine et la
« soulager dans les fatigues du gouvernement (^). »
Le palais de Valladolid, où don Carlos habitait
avec la princesse dopa Juana, était devenu insuffisant
depuis l'arrivée des reines douairières de France et de
Hongrie (^). Doîia Juana, désirant que son neveu fût
plus à l'aise, exprima à don Garcia de Tolède l'inten-
0) Hi8toria de Felipe II, liv. IV, chap. 11, pp. U3 et 444; chap. XXV,
p. 249.
H Betraite et mort de Charles-Quint, etc., t. H, p. uv, pp. 459, 461.
(») Ibid., t. II, p. 433.
n Ibid., t. 11, pp. 94, 402.
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28 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
tien qu'il allât occuper la maison du grand comman-
deur de Castille, ou qu'il s'établît dans quelque lieu
des environs de Valladolid ('). Don Garcia prit des
renseignements sur l'état sanitaire de tous les endroits
qui pouvaient convenir à la résidence du prince ; il
réunit ensuite les médecins de la cour et de la ville,
et les leur communiqua. L avis de ces hommes de
l'art fut contraire au changement projeté (^). Quant à
la maison du grand commandeur, il parut à don Gar-
cia que, si l'on y transférait Thabitation du prince, ce
serait une nouveauté qui pourrait exciter les mur-
mures du public (').
Cependant le roi, à qui dona Juana en avait écrit,
trouva, avec elle, qu'il importait, pour l'éducation de
son fils, de l'éloigner pendant quelque temps de Valla-
dolid ; il désigna Tordesillas comme le lieu le plus
propre à la résidence du prince : il y avait là une
maison spacieuse et commode (^), celle où la reine
Jeanne , veuve de Philippe le Beau , avait passé la
(') • Muchos dias ha que la princesa me dixo que, visto quan apre-
tado estava el aposeuto desta casa, por haver en eila tanla gente, le
parecia que convenia que el principe se mudase à la dei comendador
roayor, 6 â otro lugar de la comarca doode pudiese estar à su plazer,
y con mas seguridad de la indispusicion d*cste.... n (Lettre de don
Garcia de Tolède h l'empereur, du 29 juillet 4557, ci-dessus citée.)
(') « .... Se resolvieron en que no convenia mudar al principe... »
[Ibid.)
n « Quanto à lo de la casa de! comendador, pareciôme que sacalle de
aqui fuera novedad en que la gente huvicra que mormurar.... » {Ibid,)
(*) « .... Con este correo me escrive Su Mag<* que le parece que, para
la crianza del principe, conviene que esté alguna temporada fuera de
aqui, y que sea en Tordesillas, por haver alli buena casa.. . » [Ibid.)
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CHAPITRE II. 29
plus grande partie de sa vie et fini ses jours. Don
Garcia de Tolède aurait soutiaité, puisque le prince
devait quitter Valladolid, que ce fût pour vivre auprès
de l'empereur dont la surveillance aurait exercé sur
lui une influence salutaire Ç) : il se mit toutefois en
mesure d'accomplir les ordres du roi, et envoya à
Tordesillas le docteur Veja, accompagné de don Her-
nando de Rojas, majordome du prince, afin qu'ils s'en-
quissent de l'état sanitaire de cette ville, ainsi que de
ce qu'il y aurait à faire au palais, pour l'approprier
à sa nouvelle destination Q. Les rapports du médecin
et du majordome ne permirent pas qu'il fût donné
suite aux ordres du roi : ils avaient constaté que
Tordesillas comptait une foule de personnes atteintes
de fièvres et de léthargies (').
L'été de 1SS7 avait été excessivement chaud en
Castille ; un vent du nord très-âpre y signala le com-
mencement de l'automne. Cette révolution dans la
température occasionna un grand nombre de mala-
dies : les deux tiers des habitants de Valladolid en
souffrirent; don Carlos eut la fièvre. Dans le même
temps, plusieurs personnes notables moururent en
cette ville. Don Garcia de Tolède en revint alors à
(') a Bien quisiera que la mudanza del principe fuera â estar cerca de
V. M<*, porque entiendo que le conviene mucho tenelle en parte donde
V. M<* le \ea y connunique muchas vezes.... » (Lettre do don Garcia de
Tolède, du 29 juillet.)
(*) Lettres de don Garcia de Tolède, du 29 juillet et du 27 août 4557,
ci-dessus citées.
{') « Hallaron hartos enfermes de tercianas y modorras. » (Lettre
du 27 août 4557, ci-dessus citée.)
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30 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
ridée de transférer ailleurs la demeure du prince. La
situation sanitaire des environs de Valladolid était
plus mauvaise encore que celle de la capitale : il fit
explorer Toro, Rioja, Burgos ; il envoya même jus-
qu'à Vitoria, pour savoir en quel état étaient ces
différentes localités Q). Lorsqu'il eut reçu les rensei-
gnements qu'il désirait, il réunit les médecins de
Valladolid : cette fois encore ils opinèrent, et unani-
mement, pour que le prince ne changeât point dé
résidence, car, dirent^ls, il ne régnait point dans la
ville de maladie contagieuse, et l'on n'y voyait aucune
apparence de peste {^).
Don Carlos avait beaucoup grandi, depuis l'arrivée
de l'empereur en Espagne ('). Si nous voulions en
croire son aumônier, Francisco Osorio, les dévelop-
pements de son intelligence et de sa raison auraient
égalé ses progrès physiques (*). Mais des témoignages
(*) Lettre de don Garcia de Tolède à l'empereur, du 6 octobre 4557.
(Archives de Simancas, Estado, leg. 449.)— ketraiteet mort de Charles-
Quint, etc., t. II, p. 252.
(') Lettre de don Garcia de Tolède à l'empereur, du 46 octobre 4557.
(Archives de Simancas, Estado, leg. 449.)
P) « El principe crece mucho, » mandait Quîjada à Tempereur, de
Valladolid, le 23 mars 4558. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc.,
t. II, p. 354.)
Déjà, le 27 août 4557, don Garcia de Tolède lui avait écrit : « El pn'n-
« cipe esta crecido harto. » (Lettre citée ci-dessus.)
11 lui écrivit encore, le 8 juillet 4658 : « Paréceme que, de très meses
« à esta parte, el principe ha crecido de manera que se le echa bien
« de ver. » (Coleccion de documentos inédiios, etc., t. XXVI, p. 409.)
(♦) Dans une lettre datée du 20 février 4558, à Valladolid, Osorio,
après avoir dit au roi que don Carlos était allé visiter Ja princesse dona
Juana à Cigales, ajoutait : «> El mismo dia se bolviô à continuar su
« estudio, y en esto y en lodo gana cada dia lo que se puede desear,
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CHAPITRE li. 3<
plus dignes de foi nous peignent le prince sous des
couleurs un peu différentes. Don Garcia de Tolède
écrivait à l'empereur le 13 avril 1558 : « Le prince a
<c très-bien passé le carême^ pendant lequel il a mangé
a du poisson la moitié des jours de chaque semaine ;
(( quoiqu'il y fût fortement opposé, les médecins
« furent d'avis qu'il le devait faire, jouissant d'une
ce aussi bonne santé que celle qu'il a, grâces à Dieu,
« et qu'il continuera d'avoir, j'espère, de longues
« années, au moyen de la règle qui s'observe aujour-
<c d'hui. Quant à ce qui regarde l'étude et les exer-
ce cices corporels, il n'avance pas autant que je le
ce voudrais, et néanmoins je ne pense pas qu'il soit
ce possible d'apporter plus de soin et de zèle qu'on
c( n'en apporte ici pour lui enseigner toutes les choses
c( qu'il doit savoir. Je désirerais beaucoup que Votre
fi Majesté trouvât bon de lui faire faire un tour à
« Yusle, afin qu'elle le vit, et que, après s'être rendu
ce compte des obstacles que rencontre son éducation,
ce elle décidât s'il y a quelque changement à apporter
ce à la manière dont je remplis ma charge. Pour moi,
ee jusqu'à présent, je n'y vois rien à changer; mais,
ce comme je remarque que, bien que S. A. ait à mon
ce égard tout le respect et toute la crainte possibles,
ce mes paroles ni la discipline, qui lui sont pourtant
ce fort sensibles, ne produisent pas l'effet désirable, il
• qne verdaderamente es tanto que por do lo estragar, lo dejo de referir
« â V. Uà. » Le 43 mars suivant, il lui mandait : « El principe nuestro
« senor gana rada dia, en entendimiento, valor y prudencia, todo lo
« que se puede desear. » (Archives de Simancas^ Estado, leg. 429.)
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32 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
c( me parait très-nécessaire que Votre Majesté voie
c( S. A. de plus près pendant quelque temps, ou même
a pendant peu de jours. Je sais que Votre Majesté
te pourra recevoir des informations bien différentes
c( sur le prince, de personnes qui ne l'observent pas
« du même lieu et avec la même soIlicitudiB que moi :
« parce motif surtout, je souhaiterais que, contrôlant,
« de ses yeux, et mon rapport et ceux des autres,
c( elle jugeât à la fois de l'ordre que je suis dans l'ac-
« complissement de ma charge, et de ce qui devrait
c( être modifié en une chose qui importe tant. Ces
« jours-ci S. A. s'arme et prend part à des tournois à
« pied le matin : cet exercice lui fait beaucoup de
« bien. Elle ne monte pas à cheval, parce qu'il me
« parait que pour le moment l'équitation ne lui con-
te vient pas ('). »
(') « s. A. ha salido muy bien de la cuaresma» con haber comido la
mitad de los dias de cada semana pescado, y aunque harto contra su
voluntad, les paresciô â los médicos que lo debia hîicer, con tan buena
salud como, à Dios gracias, tiene S. A., y contiuuando la ôrden con que
se trata^ espero que la ternâ muchos anos. En lo demàs del estudio y
egercicios, no va tan adelante como yo querria, no embargante que de
todo ello y de las cosas que S. A. debe saber, no entiendo que puede
haber mayor cuidado ni diligencia de la que aquî se tiene. Deseo mucho
que V. M. fuese servidoque el principe dièse una volta por alla para
velle, porque, entendidos los impedimentos que en su edad tiene, raan-
dase V. M. lo que fuera de la ôrden con que yo le sirvo se deba mudar,
en la cual basta agora no ballo que ; pero, como veo que, con tenerme
S. A. el mayor respeto y temor que se puede pensar, no hacen mis
palabras, ni la disciplina, aunque le escuece mucho, el efeto que debrian,
paréceme muy necesario que V. M. lo viese de mas cerca alguna tem-
porada, sin que fuesc de muchos dias. Y porque se cuan diferentemente
pueden informar à V. M. del principe los que no le miran del lugar ni
con el cuidado que yo, querria mucho que V. M. por vista se satisficiese
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CHAPITRE II. 33
Dans une lettre du 22 mai, don Garcia de Tolède
insista pour que l'empereur appelât auprès de lui sou
petit-fils (').
La princesse dofia Juana elle-même en écrivit à sou
père : « Ce sera un peu de fatigue pour Votre Majesté,
<c lui dit-elle^ que d'avoir le prince à Yuste, mais ce
a sera lui donner la vie : aussi je supplie Votre
« Majesté d'ordonner qu'il s'y rende incontinent, car
« Votre Majesté ne saurait croire à quel point il im-
« porte qu'elle nous fasse à tous celte grâce (-). >>
Des instances aussi pressantes, et les termes dans
lesquelles elles sont exprimées, doivent faire supposer
qu'il n'y avait pas à reprocher seulement à don Carlos
un manque d'application, mais que des penchants vi-
cieux, de graves défauts de caractère, alarmaient ceux
qui avaient mission de veiller sur sa jeunesse. On est
porté ainsi à admettre ce que raconte, de ses inclina -
tionset deson naturel, l'ambassadeurvénitienBadoaro.
Il est vrai que cet ambassadeur n'était jamais allé
en Espagne; mais il parle d'après les récits qui se fai-
de la relacion mîa y de lodo, ansî de lo que se hace por mi parte en el
servicio de S. Â., como de lo qtie en co$a que tanto va se deba mudar.
Estos dias se arma por las mananas, y lornea à pié, que le hace muy
buena dispusicion. Solo de hacer mal à caballo no trata S. A., porque
no me parece que por agora lo debe usar. » (Coleccion de documentas
inéditos, etc., t. XXVI, p. 406.)
(') Coleccion de documentos inédilos, etc., t. XXVI, p. 408.
(') Aunque sea un poco de Irabajo para V. MJ, sera dalle la
vida; y asi suplicoà V. M^ sea servido de mandaiie ir luego, porque
no puede V. M*^ créer lo que va en que V. M^ nos haga à todos esta
merced.... » (Lettre du 8 août 'l 558, dans la Retraite et mort de C/iar/^s-
OaiHetc.,t. H, p. 466.)
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3i DON CARLOS ET PHILIPPE H.
saienl à la cour de Philippe II, dans les Pays-Bas, et
là on pouvait être bien informé. Voici ce que Badoaro
disait de don Carlos dans son rapport au sénat de
Venise, quelques mois avant l'époque où nous sommes
parvenu :
c< Le prince don Carlos est âgé de douze ans. Il a la
tête disproportionnée au reste du corps. Ses cheveux
sont noirs. Faible de complexion, il annonce un
caractère cruel. Un des traits qu'on cite de lui est
que, lorsqu'on lui apporte des lièvres pris en chasse,
ou d'autres animaux semblables, son plaisir est de les
voir rôtir vivants. On lui avait fait cadeau d'une tortue
de grande espèce : un jour, cet animal le mordit à
un doigt; aussitôt il lui arracha la tête avec les dents.
Il parait devoir être très-hardi et extrêmement porté
pour les femmes. Quand il se trouve sans argent, il
donne, à l'insu de la princesse, ses chaînes, ses
médailles et jusqu'à ses habillements. Il aime à être
vêtu avec pompe.... Tout en lui dénote qu'il sera
d'un orgueil sans égal : car il ne pouvait souffrir de
rester longtemps en présence de son père ni de son
aïeul, le bonnet à la main. Il est colère autant qu'un
jeune homme peut l'être, et obstiné dans ses opi-
nions Son précepteur s^attache uniquement à lui
expliquer les Offices de Cicéron, aGn de modérer l'im-
pétuosité de son caractère : mais don Carlos ne veut
presque toujours parler que des choses de la guerre et
lire que des ouvrages qui s'y rapportent. Si quelqu'un
des sujets de son père va lui faire de ces protestations
dont on use ordinairement avec les princes, il les reçoit.
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CHAPITRE ir. 35
et, le prenant à part, il le force ii jurer, en un livre,
qu'il le suivra dans toutes les guerres où il ira ; il le
contraint ensuite à accepter à Tinstant même quelque
présent. Les Espagnols prétendent qu'il sera un autre
Charles-Quint, s'il ne lui arrive pas ce qui est arrivé
au roi des Romains, duquel, alors qu'il était infant
en Espagne, on croyait généralement qu'il ferait des
merveilles à la guerre (*). »
Charles-Quint, en choisissant pour sa retraite le
monastère de Yuste, avait voulu s'affranchir de toute
espèce de soucis et d'embarras ; ce une vie tranquille,
« partagée entre le soin de sa santé et des exercices
« pieux, c'était là — nous l'avons dit ailleurs — ce
c( qu'il était venu chercher au fond de l'Estréma-
« dure Q, M et si, cédant aux désirs du roi, il était
intervenu dans plusieurs affaires importantes, il avait
fallu, pour l'y déterminer, toute la sollicitude qu'ex-
citaient en lui la gloire de son fils et la grandeur de la
monarchie espagnole. La présence à Yuste d'un enfant
lurbulent et indocile, et la surveillance qu'il aurait
eu à exercer sur lui, auraient troublé son repos,
altéré le calme dont il jouissait : aussi ferma-t-il
l'oreille aux supplications de don Garcia de Tolède.
Quand la lettre de la princesse doîîa Juana lui par-
vînt, il souffrait de la goutte^ il ne s'en vit délivré
que pour retomber dans une maladie plus grave ,
et ce fut celle qui l'emporta le 21 septembre i558.
(*) Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Phi-
lippe II. pp. 6.i et suiv.
(') Retraite et mort de Charles-^Quint, etc., t. If, p. lxii.
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30 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
La mori de l'empereur ne fut pas sans exercer de
l'influeiiee sur la conduite de don Carlos : H respectait
et redoutait son aïeul; au coniraire, il n avait ni
crainte ni déférence pour sa tante doiia Juana^ et les
instructions écrites de son père venaient de trop loin,
pour qu'il en fut beaucoup touche. A partir de celte
époque, on remarqua *qu'il s'abandonnait de plus en
plus à ses penchants : une lettre d'Honorato Juan,
adressée au roi pour lui seul, et avec prière de la
déchirer après l'avoir lue, nous fournit là-dessus des
renseignements qui méritent plus de croyance que les
rapports de l'aumônier Osorio('). Le précepteur s'ex-
primait ainsi :
« Son Altesse se porte bien, béni en soit Dieu ! Je
fais, relativement à ses études, ce que je puis, et
plus et avec plus de peine que ne feraient peut-être
d'autres précepteurs. Je regrette de ne pas réussir
autant que je le désirerais. La cause d où je pense
que cela procède, Votre Majesté, par aventure, l'ap-
prendra quelque jour de Son Altesse (-), s'il plaît à
Dieu, ainsi que les efforts que je n'ai cessé de faire
pour servir Votre Majesté et Son Altesse, au milieu
de toutes ces difficultés, qui n'ont pas élé peu nom-
breuses ni de peu de gravité. C'est pour moi un cha-
(») Voy., dans la Coleccion de documentas inédilos, etc., t. X,XVn,
pp. 496, 499, 202, les lettres d'Osorio à Philippe H, des 40 janvier,
23 avril et 47 mai 4559, où il dit et répèle que le prince » gana cada dia
o en bondad, cristiandad y entendimiento. •
(') Par Son Altesse Honoralo Juan entend évidemment ici la princesse
doîîa Juana : mais est-ce d'elle ou de doo Carlos qu'il est question deux
lignes plus bas ?
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CHAPITRE H. 37
grill bien sensible, qnede voir le fruit des leçons don-
nées à Son Altesse ne correspondre pas à ce qu'il fut
dans le commencement et pendant plusieurs années,
comme tout le monde te vit ici et que Votre Majesté en
fut informée ïà-bas. Mais je ne veux pas donner à ce
sujet plus d ennui à Votre Majesté, surtout après ce
quejehiîaî écrit dernièrement : tenant pour certain
d'ailleurs que cela et beaucoup d*autres choses ne
pourront se redresser qu'à la venue de Votre Majeslé,
et après qu elle aura jugé par elle-même de ce qu'il
convient de faire pour le bon établissement de tout.
Je supplie Votre Majesté de me pardonner la hardiesse
que je me permets dans cette lettre, et d'ordonner
qu'elle soit déchirée, car mon intention est qu'elle
soit lue de Votre Majesté seule ('). De Valladolid,
30 octobre 1558.
a HoxoiiiVTO Juan. »
(*) • Su Alteza esta bueno, bendilo Bios, y yo hago en sus esludios
lo que puedo» y barto mas de lo que otros maestros quiza hizieian, y
con arlo mas Irabajo. Pésame que no aprovcche lanlo esto como yo
deseo. La causa de donde yo plenso que eslo procède, eutenderâ por
aventura V. M^ de Su Alla algun dia, plaziendo à Dios, y lo que con
todas estas difficullades. que no lian sido pocas nr de poco momenlo,
me he esforzado siempre à servie â V. M<i y à Su AU». Pésame en el
aima que el aprovecbamiento de Su Alt» no sea al respeto de como
comenzô y fué les primeros anos, que fué el que aqui vieron todos y
alla entendiô V. M**. Pero-yo* no euliendo de dar en esto mas pesa-
dumbre à V. Mà^ especialmente liaviéndolo hecbo los dias passades, y
liniendo por cierlo que esta y otras muchas cosas no se pueden bien
remediar basta la venida de V. M«', y hasta que V. IVH mismovca lo que
conviene que se baga para el buen asiento de todo ello. Y suplico à
V. M«J me perdone este alrevimiento, y sca servido de mandar romper
esta, porque mi iulencion es q^je solo V. Mti la lea. » [Coleccion de docu-
mcntos inéditos, etc., t. XXV F, p. 398.)
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38 DON CARLOS ET PHILIPPE 11.
Philippe II lui répondit de manière à le tranquil-
liser : u Je sais — lui dit-il — que vous avez de mon
c( (ils tout le soin convenable; je vous invile à conti-
« nuer, quoique le prince ne profite pas de vos leçons
ce et de vos avis autant qu'il le faudrait : mais cela
« servira loujours à quelque chose (*). » En même
temps, 11 écrivit à don Garcia de Tolède, pour qu'il
eut Tœil sur ceux qui fréquentaient le prince, et qu'il
soupçonnait de le détourner de ses études (^).
Malgré la terreur qu'inspirait en Espagne l'inquisi-
tion établie, ou plutôt confirmée avec une autorité
plus grande par les rois catholiques Q, les opinions
de Luther avaient pénétré dans ce pays, et, circon-
stance bien notable, elles y avaient pour principaux
propagateurs deux hommes qui, par leur savoir, et
leur doctrine, s'étaient attiré la bienveillance parti-
culière de Charles-Quint, qui avaient été ses prédi-
cateurs favoris, et dont il avait employé la parole
éloquente contre les protestants d'Allemagne. L^un,
(*)«.... He entendido la salud del serenissimo principe mi hijo, y lo
que passa en io de su estudio, de que se que teueys el cuidado que
coDviene; y assî os encargo lo hagays, auuque no saïga tambien à eJlo
como séria menesterf que todavîa aprovecbara.... • (Lettre du 31 mars
4559, ap. EiRCHER, p. 140.) •
n ibid.
(') L'ambassadeur vénitien Gaspardo Contarini, dans sa relation faite
au sénat, le 46 novembre 4525, disait du conseil de l'inquisition d*Ës>
pagne : « Questo consiglio è di tanta autorité e tanta venerazione che
H tutti tremano di lui. » (JRelazioni degli ambasciatori veneti al senato,
série 4'e, t. II, p. 40.)
Federico Badoaro disait, à son tour, dans sa relation de 4557 : « Proce-
• donolanto rigorosamente che inducono terrorein tutti.... « (Helations
des ambassafîeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p, 72.)
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CHAPtTRE ir. 39
Couslanliiio Ponce de la Fuenle, elianoîiie ina$;islral de
Séville, s'appliquait à les répandre dans TAndalousie;
l'autre, Âgiislino Cazalfa^ chanoine de Salamanque,
avait choisi la Vieille CastiTle pour le centre de ses
prédications : c'était le plus souvent a Valladolid, dans
ta maison de sa mère, dona Leonor de Vibero, veuve
de Pedro Cazalla, contador du roî, qu'il réunissait
ses adhérents (').
Ces deux foyers d'hérésie furent découverts, quel-
ques mois avant la mort de GharFes-Quinl, par les
soins de l'inquisiteur général , Fernando de Valdès,
archevêque de Séville. Nous allons dire comment, en
ce qoi concerne le dernier ; nous avons là-dessus des
renseignements très-précis que Vardès lui-même mit
sous les yeux de l'empereur : il n'est pas de notre
sujet de parler de ce qui se passa en Andalousie.
Valdès était à Valladolid , occupé d'affaires très-
importantes pour la religion, lorsqu'on vint lui rêvé-
1er que des personnes, en grand secret, et sous couleur
d'enseigner des choses qui paraissaient saintes et
bonnes, y mêlaient des maximes mauvaises et hété-
rodoxes. Les révélateurs étaient du nombre de ceux
qu'on avait voulu endoctriner ; ils étaient scandalisés
du langage qu'ils avaient entendu tenir. Valdès se
garda d'éclater d'abord : il prescrivit, au contraire, aux
dénonciateurs de retourner aux conventicules où ils
n Llorexte, Histoire de l'inquisition, passim. — Adolfo de Castro,
Historia de los protestantes espanoles, pp. 460 et suiv. — Migxet,
Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de
Yiiste, pp. 332 et suiv.
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40 DON CAULOS ET PHILIPPE II.
avaient assislé, de tâcher de recueillir par écrit quel-
ques-unes des opinions qui y étaient avancées, et sur-
tout de s'attacher à connaître les noms de ceux par qui
elles étaient expliquées et soutenues. II obtint ainsi
la plupart des éclaircissements qu'il désirait. U dissi-
mula pourtant encore, dans l'espoir de mettre la
main sur un plus grand nombre d'affiliés à la nouvelle
secte.
Sur ces entrefaites, il arriva que l'évéque de Za-
morà fil renouveler, dans son église, certains édits
qu'on avait l'habitude de publier en carême, pour
obliger ceux qui avaient connaissance de quelques
péchés publics, ou de quelques superstitions , de les
dénoncer. A cette occasion on lui signala, comme ayant
proféré des paroles suspectes en matière de foi , un
gentilhomme de sa ville épiscopale, nommé Cristo-
val de Padilla; il le fit saisir et emprisonner. Il ne le
tint pas toutefois au secret, et Padilla en profita
pour communiquer, verbalement et par lettres^ avec
ses amis. 11 leur donna ainsi 1 éveil, de manière que
plusieurs d'entre eux jugèrent prudent de s'enfuir.
Valdès, qui en fut instruit, crut ne devoir plus
différer les mesures qu'il méditait. Il ordonna l'arres-
tolion du docteur Cazalla, de trois de ses frères et deux
de ses sœurs, de don Pedro Sarmiento de Rojas, fils
de don Juan de Rojas, premier marquis de Poza, de
dona Mencia de Figueroa, sa femme, de dona Ana
Enriquez, sa nièce, fille du marquis d'Alcauices, de
don Luis de Rojas, petit-fils du marquis de Poza,
héritier de sa maison, et d'autres individus des deux
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CHAPITRE II. 4«
sexes de divers lieux de la Vieille Caslille : loiis
furent enfermés dans les prisons du sainl-aflîce. Des
exprès furent envoyés en même temps aux frontières
vers la France, alîn qu'on s'emparât des personnes de
ceux qui allaient chercher un refuge à l'étranger : on
arrêta ainsi en Navarre don Carlos de Sesso ou Sesse,
gentilhomme italien, mais qui avait élé corrégidor de
Toro et éCait devenu bourgeois de Logrono, ainsi que
fray Domingo de Rojas, frère de don Pedro Sarmiento.
Un seul de ceux qui élaient en fuite put s'échapper :
il venait de s'embarquer sur un bateau frété par un
marchand flamand , à Castro-Urdiales , lorsque les
alguazils envoyés à sa poursuite y arrivèrent (*). Plus
tard, le résultat des informations des juges du saint-
Dflice donna lieu à de nouvelles arrestations.
Rien ne saurait dépeindre l'indignation et la colère
de Charles-Quint, quand on lui annonça que le
luthéranisme avait envahi la Castille, et qu'il y comp-
tait déjà de nombreux adhérents. * Lui qui, durant
tout son règne, avait poursuivi impitoyablement les
doctrines et les sectateurs de Luther partout oii il
avait pu les atteindre, il était condamné, au déclin
de sa vie, à les voir triompher de ses rigueurs, jus-
qu'en Espagne, et au lieu même où siégeaient le gou-
vernement et les conseils, où le tribunal suprême du
saint-office exerçait une surveillance incessante! Dès
ce moment, il n'eut plus de repos qu'un châtiment
(') Retraite et mort de Charïes-Quint au monastère de Yusle, t. Il,
pp. 401,417, 419.
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42 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
exemplaire ne fut fait de ces hérétiques. Il écrivit
lettres sur lettres à la princesse gobemadora, au
secrétaire d'État Vazquez, à la reine de Hongrie, au
roi son flls; il envoya a Yalladolid Luis Quijada,
qui était le dépositaire de toute sa conGance, pour
stimuler le zèle de doiia Juana, du grand inquisiteur^
du conseil d'État, du conseil de Castilte, du conseil
de la Suprême (*). L'inquisition n'ayant pu, malgré
foule son ardeur, procéder aussi vite qu'il le désirait,
il pria son fils, de la manière la plus pressante, dans
le codicille qu'il fit quelques jours avant de mourir,
et il lui ordonna même, par l'obéissance qu'il lui
devait comme à son père, de veiller à ce que les cou-
pables fussent punis avec la dernière sévérité, sans
exception aucune, sans qu'il se laissât loucher par
nulle supplication, sans avoir d'égard particulier pour
qui que ce fût (^).
Enfin, au mois de mai 1559, les causes des luthé-
riens de la Vieille Gastille se trouvèrent instruites et
décidées. D'accord avec le roi, l'inquisition jugea qu'il
fallait frapper un grand coup, afin de porter l'épou-
vante dans l'âme de tous ceux qui pourraient être
(*) Charles-Quint, etc., par M. Micnet, pp. 36^ et suiv. — Retraite et
mort de Charles-Quint, etc., 1. 1» pp. 288, 289, 293, 294, 297, 301, 304,
305, 308; t. H, pp. 386, 410, 446, 435, 44^ 443, 447, 456, 464.
(^) « .... Le ruego y encargo, con toda instancia y vehemencia que
puedo y devo, y maiido, como padre que tanto lo quiero, y por la
obediencia que me deve, tenga desto grandissime cuidado,.., para que
los herejes sean oprimidos y castigados con toda la demostracion y rigor,
conforme à sus cuipas, y este sin ecepcion de persooa alguna, ni admilir
ruegos, ni tener respeto à persona alguna.... » (Sandoval, Uistoria de
Carlos r, t.II,p. 657.)
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CQAPITRË II. 43
tentés de suivre Texemple de ces aud.acieux nova-
teurs, et il fut décidé qu'un auto-da-fé général, auquel
assisteraient dofia Juana, don Carlos et toute la cour,
serait célébré, le dimanche 21 mai, sur la plaza
mayor de Valladolid (^).
(^) DaDs son Historia de hs protestantes espanoles, M. dr Castro <i
douné des détails intéressants sur la gianière dont se célébraient les
auto-da-fé, et sur les cérémonies par lesquelles Tinquisition y préludait.
Ces détails sont assez peu connus, pour que nous croyions devoir les
consigner ici.
• La publication de l'auto-da-fé se faisait par Talguazil mayor et par un
secrétaire du saint-office, lesquels sortaient du palais de Tinquisition a
cheval, accompagnés de plusieurs familiers et d'autres ministres, ainsi
que de la plupart des gentilshommes de la .ville. Arrivés avec eux à la
porte de Tayuntamiento, ils y donnaient la première lecture du bando
portant que, pour la gloire de Dieu et Texaltation de la sainte foi catho-
lique, il serait célébré un acte général tel jour et à telle heure; puis,
suivis de tambours , trompettes et hautbois, ils allaient répéter cette
lecture dans les principales rues et carrefours.
• On construisait dans le môme temps, sur la grand'place, un écha-
faud au centre duquel était dressé un autel avec une croix verte, et deux
chaires, une de chaque côté de Tautel, pour les secrétaires chargés de lire
les sentences des condamnés. On élevait aussi deux estrades, pour les
chapitres ecclésiastique et séculier, avec une galerie circulaire en bas, où
les hallebardiers, comme formant la garde du tribunal, devaient se tenir.
Enfin on construisait un échafaud, appelé média narauja [coupole], pour
les condamnés.
• La veille de l'aulo-da-fé, un secrétaire et d'autres ministres de Tinqui-
sition, précédés des crieurs publics, parcouraient les lieux les plus fré-
quentés de la ville, et y publiaient un bando contenant la défense : 1<» de
porter des armes offensives ou défensives, depuis ce moment jusqu'au
lendemain après Texéculion des sentences, sous peine de confiscation
desdites armes et d'excommunication majeure; 2° d'aller, le lende-
main, à partjr de deux heures de l'après-midi, en voiture, à cheval
ou en chaise , dans les rues où devait passer la procession , et sur la
grand'place.
m Le même jour, la procession de la croix verte sortait du saint-office,
accompagnée de toutes les communautés de religieux qu'il y avait en la
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U DON GAKLOS ET PHfLlPPE IF.
Dans cette horrible cérémonie, qui dura depuis sept
heures du matin jusqu'à sept de l'aprês-midî , deux
\
ville et aux environs, des commissaires, écrivains et familiers du district,
à la suite desquels marchaient les consulteurs, les qualificateurs et les
aulres oflicfers du tribunal, avec les secrétaires, Tatguazil mayor et le
fiscal, tous pointant de grands cierges blancs allumés. La croix verte
marchait entre les officiers, enveloppée d'un voile noir, sous un dais.
Des musiciens chantaient l'hytnne VexiUa régis procfeunt, etc. En cet
ordre, la procession se rendait à la grand*place, où était construit l'écha-
faud; la croix verte était placée sur l'autel, pour y demeurer toute la
nuit, entourée de douze torches blanches allumées sous la garde de
moines de l'ordre de Saint-Dominique et des hallebardiers.
« Le jour de Tauto-da-fé, aux premières lueurs de lauhe, tous ceux qui
devaient y être sentenciés étaient réunis dans la chapelle de l'inquisi-
tion. A la même heure se formait la procession pour les conduire à
l'échafaùd. En tète était portée la croix de la principale église, couverte
d'un voile, et accompagnée des curés des paroisses et de nombre d'autres
ecclésiastiques. Puis venaient les condamnés, avec les effigies de ceux
qui étaient morts ou qu'on n'avait pu prendre, et les os des défunts.
La compagnie des hallebardiers répartie eu deux files les escortait ; ils
étaient rangés selon ta gravité de leurs délits, les moins coupables prê-^
cédant ceux qui l'étaient davantage. Tous étaient affublés du sanbenito;
ils avaient, de plus, une mitre de carton sur la tête, une corde de genêt
au cou, et une torche de cire verte à la main : des familiers de l'inquisi-
tion marchaient à leurs côtés. Celte procession était fermée par i'alfiuazil
mayor de l'inquisition, et par quantité de gentilshommes qui tenaient à
honneur d'être familiers de ce très-compatissant (piadosisimo) tribunal.
« Peu après, le tribunal lui-même sortait de la maison du saint-
office, accompagné des deux chapitres, ecclésiastique et séculier, et de
quelques familiers portant la verge haute, tous à cheval. A leur arrivée
sur la grand'place, ils mettaient pied à terre, et allaient occuper les
sièges qui leur étaient destinés. A l'extrémité de l'échafaùd, il y avait
une estrade de huit marches, couverte d'un grand tapis, sur laquelle
étaient disposés trois fauteuils de velours cramoisi, appuyés à un dais de
la même matière, où l'on voyait les armes royales avec les insignes de
l'inquisition. Les inquisiteurs s'asseyaient dans ces trois fauteuils : le
fiscal de l'inquisition, ayant devant lui l'étendard du saint- office déployé
sur un piédestal, occupait un siège à leur dioite.
tf Lorsque tout le monde était assis, un prêtre montait dans la^chaire
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CHAPITRE H. 45
personnes, Francisco de Vibe^o Cazalla^ frère du
docteur de ce nom, curé de Ilorniigos en révéché de
Palencia, et le bachelier Antonio Herrezuelo, avocat
à Toro, furent brûlées vives. Agustino Cazalla, ayant
abjuré ses opinions, mourut par le garrote ('); son
cadavre seul fut livré aux flammes. H en fut de
même d'Alonso Ferez, prêtre de Palencia, docteur en
Uiéoïogie, de don Cristoval de Ocampo, de Zamora,
aumônier du grand prieur de Caslille et Léon, de
Cristoval de Padilla, de Juan Garcia, orfèvre à
Valladolid, du licencié Percz de Herrera, de Gonzalo
Baez, portugais, et de cinq femmes parmi lesquelles
étaient doîia Bealriz Vibero Cazalla, sœur de Fran-
cisco et d'Aguslino, etdona Calalina de Orlega, veuve
du commandeur Loaysa, On plaça, en outre, sur le
bûcher, le cadavre et l'efTigie d'une sixième femme,
dona Leonor de Vibero, mère des Cazalla, morte
placée au côté droit de Tautel, pour adressera Tassistancc un sermon
dit de foi. Ce sermon terminé, un des secrétaires de l'inquisition, ou,
selon les circonstances, un personnage plus considérable, lisait à genoux
la protestation de foi, que tous répétaient. Ensuite les autres sécréta ires,
que secondaient parfois quelques-uns des ecclésiastiques présents, don-
naient lecture des sentences des condamnés.
« Les sentences lues, les inquisiteurs livraient ceux qui devaient périr
par le feu à la justice royale. Pendant que ceux qui avaient témoigné
leur repentir avant Tauto-da-fé abjuraient leurs erreurs, les impéni-
tents étaient conduits, sur des juments, au quemadero {lieu du bûcher),
ordinairement choisi hors de la ville, sous la garde d*alguazils et d^autres
ministres de justice. Des moines les entouraient, pour les exhorter à se
convertir. Ceux qui, avant d'être livrés aux .flammes, se confessaient,
souffraient le supplice du garrote, et leurs cadavres seuls étaient brûlés. »
(Historia de los protestantes espanotes, pp. 457H60.)
(') Collier de fer, au moyen duquel on étranglait les criminels. Cet
instrument de supplice est encore aujourd'hui usité en Espagne.
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46 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
depuis plusieurs années^ et qui fut exhumée du
monastère de Saint-Benoît le Royal. Seize autres
condamnés furent admis à la réconciliation, c'est-
à-Klire notés d'infamie, privés de leurs titres et de
leurs biens, et ramenés, couverts de Tignominieux
sanbenito (*), à la prison, où ils devaient pour la
plupart demeurer enfermés le reste de leurs jours :
on comptait, dans ce nombre, don Pedro Sarmiento
de Rojas, don Luis de Rojas, dona Mencia de Figue-
roa, dona Ana Henriquez de Rojas, dona Maria de
Rojas, sœur de la marquise d'Alcaîiices et fille du
premier marquis de Poza, don Juan de Ulloa Pcreira,
commandeur de l'ordre de Saint- Jean de Jérusalem,
fils et frère des seigneurs de la Mota, dofia Gostanza
de Vibero Cazalla, sœur d'Agustino, don Juan de
Vibero Cazalla, son frère, dona Juana Silva de Ribera,
femme de ce dernier, dona Francisca ZûiiigadeBaeza,
béate de Valladolid, etc.
Avant qu'il fût donné lecture des sentences de
condamnation, et lorsque le célèbre Melchior Cano,
évêque démissionnaire des Canaries , eut prêché le
sermon sur la foi, don Francisco Baca, inquisiteur de
Valladolid, s'avançant vers l'estrade qu'occupait la
cour, demanda au prince don Carlos et a la princesse
dona Juana de jurer, non-seulement qu'ils soutien-
draient et favoriseraient toujours le saint-offlce, mais
encore qu'ils lui révéleraient tout ce qui serait dit et
(^) C'était un scapulaire de drap jaune. Il y en avait de plusieurs
sortes, selon les diverses classes des condamnés. (Voy. Llorente, Hist.
de l'inquisition, etc., t. I, pp. 326 et suiv.)
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CHAPITRE H. 47
fait contre la religion calholiqne, et dont ils acquer-
raient la connaissance. Don Carlos et doiia Juana
satisfirent à cette étrange réquisition (*). Llorente as-
sure que, dès lors, don Carlos voua à l'inquisition
une haine implacable; mais il n'administre aucune
preuve à l'appui de cette assertion f ).
(') Histoire de Vinquisition, etc., t. H, pp. 220-234. ~ Historiade
lo8 prolestantes espanoies, par Adolfo de Castro, pp -160-175.
(') Histoire de Vinquisition, etc., t. U, p. 234.
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48 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
CHAPITRE III.
Conséquences funestes, pour TEspagne, de l'absence de ses souverains.
— Messages pressants envoyés à Philippe IF , afin de solliciter son
retour. — Les désirs personnels de ce monarque sont d'accord avec
le vœu de la nation ; mais la guerre avec la France ne lui permet pas
d'y avoir égard. — Paix de Cateau-Cambrésis. — Organisation du
gouvernement des Pays-Bas. — Philippe met à la voile de Flessingue,
et débarque à Laredo. — II trouve son fils malade à Valladolid. — Il
le revêt des insignes de la Toison d*or. — Nouvel auto-da-fé à Vallado-
lid ; Philippe et don Carlos y assis^tent. — Paroles horribles adressées
par Philippe à Tun des condamnés. — Départ de la cour pour Tolède.
— Assemblée des cortès de Castille. — Arrivée d'Elisabeth de Valois
à Guadalajara. — Philippe va Ty voir secrètement. ~ Le cardinal de
Burgos les marie. — Entrée de la reine à Tolède ; première entrevue
avec don Carlos. ~ Les cortès reconnaissent don Carlos pour héritier
de la couronne de Castille, et lui prêtent serment.
Depuis que l'Espagne, par rextinclion de sa dynas-
tie nationale, était passée à la maison d'Autriche,
elle s'était vue souvent privée de la présence de ses
souverains. Charles-Quint, durant un règne de qua-
rante années , y avait résidé quinze ou seize ans à
peine ; il l'avait quittée , tantôt pour aller se faire
investir de la dignité impériale, ou pour recevoir des
mains du pape les insignes de cette dignité, tantôt
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CHAPITRE III. 49
pour balailler contre les Mores en Afrique, ou pour-
réduire les Gantois, qui ne voulaient pas reconnaître
roulorité de son gouvernement, tantôt enfin pour dé-
fendre les Pays-Bas, envalus par les Français d'un
eôlé, et de l'autre par le duc de Julîers et de Gueldre,
ou pour soumettre à ses lois les protestants indociles
de TAIIemagne : il y avait douze ans et plus qu'il était
parti la dernière fois de la Péninsule ibérique, lors-
qu'il abdiqua. Philippe II, comme on l'a vu, en était
absent aussi, au moment où il monta sur le trô/ie.
Dans une si grande monarchie, de laquelle dépen-
daient plusieurs royaumes, et mémo un monde tout
entier, l'éloignement prolongé du maître avait des
conséquences funestes. Les affaires qui exigeaient des
résolutions graves étaient ajournées ('); l'obéissance
des vassaux se relâchait ; des ministres s'arrogeaient
une autorité absolue, et distribuaient, au gré de leurs
passions, les charges et les faveurs, faisant ainsi, dit un
historien national, d'un État monarchique un gouver-
nement républicain (-) ; le pays, épuisé d'hommes et
(') C*estce qui arriva, notamment, après la perte de Bougie en Afrique,
qui émut toute TEspagne. Les royaumes de Gastiile « de Valence et de
Catalogne offraient, pour la reprendre, de lever huit mille hommes et de
payer 400,000 ducats; le cardinal -archevêque de Tolède, Siliceo, à
j'exemple de son prédécesseur Ximenès , voulait se mettre à la tête de
l'entreprise et y consacrer toutes ses ressources. Ces propositions furent
envoyées à Philippe 11, aux Pays-Bas : mais, dit Cabrera, « apretadoen
« la provision de los négocies de Flandes, rcmltia la resoluQion para
• su venida. » {Felipe II, liv. ï, chap. VIII, p. 37.)
(') • Hazian de repûblica el gobierno de monarquia real los ministros
absolntos, i mas los profesores deletras légales, en quien estaba la uni-
versai distribucion de la justicia, policfa, mercedes, onras, cargas, en el
colroo de poder i autoridad, etc. » [Ibid,)
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60 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
(l'argent par les secours qu'il avait fournis à l'empereur
dans ses guerres continuelles, résistait aux demandes,
incessamment renouvelées, dont on l'accablait (*).
Aussi, tous les ordres de la nation soupiraienl-its
après l'arrivée du nouveau roi ; et , dès qu'on sut
en Caslille qu'une trôve avait été signée avec la
France (-), des messages pressants lui furent envoyés
aux Pays-Bas, afin qu'il ne différât plus son retour.
I.a princesse doîîa Juana joignît ses instances à celles
des côrlès et des conseils ; pour leur donner plus de
poids, elle députa à son frère don Fadrique Enriquez,
majordome du prince don Carlos f ).
Philippe II n'eût souhaité rien avec autant d'ardeur
que de pouvoir se rendre au vœu qui lui était
exprimé : il était pénétré de la nécessité de sa pré-
sence au centre de la monarchie, et puis il n'aimait
que l'Espagne, il ne se plaisait qu'avec les Espagnols (^).
(') Dans rinstruction que Philippe IF donna, le 5 juin 4558, à Par-
chevôque de Tolède, en l'envoyant en Espagne, il convenait lui-même
que la nation espagnole avait raison de se plaindre ; il y dépeignait « les
« del reino tan necesitados y descontentos, y no con poca razon, viendo
o que de tantos anos à esta parte no se bace otra cosa sino sacar para
« todas partes tan grandes y continuas sumas de dinero.... » (Retraite
el mort de ChaHes-Quint au monastère de Yuste, etc., t. H, p. 431.)
n Le 3 février 4556.
(^j Nous avons publié la lettre qu'elle écrivit au roi, le 43 juin 45o6,
dans la Retraite et mort de Charles -Quint, etc., Introduction, p. 203.
(*) « Non stima alcuna natione più che la spagnuola ; con cpiesta si
trattienQ, con questa si cousiglia, con questa si governa ;.... fa poco conto
degli Italiani et dei Fiammenghi, et manco dei Tedescbi.... » (Relation de
MicbeieSuriano, faiteau retourdeson ambassade,' en 4559, dans les Rela-
tions des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. 4 29.)
Dans sa relation, faite en 4567, Antonio Tiepolo dit aussi que le rot
Philippe « ama et stima sola la nation spagnuola. • [Ibid,, p. 448.)
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CHAPITRE lir. 51
Il l'avait bien prouvé, en faisant cette tenLitivc dont
nous avons parlé ailleurs^ pour engager son père à
demeurer aux Pays-Bas, tandis que lui il passerait
dans la Péninsule (*). Mais la trêve récemment con-
clue n'était pas assez solide, ainsi que l'événement le
fit voir, pour qu'il pût sVloigner de ces provinces,
sans les laisser exposées à de grands périls.
D'un naturel tout diffiTent de celui de Charles-
Quint, Philippe abhorrait la guerre (■). Obligé de
prendre de nouveau les armes pour repousser l'agres-
sion de la France, il se promit bien de ne laisser
échapper aucune occasion propice de mettre un terme
aux hostilités. Sa bonne fortune voulut que des géné-
raux entreprenants et habiles remportassent pour lui
deux éclatantes victoires, celles de Saint-Quentin et de
Gravelines. Le vaincu dut subir la loi du vainqueur :
mais Philippe avoua, en confidence, à l'ambassadeur
vénitien Michèle Suriano, que, si le roi de France
n'avait pas demandé la paix, il l'aurait demandée lui-
même, car il la voulait de toute façon (^).
La paix faite et ratifiée (*), il restait à Philippe II à
(') Retraite et mort de Charles-Quint, etc., Introduction, p. -122.
(') L*ambassadeur vénitien Giovanni Micheli,dans sa relation de 4557
sur r Angleterre, s'exprime ainsi, à propos de Philippe : « Da ottimo
« luogo so ch'egli di natura aborrisce la guerra.... » {Relatiotis des am-
bassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. lxii.)
Federico Badoaro, dans sa relation aussi de 4 557, et Michèle Suriano,
dans celle qu'il fit en 4559, se servent d'expressions analogues. [Wid.,
pp. 42 et 428.)
p) Relations des atnba^sadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Phi-
lippe II, p. 400, note 4 .
(*) La paix de Cateau-Cambrésis, du 3 avril 4559.
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52 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
régler le gouvernement des Pays-Bas. Le duc Emma-
nuel-Philibert de Savoie, qui, après l'abdication de
Fempercur, avait été chargé de la régence de ces pro-
vinces, ne pouvait plus la conserver; le traité de
Cateau-Cambrésis venait de le rétablir dans ses États.
Le roi le remplaça par Marguerite d'Autriche , du-
chesse de Parme, sa sœur naturelle, qu'il appela
d'Ilalie; il institua un conseil d'État, où il fit entrer
les seigneurs les plus considérables du pays, mais en
recommandant à sa sœur de suivre tout particulière*
ment les avis d'Antoine Perrenot de Granvelle, évo-
que d'Arras ; il pourvut aux gouvernements particu-
liers des provinces et aux charges de capitaines des
bandes d'ordonnance, qui étaient vacants pour la
plupart ; il adressa des instructions aux conseils de
justice, afin qu'ils châtiassent sévèrement les délits
commis contre la religion ; il posa les bases d'une
nouvelle organisation ecclésiastique ; il présida à un
chapitre de la Toison d'or, où l'on remplit le nombre
des chevaliers de l'ordre ; enfin il assembla à Gand
les états généraux, et prit congé d'eux le 7août 15S9,
après leur avoir présenté leur nouvelle gouvernante.
Une flotte était, depuis plusieurs mois, rassemblée
dans les ports de Zélande, pour le transporter en
Espagne. Le 23 août, il mit à la voile de Flessîngue,
et, après une navigation heureuse, il débarqua à
Laredo le 8 septembre ('). Le 14, il fit son entrée à
Yalladolid, au milieu des plus vives démonstrations
(^) Vandenesse , Journal des voyages de Charles-Quint et de Phi-
lippe U.
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CHAPITRE III. 53
(le 1 allégresse publique (*). Le bonheur qu'il éprou-
vait de revoir sa ville natale fut troublé par Tétai où il
trouva son fils : don Carlos avait été, quelque temps
auparavant, atteint de la fièvre quarte, et il n'en
était pas guéri Q. Dès quïi fut un peu mieux s le roi
le revêtit des insignes de la Toison d'or, qui lui avait
été conférée dans le chapitre tenu à Anvers au mois
de janvier 1556 Q.
Les luthériens arrêtés en Castille et livrés au saint-
office, l'année précédente, n'avaient pas tous été <*om-
pris dans l'auto-da-fé du 21 mai; les inquisiteurs
avaient voulu en réserver un certain nombre, pour
donner au roi catholique, à son retour en Espagne,
un spectacle qui réjouît son cœur et charmât ses yeux.
La cérémonie fut fixée au dimanche 8 octobre. Elle
eut lieu, comme la précédente, sur la grand'place de
Valladolid.
C'était le premier auto-da-fé auquel Philippe II
assistât : les plus grands préparatifs furent faits, afin
de l'environner d'une solennité et d'un apparat extraor-
dinaires; on imagina, notamment, de construire pour
les condamnés un échafaud disposé de f^^con qu'ils
pussent être vus de toutes les parties de la grand'place
et des rues <iui y aboutisi^aient. Aujourd'hui que les
sentiments d'humanité et de tolérance ont pénétré
dans les masses aussi bien que dans les classes supé-
rieures de la société, ou a de la peine à comprendre
(') Vax>denesse. — Cabrera, Felipe II, liv. V, chap. III, p. 235.
(') Vandenessë.
{^) De Reiffenberg, Hiahirc de la Toison d'or, pp 440 et 482.
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ÎU DON CARLOS ET TlllLlPPE II.
Tafilucncc de curieux qu'allira, des divers points de
la Gaslille, ce speclaele abominable ; des témoins oeu-
laires (') n'en évaluent pas le nombre à moins de deux
cent mille. Le roi s'y rendit, aeeompagné de la prin-
cesse sa sœur, de don Carlos, du prince de Parme
Alexandre Farnèse, et d'une suite nombreuse, où l'on
remarquait les ambassadeurs de France, plusieurs évo-
ques, le connétable et l'amiral de Castille, les ducs de
Nâjera et d'Arcos, les marquis de Dénia etd'Aslorga,
les comles d'Urueîîa, de Benavenle, de Buendia, etc.
Le sermon fut prêché par don Juan Manuel, évé-
que de Zamora; ensuite il fut donné lecture, selon
l'usage, des sentences des condamnés. Gela fait, le
cardinal-archevêque de Sévîlle, don Fernando de Val-
dés, inquisiteur général, se tournant vers le roi, lui
dit : Domine, adjuva nos. Philippe se leva, et tira
son épée en signe de la volonté qu'il avait de s'en ser-
vir pour la défense du saint-office. L'archevêque alors
lui adressa les paroles suivantes : « Les décrets apos-
« toliques et les saints canons ayant ordonné que les
w rois jurent de favoriser la sainte foi catholique et la
« religion chrétienne, V. M. jure-t-elle, par la sainte
« croix, qu'elle donnera tout l'appui nécessaire au
« saint-olBce de l'inquisition et à ses ministres contre
c( les hérétiques et apostats, contre ceux qui les sou-
(') Vandem-sse, dans son Journal manuscrit des voyages de Charlos V
H de Philippe 11, et Diego de Simancas, secréUiire à celle époque
du saint-office, qui a laissé une description de l'aulo-da-fé du 8 octo-
bre 1559, citée par M. de Castro dans son HIstoria de los proUslartUs
espanok's, p. 176.
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CHAPITBE m. 55
'( tiendront et favoriseront, et conlrc quiconque,
M direetement ou indirectement, mettrait obstacle à
« l'action du saint-office; qu'etle forcera tous les
« sujets et naturels de ses royaumes à obéir et se
« conformer aux constitutions et lettres apostoliques
(< données et publiées pour la défense de la sainte foi
w catholique contre les hérétiques et conire ceux qui
« les croient, reçoivent ou favorisent?» A quoi le roi
répondit : « Je le jure ('). »
Les condamnés étaient au nombre de dix-huit.
/Parmi eux figuraient don Carlos de Sesse, d'une
Amiille illustre d'Italie, et dont la femme, dona
Isabel de Castille, descendait du roi don Pedro; dona
Isabel de Castille elle-même et dona Calalina de
Castille, sa nièce; fray Domingo de Rojas, religieux
dominicain, de la famille des marquis de Poza; Pedro
Cazalla, curé de Pedrosa^, dans l'évêché de Zamora ;
Domingo Sanchez, prêtre des environs de Logrono,
et huit religieuses du couvent de Belen, de Tordre
de Citeaux, à Valladolid. Sesse, Rojas et un ser-
viteur de Pedro Cazalla, ayant persévéré dans leurs
erreurs, furent brûlés vifs. On jeta aussi dans le feu
l'effigie et les os d'une béate de Valladolid, nommée
Juana Sanchez, qui s'était donné la mort en se frap-
pant de plusieurs coups de ciseaux à la gorge. Cinq
des religieuses et quatre autres condamnéè^^e confes-
sèrent afin d'échapper au bûcher; ils subirent la peine
(•) Cabrera, Felifc II, liv, V, chap. III. — Adomo deC\stro, Ilisloria
if a los protcsiantcs espafwlcs, pp. 176 cl ill.
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36 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
du garrote. Enfin, les autres religieuses, avec dofia
Isabel et doKa Catalina de Castiile, furent ramenées
en prison, pour y rester détenues à perpétuité (*).
n C'estoit grande pitié à veoir, m dit Vandenesse,
auteur d'un Journal des voyages de Charles-Quint et
de Philippe II, qui était présent.
Lorsque l'on conduisait don Carlos de Sesse au que-
madei'Oy il dit au roi, en passant devant lui : « Com-
<< ment vous, qui êtes un si grand gentilhomme, pou-
<c vez-vous permettre qu'on me livre aux flammes ? »
Phih'ppe lui répondit froidement : « Si mon fils était
« aussi mauvais que vous, j'apporterais moi-même le
« bois pour le brûler Q. » Paroles horribles, et qui
(') Adolfo de Castro, ouvrage cité, pp. 477-183.
(*) Il y a plusieurs versions de ces fameuses paroles, famosa senten-
cia, comme dit un des panégyristes de Philippe IL
Celle que nous donnons est tirée de Cabrera : « Yo traere la lena
« para quemar à mi hijo, si fuere tan malo como vos. » {Felipe il, liv. V,
chap.IU.)
Fray Agustkio Davila, qui prononça l'oraison funèbre de Philippe,
en 4598, à Valladolid, lui.fait dire : <» Si mon fils était contraire à l'Église
« catholique, j'apporterais les sarments pour qiron le brûlât : » Si mi
hijo fuere contra la Jglesia calôHca, yo llcvare los sarmicntos para que
hquemen. (AfJOLFO de Castro, Hisloria de los protestantes esj^aiïoles,
p. <84.)
Ballhasar Porreûo, dans les Dichos y hechos del rey don Felipe II et
Prudente (Séville, 4639), amplifie ainsi les paroles prononcées par le roi :
M II est bien que le sang noble, s'il est taché, se purifie dans le feu ; si le
« mien propre l'était en la personne de mon fils , je serais le premier
« qui l'y jetterait : » Muy bien que la sangre noble, si esta manchada,
se purifique en el fuego ; y si la mia propia se manchare en mi hijo, yo
séria el primero que loarrojase en él. (Adolfo de Castro, ouvrage cité,
p. 478.)
Malgré le témoignage de Cabrera et de Davila, il nous restait encore
quelque doute sur les affreuse? paroles qu'on met dans la bouche de
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CHAPITRE ni. 57
monlrcnl jusqu'à quel point ce monarque poussait le
fanatisme !
Philippe II quitta Valladolid le lendemain. Il avait
hâte d'assembler les cortès de Castille : son trésor
était épuisé, il lui fallait de l'argent, et il voulait
aussi que les représentants de la nation reconnussent,
pour son futur héritier, le prince des Asturies, qui
allait bientôt accomplir sa quinzième année C), Il les
convoqua à Tolède, où il se rendit avec dona Juana,
don Carlos et toute sa cour.
L'ouverture des cortès se fit le 9 décembre, dans
la grande salle de l'alcazar : le roi y présida , assis
sous un dais , et ayant le prince à son côté. La pro-
position fut lue par le secrétaire d'État Juan Vazquez
de Molina; elle roulait principalement sur les deux
objets que nous avons indiqués Q. Les procuradores
répondirent qu'ils étaient prêts à reconnaître le prince,
et, quant aux subsides demandés par le roi, « qu'ilz
Philippe lî ; mais nous n'en avons plus conservé, après avoir lu une let-
tre que l'évêque de Limoges, Sébastien de l'Aubespiue, ambassadeur de
France à Madrid, écrivait à Catherine de Médicis, le 20 janvier 45G2.
Plusieurs Franç^iis avaient été arrêtés par l'inquisilion, les uns pour
avoir apporté des livres en Espagne, les autres pour avoir parlé de ma-
tières religieuses; elle venait de faire emprisonner Bobuzc, apothicaire
de la reine Elisabeth et beau-frère du médecin de Charles IX. L'Aubes-
pine écrit à ce propos : «'Quoy que j'en fasse instance (pour ?a mise en
• liberté) au roy calholicque et à tous ceulxde par deçà, je n'ay responce
o autre de S. M. : que, si ceatoit son propre filz, et qu'il eusteti cesl
« endroit péché, il le feroil morir. •
(') Philippe H avait été reconnu par les cortès pour futur héritier
de la couronne, lorsqu'il ne comptait pas encore un an. (Cabrera, liv. I,
chap. I, p. 3)
(*) Vandenesse, Journal des voyages de Charlcs-Quint et de Philippe lï.
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68 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
« cspéroicnl se monslrer telz que S. M. auroil cause
« raisonnable de s'en contenter ('). »
La prestation du serment que le prince avait à
recevoir de tous les ordres de l'État et à leur faire
réciproquement, était une cérémonie longue et fati-
gante ; elle dut être différée, à cause de l'état de don
Carlos que la fièvre avait repris.
Cependant Élisabelh de Valois , fille de Henri II
et de Catherine de Médicis , dont le mariage avec le
roi d'Espagne avait été convenu dans les négociations
de Cateau-Cambrésis , venait de quitter la cour de
France, se dirigeant vers sa nouvelle patrie. Reçue à
Roncevaux, le 4 janvier 1860, par don Francisco de
Mendoza , cardinal-archevêque de Burgos , et par le
duc de l'Infantado, elle poursuivit sa route, à travers
les provinces de la Péninsule, au milieu des marques
de respect , des cris de joie et d'amour de toutes les
populations, charmées de sa jeunesse, de sa beauté, de
sa grâce, et heureuses d'une alliance qui présageait de
longues années de paix. Le 28 janvier, elle arriva a
Guadalajara (^), où devait se célébrer le mariage ; elle
descendit au palais du duc de l'Infantado, que ce sei"
gneur avait mis à la disposition du roi : la princesse
doîia Juana l'y attendait, et lui en fit les honneurs (^).
(') Lettre du secréUiire Courtewille au président Viglius, écrite de
Tolède, Je 23 décembre 4 559.
(*) Lettre de Courtewille à Viglius, du 29 janvier ^560.
(^) Vandenesse.
Cabrera, copié par presque tous les historiens, prétend qu'Élisabelh
fut re(;ue à Guadalajara par la princesse et par don Carlos. C'est une
des nombreuses erreurs que nous aurons à lui reprocher.
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CHAPITRE in. 69
Philippe 11^ qui était à Madrid^ vint le lendemain à
Alcala. Le 30. dans la soirée, il se rendit secrètement
à Guadalajara, pour voir sa future épouse. Le len-
demain, le cardinal de Burgos les maria Ç). Une
réflexion du secrétaire Courtewille, qui était présent,
mérite d'être rapportée ici : « Il me semble — écrivit-il
«c au président Viglîus — les partyes se contentent et
c( se contenteront fort bien Tune de l'aultre. Les
c( signalz qui me le font dire auriont meilleure grâce
« de bouche que par escrîpt Q). »
Le 12 février, eut lieu l'entrée de la reine à
Tolède f) : elle ne dura pas moins de six heures,
d'une à sept de l'après-midi. Conduite d'abord à l'église
métropolitaine, où elle fit sa prière, Elisabeth fut
reçue au palais par don Carlos, qu'accompagnaient
don Juan d'Autriche et Alexandre Farnèse (*). Après
ce qui s'était passé au congrès de Cateau-Cambrésis,
cette première entrevue excitait quelque curiosilé : la
fille de Catherine de Médecîs montra au prince des
Asturies un visage plein de bienveillance et où se
peignait l'intérêt qu'elle prenait à sa situation, car le
(») Vandenessb. — Lettre de Courlewiile, du 29 janvier, déjà citée.
(*) Lettre du jour de la Chandeleur (2 février).
(*) Dans les Négociations, lettres et pièces diverses relatives au règne
de François //, publiées par M. Louis Paris, Paris, ^841, iu-4o, p. 27<,
il y a une lettre de Tévèque de Linnoges où le 3 février est donné comme
le jour de l'entrée de la reine ; il doit y avoir ici une erreur de copiste.
Vandemesse précise les dates : le 3 février, dit-il, LL. MM. allèrent à
Alcala; le 5, elles allèrent à Madrid, où la reine fit son entrée; le 9, le
roi fut à Aranjuez; le 42, au matin, il vint à Tolède, et Taprès-diner, la
reine y fit son entrée, etc.
(*) Vandbnesse.
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...^
60 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
pauvre prince était tout exténué. Don Carlos fut touché
de l'accueil de la reine ; dès ce moment, il conçut pour
elle des sentiments de respect et de déférence qui ne
se démentirent jamais depuis (').
Les prélats ,- les grands , la noblesse , les députés
des villes de Castille attendaient avec impatience, à
Tolède , la solennité de la prestation du serment à
l'héritier présomptif de la couronne, pour laquelle
ils y étaient réunis depuis plusieurs mois ; le jour
en fut enfin fixé au 22 février. Le roi voulut qu'elle
se fît à la cathédrale. Le siège de Tolède était occupé,
en ce temps-là, par fray Bartholomé de Carranza.»
de l'ordre de Saint-Dominique; mais cet illustre
prélat avait été arrêté, au mois d'août de l'année
précédente, par ordre de l'inquisiteur général, Fer-
nando de Valdès, et il était gardé en une étroite
prison, Philippe notifia ses intentions au chapitre mé-
tropolitain.
Le 22 février, à neuf heures du matin, le cortège
royal partit du palais, pour se rendre à la cathédrale.
Don Carlos, vêtu avec magnificence, montait un
cheval blanc, richement enharnaché et caparaçonné ;
à sa gauche était don Juan d'Autriche : la bonne mine,
la tournure élégante du fils naturel de Charles-Quint
contrastaient avec l'attitude disgracieuse et le teint
blême du prince des Asturies (^). Devant .eux allaient
Alexandre Farnèse, l'amiral de Castille, les comtes de
(') Lettre de l'évèque de Limoges à François H, dû 23r février 1560,
dans les Négociations, lettres, etc., p. 271 .
(*) « Con mal color de quartanario, » dit Cabrera.
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CHAPITRE III. Gl
Benavenle et d'Uruefia, les ducs de Nàjera, d'Albe,
de Franeavilla, les marquis de Villena, de Dcuia, del
Cenele, de Mondejar, de Coniarès, le maître de Mon-
tesa, les deux prieurs de Saint-Jean, de Castille et de
Léon , et une foule d'autres personnages de marque ,
qui, à la grande satisfaction du prince (*), rivalisaient
par la richesse de leurs vêtements , tout étincelants
d'or et de pierreries , la beauté de leurs chevaux ,
le luxe de leurs harnais, de leurs selles, de leurs
housses, parmi lesquelles il y en avait dont la valeur
était de plus de deux miHe ducats (-). La princesse
dona Juana venait en litière , après don Carlos , en-
tourée de ses dames (^). Le roi était à cheval : (Quatre
rois d'armes avec quaire massiers le précédaient , et
le comte d'Oropesa , un peu en avant de lui , portait
1 cpée à l'épaule, qui était découverte. Une attaque de
petite vérole obligeait la reine à garder ses apparte-
ments (^),
Le chapitre métropolitain s'était empressé de faire
les dispositions nécessaires pour l'imposante céré-
monie qui allait s'accomplir. Le chœur de la cathé-
drale avait été entièrement tendu de brocart. On avait
construit, au bas de la nef, une estrade de huit degrés
de hauteur et de quarante pieds en carré , couverte
d'épais tapis. Au centre de cette estrade, s'élevait,
(*) « .... Contentando al principe, que gustabamuchodello. » (Cabrera.)
« .... ATia gualdrapas de dos mil ducados do costa, siii compular
valor de piedras.... » {ibid.)
p) Joyeuses, dit Cabrera, de ce que les dames françaises de la cour de
ia reine Elisabeth n'assistaient pas à la cérémonie.
(*) Cabrera, Felipe II, liv. V, chap. VII, pp. 246 et suiv.
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62 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
SOUS un dais , un autel orné ide drap d'or frisé ; à k
droite de l'autel ^ était un autre dais sous lequel on
avait plaeé trois fauteuils et trois coussins de drap
d'or : le fauteuil du milieu pour le roi, celui de droite
pour la princesse, celui de gauche pour le prince. Du
côté de la princesse, et à quelque distance, en dehors
du dais, il y avait un tabouret pour don Juan d'Au-
triche. En face de l'autel, était un fauteuil garni de
velours cramoisi, destiné au cardinal-archevêque de
Burgos ; vis-à-vis de ce fauteuil, une petite table, où
l'on voyait le livre des Évangiles ouvert, avec une
croix d'or au-dessus^ devant la table, un coussin,
aussi de velours cramoisi, sur lequel s'agenouille-
raient ceux qui devaient prêter serment. Au bas de
l'estrade, on avait disposé des bancs — plus ou moins
richement garnis, selon la qualité des personnages qui
allaient s'y asseoir — pour les ambassadeurs des puis-
sances étrangères, les prélats, les grands, les gentils-*
hommes titrés et les procuradores des villes. Le
milieu de la nef était vide (^).
Le cortège étant arrivé à l'église , chacun prit la
place qui lui était destinée. Le mafquis de Mondejar,
comme officier des fiefs, se tint debout, à gauche de la
table où était déposé le livre des Évangiles, ayant
auprès de lui trois conseillers au conseil royal de Cas-
tille, quatre conseillers au conseil royal d'Aragon, les
uns et les autres appelés pour servir de témoins à cet
acte solennel, les massiers, les rois d'armes et les
(^) Vandenesse. — Cabrera.
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GHAPITHE lir. 63
mailrcs d'hôlcl du prince. A la droite de la même
table se tinrent le duc d'Albe et le comte d'Oropesa.
Les quatre maîtres d'hôtel du roi , leurs bâtons en
mains, se rangèrent derrière don Juan d'Autriche Ç).
Quand tout le monde eut été placé , la messe fut
célébrée pontificalement , et avec le concours des
chantres et des instrumentistes de la chapelle royale^
par le cardinal de Burgos, assisté des archevêques de
Séville et de Grenade, des évêques d'Avila et de
Pampelune.
La messe achevée , le cardinal alla occuper le fou-
teuil qui lui était réservé, et les autres prélats les
bancs destinés à leur ordre. Le licencié Menchaca,
auditeur de la Cdmara, donna lecture de la formule
du serment à prêter par les personnages qui avaient
été appelés à la cérémonie : elle portait, en substance,
qu'ils recevaient don Carlos, fils unique du roi Phi-
lippe, leur naturel et légitime seigneur, pour succes-
seur à la couronne de Castille après la mort de son
père, et que, dès ce moment pour lors, ils le recon-
naissaient comme leur roi et seigneur naturel , pro-
mettant de lui obéir et de le servir avec fidélité et
dévouement. Puis un des rois d'armes proclama que
tous eussent à se présenter dans l'ordre où ils étaient
assis, sans égard au rang qui pouvait leur appar-
tenir Q.
Le comte d'Oropesa, l'épée toujours appuyée à
('} Vandenesse.
(•-') Ibid.
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04 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
l'épaule, dit alors à la princesse dona Juana que
c'était à elle de faire serment la première. Dona Juana
se leva, accompagnée par le roi et le prince jusqu'en
dehors du dais : elle alla s'agenouiller devant le car-
dinal, et, la main posée sur les Évangiles, elle jura
fidélité et obéissance à son neveu. Elle voulut, en
revenant à sa place, baiser la main du prince; il refusa
de la lui donner, et l'embrassa ('). Après elle, le
licencié Menchaca appela don Juan d'Autriche, qui ,
n'ayant pas l'âge requis, avait obtenu des dispenses
du roi f ). Don Juan , le serment prêté, fit une pro-
fonde révérence à don Carlos, et lui demanda sa main
qu'il baisa, malgré la résistance du prince. Les pré-
lats, les grands, les seigneurs de litre et les procura--
dores des villes vinrent ensuite , et successivement ,
remplir le même devoir Q : l'ancienne dispute qu'il
(^) Le conseil d'État avait examiné le point de savoir si la princesse
devait baiser la main de don Carlos. Ayant trouvé, dans les précédents,
des exemples pour et contre, il avait conclu, en proposant au roi cet
expédient : que dona Juana ferait comme si elle voulait baiser la main
de son neveu, et que le prince s'en excuserait : « En lo de la seûora
« princesa se podria tomar un medio de que hiciese alguna demostra-
a cion, y tambien el principe por su parte, de manera que se cumpliese
« con lo necesario.... » (Lo que se tratô y platicô cerca del juramento
del principe nuestro senor, en Toledo, ano >I560, Arch. de Simancas,
Eslado, leg. 139.)
(*) « .... Parece que por todos respectes se debe hallar présente don
Juan de Auslria, y que jure y haga picito homenage, y bese la mano a
Su Altcza; y por no tener edad cumplida, se supla por V. M., pu-
niendo las causas que elderechodice, y metiéndolo asi en el auto.... »
[Ibid.)
p) Cabrera rapporte que le prince ne voulut pas se laisser baiser la
main par les prélats. Mais Vandenesse dit le contraire; il s'exprime
ainsi : a Puis vindrenl d'en bas de l'eschaffault où tous estoientassiz, les
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CHAPITRE Itl. 65
y avait, pour la préséance, entre les villes de Tolède
et de Burgos, se renouvela à cette occasion ; la der-
nière obtint gain de cause, mais sans préjudice au
droit que pouvait avoir sa rivale. Le comte d'Oropesa,
don Garcia de Tolède, gouverneur du prince, les
maîtres d^hôtel du roi, le marquis de Mondejar, jurè-
rent à leur tour. Le duc d'Albe , qui avait présidé à
la solennité, le bâton à Fépaule, en qualité de grand
maitre de la maison du roi, se présenta le dernier :
comme il oubliait d'aller baiser la main du prince, don
Carlos le lui fit sentir par un regard plein de mécon-
tentement; il s'aperçut de son inadvertance et vint
s'en excuser; le prince l'embrassa. L'archevêque de
Séville reçut le serment du cardinal de Burgos. Don
Carlos jura, entre les mains de don Juan d'Autriche,
de garder les fueros et les lois des royaumes de Cas-
tille et de Léon, de maintenir ces royaumes en paix et
justice , de défendre la foi catholique de sa personne
et de tous ses moyens.
II était trois heures, quand la famille royale rentra
au palais, où elle reçut les félicitations des ambassa-
deurs étrangers (').
« prélatz, les grands, tous l'ang après l'aultre, jurer et faire Thom-
a maige, et baiser les mains au prince. » Vandenesse était présent. Il
n*y avait aucune raison de dispenser les prélats du baisemain, et l'éti-
quette ne le permettait pas.
(') Vandenesse, Journal des voyages de Charles-Quint et de Phi-
lippe 11. — Cabrera, l^elipe //,liv. V, chap. VU, pp. 246-248.
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6C DON CARI.OS ET IMIIUPPK II.
CHAPITRE IV
Dépérissement de don Carlos. — Les médecins conseillent au roi de le
faire changer d'air. — Le roi, api'ès des informations prises à Gibral-
tar, Malaga et Murcie, se décide à l'envoyer à Alcala de Henarès. —
Description de cette ville. — Départ de don Carlos pour Alcala. —
Heureux effets quMl ressent de son changement de résidence. — Sa
fièvre cesse. — Elle reprend à la suite de quelques imprudences. —
KUe le quitte tout à fait. — Il va assister, au Pardo, à une fête donnée
par le roi. — Il devient amoureux d'une des filles du concierge du
palais. — II fait une chute dans un escalier en allant la voir, et se
blesse à la tête. — Les gens de sa maison et ses médecins accourent à
ses cris. — Paroles de Quijada au licencié qui lui met le premier appa-
reil. — Le roi, averti par don Garcia de Tolède, fait partir pour
Alcala plusieurs de ses médecins. — Il y vient lui-même, mais il
retourne bientôt à Madrid , rassuré par les déclarations des hommes
de Tart. — Jugement sur les médecins espagnols de ce temps. —
Caractère grave que prend la blessure de don Carlos; symptômes
alarmants, — Le docteur Olivarès cherche à tranquilliser le prince ;
repartie de don Carlos. — - On lui découvre le crâne. — Le roi accourt
à Alcala. — Une légère amélioration dans l'état du malade est suivie
des complications les plus inquiétantes ; il tombe en délire. — Le roi
fait dire des prières et faire des processions dans toute l'Espagne ; il
appelle un empirique de Valence ; il prodigue à son fils les soins les
plus affectueux. — Dévouement du duc d'Albe, de don Garcia de
Tolède, de Quijada et de tous les serviteurs du prince. — Regret
exprimé pardon Carlos à son père. ~ Patience et douceur qu'il mon-
tre pendant sa maladie. — Part que l'Espagne entière prend à l'afflic-
tion du roi. — Marques éclatantes de la douleur de la reine et de la
princesse dona Juana. — Sentiments divers des Flamands, des Ita-
liens, des Portugais, des Français et des partisans de la branche alle-
mande de la maison d'Autriche. — Les médecins désespèrent de la vie
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CHAPITRE IV. 67
de don Carlos. — Le roi quitte Alcala, laissant des instructions pour
les obsèques de son fils au duc d'Albe et au comte de Feria. — Don
Carlos est trépané. — On apporte dans sa chambre et on lui fait tou-
cher le corps de fray Diego, religieux de Saint- François. — Soulage-
ment instantané qu'il éprouve. — Fray Diego lui apparaît la nuit, et
le raKsure. — Arrivée de Tempirique de Valence; application de ses
onguents, dont on n'est point satisfait ; il est congédié. — Le roi,
instruit du changement inespéré qui est survenu dans Tétai de son
fils» revient à Alcala. — Don Carlos perd la vue. — 11 la recouvre au
moyen d'une opération pratiquée par le conseil de Vésale. — Le roi
repart pour Madrid. — Extraction d'urt os de la tète de don Carlos. —
Cicatriî^ation de sa plaie. — Sa convalescence et son rétablissement.
— 11 va rejoindre là famille royale. — Joie des Madrilènes en le
revoyant. — Félicitations adressées au roi par les princes étrangers. —
Lettre particulière et compliments de l'empereur à don Carlos. — Ce
prince prie son père de solliciter du pape la canonisation de fray Diego.
Don Carlos dépérissait de jour en jour, consumé
par la fièvre qui le dévorait depuis plus de deux
années déjà , malgré tous les moyens employés pour
la combattre (*). La science, à cette époque, n'avait
pas à sa disposition ce précieux spécifique, le quin-
quina, dont la découverte ne se fit qu'un siècle plus
tard (^) : les médecins conseillèrent au roi de le faire
{') « .... Se trouvant ledict pouvre prince si affligé et tant exténué,
que, s'il ne pert ce mal pour tout cet hiver, la plus saine et commune
opinion des médecins siens est qu'il s'en va éthique et sans grande
espérance de l'avenir.... « (Mémoire de l'évoque de Limoges pour
Charles IX, du 5 septembre 4 561 .)
{') II fut apporté en Espagne, en 1640, par la femme du comte de
ChinchoD, vice-roi du Pérou ; on ne le connut en France qu'en 1670.
(BotCBARDAT, Manucl de matière médicale.)
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68 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
changer d'air ; ils élaient d'avis que le prince fût en-
voyé de préférence dans quelque lieu du littoral de
la Méditerranée. Philippe écrivit aux corrégidors de
Gibraltar, de Malaga et de Murcie, aCn de savoir :
1® si la ville où ils habitaient était propre pour la
guérison de la fièvre quarte ; 2** quel était son état
sanitaire, actuel et précédent; 3® s'il y régnait ou y
avait régné des maladies dangereuses ou contagieuses.
Les corrégidors devaient réunir les médecins de leur
juridiction respective, réclamer d'eux des rapports
détaillés sur ces différents points, et les lui transmettre
avec la plus grande diligence Q).
Nous ne connaissons pas les réponses que firent au
roi les corrégidors de Murcie et de Malaga ; mais celle
du corrégidor de Gibraltar était entièrement satisfai-
sante Q. Philippe, à qui il en coûtait sans doute d'é-
loigner de lui son fils, objet encore en ce tempsrlà de
ses affections, ne se décida pour aucune des villes que
nous venons de nommer : il choisit Alcala de Henarès,
qui lui avait été recommandée aussi, se réservant
d'envoyer don Carlos aux bords de la Méditerranée, si
plus tard cela était jugé indispensable f ).
(^) Coleccion de documentos inéditos para la historia de Espafia,eic.,
t. XXVII, p. 207. La lettre est du 4 3 septembre 456^.
p) Elle est dans la Coleccion de documentos inéditos, etc., t. XXVII,
p. 208.
(') II écrivait au cardinal de Granvelle le 6 octobre 4564 :«.... Yo
« voy previniendo todo lo necesario para la yda à Monçon al verano,
« aunqueen la indisposicion del principe no bay mejorîa, que viene mal
« à propôsito , siendo tan larga y tomàndole en tal edad ; y todavïa,
« porque no quede nada porprovar, le embio agora à Alcala, que dizen
« que es para aquel mal mejor lugar que este ; y si asi no se hallare
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CHAPITRE IV. 69
Distante de six à sept lieues seulement de Madrid(*),
la ville d'AIcala est située dans une plaine riante
qu'arrose le Narès, dont les rives présentent aux yeux
des jardins fleuris et des promenades ombragées par
des peupliers touffus. Le ciel s'y montre presque tou-
jours serein ; l'air y est pur et la température agréable,
quoiqu'un peu froide pendant l'hiver. Il y existe un
, vaste et magnifique palais, construit pour servir de
demeure aux archevêques de Tolède. Ferdinand,
frère de Charles-Quint, reçut le jour dans ce palais f).
Don Carlos , comme nous l'avons dit , y avait habité
dans son enfance, avec ses tantes, les princesses dona
Maria et dona Juana.
Ce prince partit pour Alcala le dernier du mois
d'octobre 1561 {^); il y fut rejoint, quelques jours
après, par don Juan d'Autriche et Alexandre Farnèse,
ses compagnons d'étude et de plaisir (*), Le change-
« mejor, le embiaré à alguD lugar a la mar, que dizeu que es el mejor
« remédie de todos.... • (Papiers d'État du cardinai de Granvelle, t. VI,
p. 375.)
Il parait pourtant que Philippe hésita pendant quelques jours. On lit,
dans une lettre du garde des sceaux Tisnacq à Viglius, du 27 septem-
bre 4564 : « On a fort parlé quMl yroit à Taragona ou Valence, et après
« àMurtiaou Malaga, pour voir si, par changement du lieu, il pourrait
o trouver fin de sa fiebvre. »
(^) Quatre lieues et demie d'Espagne.
C) MiNANo, Diccionario geogràfico-estadistico de Espana y Portu-
gal, etc., Madrid, 4826, in-S», t, I, p. 84. ~ Madoz, Diccionario geogrd-
fico^estadistico'histôrico de Espana, Madrid, 4845, in-4», t. I, pp. 364
et suiv.
(') Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, du 6 novembre 4564.
(•) Ibid, — Mémoire de l'évéque de Limoges pour Charles IX , du
42 novembre 4561,
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70 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
ment d'air exerça lout çl'abord sur sa sanlé une heu-
reuse influence : les accès de fièvre devinrent moins
fréquents, et même bientôt ils cessèrent tout à fait (').
L'état du malade s'améliorait à vue d'œil; il repre-
nait de l'embonpoint (-). Le roi, qui alla le visiter deux
fois, dans le courant des mois de novembre et de
décembre (^), se félicitait de la résolution qu'il avait
prise de lui faire quitter Madrid.
Quatre semaines s'étaient écoulées, pendant les-
quelles don Carlos n'avait plus eu de fièvre : quelques
imprudences commises par lui furent cause qu'il en
ressentit un nouvel accès, lequel fut suivi de plu-
sieurs autres (*). C'était au mois de janvier 1562. Dans
le commencement, la recrudescence du mal se mani-
festa d'une manière assez violente; mais il déclina
peu à peu , et déjà au milieu de février , l'ambassa-
deur de France pouvait annoncer à sa cour la conva-
lescence du prince Q. Les accès qu'il éprouva encore
(*) Lettre de l'évêque de Limoges à Catherine de Médicis, du 4 2 novem-
bre 4561 ; lettres du même au roi et à la reine-mère, du 48 novembre.
— Lettres de Tisnacq à la duchesse de Parme, des 40, 46, 28 novembre
et 4 5 décembre 4564.
(') « Le prince dHespaigne est tanlost régénéré, car il engrosse de
santé et bonne disposition.... » [Lettre de l'évêque de Limoges à Cathe-
rine de Médicis, du 3 janvier 4562.)
(^) Lettres de Tisnacq à la duchesse de Parme, des 28 novembre et
24 décembre 1561.
(*) « .... Le prince, ayant esté quicte de sa quarte ung mois tout
entier, s'est si mal gouverné, soyt par ceste faulte, ou par n'estre pas
de guères bonne habitude , qu'elle l'a reprins , et jà en a eu six ou
sept accez plus roiddes que les précédans.... » (Lettre de Tévéque de
Limoges à Catherine de Médicis, du 20 janvier 4562.)
(') « .... Le prince d'Hespaigne, ayant eu un accez pénultiesme de sa
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CHAPITRE IV. 74
n'eurent point de gravité (*). Le 12 mars, il se trouva
assez bien pour aller assister, au Pardo, à une fête
que Philippe II donnait à la reine , sa femme , et à la
princesse, sa sœur (^).
Il y avait juste cinquante jours que don Carlos
. était sans fièvre (^), et son rétablissement faisait des
progrès de plus en plus sensibles (^), lorsqu'un funeste
quarte bien vingt et quatre heures, s'est, en ces deux derniers, mieulx
porté, et semble que son mal vousist, par ceste violence, prendre
congé : car les nouvelles que nous avons disent que hier sou accez
lui faillit du tout.... d (Lettre de Tévéque de Limoges à Catherine de
Médicis, du 16 février 1562.)
(') « .... La fiebvre de monseigneur nostre prince se diminue bien
fort, et ne Ta eue qu'assez peu en son dernier excès.... • (Lettre de
Tisnacq à la duchesse de Parme, du 6 mars 4562.)
Le 9 mars, révoque de Limoges écrivait dans le même sens à Cathe-
rine de Médicis.
(') « Sa Majesté festoyé cejourd'huy la royne et la princesse au
Pardo Monseigneur nostre prince y sera aussi, qui coucha hier
guaircs loing dudict lieu, et a passé jà plusieurs jours des excès de sa
fiebvre, sans l'avoir eue.... » (Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme,
du 42 mars 4562.) — « Monseigneur nostre prince demeure délivré de sa
fiebvre.. . . Il se trouva à la feste donnée au Pardo, et s'est depuis derechef
retiré eu Alcala.... » (Lettre du même à la même, du 48 mars 4562.)
C'était la première fois que la reine Elisabeth allait au Pardo. Tisnacq,
écrivant au président Viglius, le 47 mars, lui dit ces paroles éoigmati-
ques : « Sa Majesté Réginalle n'avoit encoires oncques heu le crédit de
« y entrer. »
(') Relation de Dionisio Daza Chacon, citée plus loin.
(*) « .... Le prince d'Hespaigne se porte mieulx, et quasi du tout
hors de sa quarte, de laquelle peu souvent il se resent.... » (Lettre de
révoque de Limoges à Catherine de Médicis, du 25 mars 4562.) ■— « Le
prince d'Hespaigne continue en sa bonne santé, et est sans fiebvre
quarte, bien qu'en ses jours ordinaires il luy en reste quelque mémoire,
laquelle peu à peu, s'augmentant les chaleurs, passera, à ce que l'on
recognoist par chascun jour.... « (Lettre du même à la même, du
3 avril.) — « Le prince d'Hespaigne continue en sa santé.... « (Lettre du
même à la même, du 45 avril.)
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72 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
accident vint non-seulement détruire les espérances
qu'on en avait conçues, mais encore mettre en péril
la vie du prince.
Don Carlos avait pris de l'affection pour une des
filles du concierge du palais, et, afin de la voir, il
descendait au jardin par un escalier dérobé, obscur
et fort raide. La plupart des personnes de sa maison
qui connaissaient cette intrigue, ne la voyaient pas
avec déplaisir; au contraire, elles se disaient que
l'amour éveillerait et stimulerait l'esprit du prince, en
même temps qu'il lui inspirerait quelque énergie phy-
sique. Son gouverneur, don Garcia de Tolède, ne rai-
sonnait probablement pas ainsi, car il fit fermer la
porte par laquelle l'escalier communiquait avec le
jardin, et don Carlos essaya en vain de l'ouvrir, aidé
d'un de ses gentilshommes. Le dimanche 19 avril,
voulant absolument parler à la jeune fille, il lui fit
dire de se trouver en dehors de la porte à midi et
demi. Dès qu'il eut diné, il éloigna tous ceux qui
étaient autour de lui, pour que personne ne sut où il
allait, et il courut à l'escalier, dont il franchit les
degrés avec précipitation. Il avait presque atteint les
dernières marches, quand, le pied venant à lui man-
quer, il tomba la tète en avant (^).
(*) Voy. la lettre de l'ambassadeur de Venise, Paolo Tiepolo, du
24 avril 4562, dans Y Appendice A.
L'évêque de Limoges, écrivant à Catherine de Médicis, le 44 mai, lui
mandait que le prince « estoit tombé, la teste la première, dedans une
« petite viz obscure par laquelle il pensoit, seul et à cachettes, descen--
« dre dedans ung jardin, pour avoir la veue d'une jeune fille du eon-
« cierge, qui lui sembloit belle. »
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CHAPITRE IV. 73
Aux cris quil fit entendre^ don Garcia de Tolède ,
Luis Quijada (*) et plusieurs autres de ses serviteurs
accoururent : ils le relevèrent et le transportèrent
dans son appartement. Les docteurs Vega et Oliva-
rès, médecins de cdmara^ et le licencié Dionisio Daza
Chacon, chirurgien du roi, qui étaient à Alcala,
furent immédiatement appelés : Daza reconnut que le
prince s'était fait, derrière la tête, à gauche, une bles-
sure de la grandeur de l'ongle du pouce ; il se mit en
devoir de la panser. Cette opération ayant occasionné
à don Carlos une douleur qui lui arracha quelques
plaintes, Quijada craignit que le licencié n'osât pas
continuer ; il lui dit ; « Ne pansez pas Son Altesse
« comme un prince, mais comme un particulier. » Le
pansement achevé, don Carlos se mit au lit ; il eut une
transpiration d'une heure et demie, à la suite de
laquelle on lui fit prendre une médecine ; puis on lui
tira huit onces de sang Q).
(*) Philippe U , après la mort de l'empereur, l'avait nommé grand
écuyer du prince.
(') Il existe une relation circonstanciée delà chute et de la maladie de
don Carlos à Alcala, écrite, à la demande de ce prince lui-môme, par
le licencié Dionisio Daza Cbacon, qui lui donna ses soins depuis le
49avriljusqu*au mois de juillet 4562. Cette relation, publiée en 4609,
dans un ouvrage de Daza devenu très -rare [Pràctica y teôrica de
cirurgia) a été réimprimée en 4854 dans la Coleccion de documentos iné-
ditos para la historia de Espana, t. XVill, pp. 537-563 ; elle esli inti-
tulée : Belacion verdadera de la herida de cabeza del serenissimo prin-
cipe don Carlos, nuestro seiior, de ghriosa memoria, la cual se acahà
en fin de jtilio del ano de 4 562.
On trouve, dans le tome Vi des Papiers d'État du cardinal de Gran-
velle, publié en 4846, pp. 587-607, une relation du même événement
attribuée au docteur Olivarès, médecin de la chambre du roi, et qui n'est
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74 DON CARLOS ET PHILIPPE JL
Don Garcia de Tolède, dès que le premier appa-
reil eut été mis sur la plaie, dépécha au roi don
Diego de Âcuna, gentilhomme de la chambre du
prince, pour l'informer de ce qui se passait. Philippe,
à cette nouvelle, ordonna au docteur Juan Gutierrez,
son médecin de chambre et proto-médecin général,
de partir incontinent pour Alcala, accompagné des
docteurs Portuguès et Pedro de Torrès , ses chirur-
giens. Tous trois y arrivèrent le 20, au lever du soleil.
Ce jour-là, dans la matinée, Daza s'étant présenté
pour lever l'appareil qu'il avait appliqué sur la bles-
sure du prince, don Carlos lui dit : « Licencié, il mer
« sera agréable que le docteur Portuguès s'acquitte
« de ce soin; ne vous en fâchez pas. » Le licencié
répondît que, puisque telle était la volonté de S. A.,
il serait trop heureux de s'y conformer. Le pansement
autre que celle du licencié Daza ; seulement on en a retranché le préam-
bule et la conclusion.
Il est singulier que les éditeurs de la Coleccion de documentos inéditos,
qui connaissaient la relation originale, aient, dans le tome XV de ce
recueil, pp. 553 et suiv., reproduit, à leur tour, comme un ouvrage dis-
tinct, la prétendue relation d^Olivarès.
Nous avons recueilli, aux archives de Simancas, une autre relation,
que Philippe II envoya à ses ambassadeurs, pour qu'ils en donnassent '
communication aux cours près desquelles ils étaient accrédités ; elle est
intitulée : Relacion del successo de la enfermedad y cura del principe
nuestrosenor, hasta los xxvii de mayo 4562, en Alcala. Nous la publions
dans V Appendice A.
Notre récit de l'accident arrivé à don Carlos sera naturellement em-
prunté, pour la plus grande partie, aux deux relations que nous venons
de mentionner ; nous ne saurions puiser à de meilleures sources : mais
nous ferons usage aussi d'autres documents que nous avons à notre dis-
position. Nous citerons ces derniers chaque fois que nous les em-ploie-
rons.
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CHAPITRE IV. 76
fut donc fait par le docteur Portuguès. Il y eut
ensuite, en présence de don Garcia de Tolède, une
consultation des hommes de Tart qui se trouvaient au
palais : tous jugèrent convenable qu'on tirât encore
au prince htiît onces de sang.
Après la première saignée, don Carlos avait res-
senti un peu de fièvre : elle augmenta le quatrième
jour, mais elle diminua graduellement depuis, et le
septième, qui était le 26 avril, elle avait cessé ; seu-
lement le prince se plaignait, par intervalles, de mal
de dents, de certaines petites glandes qui le faisaient
souffrir au côté gauche du cou, et d'un peu d'engour-
dissement à la jambe droite.
Philippe II avait suivi de près, à Âlcala, son proto-
médecin ('). Les hommes de Tart ne trouvant à la
blessure de son fils aucun caractère alarmant ni même
grave, il retourna à Madrid.
Mais les médecins espagnols de ce temps-là sem-
blaient être restés étrangers aux progrès que les tra-
vaux et les ouvrages d'André Vésale avaient fait faire
à la science : toute leur conduite, depuis l'origine jus-
qu'à la fin de la maladie occasionnée à don Carlos par
sa chute, dénota leur peu d'expérience et d'habileté (^).
Le 29 avril, la plaie que le prince avait à la tête com-
(*) Lettre de ré\éque de Limoges à Catherine de Médicis , du
25 avril 4562.
(*) » Chi non vede non puô creder la poca prattica dî questi ceni-
« jici, » dit l'ambassadeur de Florence, Nobili, dans une lettre à Côme
de Médicis, du 4«r mai 4562.
Le même ambassadeur, annonçant à son maître, le 8 octobre 4568,
la mort de la reine Elisabeth, accusait formellement ses médecins
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76 DON CAHiLOS ET PHILIPPE II.
mença d'offrir un aspect plus inquiétant. Dans la
nuit, le malade se réveilla avec une fièvre ardente, un
grand mal de télé, et les mêmes douleurs, mais plus
intenses, au cou et à la jambe, qu'il avait éprouvées
les premiers jours. Don Garcia de Tolède manda le
docteur Olivarès. Celui-ci, pour tranquilliser le prince,
lui dit que ce n'était rien, que ce qu'il éprouvait était
seulement un peu d'agitation ; mais don Carlos repar-
tit : « La fièvre, et le onzième jour, dans un mal causé
« par une blessure à la tête, c'est d'un mauvais
ce augure ! » Il ne se trompait pas. Le mal devint si
violent qu'on ne crut pas devoir le laisser dormir jus-
qu'au point du jour (').
Le 30, de grand matin^ don Garcia de Tolède réunit
les médecins et les chirurgiens du palais, au nombre
de six, pour examiner ce qu'il y avait à faire. Tous
furent d'avis que les symptômes qui s'offraient à leurs
espagnols de l'avoir tuée : « Mi pare a proposito che V. E. sappia corne
« li medici espressamente hanno amazzata la reina, avendole dato la
« mattina medesima una medicina , e appiccato infinité coppette per la
« vista, e cavato sangue per li piedi, tan to che si vidde la creatura avère
« abbrucciato tutto il comignolo del capo : cosa certo miserabile. »
L'ambassadeur français Saint-Sulpice, dans ses lettres à Catherine
de Médicis, se plaint fréquemment des médecins espagnols attachés au
service de la reine Elisabeth, et surtout de leur tfiame de saigner. Four-
quevaulx, son successeur, à propos de remèdes qbe Catherine de Médicis
avait envoyés pour les couches de sa fille, dit : u J'entends que ces méde-
« cins espagnols en ont mesprisé la pluspart , comme grosses bestes
« qu'ils sont, n'ayant rien que présomption et arrogance en eux. »
L'ambassadeur d'Angleterre, dans sa lettre du 42 mai, qu'on trouvera à
V Appendice A, accuse également d'impéritie les médecins de don Carlos.
{*) La calentura era tan crecida que convino no le dejar dormir
hasta el amanecer. » (Relation de Daza.)
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CHAPITRE IV. 77
yeux accusaient une lésion au crâne et peut-être
au cerveau ('); ils résolurent, afin de s'en assurer, de
mettre à nu la partie du crâne sur laquelle la blessure
s'étendait : cette opération se fit à l'instant même (^).
Le résultat fut que le crâne était intact : seulement
le péricrâne paraissait avoir été légèrement atteint.
Philippe II donnait audience, ce jour-là, à l'am-
bassadeur de France, l'évêque de Limoges, quand
deux gentilshommes, dépêchés coup sur coup par don
Garcia de Tolède, vinrent lui apprendre le fâcheux
changement qui s'était opéré dans l'état de son fils,
et la détermination à laquelle s'étaient arrêtés les
(^) Voir, dans Y Appendice A, la lettre de Tambassadeur de Venise au
doge, du 46 mai 4562.
Ce diplomate reproche aussi leur ignorance aux médecins espagnols,
et dit que Tétat d'inflammation de don Carlos était produit par les
humeurs vicieuses qu*il y avait en lui.
(*) DansunelettreàCharlesIX, du44 mai 4562, Tévèque de Limoges
donne la forme et la dimension suivante à la partie du crâne qui fut
mise à découvert :
La même forme lui est donnée par Tambassadeur de Venise, mais
avec une dimension moindre, si j'en juge par la copie que M. le cheva-
lier Mutinelli m'a envoyée.
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78 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
médecins. 11 se mit en roule la nuit même pour
Alcala, emmenant avec lui Vésale Q) et un autre mé-
decin de sa chambre, le docteur Mena^ ainsi que ses
deux ministres principaux, le duc d'Albe et le prince
d'Eboli; les autres membres de son conseil, avec les
dignitaires de sa cour, l'y suivirent à quelques heures
d'intervalle Q. A son arrivée, le prince était mieux;
le sang qu'il avait perdu en abondance lui avait
procuré quelque soulagement : Philippe s'empressa
d'expédier un courrier à la reine, pour lui en donner
avis Ç). Mais cette amélioration ne se soutint pas : au
contraire, bientôt la fièvre augmenta, accompagnée de
mal de têle, d'insomnie, de vomissements, de flux de
venlre, d'inflammation du visage, d'ophthalmie, de
paralysie de la jambe droite, et d'une prostration
extrême; la blessure devint livide et infecte; le ma-
lade avait les lèvres pendantes et comme déjà frappées
de mort (^). Le 5 mai, il commença à délirer.
(^) Après avoir été le médecin de Charles V, Vésale était passé, avec
le môme litre, au service de Philippe II.
D'après la lettre de l'ambassadeur de Florence, du i»"- mai 1562, les
médecins espagnols avaient fait en sorte que Vésale ne vint point à
Alcala : « E questi medici spagnoli hanno indugiato sino a ora a volere
a il Vesalio.... •
Il est juste d'ajouter pourtant que, dans sa relation, le licencié Daza
qualifie Vésale, tanlôt de hombre doclissimo , tantôt d'insigne y raro
varon.
(*) Mémoire de l'évéque de Limoges pour Charles IX, du 40 mai 4S62.
— Lettre de l'ambassadeur de Florence, du 44 mai, dans V Appendice A.
(') • Ora, che è di nolte, è venuto un corriero alla regina, che rife-
risce che, poi che hanno aperta la ferita, S. A. se sente meglio.... »
(Lettre de l'ambassadeur de Florence, du 4" mai 4562.)
(*) Lettre de l'ambassadeur de Venise, du 46 mai 1562.
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CHAPITRE IV. 79
A la vue du danger que courait son fiIs^PhilippelI
ordonna que des prières publiques fussent dites jour-
nellement dans toute TEspagne, et qu'on fît, dans cha-
que ville, dans chaque village, des processions où l'on
porterait le saint sacrement, avec les reliques que
les fidèles avaient le plus en vénération (*). Lui-même
il passa des heures entières, les genoux fléchis, à
prier et à demander à Dieu qu'il lui conservât sou
unique enfant (-). Il voulut présider à toutes les con-
sultations des médecins, quoiqu'il y en eût qui ne
durèrent pas moins de quatre heures Ç). Il avait en-
tendu parler d'un vieux chirurgien morisque de
Valence qui, au moyen d'onguents de sa composition,
faisait des cures merveilleuses : il lui envoya l'ordre
de se rendre sur-le-champ à Alcala (*). Dès le 2 mai,
il avait pourvu à ce que le prince se confessât et
reçût la communion (^).
Pendant toute cette crise, le roi prodigua à son fils
W Voy., dans le tome XXVI de la Coleccion de documentos inéditos
para là hisloria de Espaiia, p. 443, sa lettre du 2 mai 4562 aux prieurs
de GuaUalupeet de Notre-Dame del Pilar, et aux abbés deValvaiiera et
de MoDserrate.
(*) Lettre de l'ambassadeur de Venise, du 46 mai. — Relation jointe
à une lettre écrite, le 23 mai 4562, à la duchesse de Parme, par le secré-
taire Courtewille.
P) Il y en eut quatorze auxquelles il assista. Elles se faisaient de cette
manière : le roi se plaçait dans un fauteuil , ayant à sa droite le duc
d*Albe,và sa gauche don Garcia de Tolède, et derrière lui les personnes
de sa cour, les médecins et chirurgiens étaient rangés circulairement
vis-à-vis, sur des sièges. Don Garcia donnait la parole à celui qu'il vou-
lait entendre. (Relation de Daza.)
(*) Lettre de l'ambassadeur de Florence, du 44 mai, déjà ritée. —
Lettre de l'ambassadeur de Venise, du 46 mai.
f) Lettre de l'ambassadeur de Florence, du 44 mai.
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80 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
les soins les plus tendres, les attentions les plus affec-
tueuses. Le comle Annibal d'Emps , neveu du pape
Paul IV Ç)^ qui était présent, disait à l'ambassadeur
de Florence, quelques jours après, que voir le prince
dans son lit , la pâleur de la mort sur le visage, avait
été certes un sujet de grande compassion ^ mais que
voir le roi servir incessamment son fils, les yeux
remplis de larmes^ avait été un spectacle à faire pleu-
rer les pierres (-). Le duc d'Albe aussi fit preuve d'un
rare dévouement à son jeune maître. Depuis le jour
de son arrivée avec le roi, il ne quitta pas la chambre
du prince; il ne se dépouilla de ses vêtements que
pour en changer ; s'il prit quelque repos, ce fut en- se
jetant tout habillé sur un lit , dans les moments où
le prince sommeillait f ). Don Garcia de Tolède n'ap-
porta pas moins de zèle dans l'accomplissement de sa
charge. Luis Quîjada se donna tant de fatigue qu'il
faillit en mourir. Honoralo Juan , quoiqu'il relevât à
peine d^une longue et grave maladie, ne manqua pas
d'assister un seul jour au pansement de son élève et
aux consultations des médecins. Tous les serviteurs,
en un mot, de don Carlos rivalisèrent de diligence et
de sollicitude pour lui. Le pauvre prince, dans un des
intervalles lucides qu'il eut pendant son délire, dit à son
père que, s'il regrettait la mort, c'était surtout parce
(^) Il était venu en Espagne, porteur de la permission accordée au
roi, par le pape, d^employer une partie des biens de TËglise à Teutretien
de cinquante galères pendant cinq ans. (Lettre de Tisnacq à la duchesse
de Parme, du i février 4 564 .)
(*) Lettre de Tambassadeur de Florence, du U mai.
(') Ibid, — Relation de Daza.
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GHAPlThÈ iV. 8(
qu'il ne voyait pas d'enfanl issu de son mariage avec
la reine (*). Un des chirurgiens qui le soignaient , le
licencié Dtonisio Daza Chacon^ a rendu, de sa patience
et de sa douceur pendant sa maladie , un témoignage
que nous devons reproduire : « S. A.— -dit-il — montra
(c beaucoup de respect et d'obéissance à son père;
« toutes les choses que le duc d'Âlbe et don Garcia
« de Tolède lui dirent de faire au nom de S. M», il
<( les fit sans la moindre observation , même dans les
<c moments où la raison l'avait abandonné. Il se prêta
(( de la même manière à ce que sa santé exigeait,
« étant sr soumis aux prescriptions des médecins que,
« à Tétonnement de tous, non-seulement il ne refusait
c( pas les remèdes , quelque désagréables et violents
(c qu'ils fussent, mais encore, quand il était dans son
« bon sens, il les demandait lui-même (^). »
L'Espagne entière s'associa à Taffliction de son roi.
Partout les églises se remplirent de gens qui venaient
demander à Dieu , avec la plus grande ferveur, la
guérison du prince. A Madrid, il y eut des proces-
sions, de jour et de nuit, où une foule de personnes
se donnèrent la discipline, comme il était d'usage de
le faire le jeudi saint. A Tolède, on compta jusqu'à
n Lettre de l'évéque de Limoges à Charles IX, du 44 mai 4562, dans
Y Appendice A.
('j « Mostrô S. A. gran obedieociay respeto â S. M., porque ninguna
cosa de las que el duque de Alba 6 don Garcia de Toledo le decian eu
su nombre, dejo de hacer con gran facilidad, aun en los dias del delirio.
Lo que à su salud cumplia bizo de la misma suerte, siendo tan obe-
diente à los remedios, que k todos espantaba, que por fuertes y recios,
nunca rehusô, àntes, todo el tiempo que estùvo en su acuerdo, él mismo
iospidiô....
6
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8i DON CAHLOS ET PHILIPPE IL
trois mille cinq cents disciplinants (*). Mais ce furent
surtout la reine Elisabeth de Valois et la princesse
dofia Juana qui firent paraître la douleur dont elles
étaient pénétrées : les deux illustres femmes ne se
bornèrent pas à assister aux processions qui eurent
lieu dans la résidence royale; elles passèrent une
nuit tout entière à^ prier et à pleurer devant une
image de la mère du Sauveur consacrée par la piété
des fidèles^ et qu'elles avaient fait apporter solen-
nellement au palais (~). Dona Juana fit plus encore :
elle alla le soir, pieds nus, par un froid inaccoutumé
en Castille, jusqu'au monastère de Nuestra Seiiora
de la Consolacion fondé par elle ('). A la première
nouvelle qu'elle avait eue de l'accident arrivé à son
neveu , elle avait commadé au licencié Daza de l'in-
former, jour par jour, avec ponctualité , de l'état du
prince.
Les Flamands et les Italiens qui habitaient Madrid
mêlèrent leurs prières et leurs vœux à ceux de la
nation : les Flamands s'étaient flattés de l'espoir
d'avoir bientôt don Carlos pour gouverneur ; les Ita-
liens attendaient de lui une amélioration de leur con-
(*) Lettre de Tambassadeur de ï'iorence, du H mai. — Lellre de
l'ambassadeur de Venise, du 46 mai. — Relation jointe à une lettre du
secrétaire Courtewille à la duchesse de Parme, du 23 mai.
(') Lettre de rambassadéur d'Angleterre, du 42 mai 4562, dans VAp-
pendice A. — Lettre de l'ambassadeur de Venise, du 46 mai.
('] Lettre de l'ambassadeur de Florence, du 14 mai.
Dona Juana avait fondé, en 4559, ce couvent, qui était de religieuses
déchaussées, de l'ordre de Saint-François. Voy. d'Avila, Teatro de las
grandezas de Madrid, p. 286.
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CHAPITRE IV. î(3
dîtion politique. Parmi les étrangers qui n'étaient pas
soumis au sceptre de l'Espagne^ les plus désintéressés
appréhendaient que la mort du prince n'occasionnât
de grands changements en Europe (*) ; d'autres,
comme les Portugais^ s'en réjouissaient ouvertement :
don Carlos étant l'héritier présomptif de la couronne
de Portugal, ils se voyaient menacés de tomber sous
le joug des Castillans, « qu'ils aimaient aussi peu que
« les Turcs. » Les Français, avec plus de discrétion,
considéraient que la mort de don Carlos ouvrirait le
chemin du trône aux enfants que le roi aurait d'Eli-
sabeth. Les partisans de la branche allemande de la
maison d'Autriche, de leur côté, voyaient déjà les
princes de Bohême appelés à recueillir l'héritage de
la branche espagnole (').
Neuf médecins et chirurgiens (^) étaient réunis au-
tour du lit de don Carlos ; ils avaient épuisé les res-
sources de leur art; tous leurs efforts étaient restés
vains. Dans la soirée du 8 mai, l'état du malade
s'aggrava à un tel point que, selon leur jugement
unanime, il n'avait plus que trois ou quatre heures à
vivre. Les ministres du roi lui conseillèrent de s'éloi-
(^) Lettre de rambassadeur de FloreDce, du U mai.
(*) Lettre de Tévéque de Limoges à Charles IX, du 41 mai 1562.
(') C'était, seloD la relation de Daza, les docteurs Gutierrez, Vega,
Oliyarès, Vésale, Mena, Portuguès, Pedro de Torrès, le bachelier
Torrès et le licencié Daza.
Le secrétaire Courtewille, dans sa relation du 23 mai, dit qui] y
en avait onze : « Il fut comme abandonné des médecins, qui estiont
q en nombre de unze, et n'y eut nul d'eulx à qui il sembla qu'il poeuSt
« vivre plus de m ou un heures. •
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84 DON CARLOS ET PHILIPPE ÎI.
gner, pour tfèlre pas témoin d'un spectacle qui lui
aurait déchiré le cœur : Philippe partit au milieu de
la nuit, par une obscurité et une tempête affreuse,
en proie à une douleur inexprimable, et souffrant
lui-même de la fièvre, résultat des peines d'esprit et
de corps qu'il venait d endurer. Le duc d'Albe et le
comte de Feria restèrent à Alcala : le roi leur laissa
ses instructions sur la manière dont il désirait que se
fissent les obsèques de son fils. La mort de don Carlos
paraissait si imminente que plusieurs des personnes
de sa maison firent provision de drap pour leur€ vête-
ments de deuil (*).
Les médecins étaient divisés d'opinion sur le carac-
tère de la blessure et de la maladie du prince ; Vésale,
le docteur Portuguès et le bachelier Torrès, chirurgien
renommé qu'on avait appelé de Valladolid, soute-
naient que les symptômes qui faisaient désespérer de
sa vie étaient causés par une lésion interne. Après de
longs débats, il fut décidé qu'on le trépanerait. Cette
opération se fit le 9 mai, dans la matinée. Le docteur
Portuguès la commença, et, sur l'ordre du duc d'Albe,
le licencié Daza la poursuivit. Le crâne fut trouvé
blanc et solide; seulement, quelques gouttes de sang
très-coloré en sortirent.
On conservait, au couvent de Saint-François dit
de Jésus et de Marie, à Alcala, le corps d'un religieux
de ce couvent, du nom de fray Diego, mort une cen-
taine d'années auparavant en odeur de sainteté. Le
(•) Lettre de l'ambassadeur de Venise, du 16 mai.
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CHAPITRE IV. 85
duc d'Albe (*), dans l'après-midi du même jour, le fit
tirer du cercueil où il était^ renfermé , et apporter
processionnellement en la chambre de don Carlos. Le
malade le toucha f ) : quelques instants après, il res-
sentit du soulagement; la respiration lui revint. Le
soir, on le saigna à la veine nasale; on lui appliqua des
ventouses; il s'endormit ensuite d'un sommeil paisible*
et qui se prolongea pendant six heures. Selon ce qu'il
conta depuis, fray Diego lui apparut la nuit, habillé
en franciscain, tenant à la main une croix de roseau
entourée d'un ruban vert, et lui dit qu'il ne mourrait
pas cette fois f ). Le duc d'Albe s'empressa d'informer
(*) « Yero esempio di amorevolezza e di fede, » dit l'ambassadeur de
Florence.
(') C*est Texpression dont se sert don Carlos lui-même dans son tes-
tament dont nous parlons au chapitre YI : l'ambassadeur de Florence
dit qu'il le baisa.
Dans sa relation, Dionisio Daza donne à entendre que le prince ne
put ni sentir ni voir ce qu'on lui fit faire : « Metiéronle { el cuerpo
« de fray Diego) en el aposento del principe, y llegâronsele lo mas
• que fué posible, aunque aquel dia estaba tan fuera de si S. A. y los
« ojos estaban tan apostemados, que dara muy poca razon de lo que
« acaeciô. »
(^) Dans la relation attribuée au docteur Olivarès, il y a ici un passage
que ne contient pas celle de Daza, probablement parce qu'il jugea à
propos de Ten retrancher, lorsqu'il publia sa Pràctica y teàrica de
cirurgia; nous croyons devoir en donner la traduction : « Le vulgaire
« a pris oc<;asion de cette apparition de fray Diego, pour s'imaginer
« que le rétablissement du prince fut l'effet d'un miracle. Certes, cela
« eût pu être, puisqu'il était aussi facile au bienheureux Diego de sup-
« plier Dieu de rendre la santé au prince, que de lui apparaître et de le
• consoler, comme il le fit selon le témoignage de S. A. Néanmoins, à
« mon avis,. il n'y eut pas de miracle, dans l'acception propre du mot :
« car le prince fut guéri par les remèdes naturels et ordinaires dont on
« use pour toutes personnes atteintes de la même maladie, môme en des
cas plus graves. Je crois bien et je tiens même pour certain que noua
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86 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
le roi du symptôme favorable qui venait de se mani-
fester dans l'état de son fils.
La journée du 10 se passa sans ehatigement. Le
Pinterete, ce Morisque de Valence que le roi avait fait
venir, était à Alcala depuis la veille. Avant son arri-
vée, il y avait eu de vives discussions entre les méde-
♦cins sur la question de savoir si l'on ferait usage de ses
onguents. La plupart étaient contraires à ce qu'on les
etnployàt, disant qu'on en ignorait la composition, et
qu'il ne convenait point que , dans un cas d'une telle
gravité, et lorsqu'il s'agissait d'un si grand prince, on
appliquât des remèdes, sans connaître les ingrédients
qui y entraient : ils ajoutaient qu'il répugnait à la
raison de se servir toujours des mêmes médicaments,
quelque divers que fussent les âges, les temps et les
complexions. Cependant, voyant la confiance que bien
des personnes avaient en ces onguents, l'opinion
générale du public , qui leur reprochait de n'y pas
• fumes aidés de la faveur particulière de Dieu, principalement par
» l'intercession de la très-sacrée Vierge, sa mère, par les oraisons,
« prières, processions, disciplines, jeûnes qui seflrent pourS. A. dans
•• toute l'Espagne, et môme au dehors, par Tintercession de beaucoup de
« justes qu'il y avait entre un si grand nombre de gens, etde plus, comme
« Ja piété autorise à le croire, par les mérites du bienheureux fray
« Diego, à qui S. A. avait depuis longtemps une dévotion particulière.
« Mais, comme il est dit, ce fut selon Tordre naturel des choses, puisque
« le prince se rétablit par les remèdes qu'on lui donna, et l'on appelle
« proprement des miracles les choses qui excèdent toutes les forces
u naturelles, etc. »>
Il est à remarquer que, dans son testament, don Carlos garde lo
silence sur l'apparition de fray Diego, et que la relation officielle envoyée
par le roi à ses ambassadeurs ne dit mot de cette apparition, non plus
que du transport du corps de fray Diego au palais.
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CHAPITRE IV. 87
recourir^ et celle de quelques-uns des hommes de
Tari présents, qui en avaient expérimenté la vertu,
ils avaient fini par céder.
Les onguents du Pinterete étaient au nombre de
deux, l'un blanc et l'autre noir : le premier avait un
effet répercussif ; le second était caustique, et il fallait
le modérer par le blanc ('). On les avait appliqués déjà
le 8 et le 9, selon l'instruction dont le Morisque en avait
accompagné l'envoi. Le 10, il assista à leur applica-
tion. Le lendemain, il y procéda lui-même (-). Le 42,
ce fut le docteur Portuguès qui se chargea de ce soin.
Soit prévention, soit qu'en effet le résultat ne fût pas
satisfaisant, les médecins trouvèrent que la blessure du
prince allait de mal en pis, tandis que tous les phéno-
mènes morbides dont elle s'était compliquée perdaient
successivement de leur gravité ; ils ^'effrayèrent aussi,
en voyant le crâne du malade devenir noir comme de
l'encre. Ils en conclurent que les topiques du Morisque
ne valaient rien ; ils le firent congédier, lui et ses on-
guents (^), et ils appliquèrent un emplâtre de bétoine
(^) « .... Uno blanco, que se tiene por repercusivo; oCro negro, el
cual es calieDte, que es necesario templarle cou el blanco.... » [Relatioa
de Diooisio Daza.)
(') Dans sa lettre du U mai, Pambassadeur de Floreuce doune les
détails suivants : « Le Morisque mit la plaie à nu, l'ouvrit, y plongea le
« nez qu'il y laissa pendant deux secondes, et. Payant retiré, demanda
• au prince si le front lui faisait mal. Don Carlos répondit que non.
• Alors il rassura que bientôt, avec Taide de Dieu, il le reudrait à la
• santé, et il lui enduisit le crâne de son onguent.... «
(') « Todos cstos dias, con haber mejorado S. A. de todos los acci-
dentes, la herida iba de mal en peor, porque el ungOento negro la que-
m6 de manera que puso el casco tan negro como una tinta; entendiôse
que pues la virlud iba mejorando y la calentura disminuyéndose, que la
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88 DON CARLOS ET PHILIPPE If.
sur la plaie, après y avoir mis de la charpie sècbe et
en avoir oint les bords avec du beurre iavé dans de
l'eau de rose.
Philippe' II ne comptait plus revoir son Gis; il
s'attendait, de moment en moment, à recevoir la nou-
velle de sa mort : aussi , aux premiers avis qui lui
furent donnés de l'amélioration inespérée survenue
dans l'état du prince, il craignit que, comme la pre-
mière fois, elle ne fût qu'apparente. Dés dépêches;
postérieures l'ayant rassuré tout à fait, îl quitta,
le 13, le monastt*re de Sainl-Jérôrae où il s'était re-
tiré, pour aller passer quelques heures avec la reine,
au palais de Madrid , et le lendemain il revint à
Alcala Ç).
Tout danger pour la vie de don Carlos avait cessé ;
mais la fièvre persistait, et là paupière inférieure de
l'œil gauche était toujours très-enflée. Le 16, l'inflam-
mation se cpmmuniqua à la paupière de l'œîl droit.
Les médecins espagnols essayèrent de la combattre par
des remèdes ; ils ne firent qu'empirer le mal. Vésale
conseilla de pratiquer une ouverture au-dessous des
falta estaba en los ungaenlos. Acordamos dar coo les uogâeDtos y co^
el Morillo al lra>és. « (Relation de Daza.)
Daza ajoute : a Et il alla à Madrid traiter Hernando de Vega, qu*il
« envoya dans l'autre monde avec ses onguents » (Y él se fué à Madrid a
curar à Hernando de Vega, al eual con sus ungâentos euvio al cielo).
La lettre de Tambassadeur de Florence, du H mai, et celle de Tarn-
bassadeur de Venise, du 46 mai, semblent, au contraire, attribuera
l'application des onguents du Pinterete ramélioration qui survint dans
l'état de don Carlos.
(') Lettre de Fambassadeur de Venise, du 46 mai. — D'après la rela-
tion de Daza, ce fut le 13 que le roi revint à AlcaJa..
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CHAPITRE IV. 89
paupières. aQii de donner issue aux humeurs qui s'y
étaient amassées : on ne l'écouta pas d'abord ; mais,
comme il insista, les autres médecins cédèrent. Le
résultat justifia la sagesse et l'opportunité de ce con-
seil : une matière abpndante étant sortie par l'ouver-
ture que fit un coup de lancette, le malade fut sou-
lagé instantanément. Dès lors, l'inflammation disparut
peu à peu, et don Carlos recouvra la vue. Le 20 mai,
il eut le bonheur de se voir délivré de la fièvre (*)•
Philippe II repartît pour Madrid le lendemain, lais-
sant l'ordre à don Garcia de Tolède de lui faire par-
venir des nouvelles de son fils deux fois par jour (*).
Il assista, le 24, avec le nonce et tous les ambassa-
deurs, à une procession solennelle qui eut lieu pour
la convalescence du prince (^).
Il restait à guérir la plaie que don Carlos avait à
(*) Le garde des sceaux Tisnacq écmait, le 2^ mai, à la duchesse de
Parme : • S. A. s*en va amendant, de jour à aultre, de plus eu plus ; et
« y a deux jours et demy que les médecins dient qu*il ay t esté sans quel-
« que fiebvre, du moins que Ton ne s*appercevoit d'aucune. L'on luy a,
a depuis le dernier dépesche (du 47 mai), faict quelque ouverture des-
« soubz les parp^res des deux yeulx, comme Ton estimoit qu'il y avoit
« quelque matière qui eust peu aultrement donner quelque mal, mes-
« mes quelques fistules, et , après Touverture, ladicte matière en est
« sortie : ce qu'a esté faict par le conseil du docteur Vezalius, qui avoit
« esté de ceste opinion avec quelque suite, ores que les aultres avoient
« tenu le contraire, assavoir : que le pourquoy n'y estoit.... »
La relation de Daza ne parle pas du conseil donné par Vésale.
(*) « Ledict seigneur prince s'est porté, de jour à aultre, de bien en
mieulx, de manière que S. M., le tenant entièrement hors de danger,
s'est retournée en ce lieu dès avant-hier soir. • (Lettre du secrétaire
Courtewille à la duchesse de Parme, du 23 mai 4562.)
(') Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, du 25 mai 4562. •—
Lettre de Saint-Sulpice à Charles IX, du 4 «juin.
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90 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
la lête, et il fallait y procéder avec d'autant plus
de précaution , que le crâne avait été lésé par le
trépan. Le 2 juin, le docteur Portuguès, le sondant
avec un petit crochet {garabatillo)^ en enleva l'os, qui
sortît sous la forme d'un cœur (*). A partir de ce
moment, les médecins firent usage d'un emplâtre
composé de cire et de céruse (emplasto geminis) ; ils
pansèrent la plaie deux fois par jour : ils parvinrent
ainsi à la cicatriser peu à peu. L'érésipèle qu'avait eu
le prince lui avait laissé, en plusieurs endroits de la
tète, des croûtes qui lui causaient de la démangeai-
son ; on la calma au moyen de graisse de porc cuite
dans du vin blanc. On lui rasa aussi la tête, pour la
nettoyer mieux.
Le 14 juin, don Carlos se leva pour la première
fois ; il entendit la messe et reçut le saint sacrement.
Le roi, qui avait passé à Alcala les deux derniers
jours de mai, y vint encore le 16 juin, pour s'assurer,
par ses yeux, de l'entier rétablissement de son fils :
sa joie fut grande lorsqu'il vil, le matin, le prince
entrer dans sa chambre, et il l'embrassa avec effu-
sion. Le 29, fête de Saint-Pierre, don Carlos assista
aux offices du couvent de Jésus et de Marie, où on
lui montra le corps du bienheureux fray Diego, qui
n'avait pas été réintégré dans son cercueil depuis qu'on
l'avait porté au palais. A partir de cette époque, il
(*j Relation de Daza. — « L'on a naguaires osté à S. A. Tos qui avoit
• esté découvert par la seconde incision, qui est grand. S. M. partit
« d'icy samedi 30 mai, pour aller reveoîr son filz, et s'est de là retiré en
« Aranjuez. « (Lettre deTisnacqà la duchessede Parme, du 8 juin 1562.)
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CHAPITRE IV. 9f
sortit presque toutes les après-midis, pour prendre
l'air de la campagne. Son précepteur, Honorato Juan,
avait fixé le 5 juillet et choisi l'église de Saint-Ber-
nard pour sa première messe (') : il voulut y être pré-
sent. 11 se pesa, afin d'accomplir le vœu qu'il axait
fait, au plus fort de sa maladie, d'offrir, en cas de gué-
rison, quatre fois son poids en or et sept fois son poids
en argcntà plusieurs maisons religieuses Q. Le 17 juil-
let, sa plaie étant entièrement cicatrisée, quoiqu'on y
appliquât encore des cataplasmes destinés à fortifier
la peau, il quitta Alcala,pour aller rejoindre la famille
royale à Madrid (^).
Les habitants de la capitale firent éclater leur allé-
gresse, en revoyant lejprince qu'ils avaient été si près
de perdre. Le peuple aimait don Carlos; les grands
l'estimaient (*) : c'était sur lui que reposaient l'avenir
de la dynastie et les destinées futures de l'Espagne. La
plupart des princes chrétiens envoyèrent des ambas-
(') Voy. p. 43.
(') Il constata que son poids était de trois arrobes et une livre. L'arrobe
fait vingt-cinq livres de seize once?. Il pesait donc soixante-seize livres.
(*) • Monseigneur nostre prince vint hier soir b en tard en céste ville,
et se porte fort bien ; et est la playe guarie, ores que Ton use encoires
d'emplastre pour renforcer la chair.... • (Lettre deTisnacq à la duchesse
de Parme, du 49 juillet 4562.)
Don Carlos avait couché le 47 à Barajas.
(*) • È uni versa Imente amata da' populi et stimata da' grandi, » disent,
dans leur relation au sénat, les ambassadeurs vénitiens Andréa Badoaro
et Augustino Barbarigo, qui avaient été envoyés à Madrid, en 4561 , afin
de complimenter Philippe II sur son mariage.
Celte relation, qui existe aux archives de Venise et de Turin, est datée
du 27 août I5G8 ; mais celte date est celle de sa remise à la chancellerie
durale.
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92 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
sadeurs au roi catholique^ pour le féliciter sur le
rétablissement de son fils ('). L'empereur Ferdinand
écrivit à don Carlos, lui disant la peine que lui avait
causée sa maladie, et le plaisir qu'il éprouvait de son
retour à la santé. L'ambassadeur de ce monarque l'alla
visiter de sa part (').
Don Carlos, qui attribuait sa guérison à l'interces-
sion de fray Diego, pria instamment son père de de-
mander au pape la canonisation de ce saint religieux.
Philippe II en écrivit à Rome. Le souverain pontife fit
un accueil favorable au vœu qui lui était exprimé ;
mais, à cause des informations indispensables en pa-
reil cas, TafiFaire souffrît quelque délai, et don Carlos
n'eut pas la satisfaction de la voir terminée de son
vivant f ).
(*) Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, du ^2 aoûH562.
{*) Nous donnons, dans l'Appendice A, la réponse que don Carlos fit
à Tempereur.
(*) « Y en el tiempo que se escrive esta hisloria , por la devocion
grande del rey calolico, el sumo pontifice, a su instancia, ha puestofray
Diego en el numéro de los santos. » (Herrera, Hisloria gênerai del
mundo, etc. ^ 1. 1, p. U3.)
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CnAMTRE.V. 93
CHAI^ITRE V.
Philippe ÎI, dès son retour en Espagne , se propose de convoquer les
coptès d'Aragon, de Valence et de Catalogne. — Circonstances qui y
mettent obstacle pendant plusieurs années. — Il fait en6n expédier
les lettres de convocation. — Une nouvelle maladie survenue à do»
Carlos Tempéche de remmener avec lui. — 11 part de Madrid et arrive
à Monzon. — Ouverture des certes ; demandes qu'il leur fait. —
Remontrances des certes. — Paroles de Philippe à l'ambassadeur de
France sur la constitution des peuples d*Aragon. — Il donne satis-
faction aux certes sur plusieurs points de leurs remontrances, mais
il élude ceiles-ci en ce qui concerne Tinquisition. ~ Grands débats
qui en résultent. — Amélioration dans 1 état de don Carlos , suivie
d'une rechute. — Le roi demande que les certes reconnaissent son
fils pour héritier de la monarchie, par procuration. — Presse qu'il
donne à leurs travaux; sollicitations personnelles qu'il leur fait. —
Mauvaises dispositions qu'il trouve chez les Aragonais et les Catalans.
— Il se met cependant d'accord avec les premiers et avec les Valen-
ciens, mais il ne peut obtenir d'eux qu'ils reconnaissent le prince,
et ils ne lui accordent qu'un faible subside. — 11 quitte Monzon pour
se rendre à Barcelone. — Fêtes qui lui sont données dans cette capi-
t-ale. — Auto-da-fé. — Opposition qu'il éprouve de la part des certes
de Catalogne, malgré les concessions qu'il leur fait. — Manière cava-
lière dont il les licencie. — Arrivée à Barcelone des archiducs
Rodolphe et Ernest. — Comment les nécessités de la politique et leur
intérêt commun avaient rapproché les deux branche^ de la maison
d'Autriche , après le refroidissement qu'il y avait eu entre elles à
la diète d'Augsbourg, et nonobstant l'antipathie réciproque de Phi-
lippe et de Maximilien , et comment le roi de Bohême s'était déter-
miné à envoyer le premier et le second de ses fils en Espagne. —
Accueil affectueux que Philippe fait à ses neveux. — Honneurs
qu'il veut qu'on leur rende. — Il entre avec eux à Valence. —
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94 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
Fêtes qui ont lieu à cette occasion. — Philippe reprend le chemin
de la Castille.
Philippe II, à son retour en Espagne, s'était pro-
posé de convoquer les cortès d'Aragon, de Valence et
de Catalogne, afin de leur présenter le prince, son fils,
et de le faire reconnaître par elles pour héritier de la
couronne d'Aragon, aussitôt après que les cortès de
Castille lui auraient prêté serment, en qualité de prince
des Asturies ('). Les représentants de ces trois royau-
mes f) n'avaient pas été réunis depuis l'année i5S2,
quoique, d'après leurs fueros^. ils le dussent être tous
les cinq ans au plus tard (^) ; ils s'en plaignaient avec
vivacité. Lors de l'abdication de Charles-Quint, ce
n'avait pas été sans résistance que les Aragonais
avaient consenti à admettre le nom et l'autorité du
nouveau roi ^ leur opposition se fondait sur ce que,
.(*) C'est ce qui résulte des dépèches de Sébastien de TÂubespine,
évèque de Limoges, publiées dans les Négociations, lettres, etc., du règne
de François 11, par M. Louis Paris, ainsi que des lettres du garde des
sceaux Tisnacq et du secrétaire Courtewille.
(*) « Li regni di Aragpna, di Valenza e di Catalogua, sebbene queslo
anzi ha titolo di contado o principato, » dit Francesco Soranzo dans la
i-elation de son ambassade en Espagne pendant les années 4597 à 4602.
{Relazionidegli Stati europei lette al senato dagli ambasciatgri veneziani
nelsecolo XV W, publiées par MM. Barozzi et Bbrchet, Venise, i856,
t. I,p.44.)
(') « .... Ogni vol ta che il re vi va a tenere le cortès, che dovrebbe
esserealpiii tardiognicinque anni.... » (Relation de Girolamo Soranzo,
sur son ambassade en Espagne, dans les années 4608-4611, ibid.)
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CHAPITRE V. 9o
aux corlès deMonzon, en 1542, Philippe avait bien
élé reconnu pour successeur à la couronne d'Aragon,
mais seulement ce après la mort » de la reine dona
Jiiana, son aïeule, et du roi Charles, son père (').
La fièvre prolongée de don Carlos et la maladie qui
fut la suite de sa chute à Alcala, ne permirent au roi
de réaliser ses intentions, ni en 1S60, ni les deux
années suivantes (-). Quand son fils fut rétabli, il se
vit arrêté par d'autres obstacles. Ce monarque, dont la
puissance et les richesses faisaient l'admiration et l'en-
vie de l'Europe, était dans des embarras d'argent con-
tinuels. Non-seulement ses revenus étaient engagés
jusqu'à concurrence de près de vingt millions de
ducats, mais encore il devait aux marchands d'Espa-
gne, de Flandre et d'Allemagne sept millions de ducats
empruntés à de gros intérêts ; la solde de ses troupes
de terre et de mer était arriérée de plus de deux mil-
lions Q; depuis son départ des Pays-Bas, sa maison
n'avait pas été payée (*) : en un mot, selon sa propre
(*) Historias ecdesiàsticas y seculares de Aragon, por Vincencio
Blasco oe Lanuza, 4632, in-fol., 1. 1, p. 378 ; t. H, p. 3.
(*) PhiJippe écmait à Granvelle, le 47 janvier 4564 : « El principe
• va mejorando, aunque todavia le tiene su cuartana. Por una de las
• cosas quedeseo que se le quite, es por llevarle â jufar à Aragon.... « ;
et le 6 octobre suivant : « Yo voy previniendo todo lo necesario para la
« yda à Monçon al verano, aunque en la indispusiciou del principe no
• hay roejoria, que viene mal à propôsito, etc. » {Papiers d'État du car-
dinal de GranveUe, t. VI, pp. 268et 375.)
(') Voy., dans les Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. VI,
pp. 456 et suiv., le tableau de sa situation financière envoyée par Phi-
lippe n au cardinal, le 7 septembre 4560.
(*) Lettre de Philippe H à Granvelle, du 43 juin 4S63, dans les
Papiers d'État, etc., t. VIF, p. 83.
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90 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
qxprcssion, il se trouvait sans un s^ul réal pour faire
le voyage (*); et se montrer à ses peuples d'Aragon,
de Catalogne, de Valence, en prince nécessiteux,
c'était compromettre sa dignité et donner matière à
des discours qui porteraient atteinte à sa réputation Q).
Sa présence dans cette partie de ses Etats était pour-
tant indispensable : indépendamment de la réception
du prince, il avait à y régler, de concert avec les cor-
tès, des questions importantes pour la bonne adminis-
tration du pays; il fallait aussi obtenir d'elles des
subsides qu'elles n'avaient pas votés depuis onze ans.
Il résolut donc de passer par tout, plutôt que de diffé-
rer davantage leur convocation (^).
11 tenait en ce moment, à Madrid, les cortès de
Caslille, qu'il avait ouvertes en personne, le 25 fé-^,
vrier 1563 (*). Il s'était flatté que cette session ne
serait pas de longue durée : mais il ne se contenta
point de l'aide ordinaire de douze cent mille ducats,
payable en trois années, qui lui fut accordée par les
procur adores; il voulut qu'ils lui fournissent un
secours extraordinaire Q, et celte demande rencon-
tra beaucoup de difficultés. Elles n'étaient pas levées
(') « .... La mayor dificultad que eo esto ay, es no tener un real coq
que ir.... » {Papiers d'État, etc., t. VII, p. 83.)
n « .... Allï no se sufre estar sin dinero y pasando las vergûenzas
que aqui se pasan «ada dia, aunque yo estoy determinado, quando no
tenga otro remedio, de irme solo ô como pudiere, aunque no dexarà de
ser de poca reputacion, y dar que decir en todas partes.... » {Ibid.)
p) « .... Yo pasaré por todo y iré.... » (Ibid.)
(*) Lettre de Tisnacq à Viglius, du 22, et P. -S. du 26 février. —
Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, du 27 mars.
p) Lettre de Philippe à Granvelle, du 4 3 juin 4563, citée plus haut.
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CHAPITRE V. 97
encore, lorsque, dans les premiers jours de juillet, il fil
expédier les lettres de convocation des cortès d'Ara-
gon, de Catalogne et de Valence (').
Son départ et celui du prince pour TAragon étaient
fixés au 16 aoûtf). Quelques jours auparavant, don
Carlos eut un nouveF accès de fièvre, qui d'abord ne
donna pas d'inquiétude, et se dissipa même assez
promptementQ ; mais, quand on croyait le mal passé,
et que le prince faisait ses préparatifs de voyage, la
fièvre lui revint avec violence (*).
D'après les dispositions qu'il avait prises, Philippe
ne pouvait pas attendre que son fils fût guéri, pour se
mettre en route. Il quitta Madrid le 18 août Q). Il
s'arrêta à l'Escurial, où, le jour de Saint*Bernard
(20 août), il posa la première pierre f) du monastère
qu'il avait résolu d'y ériger, en mémoire de la victoire
de Saint-Quentin, et auquel, par ce motif, il donna le
(1) Lettre de Saiot-Sulpice à Charles IX, du 8 juillet 4563.
(*) « Nous nous préparons au voyage de Monçon, estant le parlement
pièça déclaré pour le xyi« de ce mois. » (Lettre de Tisnacq à Viglius,
du 9 août 4 563.)
P) « Monseigneur nostre prince tumba, ces jours passez, en une fieb-
vre assez forte et longue pour le premier accès; depuis tourna en
tierce : mais présentement il en est quicte.... » (Lettre de Tisnacq à la
duchesse de Parme, du 45 août 4563.)
(*) « Monseigneur nostre prince, ores que S. A. avoit esté quelques
jours sans fiebvre, est rtftumbé en Texcès avant-hier, Payant heu assez
forte pour icelle fois. L*on avoit résolu qu'il partiroit aultrement pour
le XXVI. » (Lettre du même à la môme, du 24 août 4563.)
(^) Lettre de Courtewille à la duchesse de Parme, du 49 août 4563. —
Lettre de Tisnacq à Viglius, du 24 août.
(•) SiGÛENZA, Historia de la ôt-dende San Gerônimo, part. III, liv. lïl,
p. 546.
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98 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Dom de Saint-Laurcnt-le-Royal. De rEscurial il alla
au Bois de Ségovie, où il passa aussi quelques jours.
Il eonlinua ensuile son chemin par YalladoIidetSara-
gosse.
C'était à Monzon qu'avaient été convoquées les cor-
tes. Monzon était une très*petite ville d'Aragon, « un
(c trou, » comnîe l'appelait le secrétaire d'État flamand
de Courtewille Q); mais un antique usage voulait
qu'elle fût choisie pour la réunion générale des repré-
sentants des trois royaumes qui dépendaient de la
couronne d'Aragon. Philippe y arriva le 12 septem-
bre ; le jour suivant, il fit l'ouverture des cortès. Dans
le discours qu'il leur adressa, il s'excusa, sur son ma-
riage d'Angleterre, sur la guerre des Pays-Bas, sur
la maladie du prince et sa chute, de ce qu'il avait été
onze ans sans les réunir, et il leur promit de le faire,
dorénavant, aux époques accoutumées; il les pria
ensuite d'expédier, avec toute la célérité possible, les
affaires dont elles auraient à s'occuper, afin qu'il pût
retourner en ses autres pays, où sa présence était
nécessaire. Quatre jours après, se fit la proposition
sur laquelle les cortès étaient appelées à délibérer :
elle avait pour principal objet les subsides ; le roi se
promettait de la fidélité et dû dévouement de ses peu-
ples d'Aragon qu'ils auraient égard aux besoins pres-
(*) « Nous sommes enfin arrivez en ce trou de Monchon, qu'est une
petite ville bien mal plaisante, et où nous sommes bien estroitement. •
{Lettre de Courtewille à Viglius, du 4 7 octobre i 563.)
Monzon dépend aujourd'hui de la province de Huesca et de Tévèché de
Lerida. Selon le Dictionnaire géographique de M. Madoz, elle compte
486 maisons, 420 chefs de famille et 2,597 habitants.
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Gdogle
CHAPITRE V. 99
sants de l'État. II était de règle que les corlès siégeas-
sent journellement, de neuf à onze heures du matin,
et de trois à cinq de l'après-midi : il demanda que,
pour accélérer leurs travaux, elles y employassent
deux heures de plus chaque jour, en entrant en séance
le matin à huit heures, et l'après-dîner à deux Q).
La vérification des pouvoirs des députés et les autres
formalités préliminaires qu'exigeait la tenue des cor-
tès ne durèrent pas moins d'un mois f ). Ces opéra-
tions terminées, l'assemblée entama l'examen des pro-
positions royales. Avant d'en délibérer, elle décida
que trois choses seraient réclamées du souverain : la
première, qu'à l'avenir il choisit, aussi bien dans les
pays de la couronne d'Aragon que dans les autres pro-
vinces de la monarchie, les officiers de sa maison (^); la
seconde, que les gouvernements et offices principaux
de ces pays, ainsi que des royaumes qui leur étaient
adjoints (les Deux-Siciles, la Sardaigne, Majorque et
(*) Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, écrite de Bal-
bastro, le 44 octobre 4563. — Lettres de Tisnacq à la duchesse de
Parme et à Vighus, écrites d'Almunia, près de Monzon, le 45 octobre.
(") Lettres de Tisnacq, du 45 octobre, déjà citées.
(') Un des principaux griefs des Aragonais était la préférence exclu-
sive que Philippe II donnait aux Castillans pour les charges de sa cour.
Federico Badoaro, dans sa relation de 4557 au sénat de Venise, disait :
« Ê il re da' Casligliani amato, per esser nato et nutrito tra loro, et per-
« chè cuasi tutta la sua corte è piena di signori, cavaglieri et altra gente
« diquel regno.... Ma ipopoli dei regni d'Aragona, per non ricevere
« de' simili gradi et beueficii , non li portano amore, anzi qualche
« pocod'odio, stimando Taccrescimento dell'honori de' Cfcstigliani un
« diminuimento del loro proprio, regnando odio mortale tra di loro.... »
{Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe 11,
p. 67.) .
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400 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Minorque), fussent réservés pour les naturels de ces
pays et royaumes; la troisième, qifil fut pourvu aux
empiétements de l'inquisition, laquelle citait devant
son tribunal, en une foule de cas qui étaient étrangers
à la foi, des citoyens appartenants à tous les ordres de
l'État Q). Ils firent aussi entendre des plaintes sur la
conduite arbitraire et la mauvaise administration de
don Garcia de Tolède, vice-roi de Catalogne (^).
Quelques jours après son arrivée à Monzon, Phi-
lippe II, donnant audience à l'ambassadeur de France,
le S"" de Saint-Sulpice, l'avait entretenu de la consti-
tution des peuples d'Aragon, et il lui avait dit à ce
sujet des paroles assez notables pour que l'ambassa-
(') Le 47 novembre 4563, Tisnacq écrivait à VigHus : « L'on dispute
a fort de l'extension dont use l'inquisition en Texercicede sajurisdic-
« tion, attirant ungchascun, tant nobles qu'aultres, devant icelle, mes-
« mes en toutes actions passives, soubz prétexte de pluisieurs offenses
a et cas que entreviennent entre les susdicts et les familiers d*icelle
« inquisition, ne concernant toutesfois le faict de la religion : ce que a
« fort retardé le progrès. Ne sçay si l'on s'en sçaura facillement démes-
« 1er, selon que les membres desdictes corlès ou estatz (à ce que entens)
• insistent.... »
Les Âragonais, dans leur pétition relative à l'inquisition, s'exprimaient
ainsi : « Y porque los inquisidores en muchas cosas y négocies han
« puesto la mano f uera de los dicbos casos (de heregia) y de lo que^ en
« virlud de la comision apostôlica, deben conocer, con mucho dano y
« agravio de los regnicolas deste reino, verdaderos cristianos y fidelisi-
a mos vasallos de V. M. ; y como a V. M. toque amparar sus vasallos,
« para que no se les haga agravio por jueces algunos, los cuatro brazos
« del reino de Aragon humildemente suplican â V. M. sea servido pro-
« veer en esto de suerte que semejantes agravios ni otros algunos se
« hagan à i«B de este reino por los inquisidores que boy son, ni los que
« de aqui adelante fueren. » (Lafcente, Historia gênerai de Espana,
t. XIII, p. 427.)
(*) Lettre de Saint-Sulpice, du 4 1 octobre, déjà citée.
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CHAPITRE V. m
deur crût devoir les Iransmeûre à sa cour : « Il me
« conta — écrivait Saint-Sulpice — il me conta, des
c< trois royaulmes d'Aragon, Yallance et Cathalogne,
« aulcunes loix et coustumes fort amples pour la
c< liberté et privillége des subjectz, et assez esXroicles
cf et qui limitent beaucoup la puissance du roy, bien
« qu'il estimoit, quand elles seroient regardées de plus
» près, qu'elles luy donnoient plus de liberté qu'on
ce ne disoit; toutesfois que, luy rendantz ceulx
<€ desdicts pays toute fidellité et obéissance, il ne leur
« vouloit rien innover (*). » Cette déclaration de Phi-
lippe II était-elle bien sincère ? Il est permis d'en dou-
ter, quand on considère la suite des actes de son
règne (^). Quoi qu'il en soit, il donna quelque salis-
faction aux cortès sur les deux premiers points de
leurs remontrances^ il fit aussi annoncer, par cri
public, qu'il était prêt à entendre ceux qui auraient
à articuler des griefs contre le vice-roi de Catalogne,
et qu'il leur ferait justice (*). Mais, quant au point qui
tenait le plus à cœur aux Aragonais, celui de l'inqui-
sition, il éluda leur requête, car il songeait plutôt à
n Lettre de Sain t-Sulpice à Charles IX, du 44 octobre 4563.
(*) Il n'avait pas toujours été, du moins, dans les dispositions qu'il
manifestait à Saint-Sulpice. Le prédécesseur de ce diplomate, Tévéque
de Limoges, mandait à Catherine de Médicis, le 25 mars 4 562, à propos
de la convocation des cortès de Monzon dont il était question à cette épo-
que, « que le roy pensoit leur rongner les ongles, et assez retrancher de
« beaucoup de privilléges et libériez qui les rendoient braves et demy-
« afranchis, et peu estimant le maistre , aussi bien que ceste nation de
a Castille , de laquelle ilz estoient presque autant ennemys que des
te Turcs et Mores, qu'ilz avoient vers la marine pour voisins. »
(') Lettre de Saint-Suipice à Catherine de Médicis, du 4 4 octobre 4 563.
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402 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
étendre qu'à restreindre l'autorité du saint-office ('),
et ce fut là une maxime constante de sa politique : il
était convaincu que l'inquisition était un frein très-
fort^ et peut-être le plus fort de tous, contre les trou-
bles intérieurs de ses royaumes Q). Les cortès cepen-
dant insistèrent. Le roi, qui croyait se débarrasser
ainsi d'une opposition importune, les pria d'expédier
les autres affaires, promettant, quand il serait en Cas-
tille, de régler celle-là d'une manière conforme au
bien public. Elles répondirent, avec fermeté, qu'elles
ne voulaient pas être réunies en Castille, et qu'elles
ne passeraient outre, s'il n'était fait droit à leurs
griefs (^). C'était surtout les nobles qui montraient de
l'opiniâtreté sur ce point (^). Le roi parvint enfin à
(') « Il se présume que le roy catbolicque prétend cQofirqier rautho-
rilé que ladicte inquisition a desjà sur les causes de la religion, ains la
luy ampliffiersurtouls autres crimes, affin de retenir ceulx-cy en plus
grande craincte et subjection qu'ilz ne sont.... • (Lettre de Saint- Sul-
pice à Catherine de Médicis, du 41 octobre 1563.)
(') C'est ce que l'ambassadeur vénitien Anlpnio Tiepolo disait au
sénat, à son retour d'Espagne, en 1567. (Voy. nos Relations des ambas-
sadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. 148.)
(') « Despuis trois jours , il y a cuidé avoir quelque confusion à
Monsson, pour avoir esté proposé par ceulx des estat^ quMI pleût à S. M.
ne vouloir permettre à IMoquisition une grande authorité, comme elle
prend, de cognoistre sur toutes cboses criminelles. Et, pour ce que
cedict roy entend principalement à establir son obéissance par Tautbo-
rite de ladicte inquisition, il les a priez de vouloir despécher les aultres
matières, et de remettre cestuy-là quant il seroit en Castille, où ildéler*
mioeroit ce qu'il cognoissoit estre nécessaire pour le bien publicq : à
quoy les autres ont assez hautement respondu qu'ilz ne vouloient estre
réunis en Castille, et qu'ilz ne passeroient plus oultre, qu'il ne fût pour-
veu à cela. » (Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, écrite de
Balbastro, le 25 novembre 1563.)
(*) Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, du 47 novembre 1 563.
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CHAPITRE V. 403
apaiser les cortès, en déclarant qu'il ferait visiter (')
les inquisitions d'Aragon^ de Catalogne et de Valence,
et que, à la suite de cette inspection, il serait fait,
d'accord avec leurs députés, un nouveau règlement
sur l'exercice de la juridiction du saint-offlce dans les
trois royaumes. Il nomma pour visiteur le licencié
Francisco Soto de Salazar, du conseil suprême de l'in-
quisition. L'enquête à laquelle celui-ci se livra exigea
beaucoup de temps; elle donna lieu aussi à bien des
débats dans le sein du conseil suprême de l'inquisi-
tion, du conseil suprême d'Aragon et des députalions
des cortès. Ce fut en 1S68 seulement que le nouveau
règlement fut mis en vigueur (^).
En quittant Madrid, Philippe II espérait que son
fils pourrait venir le rejoindre à Monzon. L'améliora-
tion qui se manifesta peu après dans l'état de don
Carlos, confirma d'abord cet espoir f); mais elle ne
fut pas de longue durée : la manière de vivre désor-
donnée du jeune prince lui occasionna une rechute,
et la fièvre ne le quitla presque plus ; il était en tout
(^) On entendait, par ce mot» en Espagne, une enquête que le roi fai-
sait faire sur la conduite des ^ges et autres officiers.
(*) Historias eccleéiàaticas y seculares de Aragon, par Vincencio
Blasco db Lanuzà, Saragosse, 4622, in -fol., t. IJ, p. 14 .
(3) Dans Taudience que le roi donna à Monzon , le 24 septembre , à
l'ambassadeur de France, il lui dit qu'il venait de recevoir la nouvelle
de la convalescence du prince. (Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de
Médicis, du 44 octobre 4563.)
Le garde des sceaux Tisnacq écrivait à la duchesse de Parme, le
45 octobre : « Monseigneur nostre prince est pièça délivré de sa fiebvre,
« et se renforce de jour à aultre, et ne s'entent encoires quant S. M. le
• vouldra faire venir icy.... »
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404 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
cas trop faible pour supporter les fatigues d'un voyage
aussi long et aussi pénible Q. Philippe, s'appuyant
sur ces raisons, demanda aux cortès, le 29 décembre,
que son fils fût reconnu pour futur héritier de la cou-
ronne d'Aragon, par procuration (^).
Il pressait, autant qu'il le pouvait, les délibérations
de cette assemblée f ), car il avait hâte de retourner
(*] Le ^«r Dovembre, Saint- Sulpice maDdait à Catherine de Médicis
quMl perdait Tespoir de voir arriver la reine Elisabeth à Monzon, à cause
de Tindisposition du prince, qui ressentait encore trop de faiblesse pour
pouvoir se mettre en voyage.
Il lui écrivait, le 25 novembre, que le roi l'avait assuré qu*il eût déjà
fait venir la reine Elisabeth, sans la maladie des femmes principales de
sa maison, « joinct aussy la fiebvre du prince, qui, pour son maulvais
« gouvernement, le reprenoit de jour à aultre. »
Dans une lettre secrète de la même date, il revient sur « Tindisposi-
« tion du prince, qui aulcun jour est bien et aulcun mal. »
Enfin, le 4 7 décembre, il dit à Catherine de Médicis : « Le roy catbo-
« licque monstre bien fort désirer estre hors de Monsson, et de pouvoir
« aller retrouver la royne catholicque sa femme, laquelle il luy semble
« que, à cause de la maladie du prince et de celle de la plupart de ses
<c principales dames, et de Tincommodité dudict Monsson, il n*eust peu
« faire venir par deçà.... »
(») « De la part de S. M., fut proposé avant-hier à ceux des cortès
d'admectre le jurement de monseigneur nostre prince par procu-
reur. » (Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, du 34 décem-r
bre4563.)
« S. M. prétend fort de faire recepvoir et jurer le prince son fils, par
procuration, successeur du royaume, affin de ne Texposer au traveil du
chemin, en ceste foiblesse où il est encores ; mais Ton estime que, sellon
ce que les aultres choses tomberont en différend ou accord, que ceste-cy
sera aussy accordée ou reffusée.... » (Lettre de Saint-Sulpice à Cathe-
rine de Médicis, du 47 décembre 4563.)
(') « Le roy catholicque presse tousjours l'avancement de ses courtz
tant qu*il peult ; mais il semble que les affaires y multiplient tant,
d'heure à aultre, que la fin ne s'en verra si tost qu'on cuydoit.... » (Let-
tre de Saint-Sulpice à Charles IX, du 4«r novembre 4563.)
a Ces courtz d'Aragon se continuent tousjours, desquelles le roy
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CHAPITRE V. 405
ea CastiUe; il ne dédaignait même pas, pour stimuler
le zèle des membres dçs états, de les solliciter en per-
sonne : le 24 décembre, veille de Noël, il avait assisté
à leur séance jusqu'à trois heures après minuit, y
faisant porter son souper, et ensuite son lit, pour leur
signifier qu'ils eussent à accélérer leurs travaux Ç).
Les Valenciens élaient assez bien disposés ; mais il
n'en était pas de même des Aragonais et des Cata-
lans : ceux-ci se montraient obstinés dans leurs pré-
tentions. Irrité d'un mauvais vouloir auquel il ne
s'était pas attendu , Philippe annonça le dessein de
quitter Monzon le 20 janvier. La veille, les députés
d'Aragon vinrent le supplier de différer son départ de
quelques jours, sous la promesse de ne rien négliger
pour qu'on parvint à s'entendre : il y consentit (^). Il
catbolicque presse, taot qu'il peult, rexpéditioQ.... » (Lettre de Saint-
Solpice à Catherine de Médicis, du 47 décembre 4 563.)
(*) Lettre de Saint - Sulpice à Catherine de Médicis, du 43jan-
vier4&64.
a Sa Majesté se donne grande haste pour Tacbèvement des certes,
et y va souvent, et y demeure longtemps, voires parfois jusques après
minuict. » (Lettre du secrétaire Courtewille à la duchesse de Parme,
du 34 décembre.)
{*) m Après les continuelles sollicitations que le roy a fait en personne
vers les trois estatz, assavoir : d'Arragon, Gataluna et Valence, qu'ilz
appellent les trois bras, comme nous appelions en Flandres les quatre
membres, S. M. s'est apprestée pour partir vers Barcelonne, avec grand
contentement de ceulx de Gataluna et de Valence, remettant d'achepver
ce que leur touche jusques à son arrivée audit Barcelonne et Valence.
Mais n'a sceu venir à boult avecq ceulx d'Arragon, pour Topinion d'au-
cuns particuliers qui qucerunt quœ sua sunt, sed non quœ reipublicœ :
de sorte que, les voyant si rétifz, s'estoit délibéré de s'en aller aujour-
d'huyde bon mattin. Que voiant lesdicts d'Arragon, vindrent hier au
soir bien tard à supplier très-humblement à S. M. de vouloir surceoir
son parlement encoires quelques deux ou trois jours, donnant espoir de
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406 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
se mit d'accord en efFet avec les cortès, en ce qui con*
cernait les affaires particulières des royaumes d'Ara-
gon et de Valence (') ; mais elles ne voulurent pas
consentir à reconnaître le prince par procureur, et
elles n'accordèrent, en sus de 4'aide ordinaire de
cinq cent mille écus, qu'un subside extraordinaire de
cent cinquante mille écus, pour tout ce qu'elles
n'avaient pas payé depuis onze ans. Philippe, qui
voulait en finir, parut se contenter du résultat de leurs
délibérations : il promit de faire venir son fils en
Aragon dans le délai d'un an, afin qu'il prêtât serment
aux cortès et reçût le leur (*).
Il partit, le 24 janvier, pour Barcelone, après avoir
prorogé au 7 février, dans celte ville, les cortès de la
principauté de Catalogne et des comtés de Cerdagne
et de Roussillon. II y fit son entrée le 6, au milieu de
grandes démonstrations d'amour et d'allégresse de la
population. Pendant plusieurs jours, des fêtes eurent
lieu en son honneur f). Pour leur donner plus d'éclat,
meilleur succès.... » (Lettre du secrétaire Courtewille au président
Viglius, du 20 janvier 4564.)
(^) « Sa Majesté se partit hier, ayant dépesché les négociations des
Valenciens et Arragonois, et prorogué celle des Catalans jusques à Bar-
celonnO) pour commencer à la continuer au vir du mois advenir. La
diligence et accélération dont il a usé a esté incroyable. » (Lettre de Tis-
nacq à Viglius, du 25 janvier 4564.)
(*) Lettre de Saint-Sulpice à Charles IX, du 48 février 4564.
Cabrera, qui ne dit que peu de mots des cortès de Monzoo, fait cepeo-
dant suffisamment comprendre Topposition qu'y rencontra Philippe II :
Fueron muy litigiosas, dit-il, por aver muchos anos que no las tu-
« vieron.... » {Felipe II, liv. VI, chap. XVI )
(') Lettres de Tisnacq à la duchesse de Parme et à Viglius , du
4 8 février 4564.
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CHAPITRE V. 407
l'inquisUion fit célébrer un auto-da-fé , auquel assis-
tèrent les évéques espagnols qui revenaient du concile
de Trente. L'échafaud fut dressé sous les fenêtres
ménoe du palais royal. Huit malheureux furent brûlés
vifs, et un plus grand nombre condamné aux galères :
c'était presque tous des Français (').
A Barcelone, les discussions des cortès avec les
ministres du roi recommencèrent, non moins vive-
ment qu'à Monzon. Trois fois Philippe prolongea le
terme qu'il avait assigné à leur assemblée; il révoqua
certaine déclaration qu'il avait rendue, et qui leur
paraissait contraire à leurs fueros (-) ; les commis-,
(1) Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, du M mai 4564.
Cet ambassadeur français fit en vain tous ses efforts pour épargner ce
sort cruel à ses nationaux. Dans une audience qu'il eut de Philippe II,
le 46 décembre 4 564, il se plaignit du mauvais et rigoureux traitement
dont usait l'inquisition envers les Français trafiquant en Espagne, les-
quels, sans qu'ils fissent acte scandaleux ni aucun exercice de leur
religion, étaient accusés, ou par leurs compagnons mêmes, par esprit de
vengeance, ou par des Espagnols, et fort misérablement condamnés.
Philippe lui répondit qu'il n*avait pas été fait de commandement parti-
culier pour les Français ; que l'inquisition procédait sans respect de la
nature ni des qualités des personnes ; que toutefois il parlerait au grand
inquisiteur. (Lettre de Saint -Sulpice à Charles IX, du 3-1 décem-
bre 4564.)
Quelque temps après, Saint-Sulpice vit lui-même le grand inquisi-
teur (Fernando de Valdès) , qui Tassura que les Français ne seraient
châtiés en Espagne que pour le scandale quMls y donneraient, ou les
propos qu'ils y tiendraient, et qu'ils ne seraient pas plus maltraités que
les Castillans. (Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, du
21 janvier 4565.)
(*) Elle portait « que le dissentiment de certains particuliers, assa-
« voir de quelques syndicques (députés des villes), ne debvoit empes-
o cher le progrès des cortès.... » (Lettre deTisnacqà la duchesse de
Parme, du 21 mars 4564.)
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108 DON CARLOS ET PHILIPPE IL ,
saires qu'il avait choisis pour négocier avec elles ne
leur étaient pas agréables , il en nomma d'autres (')^
il fit plus : il remplaça le vice-roi de Catalogne^ don
Garcia de Tolède, qui était impopulaire Q). Tout
cela ne fit point cesser l'opposition qui s'était dé-
clarée dans les cortès : comme il ne voulait pas leur
accorder différentes choses dont elles avaient fait la
demande^ elles se refusèrent, de leur côté, à plusieurs
des points sollicités par lui. Afin de leur faire sentir le
mécontentement qu'il en éprouvait, le 22 mars^ jour
où il devait partir de Barcelone, il se rendit tout botté
au solio ^) qui avait été disposé pour la clôture de
leur session, et de là il monta à cheval. D'ordinaire,
le souverain, en licenciant les cortès, créait cheva-
liers plusieurs de leurs membres ; il n'en fit pas un
seul 0).
Ce fut pendant le séjour de Philippe II à Barcelone,
qu'y arrivèrent les archiducs Bodolphe et Ernest, fils
aines de Maximilien, roi de Hongrie et de Bohême, et
petits-fils de l'empereur Ferdinand I®"*.
(*) Lettres de Tisnacq à la duchesse de Parme, des 48 et 21 mars lôGi.
(') Il le fit général des galères, et lui donna pour successeur en
Catalogne le duc de Francavilla, beau-père du prince d'Eboli. (Lettres de
Tisnacq à la duchesse de Parme et à Viglius, du 18 février 1564 ; lettre
de Saint-Sulpice à Charles IX, du 11 mai 1564.)
Il ne faut pas confondre ce Garcia de Tolède avec le personnage du
môme nom et de la môme famille qui était gouverneur de don Carlos.
(') SoHo^ littéralement trône. Mais, en Catalogne, ce mot avait reçu
une signification plus étendue : il voulait dire le théâtre qui était dressé
pour Touverture et la clôture des cortès, et sur lequel, aux degrés les
plus élevés, était disposé le trône du souverain. Ainsi Ton se servait de
ces expressions : abrir el solio, tener el solio, subir al solio, etc.
[") Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, du 11 mai 1564.
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CHAPITRE V. 409
A la suite de la diète d'Augsbourg ^ de 1550, où
Charles-Quint avait usé de tout son ascendant sur
Ferdinand et sur Maximilien, pour les faire con-
sentir à ce que Philippe devint roi des Romains
quand Ferdinand deviendrait empereur (*), il y avait
eu un refroidissement marqué entre les deux bran-
ches de la maison d'Autriche. Les princes de la
branche allemande se plaignaient hautement que
Charles sacrifiât tout à l'avantage du prince d'Espa-
gne (^). Maximilien et Philippe, dont les intérêts par-
ticuliers avaient été en lutte dans cette occasion , et
qui étaient si dissemblables de caractère , d'inclina-
tions, de sentiments, en avaient conçu l'un pour
l'autre une antipathie qui allait presque jusqu'à la
haine ; Maximilien retendait même à toute la nation
espagnole : il avait renvoyé de sa cour la plupart des
personnes de cette nation qui y étaient attachées (^).
Lorsque, en 1556, il vint à Bruxelles avec sa femme,
pour faire ses adieux à l'empereur, il y eut entre lui
(') Charles-Quint, etc., par M. Mignet, p. 40.
(■] « Con il re de* Romani non stanno cosi bene corne per lo passato,
perché s*è veduto che non si tien conto se non dell* utile particolare del
principe di Spagna, e nulla degli altri, etc. » (Relazioue di Marine
€avalli , ritornato ambasciatore da Carlo V Tanuo 4554 , dans les Rela-
zioni degli ambasciatori tfeneti al senato, série 4«, vol. II, p. 249.)
(^) « .... Sopra tutti gli altri odia Spagnuoli, ne si puô in alcun modo
ritenere che con alcuno non ne dica grandissime maie, et faccia ogni
sforzo ancora per far partire ancora quei pochi cbe restano appresso la
regina, perciocbè nelle sue corti non vene sono resta ti più di due pur
di qualche conto. .. • (Relatione del clarissimo messer Paolo Tiepolo,
tomate ambasciatore dal serenisstmo Ferdinando d'Âustria, rede* Ro-
mani, Tanno 4557, à la Ribliothèque impériale à Paris, MS. Saint-
Germain-Harlay 277, fol. 488.)
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MO DON CARLOS ET PHILIPPE II.
el Philippe une sorte de réconciliation Ç) ; mais elle
fut plus apparente que réelle^ car il n'eut pas lieu
d'être satisfait de l'accueil que lui firent le roi et ses
ministres^ et il n'obtint de son beau-frère rien de ce
qu'il prétendait : aussi ^ à son départ , dit-il avec
humeur à la reine douairière de Hongrie que , puis-
qu'on tenait si peu de compte de lui ^ il s'arrangerait
avec la France, et, s'il le fallait, avec le Turc (^).
Philippe , dès son avènement à la couronne, entretint
des relations amicales et suivies avec le roi des
Romains, son oncle (^) ; il n'eut avec son beau-frère
(^) Retraite et mort de Charles-Quint, etc., Introduction, p. 132.
(») Ibid,, t. II, p. XXV.
Dans une lettre que François II écrivit, le 3 septembre 1560, à Tévê-
que de Rennes, son ambassadeur à Vienne, on lit : « J'ay bien noté ce
« que vous m'escrivez des propos que vous a tenuz le roy de Bohesme,
« lequel vous ne sçauriez mieux faire que de visiter souvent, pour
o ^entretenir tous jours en l'amytié qu'il faict démonstration de me porter,
« et l'asseurer que je y correspondray tousjours de pareille afifec-
« tion.... » [Négociations, lettres et pièces diverses relatives au règne de
François II, p. 505.) Ce passage est digne de remarque, eu égard à la
date de la lettre.
n Sa correspondance avec Ferdinand, du 18 mars 1556 au 3 février
1 563 [avec des lacunes toutefois] a été publiée dans la Coleccion de docu-
mentos inéditospara la hisloria de Espaça, t. II, pp. 419-592.
Ferdinand avait reporté sur Philippe l'affection qu'il avait toujours
témoignée à Charles-Quint. Granvelle écrivait au roi le 6 novembre 1560 :
« La voluntad que muestra el emperador en todas las cosas de V. M.
« merece que V. M. tenga toda cuenta en lo que puede redundar en
« beneficio de su casa.... » (Papier* d*ÉtaJt du cardinal de Granvelle,
t. VI, p. 192.)
Giovanni Micheli, dans la relation qu'il fit au sénat de Venise, en 1563,
au retour de son ambassade auprès de Ferdinand , s'exprime ainsi ;
« Fra Timperatore et il re di Spagna vi è maggior et stretta intelligenza
« cbe sia possibile, et senza dubbio Sua Maestà gli porta quasi quel
« rispetto che portava ail' imperator Carlo, communîcando di propria
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CHAPITRE V. 4fl
que les rapports les plus indispensables. Les principes
de ce dernier dans les matières religieuses, les com-
plaisances qu'il montrait pour les novateurs (') , de-
vaient élargir encore la barrière qui les séparait.
Quoiqu'il se fit dire la messe et qu'il observât la plu-
part des pratiques de l'Église romaine, Maximilien
laissait douter s'il était plus catholique que protestant.
Il avait pour prédicateur un prêtre marié et père de
plusieurs enfants , lequel soutenait publiquement les
doctrines de Luther^ il évitait les occasions de se
montrer dans les processions, aux oQices des morts et
à d'autres cérémonies où sa présence eût pu être in-
terprétée comme une preuve qu'il avait l'esprit calho-
lique. Les principaux de sa cour, son grand maître
surtout, qui jouissait de beaucoup d'influence auprès
de lui, étaient connus pour luthériens Q.
Cependant les répugnances personnelles devaient
c mano li suoi pensieri insieme^t sopra moite cose si coDsigliano.... »
(Bibliothèque impériale à Paris, MS. Saint-Germain-Harlay 277, t. H,
fol. 346.)
(') « A tutte lenovilàche gli veDgono messe inanzi, egli dà Torec-
chie.... » (Relatione del clarissimo messer Paolo Tiepolo.)
(*) « .... Ha nome di saper meglio che alcun' altro dissimulare, et
trattenersi con chiascuno : perô non si alienando in tutto da' catholici,
si ha guadagnato ana grao gratia con lutherani, perciocbè dair un canto
rjtieue la messa et gran parte delle cerimonie délia chiesa romana, dall'
altro usa per predicatore un prête maritato con alquanti figliuoli, il
quale publicamente predica quasi tutta la dottrina da Luther ; et da un
tempo io quà ha fuggito Toccasione di ritrovarsi a processioni, ad officio
di morti et ad altro che potessedar giuditio certo che l'animo suo fosse
catholico, et li principali délia sua corte, massime il maggiordomo, che
appresso di lui puô grandissimamente, sono conosciuti da ciascuno per
lutherani.... » {Ibid.)
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4^2 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
finir par céder aux nécessités de la politique el à
l'intérêt commun des deux branches de la maison de
Habsbourg.
Bien que la plupart des électeurs fussent décidés à
n'avoir aucun égard au pacte de 1551 fait entre
Charles-Quint, Ferdinand et Maximilien sur la suc-
cession à l'Empire, Maximilien ne pouvait se dissi-
muler que sa signature placée au bas de ce pacte
constituait un engagement qu'on serait en droit de lui
opposer, quand il briguerait la dignité de roi des
Romains. Il était donc d'une haute importance pour
lui que Philippe II se désistât de ipnies prétentions
fondées sur la convention d'Augsbourg, et que ce
monarque secondât ses démarches en Allemagne , au
lieu de les traverser. En outre, il avait une nombreuse
famille , pour l'établissement de laquelle il compre-
nait le prix qu'il devait attacher à la bienveillance de
son beau-frère.
De son côté, Philippe II fK^ait des motifs sérieux
de désirer que de meilleurs rapports s'établissent
entre lui et Maximilien. Les Pays-Bas lui causaient
de graves soucis ; il y régnait un sourd mécontente-
ment; déjà même des symptômes peu favorables au
maintien de l'autorité royale et de la religion s'y
manifestaient, et l'état de la France ainsi que de
l'Angleterre lui faisait craindre que ces deux puis-
sances ne cherchassent à y fomenter l'esprit de trou-
ble et de rébellion. Il sentait ainsi le besoin de se
créer des amis en Allemagne , et il n'ignorait pas en
-quelle haute estime était Maximilien auprès des peu-
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CHAPITRE . 443
pies et des princes de la Gerjnanie ('). Il savait éga-
lement que le concours du roi de Bohême pouvait
contribuer beaucoup au succès du concile qui venait
d'être convoqué à Trente, et dont il se promettait
d'importants résultats.
Les choses étaient donc toutes disposées pour un
rapprochement entre les enfants de Ferdinand et de
Charles-Quint.
Ce fut Philippe qui prit l'initiative. Sur la fin
de 1560, il écrivit à Maximilien une lettre pleine
d'expressions affectueuses et de paroles de confiance :
il j'y entretenait des questions religieuses qui étaient
à l'ordre du jour^ il avait soin aussi de lui parler
d'autres choses propres à l'intéresser plus particu-
lièrement, comme du mariage de sa seconde fille,
l'archiduchesse Elisabeth, avec le roi don Sébastien de
Portugal^. Cette lettre devait lui être remise par l'am-
bassadeur d'Espagne à Vienne, don Claudio Fernando
de Quinones, comte de Luna, qui était chargé d'en
amplifier le contenu. Il était autorisé, de plus, à satis-
faire le roi de Bohême sur les conséquences de l'acte
de 1551 , au cas qu'il en fût question.
Philippe souhaitait ardemment que Maximilien
envoyât les deux aînés de ses fils en Espagne : il au-
(') Paolo Tiepolo disait de lui, en 4557 : • Nella Germania è celebrato
« per rarissimo principe , et bavuto in grandissima existimatione et
• reverenza. • (Relation déjà citée )
(*) Cette lettre nous manque malheureusement ; elle n*est pas aux
Archives de Simancas. Le sens de ce qu*elle contenait ne nous est connu
que par la dépêche du comte de Luna , du 29 janvier 1564 , dont il sera
question plus loin.
8
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4U DON CARLOS ET PHILIPPE IL
rail ainsi des gages de raniilié de leur père; il ferait
en sorte qu'ils s'imprégnassent d'idées et de sentiments
espagnols^ ee qui ne devait pas être difficile, puisque
l'un, Rodolphe, comptait huit ans à peine, étant né
en 1552, et que l'autre n'en avait que sept; enfln —
et cela était à ses yeux d'un intérêt capital — leur
séjour à Madrid les préserverait des doctrines perni-
cieuses qui n'avaient que trop cours en Allemagne. Il
lit faire une insinuation, dans ce sens, à don Martin de
Guzman, ambassadeur de Ferdinand à sa cour (').
Il en écrivit vraisemblablement aussi à la reine, sa
sœur.
Maximilien fut louclié de la lettre de son beau-
frère : le caractère de ce prince était tel* qu'avec des
paroles amicales et douces on pouvait beaucoup sur
{') C'est ce qui résulte d'une lettre du duc d'Albe à Philippe II que
nous avons sous les yeux. Dans cette lettre, qui est datée du23 juin ^568,
le duc donne son avis sur la forme en laquelle le roi doit répondre à
Tempereur Maximilien, qui réclamait le retour de ses fils en Autriche.
II s'exprime ainsi :
« Pues he començado esta materia , no dejaré de decir a V. M. el
camino que me paresce que, tratando do sus hijos, al emperador se le
podria responder, para seguir el mismoquc se tuvo para hacerles enviar
a V. M., porque creo fui yo solo a quien V. M. mandô que lo Iratase ;
que meacuerdo que apretô Martin de Guzman raucho en que se resol-
viese V. M. luego en el casamiento de Su Alteza con la princesa Ana ; y
lanto para desviar entonces aquella plâtica cuanto para ver si se podria
salir con traer los principes à Espaiia, me mandô V. M. que le dige o
que V. M. atendia muy atentamente al bien de ambas casas, y que
miraba lascosas por venir pflra la conservacion délias, yqueriendo pré-
venir à muchas cosas de las que podrian suceder, y que a todo lo que à
esto convenia era que sus hijos fuoseri conoscidos en Espana ; y en el
hablarle yo , aunque las palabras fueron estas eu el semblante, le dt
sombras grandes de que él se cmprenô tanto que vino â hacerse cl efeclo
de ambos sus hijos.... » (Arch. de Simancas, Estado, leg. 539.)
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CUAIMTRE V. 415
lui ('). En lui présentant celle lellre, le comte de
Luna s'appliqua , par ses discours , à en augmenter
reiïet. Il lui dit que les seuls motifs qui avaient en-
gagé son maitre à l'écrire étaient l'amour fraternel
qu'il lui portait, et le souci qu'il avait de son honneur,
de sa réputation, de sa grandeur , égal à celui qu'il
avait des siens propres; que, convaincu que ces
grands objets dépendaient du maintien de la religion,
ainsi que l'expérience du passé le montrait claire-
ment, il n'avait pu se dispenser d'appeler l'atlcntion
du roi sur ce qu'avait de critique la situation de la
majeure parlie de la chrétienté, en proie à toute sorte
de sectes et d'opinions qui pervertissaient les esprits
et corrompaient les àmes; que, dans ces circonstances,
il importait aux princes d'être sur leur garde et vigi-
lants, tant pour remédier au désordre que pour éviler
toute occasion qui pût les faire soupçonner de conni-
vence aux erreurs et aux nouveautés courantes : car,
comme chacun avait les yeux fixés sur eux, ils pou-
vaient , à leur gré , prévenir ou causer beaucoup de
mal, les sujets et les inférieurs étant prompts à conce-
voir les choses, el plus prompts encore à adopter celles
quientrainent avec elles la liberté de vivre à sa guise;
que , pour tous ces motifs , il convenait beaucoup,
non-seulement de s'abstenir avec soin de donner de
{*) « .... A lo que yo he podido eiilender, después que trato al rey, do
su condicion y mènera, «s que, tralàndole cou anior y blandura, por via
de amisUid y de oons<*josc podrâ mucho con él.... »» (Dépêche du comlo
de Luna à Philippe II, du 29 janvier 45G1, dans la Co!eccion de docu-
menlos inéditos para la historia de Espana, t. XXVI, p. 410 )
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446 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
telles occasions, mais encore d'écarter tous les soup-
çons par des actes publics. 11 exprima enfin la con-
fiance que Maximilien, à la prudence et aux lumières
de qui chacun rendait hommage, comprendrait, mieux
que personne , tout ce qu'on pourrait lui représenter
là-dessus, et qu'il se conduirait en cela selon l'obliga-
tion que lui avaient transmise tant et de si valeureux
princes catholiques , ses prédécesseurs (*). Luna an-
nonça ensuite au roi qu'un ambassadeur allait partir
de Madrid pour le Portugal, afin de négocier le
mariage de l'archiduchesse Elisabeth avec don Sébas-
tien. Il termina en le remerciant , au nom de son
souverain , des démarches qu'il avait faites auprès de
plusieurs princes d'Allemagne, pour les engager à
députer au concile de Trente.
Maximilien lui répondit : u Le roi m'a fait une
(c grande faveur par sa lettre, et je puis dire qu'il y a
a longtemps qu aucune chose ne m'a causé autant de
c( plaisir, parce que, dans cette lettre, il me dit de
c( très-bonnes paroles. Je reconnais qu'elles lui ont
« été dictées par l'aflTection et la bienveillance qu'il me
c( porte. S'il m'était donné de montrer, par les effets, le
« désir que j'ai de le servir, il s'assurerait que je le
« mérite ; mais je regrette de n'en avoir pas eu l'oc-
u casion. Vous pouvez lui marquer que je lui baise
€( les mains pour sa lettre : que j'apprécie la faveur
ce qu'il me fait, et que je suis convaincu que ce qu'il
et m'écrit procède de ses bons sentiments à mon égard.
(') Dépêche du comte de Luna, du 29 janvier 4564 , déjà citée.
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CHAPITRE V. ^147
<« Quant à l'affaire du concile, je n'ai rien à ajouter à
« mes déclarations précédentes ; j'observerai ce que
« j'ai promis, et plût à Dieu que tous ceux qui ont à
« y intervenir en fissent autant , car alors le concile
« aurait le résultat désiré! En ce qui concerne le
<c mariage de l'archiduchesse Elisabeth, je remercie le
« roi du soin qu'il prend des choses qui me touchent,
c( bien que je les tienne pour siennes propres, puisque,
c( nous et nos enfants, nous sommes tous à lui ('). »
Il chargea le comte de Luna de faire savoir à sa
cour qu'il avait le dessein d'envoyer le prince de
Bohème à Madrid, pour qu'il y fût élevé, si le roi le
permettait. Il lui expliqua les motifs qui l'avaient
engagé à prendre cette résolution, dans laquelle il se
flattait que son beau-frère trouverait un témoignage
signalé de son affection et de son dévouement : d'une
part, dit-il à l'ambassadeur, il était persuadé que son
fils recevrait une meilleure éducation en Espagne ;
il craignait qu'en Allemagne, vu la situation où se
(^) « Habiendo visto su carta y mostradoque holgaba mucho con ella,
y habiéDdome oido muy bien, me dijo : « El rey me ha hecho muy gran
« merced con su carta, y puedo decir que ha buenos dias que no he hol-
• gado con cosa mas, porque en ella me dice muy buenas palabras, y
• conozco que nacen del amor y buena voluntad que me tiene ; y si yo
• pudiese mostrar por la obra el deseo que de serville iengo, conoceria
« bien que todo me lo debe ; mas pésame que no se aya ofrecido en
« que yo pueda mostrar esta. Voâ le podeis decir que yo le beso las
« manos por ella, y que conozco que todo me hace merced, y que lo que
a me dice procède de la buena voluntad que me tiene.... Guanto à lo de
« la ynfanta dona Ysabel, yo beso las manos al rey, por el cuidado con
« que toma las cosas que me tocan, aunque yo las tengo por tan suyas,
« pues lo somos todos, padres y hijos..., » (Dépêche du comte de Luna,
du 29 janvier -1561.)
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us DON CARLOS ET PHILIPPE II.
trouvait ce pays, il ne fût exposé à l'influence de
maximes dangereuses; d'autre part, il voulait que
le prince de Bohême connût le roi et le prince des
Âsturies ('). Il parut toutefois regretter, quelques
jours après, de s'être avancé autant : il fit prier le
comte de Euna, par la reine, de ne pas écrire à
Madrid que c'était lui qui avait proposé l'envoi de
son fils en Espagne , mais de dire que c'était la reine ,
et que lui, pour complaire à sa femme et à son beau-
frère , y avait consenti f ). Singulier scrupule et pré-
caution étrange de la part d'un prince aussi intelli-
gent que Maximilien ! car, malgré tout ce que pouvait
promettre le comte de Luna, il devait bien s attendre
que ce diplomate rendrait au roi d'Espagne un compte
fidèle de ce qui s'élait passé.
La résolution de Maximilien causa une joie extrême
à la reine, sa femme. Zélée catholique, Marie d'Au-
triche l'avait vu avec chagrin se laisser aller aux opi-
nions des novateurs et introduire, dans sa maison,
dans son intimité, des personnes suspectes en matière
(') « Mandoroe que yo escribieseà V. M. qa'él queria enviar al prin-
cipe su bijo, para que se criase ahi, si V. M. se contentaba, por enviar la
mejor prenda que tcnia ni podia dar del amor y deseo que de servir à
V. M. tienc ; y hablando en esta materia, me dixo que se criaban mejor
por alla, y que era peligro, segun las cosas estaban por acâ, que no se
les pégase algo, y que ansi, por esto como porque conosciese à V. M. y
al principe , y se criase en su compania , lo babia dcterminado. «
(Dépôcbe du comte de Luna, du 29 janvier -1561.)
{*) • La reyna me dijo, habiendo escrito esta, qu*el rey le babia dicho
que querria que yo no escribiesequ'él babia propuesto la ida de sus hijos,
sino cUa, y quel , por hacerie placer à ella y â V. M., se contenlaria
dcllo, y que mo lo mandase y rogaseansi. Yole dijeque ansi lo haiia. »
(Postdata à la dépêche du comte de Luna, du 29 janvier.)
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CHAPITRE V. H 19
de foi. Elle s'en élail plainte souvent et amèrement,
du vivant de l'empereur Charles-Quint (*). Ce qui la
préoceupait surtout, c'élait la crainte que la contagion
de rhérésie ne se communiquât à ses enfants (^). Leur
départ pour l'Espagne la tirait d'inquiétude. Le roi,
son mari, n'avait, à la vérité, parlé que du prince
Rodolphe; mais elle ne doutait pas qu'il ne consentit
à y envoyer aussi l'archiduc Ernest. Quant à l'empe-
reur Ferdinand, il avait toujours souhaité la réconci-
liation de son fils et de son neveu ; il approuva donc
de tout son pouvoir l'offre de Maximilien, et exprima
le désir qu'elle se réalisât dans un bref délai Q.
Le courrier qui apportait ces nouvelles à Philippe II
lui parvint dans un temps où elles devaient lui être
particulièrement agréables. Des événements se pas-
saient en France, qui lui causaient de vives et légiti-
mes préoccupations. François II était mort le 5 dé-
cembre 1560; Antoine de Bourbon, roi de Navarre,
venait d'être appelé à partager la régence avec Cathe-
rine de Médieis, pendant la minorité de Charles IX.
De grands changements, politiques et religieux, tous
au désavantage de l'Espagiie, s'annonçaient sous le
nouveau règne. Les Guise étaient écartés du pouvoir.
Dans ces circonstances, il importait plus que jamais
(*) Retraite et mort de Charles-Quint au monastère de Yuste, t. II,
pp. XX- XXVI.
(') « La reyna esta con elmayor conlentamienlodel mundo de aqueslo,
porquc una de lascosas que mas afligen à S. A. es peosar que no se les
pegue algo con las rompani'as de esta lierra... . ^ (Dépêche du comte de
Lune , du 29 janvier 4 56-1 . )
C^) Ibid,
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420 DON CARLO& ET PHILIPPE II.
à Philippe de resserrer ses liaisons avec la cour impé-
riale. Aussi il écrivit au comte de Luna de hâter le
départ des jeunes archiducs.
Dans l'automne de 1561^ Maximilien annonça à
l'ambassadeur d'Espagne que ses fils se mettraient en
route siu printemps ou, au plus tard, à la fin de l'été
de l'année suivante Ç). En attendant, il leur donna un
maître dont les principes religieux étaient à l'abri de
tout reproche; il prescrivit qu'ils se confessassent et
qu'ils fussent, à tous égards, élevés en bons catholi-
ques (^). Il s'appliqua à composer leur maison, pour
leur voyage d'Espagne, de personnes que ne put
atteindre le moindre soupçon en matière de foi, nom-
mant, pour leur ayo et grand maître, le baron Adam
de Dietrichstein, qui devait aussi être revêtu du titre
d'ambassadeur de l'empereur, en remplacement de
don Martin de Guzman, et pour leur grand écuyer
Marcantonio Spinola f ). Il écrivit à son beau-frère :
u Nous gagnons tant à ce que mes fils, dès leur bas
(') Dépêche du comte de Luna à Philippe II, du 43 octobre 456!, dans
la Coleccion de documenlos inédUos, etc., t. XXVI, p. 415.
(*) « He holgado, y no poco, de lo que me avisais de la orden
que se ha dado en el maestro de sus hijos, y en que se confiesen
y crien como deben..., o (Lettre de Philippe II au comte de Luna,
du 28 janvier 4562 : ibid,, p. 427.)
Lettres du comte de Luua à Philippe II, des 49 février, 30 mars et
46 août 4562. Les deux premières sont dans la Coleccion de documentas
inéditos, etc., t. XXVI, pp. 430 et 439. La troisième est conservée aux
Archives de Simancas, Eatado, leg. 654 .
Dans celle du 30 mars, Luua louait beaucoup le choix fait du baron
de Dietrichstein, « porque — disait-il -— es catôlico, y agudo, y muy
« bien entendido, y muy hombre de bien, casado con dona Margarita de
tt Cardona, y muy aficionado al servicio de V. M. »
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CHAPITRE V. m
« âge, apprennent à servir Votre Altesse, que nous
ce les ferons partir, elle peut nous en croire, aussitôt
« que possible (*). » Quelque temps auparavant, il
avait donné une marque non équivoque de son désir
de complaire au roi catholique : il avait renvoyé son
prédicateur marié, et l'avait remplacé par un ecclé-
siastique dont les opinions et la doctrine étaient plus
conformes aux maximes de TÉglise romaine Q).
La lettre de Maximilien que nous venons de cUer
est du 14 août i562. Le 7 septembre, il fit avec Marie
d'Autriche son entrée solennelle à Prague; ils y furent
couronnés, le 20 et le 21 , comme roi et reine de Bo-
hème (*). A quelques jours de là, ils prirent le che-
min de Francfort, où l'empereur avait convoqué la
diète, pour qu'elle procédât à l'élection d'un roi des
Romains. Maximilien devait paraître à cette assemblée
avec quelque éclat, lui qui prétendait à la future suc-
cession de l'Empire : or, il n'était pas riche, et ce fut
à grand'peine qu'il se procura l'argent dont il avait
besoin. Ses ressources étant épuisées, il se vit obligé
de remettre à plus tard le départ de ses fils pour l'Es-
pagne (*).
(*) • Nosotros ganattios lanto en que mis hijos sirvan a V. Â. y desde
chiquitos aprendan hacer (sic), que se nos puede créer que en pudiendo
iràn. » (Lettre autographe du 44 août 4562 : Archives de Simancas,
E8tado,\Gg, 654.)
(*) Le comte de Luna écrivait à Philippe II, le 49 janvier 4562 : « El
« predicador que agora liene el rey, dicen que lo hacebien, y queapro-
« vecha. » {Coleccion (fe documenlos inéditos, etc., t. XXVI, p. 426.)
(») Lettre du comte de Luna à Philippe II , du 20 octobre 4562.
(Archives de Simancas, Estado, leg. 654.)
(*) Dans sa lettre du 20 octobre 4562, lo comte de Luoa disait à ce
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422 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
Ils se mirent en route seulement dans l'automne
de i563,sous la conduite du cardinal d'Augsbourg(').
Ils traversèrent l'Allemagne méridionale, le Tyrol,
l'État de Milan, et allèrent s'embarquer à Villafranca,
près de Nice, où les galères d'Espagne les attendaient.
Retardés pendant plusieurs semaines par les vents
contraires, ils débarquèrent à Barcelone le 17 mars.
Philippe II leur fit faire une réception solennelle. Lui-
même il se porta à leur rencontre ; il leur donna la
main, à la descente de la galère qui les avait amenés,
les embrassa, les fit monter à cheval, voulant que l'ar-
chiduc Rodolphe se plaçât à sa droite, et, sur les
excuses de ce jeune prince, l'en priant avec instance,
la main au bonnet : l'archiduc Ernest suivait, avec le
cardinal d'Augsbourg. Des fêtes qui durèrent plusieurs
jours eurent lieu en l'honneur des fils de Maximilien :
le roi ordonna qu'ils fussent traités à sa cour de princes
de Hongrie, que les grands les qualifiassent de senores^
et que les autres gentilshommes se découvrissent
devant eux Q.
sujet : « Los grandes gastosque para estajornada (de Francfort) se han
« ofrescido à estos principes, y el trabajo que han tenido para podello
» cumplir, ha sido causa de no se poder dar ôrddn en la partida de los
« principes Rudolfo y Erneslo para Espana ; y asi me llamo S. M. (Fer-
« diuand), y me dijo que, hablando conmigo la verdad, esta erala causa
« por donde no podrian partir agora.... »
(') Othon Trusches de Waldpurg, évoque d'Augsbourg , créé cardinal
en 4544, mort en 4573.
(') Lettre du baron de Dietrichstein à Maxim^iien, du il mars 4564 ,
dans les Quellen zur Geschichte des Kaisers Maximilian II, de M. Koch,
p. 417. — Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, du 18 mars. —
Lettre de Saint-Sulpice à Charles IX, du 11 mai.
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CHAPITRE V. 423
Philippe II alla passer les fêtes de Pâques (') au
monastère de Poblete, près deTarragone, et les princes
de Hongrie au célèbre couvent de Monserrate. Ils se
rejoignirent ensuite, et se dirigèrent ensemble vers
Valence, où ils firent leur entrée le 14 avril. Pen-
dant leur séjour dans cette ville, les tournois, les jeux
de cannes ("), les bals, les banquets, se succédèrent
sans interruption (^). Un festin fut offert au roi, auquel
les principales dames de Valence assistèrent, « vestues
« comme roynes, » au rapport de l'ambassadeur de
France, qui était présent; le roi y fit danser les jeunes
princes, ses neveux (*).
Le 24 avril, Philippe reprit le chemin de la Castille.
Il s'arrêta à Cuenca, où l'évéque, son confesseur f ),
avait sollicité la faveur de le recevoir. A Ocana,
il trouva la reine et la princesse qui étaient venues
au-devant de lui (®) ; il séjourna plusieurs semaines
avec elles à Aranjuez. Il était de retour à Madrid
dans les premiers jours de juin.
(•) Pâques, en 4564, tomba le 2 avril.
Juegos de cancut, l'un des divertissements favoris des Espagnols,
à celte époque.
(>) Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de BKédicis, du 24 avril 4564.
— Lettre de Tisnacq a la duchesse de Parme, du même jour.
(♦) Lettre de Saint-Sulpice à Charles IX, du 42 mai 4564.
p) Don Bernardo do Fresneda, religieux de l'ordre de Saint -Domini-
que, évéque de Cuenca. Il (ut en faveur auprès de Philippe II jus-
qu'en 4572, que le roi l'éloigna de la cour, en le nommant évécjuo de
Cordoue. (Voy. nos Relations des ambassadeurs vénitktts sur Charles-
Quint et l'hilippell, pp. 36, 406, 150, 479.)
C^) Lettre de Tisnarq, du 24 avril 4564.
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124 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
CHAPITRE VI.
Don Carlos, malade, retourne à Alcala. — Réflexions sur la destinée de
ce prince. — Il songe à faire son testament. — U confie ce dessein au
docteur Hernan Suarez de Toledo.— Suarez l*aide à le réaliser, et écrit
le testament de sa main. — Préambule et dispositions de cet acte. —
Témoins qui y interviennent. — Démenti qu*il domine à une assertion
de rhistorien Cabrera.
Don Carlos avait obtenu de son père la permission
de retourner à Aleala (^). C'était une triste destinée
que celle de ce prince. Jeune, héritier de la plus vaste
monarchie de l'Europe, objet des hommages de toute
une cour, de tout un peuple, il aurait pu souvent
envier le sort du moindre des vassauii de la couronne
de Castille : depuis çix ans déjà, il se voyait en proie
à un mal qui lui avait laissé à peine quelques instant^
de trêve, et qui épuisait en lui les sources de la vie Q).
(*) Lettre de Luis Quijada au roi, du M octobre 456^, et réponse du
roi, du 25 octobre : Archives deSimancas, Estado, leg. U3.
(') Tisnacq écrivait de Valence, le 24 avril 4564, à la duchesse de
Parme : « Monseigneur nostre prince est, ces jours passez, derechief
« tumbé en fiebvre tierce, et avoit esté par deux fois saigné ; et ce que
« le Courier qui en vint avant-hier apporta, portoitseullement que Son
« Altèze n'en estoit encoires délivrée. •
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CHAPITRE VI. >I25
Faut-il s'étonner si, dans une de ces heures d'abatte-
ment et de désespoir où sa fln lui apparaissait comme
prochaine, il songea à faire son testament?
Le toi et les princes du sang royal , partout où ils
résidaient, avaient à leur suite un alcade de maison
et de cour {alcalde de casa y corle)^ dont les attribu-
tions consistaient à veiller à leur sûreté, à punir les
délits commis par les officiers de leur maison, à don-
ner ordre à ce qu'on apportât au palais les denrées et
provisions de bouche nécessaires, et à fixer le prix de
celles-ci (^). L'alcade qui avait été désigné celte fois
pour exercer ses fonctions auprès de don Carlos , à
Alcala, était le docteur Hernan Suarez de Toledo,
naturel de Talavera, homme d'une grande instruction,
d'un commerce doux, d'un caractère prudent (^).
Don Carlos avait pris en affection le docteur Suarez ;
il lui confia son dessein. Suarez l'aida à le réaliser, et
{}) « Losalcaldes tienen à su cargo e1 govierno de la corte, y hazen en
ella el oficio como de corregidores. Némbranse alcaldes de corte y ras-
tro, porque su jurisdicion se estiende à los que siguen al rey, quando
haze Jornada deimportancia.... Pertenécèles el abastode mantenimien-
tos, poner precio en eIJos, averiguar los delitos, y teuer de dia y denoche
en seguridad la corte, y hacer acuerdos, y ppover autos de buena gober-
nacion » [Teatrode las grandezas de Madrid, por ei maestro Gil
GONÇALRS D'A VIL A, p. 403.)
« Los nuestros alcaldes de corte, ô alguno de elles, por si mismo
pongan los precios del pan, vino y cebada , y paja y carnes, y caza y
aves, y otros mantenimlentos que se traxeren à vender à nuestra corte,
ëe fuera paHe.,.. » {Novisimarecopilacion, lib. III, tit. XVIII.)
(') « Hombre de mucbas letras, de Irato afable y prudente. • (Adolfo
DB Castro, Historia de los protestantes espanoles, p. 344.)
M. DE Castro ajoute, immédiatement après, que le docteur fut ayo
(gouverneur) de don Carlos. On ne s'explique pas plus cette erreur que
celle des historiens qui font de Suarez Taumônier du prince.
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126 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
il écrivit de sa main le lesiamenl (^), afin que, selon
les intentions du prince, il demeurât plus secret.
Cet acte important (-) s'est conservé dans les archives
d'Espagne : c'est le plus curieux et l'on pourrait dire
même Tunique monument que nous ayons des pen-
sées, de l'esprit, du caractère de don Carlos. Il con-
vient donc de le faire connaître avec quelque détail ;
c'est pourquoi j'en traduirai littéralement le préambule
entier, ainsi que les principaux articles :
« Au nom de Dieu, amen. Soit notoire à tous ceux
qui verront ou oiront cette écriture publique de testa-
ment, que moi, don Carlos, par la grâce de Dieu, fils
aîné du roi don Philippe, mon père et mon seigneur,
prince héritier de ses royaumes et seigneuries d'Es-
pagne , d'Italie , de Flandre, des îles de la mer Médi-
terranée, et de toutes les Indes de terre ferme de la
mer Océane qu'on appelle le nouveau monde ; consi-
(») « .... La cual escriptura de mi testamenlo yo mandé que escri-
biese el doctor Hernan Suarez de Toledo, alcalde de la casa y corte de
S. M., que al présente réside sirviendoen la mia.... »
Don MoDESTo Lafuente, Historia gênerai de Espana, t. XIII, 1854,
p. 307, exprime l'opinion que ce fut fray Diego de Chaves, confesseur
de don Carlos, qui lui inspira son testament, et qui peut-être môme en
fut le rédacteur • « Nos inclinâmes a créer que séria inspiracion y tal
« vez obra de su confesor fray Diego de Chaves. » La circonstance que
don Carlos fit écrire son testament par le docteur Suarez suffirait seule,
selon nous, pour infirmer l'opinion de M. Lapuente ; mais il y a plus :
on verra, dans la suite de ce livre, que le prince avait une affection
véritable et une grande déférence pour le docteur Suarez, tandis qu'on
-ne trouve aucun indice de rapports djntimité et de confiancequi auraient
existé entre don Carlos et son confesseur.
(*) Il a été publié, en 1854, dans la Coleccion de documcntoa inédHos
para la hisloria de Espana, t. XXIY, pp. 515-550.
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CHAPITRE VI. 127
(lérant qu'il est si naturel de mourir que , dès qu'on
acquiert la connaissance de la vie . on apprend aussi
qu'elle doit se terminer par la mort , et que le plus
grand bien et faveur qu'on puisse obtenir auparavant
est d'être préparé de manière que, moyennant la grâce
de Notre-Seigneur, on se rende digne, dans le ciel, de
la place pour laquelle on a été créé; désirant, comme
chacun le doit désirer sur toutes choses , observer le
saint Évangile de Dieu où il nous avertit d'être prêts,
puisque nous ne savons ni le jour ni l'heure où nous
serons appelés ; voulant faire ce qui est en moi pour
que, quand l'époux viendra, je sois pourvu de la
lampe et de la lumière avec laquelle mon âme doit
aller au-devant de lui ; croyant, comme je crois, très-
fermement en la sainte Trinité, Dieu le Père, Dieu le
Fils et Dieu le Saint-Esprit, trois personnes diffé-
rentes, et en essence un seul Dieu, qui voulut se faire
homme et mourir sur la croix pour le péché de
l'homme, afin que nous pussions, par nos bonnes
œuvres en même temps que par notre croyance à sa
foi catholique, et par l'observation de sa sainte et douce
loi, obienir la rémission de nos fautes; et y croyant
selon 'et comme y croit et ordonne d y croire notre
sainte mère l'Église catholique romaine visible et une ;
appelant, ainsi que j'appelle, pour intercéder en ma
faveur et être mon avocate, la très-bénie vierge Marie,
mère de Dieu et de miséricorde , notre dame et
patronne générale des chrétiens, laquelle je supplie
d être la mienne, avec son très-glorieux fils, en tous
mes jours et au temps de ma mort : à ces causes, étant
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428 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
en santé corporelle , et avec le jugement et entende-
ment qu'il a plu à Dieu de me départir, pour son
honneur et gloire, je fais et ordonne le présent testa-
ment fermé, en la manière suivante :
ce 1<> Je recommande mon âme à Dieu, qui fut son
créateur et son rédempteur. Je le supplie, puisqu'il
l'a créée et rachetée, de daigner, par son immense
miséricorde , perfectionner en elle son ouvrage , me
donnant le moyen de vivre et mourir en état de grâce :
de sorte que , au temps où je quitterai ce monde , je
mérite de l'aller trouver dans sa gloire infinie. J'or-
donne que mon corps soit rendu à la terre dont il fut
formé; qu'il soit enseveli, vêtu de l'habit du seigneur
saint François, en la grande chapelle du monastère
de San Juan de los Reyes, â Tolède, et qu'il soit porté
en ladite chapelle, aussitôt après ma mort, en la forme
et dans l'ordre que le roi mon seigneur et mes exécu-
teurs testamentaires jugeront convenable. J'ordonne,
de plus, qu'on ne me fasse aucune espèce de mausolée,
et que sur ma sépulture on ne mette qu'une pierre de
jaspe simple et unie, sans sculpture.
« 2" J'ordonne et je yeux que. dans mon enterre-
ment, mes obsèques et mon anniversaire, lesquels
auront lieu ainsi qu'il est d'usage , on ne place , sur
ma sépulture ni ailleurs, aucun catafalque; qu'on ne
fasse aucune dépense qui se puisse éviter; qu'on
allume seulement en tout vingt-quatre cierges et qua-
rante-huit bougies, et que. aux jours de fête et autres
de l'année où des cierges devront brûler sur ma sépul-
ture, il y en ait seulement un aux quatre coins de la
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CHAPITRE VI. 429
tombe, sans plus. J'ordonne que les vêtements de deuil
qui se distribueront à l'oceasion de ma mort soient
donnés avec modération, et pour le seul profit de ceux
qui les recevront. Je supplie le roi mon seigneur, et je
charge mes exécuteurs testamentaires, de veiller à ce
que tout se fasse sans ostentation et vanité mondaine :
car ma volonté est qu'il n'y en ait en aucune chose.
« 3° J'ordonne que, l'année de mon décès, on dise,
dans le monastère de San Juan de los Reyes et dans
les autres couvents de la ville de Tolède , pour les
âmes des rois défunts desquels je descends et pour la
mienne, dix mille messes de requiem avec leurs
répons, et que, chaque année suivante, h perpétuité,
on en dise mille, à la même intention, dans ledit
monastère. Je veux qu'il soit donné en aumône mille
ducats pour les dix mille messes de la première année,
et cent ducats pour les mille messes des années sui-
vantes.
« 4° Je lègue à Notre-Dame de Monserrate et de
Guadalupe et à Sainte-Marie de Tolède , à chacune
trente ducats. J'assigne la même somme pour les
autres legs pieux qu'on a accoutumé d'appeler indis-
pensables.
<( 5° J'ordonne qu'on distribue en aumône dix mille
ducats pour la rédemption des chrétiens captifs qui se
pourront racheter, lesquels devront être du nombre
de ceux qu'on saura en avoir le plus besoin pour le
salut de leurs âmes, et qui furent pris en remplissant
le mieux leurs devoirs, au service de Dieu et du roi
mon seigneur. Je supplie le roi mon seigneur, et j'en-
9
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430 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
joins à mes exécuteurs testamentaires^ de pourvoir à
ce qu'il en soit fait ainsi.
« 6° J'ordonne que, par-dessus les mille ducats
dont le roi mon seigneur me fit la faveur de gratifier
Mariana de Garcetas (*), jeune fille étant présentement
au monastère de San Juan de la Penitencia, en la ville
d'Alcala de Henarès, pour l'aider à se marier^ ou lui
fournir les moyens d'entrer en religion, on lui donne^
si elle y entre, mille autres ducats avec lesquels elle
achètera une rente qui servira à ses besoins particu-
liers, et, si elle se marie, trois mille ducats : de ma-
nière qu'elle ait quatre mille ducats f ) de dot en se
mariant, et deux mille en entrant en religion.
c( 7<* J'ordonne qu'on règle incessamment, avec
Christophe Herman, allemand, et Juste Fichte, fla-
mand, le compte des sommes qu'ils m'ont prêtées pour
me faire plaisir, et qu'on les leur rembourse, à leur
satisfaction.
c( 8^ J'ordonne que, si quelques personnes deman-
dent payement de sommes dont elles prétendent que
je leur suis redevable, elles soient ouïes dans leurs
(*) Mariana de Garcetas serait-elle, par hasard, la jeune fille du con-
cierge du palais d'Alcala pour laquelle don Carlos, en 4562, avait conçu
de rinclination ? Cela assurément n'aurait rien d'invraisemblable ; mais,
malgré les recherches faites dans les archives de Simancas, il a été
impossible de le vérifier.
{*) Quatre mille ducats, en 4564, faisaient une somme assez considé-
rable. 11 fallait que don Carlos prît beaucoup d'intérêt à la demoiselle de
Garcetas, pour se montrer aussi libéral envers elle.
Nous voyons, dans les comptes du prince, que, le 9 avril 4566, il lui fit
présent d'une belle mantille. (Archives de Simancas : Coniadurias gène-
raies, 4« época, leg. 4056.)
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Qoo^(<
CHAPITRE VI. m
réclamations, et que, si mes exécuteurs testamentaires
trouvent celles-ci fondées, ils y satisfassent, sans
recourir aux voies judiciaires. Je charge de cela la
conscience de mesdits exécuteurs, et je supplie le roi
mon seigneur d'ordonner que la chose s'effectue ainsi,
pour la décharge de mon âme.
ce 9** Je déclare que je dois à Garcilaso Puerto-
carrero, frère du comte de Palma, une robe de martre
qu'il me donna il y a quelques années. Je veux qu'on
lui compte mille ducats pour l'en payer.
« iO» Comme j'ai de grandes obligations au révé-
rend père en Dieu don Honorato Juan , évêque élu
d'Osma, mon maître, et que je l'aime beauœup, ainsi
qu'il le mérite , je veux qu'on paye toutes ses dettes
de même que si elles étaient les miennes propres.
J'espère , et je l'en prie , qu'il voudra bien accepter
cette faible marque de l'amitié que je lui porte.
c( 4i<> Je lègue audit don Honorato Juan, pour la
peine qu'il prendra d'être mon exécuteur testamen-
taire, mes tapisseries d'or et de soie représentant la prise
du très-chrétien roi de France, François, près dePavie.
« 12" Je lègue à Luis Quijada, mon grand écuyer,
toutes les choses qu'il a et aura à moi au jour de mon
décès, sans qu'il ait à en rendre aucun compte. Je lui
lègue, de plus, toutes les pièces d'artillerie que j'ai et
aurai dans l'alcazar de Ségovie, sous la garde du comte
de Chinchon, gouverneur dudit alcazar, et de son
lieutenant, auxquels j'ordonne de les lui délivrer. Je
lui fais ces legs, pour la peine qu'il prendra d'être
mon exécuteur testamentaire.
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132 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
c( 13" J'ordonne que Jes saînles reliques que j'ai con-
fiées à doîïa Leonor de Mascarenas ('), et toutes les
autres qui m'appartiennent, en quelque lieu qu'elles se
trouvent, soient remises au monastère de San Juan de
los Reyes, que j ai choisi pour ma sépulture, afin d'y
être placées là où les religieux dudit monastère le trou-
veront convenable. Mais comme, entre ces reliques, il
y a une épine réputée l'une de celles dontfut couronné
Notre-Seigneur Jésus-Christ en sa passion, laquelle me
fut donnée par feu don Antonio de Kojas, mon gou-
verneur et grand maître, et que j'ai entendu dire, sans
toutefois le savoir avec certitude, qu'elle appartenait à
son majorât, dont elle ne pouvait être distraite, selon
le» dispositions de ses ancêtres, j'ordonne et veux que,
s'il est reconnu qu'elle fasse partie dudit majorât, elle
soit rendue à celui qui y a succédé ou y succédera.
« i4° J'ordonne que Diego et Juan, mes esclaves,
auxquels j'ai voulu qu'on fasse apprendre l'art de la
sculpture, sous la direction de Jacome de Trezo,
maître de cet art , s'ils l'apprennent et se conduisent
en hommes de bien, soient déclarés libres. J'ordonne
de plus que, en ce cas, mes exécuteurs testamentaires
pourvoient à ce qu'ils se marient, et les gratifient,
pour les y aider, de ce qu'ils jugeront convenable.
Mais s'il leur paraît que lesdits Diego et Juan n'aient
pas des mœurs et un caractère tels que la liberté leur
puisse être avantageuse , ma volonté est qu'alors elle
ne leur soit pas donnée, et je lègue, en toute propriété,
{') Voy. p. 6.
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CHAPITRE VI. - 433
ledit Diego à l'évêque élu d'Osma, mon maître, et
ledit Juan à don Pedro Pimentel, marquis de Tâvara,
gentilhomme de ma chambre , que je charge l'un et
l'autre de les faire bien traiter et de manière qu'ils ne
se perdent pas. Je charge aussi mes exécuteurs testa-
mentaires, sur leur conscience, de se régler, dans l'ac-
complissement de cette disposition, selon la volonté
que j'y exprime.
w 15° Attendu qu'en l'année 1S62, étant en la ville
d'Âlcala de Henarès, si malade que je crus l'heure de
ma mort arrivée , je promis à Dieu , s'il daignait me
rendre à la santé, que je donnerais aux monastères de
Notre-Dame de Monserrate, de Notre-Dame de Gua-
dalupe, et du Crucifix de Saint- Augustin en la vïlle
de Burgos, à chacun trois arrobes d'or et neuf d'ar-
gent (') ; que je promis de même trois arrobes d'or et
trois d'argent au monastère de Saint-François en ladite
ville d'Alcala, où repose le corps du père nommé
saint fray Diego ; que depuis, ayant plu à Dieu de me
délivrer de cette grave maladie, le roi mon seigneur,
à ma prière, me fit la grâce de se charger du payement
desdites douze arrobes d'or et trente d'argent; et
comme je désire que ce payement s'effectue, je déclare,
pour le cas où , au temps de ma mort , il n'aurait pas
eu lieu, que le roi mon seigneur s'est, ainsi que je l'ai
dit , engagé à y satisfaire , et que les monastères sus-
nommés auront à recourir à Sa Majesté , laquelle je
(^) Ceci diÊfère quelque peu de ce qui est rapporté p. 94 ; mais, en ce
dernier endroit, nous avons suivi la relation de Daza.
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434 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
supplie de nouveau^ autant que je le puis^ d'ordonner
ledit payement^ afln que mon vœu s'accomplisse.
te i6« Comme^ étant en proie à ladite maladie,
abandonné des médecins, laissé pour mort par le roi,
mon père et mon seigneur, et les dispositions étant
prises pour mon enterrement , on m'apporta le corps
dudit père nommé saint fray Diego , et que , du mo-
ment où on l'eut approché de moi et où je l'eus touché,
j'éprouvai l'amélioration que Dieu Notre-Seigneur
daigna me donner ; comme je suis fondé à croire que
j'en fus redevable aux mérites de fray Diego et à son
intercession favorable auprès de Sa Divine Majesté,
ainsi qu'en jugèrent ceux qui étaient là présents, et
que, par ce motif, mon intention est depuis lors d'ob-
tenir , autant que cela sera en moi , la canonisation
dudit père , afin que , de l'autorité de notre mère la
sainte Église romaine , on puisse vraiment lui donner
le nom de saint, dont il s'est rendu digne par sa vie et
ses miracles, je supplie le roi mon seigneur, si la
chose ne pouvait avoir lieu de mon vivant, de faire en
sorte qu'elle se réalise plus tard, selon le propre désir
que je sais que Sa Majesté en a.
tt 17° Quand, en l'année 1563, don Martin de
Cordova, frère du comte d'Alcaudete, défendit si
héroïquement, selon qu'il est notoire, le fort de Mazal-
quivir , près d'Oran en Barbarie , que l'armée algé-
rienne, composée de Turcs et de Mores, tenait assiégé
par mer et par terre, et auquel elle avait livré
plusieurs assauts, après l'avoir battu avec furie, le
sauvant , par cette énergique résistance , d'une perte
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CHAPITRE VI. 435
qui aurait été des plus graves pour les royaumes d'Es-
pagne ('), je désirai que ledit don Martin de Cordova
fut imoiédiatement récompensé d'une manière aussi
éclatante qu'il le méritait^ pour servir d'exemple à
d'autres. Le roi mon seigneur n'ayant pu alors, à
cause des nécessités publiques, réaliser ce vœu Je pro-
mis, déterminé par la volonté que j'ai toujours d'ac-
corder des grâces à ceux qui se signalent par leurs
services, de gratifier ledit don Martin de trois mille
ducats de rente perpétuelle pour lui etses descendants,
alin de conserver la mémoire éternelle d'un si haut
fait. Gomme il n'a pas encore été en mon pouvoir
d'accomplir cette promesse, j'ordonne, si la mort
m'empêche de le faire, qu'on achète pour don Martin
de Cordova lesdits trois mille ducats de rente perpé-
tuelle, à raison de trente mille ducats pour mille.
(*) Cet événement est rapporté avec détail dans une lettre que Phi-
lippe H écrivit, le 45 jyiin 4563, à Tévèque de la Cuadra, son ambassa-
deur à Londres. Nous la transcrivons ici :
« Ya habreis entendido como el rey de Argel habia acometido la
empresa de Oran. Lo que ha sucedido es que comenzo à bâtir à Maçal-
quivir à los 8 de mayo, y à los 22 le dio un asalto, y fué rebutado con
pérdida de arta geute, y los tornô à bâtir por otra parte basta los 2 de
junio, que les diô otro asalto, por la bateria vieja y nueva, y por la
parte de la niar ; y los de dentro se defendieron tan valerosamente, que*
los rebutaron y hicieron retirar, y le mataron muchos y hirieron tantos
que enviaron ocho galeotas cargadas de heridos à Argel. Después , à
los 6, les dieron otro asalto, y tambien fueron rebutados ; y à los 8 deste
llegô nuestro socorro, que enviamos desde Cartagena ; y las velas de los
enemigos que allf estaban , entendiendo que iban nuestras galeras, se
fueron huyendo hacia Argel. Y el rey con su egército, en descubriendo
nuestra armada , se retiré à tanta priessa que perdiô toda el artilleria
con que batia, y los nuestros socorrieron â Maçalquivir y à Oran, que
tenian arta necesidad.... » (Archives de Simancas, Estado, leg. 846.)
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136 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
faisant ainsi quatre-vingt-dix mille ducats , desquels
je veux qu'il soit formé un majorât pour lui et ses
descendants. J'ordonne, de plus, qu'il soit dressé acte
de la concession de ces trois mille ducats de rente per-
pétuelle, ainsi que de la substitution dont ils seront
grevés , et qu'on y insère la ^présente clause de mon
testament, afin qu'il conste que cette grâce lui a été
accordée pour sa belle défense du fort de Mazalquivir
contre les ennemis de notre sainte foi catholique; et
je supplie le roi mon seigneur de commander que la
volonté que j'exprime ici soit accomplie , comme je
l'espère de la grandeur et de la magnificence dont il
use et désire entièrement user envers ceux qui servent
Dieu et Sa Majesté avec tant de distinction.
« 18^ Je veux qu'on achète, en telle quantité que
le roi et mes exécuteurs testamentaires le jugeront
suffisant pour l'accomplissement à perpétuité de ce
que par le présent testament j'institue et j'ordonne,
des biens-fonds, des rentes domaniales et autres qui y
restent affectés à perpétuité. Et comme tout cela , je
l'ordonne et l'établis , dans l'espoir que le roi , mon
père et mon seigneur, l'approuvera, et fera pourvoir
à ce qu'on l'observe, je supplie Sa Majesté Catholique,
et je lui demande à titre de dernière faveur, aussi
afifectueusement que je le puis , de daigner prescrire
qu'après ma mort on l'exécute avec toute la prompti-
tude possible, puisque je lui aurais coûté bien davan-
tage pendant ma vie , et de le prescrire de la même
manière que la volonté que j'ai de lui obéir , de lui
être agréable et de le servir en tout, me fera accom-
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CHAPITRE VI. 437
plir son testament^ s'il arrive que, selon l'ordre de la
nature, je vienne à lui suceéder. Je me confie en Sa
Majesté , et j'espère d'elle , comme mon père et mon
seigneur, qu'elle daignera me faire ce bien et cette
grâce que je sollicite, comme son seul et très-obéissant
fils, pour l'exécution du présent testament, qui doit
servir à la décharge de mon âme et de ma conscience.
Je recommande à mes exécuteurs testamenlaires de
le lui rappeler. J'attends d'eux qu'ils feront tout ce
qu'il convient pour s'acquitter de leur office avec
l'exactitude, la fidélité et la bonté que toujours ils ont
mises à remplir les charges que le roi mon seigneur
leur a confiées.
« 19*» Je veux et ordonne que, au moyen des biens-
fonds et des rentes domaniales et autres qui seront
achetés et hypothéqués, selon le prescrit de l'article
précédent, on paye, chaque année, à tous mes servi-
teurs et officiers de ma maison , depuis le premier
jusqu'au dernier, et aussi bien à ceux qui le seront
au temps de ma mort qu'à ceux qui l'auront été à
quelque époque que ce soit (ceux qui auraient été
renvoyés pour mauvaise conduite seuls exceptés), à
chacun d'eux les gages entiers dont jouissent aujour-
d'hui les serviteurs du roi mon seigneur qui remplis-
sent dans sa maison des offices analogues, et cela
pendant leur vie , où qu'ils veuillent demeurer , et
sans qu'ils soient obligés de servir personne. C'est,
de plus, ma volonté que don Pedro Pimentel , mar-
quis de Tâvara, gentilhomme de ma chambre, reçoive
les mêmes gages , salaire et émoluments que reçoit
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438 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Ruy Gomez de Silva^ prince d'Eboli, en sa qualité de
sommelier du corps du roi mon seigneur, car je désire
qu'il soit le mien, pour la manière dont il m'a servi et
me sert, et je me propose de supplier Sa Majesté
qu'elle me fasse la faveur de lui conférer cette charge;
j'entends donc qu'après ma mort il en touche les
gages et émoluments. Dans ma situation présente, je
ne saurais faire davantage pour mes serviteurs, quel-
que désir que j'en aie : mais, si Dieu dispose de moi
avant que j'aie pu les récompenser, je les recommande
particulièrement au roi , mon père et mon seigneur.
Les grâces qu'ils recevront de sa main seront plus
grandes et plus signalées que celles que j'aurais été en
état de leur accorder, si j'avais vécu ; et celle que Sa
Majesté me fera ains^ sera égale au contentement que
tout prince doit éprouver en répandant ses bienfaits
sur ceux qui le méritent par leurs bons services. »•
Dans l'art. 20, don Carlos, voulant donner à Juan
Estebez de Lobon, son ayuda de cdmara^ une marque
particulière de sa satisfaction, lui assigne, chaque
année , le triple des gages et émoluments affectés à
cette charge. On verra plus loin comment Lobon, qui
était alors en si grande faveur auprès du prince,
encourut sa disgrâce.
Les art. 2i-27 concernent l'érection d'un collège
dans le monastère de San Juan de los Reyes, à Tolède,
où des prières seront dites pour l'âme de don Garlos
et pour celle des rois , ses prédécesseurs : ils déter-
n|inent le nombre de chaires qui y sera établi, la
forme de son administration , les qualités requises
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CHAPITRE VI. 439
pour y être recteur, professeur ou boursier, les avan-
tages dont les boursiers jouiront, etc.
L'art. 28 est relatif à l'entretien de la chapelle que
le prince a désignée pour sa sépulture.
Par l'art. 29, il institue le roi, son père, son héri-
tier universel , au cas qu'il meure sans enfants légi-
times.
Par le 30® , il nomme, pour ses exécuteurs testa-
mentaires : le roi d'abord, qu'il supplie humblement
d'accepter celte eharge ; puis le très-révérend père en
Dieu don Fernando de Valdès, archevêque de Séville,
inquisiteur général et du conseil d'État; don Honorato
Juan, évéque élu d'Osma, le père fray Diego de
Chaves , son confesseur , les révérends pères en Dieu
don Crisloval de Rojas, évéque de Cordoue, don
Pedro Ponce de Léon, évéque de Plasencia, don Pedro
Gasca, évéque de Sigûenza, tous trois du conseil royal;
Ruy Gomez de Silva, prince d'Eboli , sommelier de
corps du roi , du conseil d'État et grand trésorier de
Castille ; le régent Juan de Figueroa , président du
conseil des ordres et aussi du conseil d'État; Luis
Quijada; le commandeur Francisco de Eraso, secré-
taire du roi et membre du conseil de guerre; le
licencié Vaca de Castro, du conseil royal; le licencié
Otalora, qui fut et voulut cesser d'être du même con-
seil royal, de celui de la sainte et générale inquisition,
ainsi que de ceux de la càmara et des finances; enfin
le docteur Hernan Suarez de Toledo.
L'art. 3i prévoit le cas qu'un ou plusieurs de ces
exécuteurs teslamenlaires viennent à mourir.
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440 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Dans l'art. 32, don Carlos déclare qu'il n'a fait
aucun autre testament.
Il dispose, dans l'art. 33, que celui-ci demeurera
en sa force et vigueur, alors même qu'il en ferait un
nouveau ou un codicille , à moins qu'il ne dise , en
termes clairs et explicites, dans ledit nouveau testa-
ment ou codicille , qu'il entend révoquer celui-ci ou
quelqu'une des clauses y contenues.
Suivent six articles additionnels.
Par le premier, don Carlos ajoute le docteur don
Diego Cobarubbias de Leyva, évêque de Ciudad-
Rodrigo, du conseil royal, au nombre de ses exécu-
teurs testamentaires.
Par le deuxième , il abandonne aux mêmes exé-
cuteurs testamentaires la fixation des mois et des
jours où se diront les messes qu'il a ordonnées et
fondées dans le monastère de San Juan de los Reyes.
Il çxprime la volonté , dans le troisième , que le
collège à annexer au monastère de San Juan de los
Reyes compte au moins trois chaires et trois régents,
l'un de l'Écriture sainte et les deux autres de Saint-
Thomas. Ses dispositions primitives ne comprenaient
qu'une seule chaire de Saint-Thomas.
Le quatrième article additionnel est relatif au col-
lège de Saint-Thomas, de Tordre de Saint-Dominique,
à AJcala, auquel don Carlos fait don de mille ducats.
L'objet des deux derniers est de recommander à la
bienveillance particulière du roi fray Diego deChaves et
don Honorato Juan, mais surtout le dernier. Don Carlos
y rappelle que c'est à sa prière que le roi a nommé don
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CHAPITRE VI. 441
Honorato évêquc d'Osma Q) ; il lui a de si grandes
obligations et il l'aime tant, dît-il, qu'il ne voudrait
pas que sa mort vînt nuire à l'avancement dont il est
digne par son mérite.
Le 19 mai 1S64, don Carlos, étant au lit, ma-
lade Q, délivra ce testament, fermé et scellé de son
(') Honorato Juaû, on ignore pour quelle raison, avait encouru pen-
dant quelque temps la disgrâce de Philippe H. C'est ce que nous apprend
*le passage suivant d'une lettre de Gonçalo Ferez au cardinal de Gran-
velle, du 45 juin 4563 : <* Honorato Juan es buelto aqui, liamado de
« S. M., 7 se tiene por cierto que le daràu un obispado, de los que estàn
« vacos, y sera confesor del principe. ÉI lo meresce todo, y me pesa va
« harto de que se huviese arrinconado un hombrecomo él.... » {Papiers
d'État du cardinal de Granvelle, t. VII, p. 402.)
Juan, en effet, selon la prévision de Gonçalo Ferez, eut un évôché ;
mais Philippe II donna le poste de confesseur du prince à fray Diego de
Chaves, de Tordre de Saint- Dominique.
Don Carlos, après avoir obtenu du roi la nomination de son précepteur
au siège d'Osma , écrivit au pape^ ainsi qu'à don Luis de Requesens,
grand commandeur de Castille, ambassadeur d'Espagne à Rome, et au
cardinal Borromée, afin que l'expédition de ses bulles se fit prompte-
ment, que la taxe en fût réduite, et qu'il jouît des fruits de Févèché
depuis qu'il était devenu vacant. « Traitez cette affaire comme une chose
•I qui m'est personnelle, » mandait-il au grand commandeur de Castille.
(Voy. la Coleccion de documentos inédites para la historia de Espana,
t. XXVl, pp. 402-405.)
L'expédition des bulles d'Honorato Juan souffrit quelque retard, parce
que, selon le concile de Trente, les sujets nommés à des églises cathé-
drales devaient justifier des grades requis, ou produire une déclaration de
quelque université qui y suppléât. Le roi lui en écrivit le 21 février 4564.
Il exprima en même temps à l'université d'Alcala le désir qu'elle lui
délivrât la déclaration dont il avait besoin. L'université s'empressa de
déférer à cette invitation Elle répondit au roi qu'elle l'avait fait avec un
grand plaisir, car Télu d'Osma était l'une des personnes les plus méritantes
des Espagnes : « por ser, como es, una de las personas mas beneméritas
« que ay en estos reinos. » (Kircher, p. H1 . — Coleccion de documentos
inéditos, etc., t. XXVI, p. 405.)
(') « .... Estando en la cama, â lo que parecia, enfermo, » porte l'acte
du notaire Çàvala.
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442 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
sceau , à Domingo de Çàvala, escribano de cdmara
du roi et notaire public, en présence de sept té-
moins, qui tous appartenaient à Tordre ecclésiastique :
c'étaient don Martin Ramos, recteur du grand collège
et de l'université d'Alcala ; le docteur don Fernando
de Balbas, grand abbé de cette ville; le père fray
Alonso de Hontiberos, recteur du collège de Saint-
Thomas ; le père fray Mancio et le docteur Pedro de
Balbas, professeurs de théologie ; le père fray Luis de
Slrada, recteur du collège de Saint-Bernard , et le
père fray Juan de Andrada , gardien du couvent de
Saint-François. Selon l'expresse volonté du prince,
cet acte ne devait s'ouvrir qu'après sa mort Ç).
Cabrera prétend que le cerveau de don Carlos fut
atteint par la blessure qu'il avait reçue à la tête, dans
sa chute à Alcala, et que de là naquirent les extrava-
gances et les désordres auxquels il se livra depuis Q,
L'acte que nous venons de faire connaître donne un
démenti à cette assertion : car il est plein de sens, de
raison et de cœur; il respire les sentiments les plus
nobles et les plus généreux. Si l'histoire avait à juger
don Carlos sur son testament, elle n'aurait que des
éloges à décerner à sa mémoire.
(*) « .... Y quiereque se abra después del fin de sus dias, y no ântes. »
(Déclaration du notaire Çàvala.)
P) « .... Elcérebro del principe mostrôsu lésion, estandola voluntad
menossujetaà la razon, ajustada con la de su padre, etc. » [Historia de
Felipe II, liv. VI, chap. V, p. 396.)
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CHAPITRE VII. «3
CHAPITRE VIL
Don Carlos, délivré enfin de la fièvre, va rejoindre la famille royale à
Madrid. — Portrait que le baron de Dietrichstein fait de lui , d*abord
sur des ouï~dire et ensuite après l'avoir vu. — Autres portraits du
prince, tracés par les ambassadeurs vénitiens. — Le roi donne à son
fils entrée au conseil d*État et organise sa maison. — Il nomme Ruy
Gomez de Silva son grand maître. — Déplaisir que cette nomination
cause à don Carlos. — Composition de sa maison. — Dangereuse
maladie de la reine Elisabeth de Valois : affliction qu'en montre don
Carlos. — La reine est sauvée par un médecin français. — Le prince
éprouve un nouvel accès de fièvre. — Passage de Brantôme par
Madrid. — Ce qu*il raconte de don Carlos. — Pie IV envoie au prince
d'£spagne Testoc et le chapeau bénits^ — Arrivée à Madrid du comte
d'Egmont : doute exprimé sur la démarche qu'il aurait faite auprès
de don Carlos , suivant Brantôme. — Sollicitations pressantes de
Catherine de Médicis pour avoir une entrevue avec le roi d'Espagne-
— Philippe II , après les avoir éludées pendant plusieurs années ,
consent à ce que sa femme aille voir la reine-mère à Bayonne. —
Départ et voyage d'Elisabeth de Valois; attentions que don Carlos
montre pour elle; fêtes qui lui sont données à Valladolid.— Son retour
en Espagne. — Le roi et don Carlos se portent à sa rencontre. —
Incident relatif à don Juan d'Autriche. — Intempérance de don Carlos,
qui lui occasionne une nouvelle indisposition. — Il va avec le roi au
devant du légat du pape, et ensuite à Tolède pour la réception du
corps de saint Eugène.
La fièvre abandonna enfin don Carlos; le 51 mai,
pour la dernière fois, il en ressentit les atteintes. Sa
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U4 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
convalescence fut rapide , et il put songer bientôt à
aller rejoindre la famille royale ; il arriva à Madrid le
iO juin, le même jour que son père. Tout le monde
fut frappé de la croissance qu'il avait prise pendant sa
maladie (*). Le 24 juin, à l'occasion de la Sainl-Jean,
les jeunes seigneurs de la cour organisèrent un jeu de
cannes ^ il se mêla à eux, et se fit remarquer par son
adresse dans ce divertissement si cher aux Espa-
gnols 0.
Le baron de Dietrichstein, qui était venu remplacer
à la cour de Madrid l'ambassadeur don Martin de
Guzman, avait reçu, de l'empereur et du roi de
Bohême , la recommandation expresse de s'enquérir
avec soin du caractère, des habitudes, des qualités
physiques et morales du prince des Asturies. A peine
arrivé dans la Péninsule , Dietrichstein se mit en de-
voir de recueillir les renseignements qui intéressaient
sa cour. Le 22 avril il écrivit, de Valence, au roi de
Bohême :
« Les informations que j'ai obtenues jusqu'à pré-
(') « Monseigneur nostre prince a encoires, depuis quelques jours ,
derechief eu quelque petit excès de sa terciane, mais se va présentement
renforsant, et entens que Son Altèze rethournera aussy de brief en ce
lieu.... » (Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, écrite de Madrid,
16 34 mai 4564.)
« Le prince d*Espagne, depuis le dernier de may, n*a point eu d'accès
de fiebvre, et se porte assez bien. Il est assez creu durant sa maladie, et
est depuis sa medy dernier en ce lieu.... » (Lettre de Saiut-Sulpice à
Catherine de Médicis, écrite de Madrid, le 12 juin 1564.)
(') o Le jour de Saint-Jan y eust icy jeu de cainnas, où Son Altèze
estoit de la compaingnie, et s'acquita fort bien.... » (Lettre de Tisnacq à
la duchesse de Parme, du 28 juin 1564.)
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CHAPITRE VIT. U5
sent sur le prince d'Espagne^ sont peu satisfaisantes.
A ce qu'on dit, il a le teint blanc et les traits réguliers,
mais il est d'une pâleur excessive. Une de ses épaules
est plus haute que l'autre ; il a la jambe droite plus
courte que la gauche. Il bégaye légèrement. En beau-
coup de choses il montre un bon entendement ; en
d'autres, un enfant de sept ans ferait preuve d'autant
de raison que lui. Il veut tout savoir et pose quantité
de questions, mais sans jugement et in nullum finem,
plutôt par habitude qu'autrement. Jusqu'ici on n'a
pu remarquer s'il a de nobles inclinations , ni voir à
quoi il est porté, si ce n'est au plaisir de la table : car
il mange tant et avec tant d'avidité que ce n'est pas à
dire, et à peine il a fini qu'il est prêt à recommencer.
Ces excès de table sont la cause de son état maladif,
et bien des personnes pensent qu'en continuant de la
sorte, il ne pourra vivre longtemps. Il ne fait aucun
exercice. Quand il s'est proposé quelque chose , il le
poursuit avec ardeur. Il ne connaît pas de frein à sa
volonté : pourtant sa raison n'est pas assez développée
pour lui faire discerner le bon du mauvais, le nuisible
de l'avantageux, ce qui est convenable de ce qui peut
ne pas l'être. On ne s'est pas aperçu encore qu'il ait
du penchant pour le commerce avec les femmes : d'où
beaucoup de gens infèrent qu'il est inhabile à la géné-
ration 5 mais, selon d'autres, il aurait dit qu'il veut
que la femme qu'il épousera le trouve vierge. Dans
l'opinion de quelques-uns , il est devenu si chaste et
il a tant de défauts, parce que, ayant une grande âme,
il voit son père ne faire nul cas de lui et ne lui donner
40
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f'
U6 DON CARLOS ET PHILIPPE lï.
aucune autorité : ce qui le rend à moitié désespéré.
Il parait aussi qu'on a mal dirigé son éducation r car
son naturel était bon, et, étant plus jeune, il se mon-
trait tout différent de ce qu'il est aujourd'hui (^). »
Dîetrichslein parlait ainsi sur des ouï-dire. Dans
une dépêche du 29 juin, il put s'exprimer avec plus
de certitude ; il avait vu don Carlos et s'était appliqué
à l'étudier.
c( Le prince — manda-t-il au roi de Bohême — se
porte maintenant assez bien. Le portrait que je puis
(') « Die Informazion so ich bisher hab, ist schlecht genueg. Er (der
printz Hispani) sol von angesicht bais vnd guter fatzionen sein, awer
gar blaher farb.... ; die ain Schulter oder axl hoher dan die ander, den
rechten fues kurtzer dan den linken, slamlet etwas mit der red. In vilen
erzaigt er ain guten verstant , berwider in anderen so ist er noch so
kindisch als ain kint von siben jaren, redtgern vnd fragt vmb aile ding,
awer mit kbainen judicio oder in nuUum finem, mer aus gewonheit als
sunsten. So bat man bisber nit merkben khundten, das er zu etzwas
guten geneigt, oder sunsten nit abnemen mogen zu wo er ain lust vnd
incliniert, ails allain zum essen, vnd also ist er so geitig vnd so vil das
nit davoo zu sagen, vnd wan er erst gessen, so as er von newem wieder.
Solches yberessen sei ain vrsach aller seiner Sbaheit , vnd tregt des
meniklich besorg, er w^erde nit lange leben khinden bej dem v^esen.
Vnd braucht sich khainer uebung nit. Was er im fûrnimbt, das will er
das uort ge, vnd last im sein willen nit brechen, vnd ist doch die ver-
Dunfft nit also, das er zu vnterschiden wûste unter dem was recht vnd
vnrecht, schediich oder nutz ist, was acondicionado ail possibile vnsau-
ber. Bisher bat man nit spuren khundten, das er ainige zuneigung oder
begier zu weibern gehabt, dardurch ir vil inferiren wollen, quod siê
impolens, Andero leut sagen, das er sag, er wôll das ime die so er zu
ainem weib nem, jungfraw fint. Vil mainen, das er so gar pudico und
mal acondicionado, bescbeh aus dem das er ain gros gemuet, vnd darne-
ben sieht das sein Vater so gar seiner nit acht vpd er so gar nix ver-
mag ; sej halb verzweiflet, so sej auch vil versaumU worden das er nit
anderst erzogen, dan seine naturalia sein guet, so sei er aucb, wie er
khiiner, nit also gewest. » (Koch , Quellen zur Geschichte des Kaisers
Maximilian II, p. 422.)
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CHAPITRE VII. 447
faire de lui à Votre Majesté ne différera pas beaucoup
de celui que j'ai fait précédemment. Il est assez bien
de figure, et ses traits ne sont pas désagréables. Il a les
cheveux bruns et lisses, la tète médiocre, le front assez
peu élevé, les yeux gris, les lèvres moyennes, le men-
ton un peu long, la Ggure très-pâle. Rien en lui ne
rappelle le sang des Habsbourg. Il n'est pas large des
épaules, ni d'une taille élevée; l'une de ses épaules est
un peu plus haute que l'autre. Sa poitrine rentre ; il
a une petite bosse au dos, à la hauteur de l'estomac.
Sa jambe gauche est beaucoup plus longue que la
droite, et il se sert moins facilement de tout le côté
droit que du côté gauche. Il a les cuisses assez fortes,
mais mal proportionnées, et il est faible des jambes.
Sa voix est fine et fluette ; il éprouve de la gêne quand
il commence à parler, et les mots sortent difiicilement
de sa bouche; il prononce mal les r et les /; en somme
toutefois, il sait dire ce qu'il veut, et parvient à se faire
comprendre assez bien.
c< Comme je le fréquente peu, je ne peux écrire à
Votre Majesté , sur sa conduite , que ce qu'on raconte
de lui. Il ne témoigne que de l'amitié et de l'affection
à mon gracieux seigneur (le prince Rodolphe). S'il
passe pour avoir des défauts, il y a beaucoup de gens
qui ne s'en étonnent pas, en considérant ce qui s'est
fait à son égard, sans compter qu'il a été toujours
faible et maladif. On a essayé maintenant de remédier
à la négligence qui a été apportée à son éducation dans
son jeune âge, et de le tenir comme on aurait dû le
faire alors; sa fierté naturelle se révolte contre ces
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U8 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
tentatives. Tous les serviteurs qu'il a lui sont donnés
contre sa volonté. Son père ne l'emploie en rien : ce
qui le chagrine vivement. Peut-être y a-t-il des raisons
pour cela, car il est d'un caractère violent et irritable,
et il se laisse quelquefois aller à de terribles colères.
Ce qu'il a sur le cœur, il le dit sans déguisement (*),
n'importe la personne qui pourrait en être blessée.
Quand il a conçu du mécontentement contre quel-
qu'un, il n'en revient pas aisément. Il se montre opi-
niâtre dans ses idées, et poursuit jusqu'au bout ce
qu'il s'est proposé une fois : de façon qu'il y a bien des
gens qui s'effrayent de ce qu'il serait capable de faire,
si la raison cessait de le maintenir dans la bonne voie.
Il m'a parlé plusieurs fois et questionné, selon son
habitude; mais loin d'être hors de propos, comme on
dit qu'elles le sont souvent, toutes ses questions m'ont
semblé très-convenables. Sa mémoire est excellente.
Il a l'esprit piquant : ce qui donne parfois occasion
au monde de discourir sur ce qu'il est si libre dans
son langage, si franc et si inconsidéré ; mais certai-
nement plusieurs des défauts qu'on remarque en lui
auraient pu être corrigés par l'éducation. Jusqu'ici
il n'a manifesté aucun penchant à nulle chose en par-
ticulier. Il est fort glouton ; pourtant on a su le plier
à une sorte de régime : ordinairement il ne mange
que d'un mets, qui est tout un chapon bouilli coupé
en petits morceaux, et sur lequel on a versé le jus ex-
{^) L'archevêque de Rossano.nonce à Madrid, écrivant, le 30 juin 4 566,
au cardinal Alessandrino , lui disait la même chose : « È principe che
« quelle che ha in cuore ha in bocca. »
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CHAPITRE VIL U9
primé d'un gigot de mouton; il ne boit qu'une fois pen-
dant son repas, et de l'eau Ç) : car le vin lui répugne.
« Il est extrêmement pieux et grand amateur de la
justice et de la vérité. Il déteste le mensonge , et ne
pardonne jamais à celui qu'il a surpris une fois à
mentir. Il affectionne les personnes intègres, probes,
vertueuses et distinguées. Il veut qu'on le serve bien
et exactement ; il aime et favorise ceux qui le servent
ainsi. Il est hospitalier. Quant au commerce avec les
femmes, il n'a pas encore fourni d'indice de ses incli-
nations à cet égard, et au fond il n'y a personne qui
puisse affirmer qu'il est inhabile à la génération. Si
j'avais à en décider, la nuit seulement me fournirait
quelque soupçon à cet égard,
« Conclusion : don Carlos est un prince infirme et
faible, mais, en revanche, il est le fils d'un puissant
monarque Q). m
(^) En ce point, don Carlos ressemblait kson quatrième aseul, Charles
le Téméraire, qui, selon M. Michelet, « était buveur d*eau. » (Vay.
Louis XI et Charles le Téméraire, 446'I-U77, Paris, 485a, in^12,
p. 120.)
(*) « So vill awer des Prtntzen person betrifift, ist er hierez zimblich
woi auf...., khan im I. M. nit vil anderst beschreiben ails ich zuvor
getan. Von angesicht ist er zimblich wol gestalt, bat kheinebose Fac-
tion, ain praun lats haar, médiocre caput, nit sunders hoche stiern ,
grabie augen, ain mittelmasige lefzen, ain langelet khin, vnd angesicht
gar blah, schlecht nit aus dem osterreichischen geschlecht , nit prait
von axl, von leib auch nit gross, der ain axi hoher ain wenig ails die
andere, ain aingebogene Brust, vnter den schultern herab schier gegen
den mageu y wer ain pukhele , den iinkhen fuess auch vmb ain gutz
lenger dan den rechten, vnd braucht die ganz recht seiten ybler dan
die linkhe , zimblich stark schenkhel, awer ybel proportioniret, vnd
schwach auf den schenkhel; bat gar ainekhlaine vnd subtile. stimm,
die red khumbt im anfangs was schwer an, das er's mues herausdruc*»
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450 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Quelques jours après ^ l'ambassadeur revint sur îe
point le plus délicat de ceux qui concernaient la per-
khen, pronuntzieret das r vnd 1 ywel, awer in Summa, redt was er will
vnd das mao ime denoeh zimblich verstee.
a Von seiner conduite, weil ich ime weiiig tractire, khan ich «1
anderst schreiben ails wie man vom ime sagt ; gegen meinen genadig-
sien herrn erzaigt er sich nur freuntlich vnd wolgesunnen, macht man
im mal acondicionado, hiDwidervmb, so nimbt iere vill desen nit wun^
der vnd vermainen , man hab ime bisher wol vrsach dartzue geben,
neben dem das er bisher stets schwacb vnd krankh gewest ; was in der
jugent mit ime versaumbt gewest, bat n>an hierz wollen remedieren,
vnd im wie man ime darzuemal balten sollen, hietzunt haben wpllen,
welches ails (erjder ain gros vnd hoch gemuet bat, nit leiden wollen :
aile diener die er gehabt, ime ail wieder seineu willen zuegeben, so bat
im sein vater zu nichtig gebraucbt, das ime den nit wenig bescbmerzt,
aucb ime khainer haudiuog tbeilbafflig macben wôlIen , wie dem allen
so mag aucb etzwas daran sein, dan er gar ain scbnellen vnd beffligen
zoren, lasl sicb den zoren gar ywel gen; was er umbs bertz das sagt er
fpey vnd vnuerboleu, es dref wem es woUe, vnd da er ain vd willen gegen
iemant gefast, last er den nit liederlicber fallen, verharret feintlich auf
seiner mainung, vnd was er ime fûrnimbt, dass will er das vorgeen soll,
desen den ierer vil erscbrôckben da er etzwa den verstant nit zum
recbten braucben wol t. Er bat mit mier aucb vill mal geredt vnd vill
gefragt wie sein braucb, awer seine fragen sein gar nit ungereimbt gewe-
sen, wie man wol sagt das er die tbuen soll, sunder ailes fragen die bal
ime meines eracbtens gar wol gepurt vnd zu tbuen angestanden. So bat
er ein trefffentliches gedecbtnuss vnd wie man sagt in vielen nur zu gar
agudo^ Das gibt den leuten vrsach zu zeiten zu reden , das er feintlich
frej mit seinen reden vnd gar apertus istvnd darneben gar unachtsam,
et certe, multa que videntur peccata naturae, educatione corrigi pote-
rant. Bisher bat man ime khain incUnacion oder lust zu etzwan parti-
culariter sptlren kbinden , ist gar geitig, gleichwol bat man ime ad
dietam gebracht, ist nit mer als ain speis alweg, die ist ain gantzer geso-
tener kapaun, khlein geschnitten, vnddarnacb ain prueh darauf gossen,
von ain Chastraunen scblegel den saflft beraus gedruckht, trinkt aucb
nur ain mal vnd wasser, ist ime der wein gar zuwider.
« Ist gar feintlich gottsforchtig, ain grosser liebhaber der gerechtig-
keit vnd der wabrbeit ; mag gar khein vnwarbeit nit leiden, vnd den er
ain mal auf vnwahrheit befunden, des mag er nimer. Hat dapfere, redli-
che, lugendhaflfte, erliche vnd ansehnliche leît lieb, will das im wol
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CHAPITRE VIL 451
sonne de don Carlos : a Je me suis informé avec
« soin — écrivil-îl — si le prince est ou non capable
« de procréer des enfants; mais il n'y a personne qui
€< puisse rien dire de certain à cet égard. L'opinion
« générale est qu'il n'a pas vu de femme jusqu'ici.
« On a, dit-on, conseillé à son père de lui faire faire
a une épreuve; mais le roi n'a pas voulu y consentir.
« Lorsqu'on lui parle de rapports avec les fen(ïmes, il
M répond qu'il n'en veut connaître d'autre que celle
<c qui sera son épouse, dation le traiter d^eanuque et ^
(c faire des plaisanteries sur son compte, etc. .('). »
A côté du portrait de don Carios que vient de nous
donner l'ambassadeur d'Autriche, nous croyons devoir
placer ceux que faisaient du prince des Asturies, vers
le même temps, les ambassadeurs de Venise envoyés
en Espagne : ces diplomates, on te sait, étaient, en
général, des observateurs judicieux et exacts.
YDd fieissig gedieot werde, VDd den der solches thuet, bat er lieb vnd
befuerdert im, ist chostfrei. So vill das puebleo betrifft, bat er bisber
Docb kbain prob getan, vnd ist khainer der im gruud quod impotens sit
aliquid affirmare. Si mihi indicium esseê faciendum, nocs tantum mihi
aliquam suspicionempreberet,...
« AlIerdiDgs sei es wabr das don Carlos ain presenbafifter scbwacber
herr, awer binwiederum eines mecbligeo kbunigs sun. » (Koch, Quellen
zur Geschichte des Kaisers Maximilian 11, p. 427 )
(^) « So vil des printzeo persou betrifft , bab icb mit allen fleis nacb
gefragt : an ad procreandam prolem aptus vel inapius sit, awer m
summa,... nemo est qui aiiquid certi hoc in re possit affirmare. Corn-
munis opinio est et consensus omnium, das er aigentlicb bisber kbain
weibspild erkennk bat, vnd sagen ier etlicb, das man dem kbunig géra-
ten, er soll ime ainstens ain prob zu tbuen anfieren vnd anbringen
lassen, bab es awer nit tbuen wôllen. Wann man mit ime vom puelen
redt, sagt er das er kbain weib als die sein werden soll , erkbennen
woll, vnd wan man mit ime scberczen vnd zecbeu woH alss sej er ain
Capaun.etc. > (Lettre du U juillet 1564, t6id., p. 131)
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452 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Andréa Badoaro et Aagostino Barbarigo , que la
république, en 1561, chargea d'aller complimenter
Philippe II sur son mariage avec Elisabeth de Valois,
s'exprimaient ainsi dans le rapport dont ils donnèrent
lecture au sénat, au retour de leur mission :
(c Le prince don Carlos est âgé de seize ans II
est petit de taille. II n'est pas beau. Sa figure dénote
de l'inclination à la colère et beaucoup de cœur. Il est
très-curieux : à toutes les personnes avec qui il parle,
il fait de nombreuses questions, et veut tout savoir. Il
a le menton qui avance. On croit qu'il sera plus porté
à faire la guerre et à s'agrandir, que son père Q). »
Paolo Tiepolo, qui avait résidé trois ans à la cour
de Madrid , en qualité d'ambassadeur ordinaire de la
sérénissime Seigneurie, disait, à son tour, au sénat,
en 1563 :
c( Le prince don Carlos est très-petit de taille (^)*
Sa figure est laide et désagréable. Il est de complexion
mélancolique : c'est pourquoi il a, pendant trois ans^
presque sans interruption, souffert de la fièvre quarte,
avec aliénation d'esprit parfois : accident d'autant
plus notable chez lui qu'il paraît en avoir hérité de
son grand-père et de sa bisaïeule. Par suite d'une
aussi longue maladie, mais plus encore de celle dont
(*) II principe Carlo è d'anni 46 Ë Sua Altezza di statura picciola,
di faccia non bella. Mostra in ciera iraconda et baver spirito assai. E
curiosa d'intender le cose ; anche con tutti quelli ch*ella parla le fa moite
interrogationi et ogni cosa vuol sapere. Ha anchor loi ii meoto in fuori.
Si fa giudicio cb^ella debba baver più il pensiero aile armi et alla gran-
dezza cbe non ba il padre. » (Voy. la note 4 à la page 94.)
(') n avait grandi depuis. Voy. p. U4, note i.
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CHAPHRE VII. «S3
il a été alteînt en dernier lieu, et dont, selon Topinioit
commune , il a été délivré miraculeusement , il est
demeuré extrêmement faible et languissant, outre
que, de sa nature, il n'a pas beaucoup de santé ni de
vigueur Lorsqu'il est passé de l'enfance à la pu-
berté, on ne l'a vu prendre plaisir nî à l'étude, ni aux
armes ("), ni à l'équilation, ni à d'autres choses ver-
tueuses, honnêtes et plaisantes, mais seulement à faire
mal à autrui. Ainsi, quand des personnes qui lui
paraissent de peu de considération se présentent de-
vant lui, il leur fait donner le fouet ou la bastonnade^
et il n'y a pas longtemps qu'il voulait absolument que
quelqu'un fût châtré. Il n aime personne, qu'on sache ;
mais il y a beaucoup de gens qu'il hait à mort. Il est
enchanté de recevoir des présents et il les recherche ;
mais il n'en fait point aux autres (^). Dans tout il
montre de la répugnance à être utile et une très-
grande inclination à nuire. Il est ferme, obstiné même
dans ses opinions. Il parle avec difficulté et lenteur,
et ses paroles manquent de suite. Eu égard à son âge
de dix-sept ans, il s'entend très-peu aux choses du
monde ; et, quoique les Espagnols, qui ont coutume
d'exagérer leurs faits et de s'émerveiller de tout,
(') Ce que Tiepolo dit ici du peu de goût de don Carlos pour les armes,
est confirmé par les comptes de sa maison. Il devait payera son maître
d*escrime, Juan Fernandez , un écu pour chaque jour quMl ne prenait
pas leçon, et les payements de cette nature figurent assez fréquemment
dans ces comptes. (Voy. Coleccion de documerUos inéditos para la his^
toria de Espana, t. XXVll, pp. ai, 83, 84, 99.)
(') Cependant nous en voyons figurer un assez grand nombre dans
ses comptes. [Ibid., passim.)
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■---■ -.1 -1 1 -.1
«54 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
exaltent quelques questions qu'il adresse îndîstînele-
ment à tous ceux qui l'approchent, d'autres, avec plus
de fondement peut-être, tirent de l'inopportunité de
ces questions un argument peu favorable à son intelli-
gence (*). »
Don Carlos allait accomplir sa dix-neuvième année-
Le roi, son père, se décida enfln à lui donner entrée
au conseil d'État ; il y siégea pour la première fois le
i 6 juin Q. Philippe II s'occupa, dans le même temps,
(*) Il principe Carlo.... è di persona picolissimo, d'aspelto bruto et in-
grato, et di complessiou melanconica, per la quai ha patito quasi tre
anni continu! febbre quartana , con aliénation aile volte di mente ,
accidente in lui tantopiù considerabile quanto che pare tenerlo per héré-
dité deir avo et delJa bisavola. Perô, per cosi lunga malatia, et mol ta
più per Tultimo pericolosissimo mal che a corso, dal quai per comun
opinion miracolobamente si ha liberato, è rimaso assai debole et afflitto,
oUra che naturalmente non ha molta prospérité et fortezza.... Cresciuta
poi, non si ha delettato di iettere, d*armi, di cavalli, o di altra cosa
virtuosa, honorata et piacevole,ma solamente di far mal ad al tri, perché
a quanti li vengono innanzi, che a lui apparano persone di poca stima,
fa dar hora la coltra, hora cavalli, et non è gran tempo anchora che
voleva al tùtto che uno fosse castrato. Non ama, che si sappia, alcuno,
ma odia ben a morte molti. Ha caro et procura di essere donato, ma egli
non dona ad altri, et in tutti i modi si dimostra aliène di giovare et
incliuatissimo a nuocere. Nelle sue opiûioni è fisse etostinato, et nel
parlare difîcile et tardo , con parole tronche et spezzate ; et se '1 si ha
respetto air età sua di 47 anni, egli inteude pochissimo délie cose del
monde; et beuchè Spagnuoli, che sogliono agrandir le cose loro, et di
ogni cosa maravigliarsi, esaltino alcune demande che egli indiferente-
mente fa a tutti quel che gli vanno innanzi, nientedimeno altri forse più
veramente argumentano dalla impertinenza di quelle la poca sua cogni-
tione. » (Relation du 49 janvier 4563, aux Archives de Venise.)
(') Lettre de Dietrichstein, du 29 juin 4564. (Koch, p. 429.) — « Mon-
seigneur noslre prince se porte très - bien , et a Son Alteze, passez
quelques jours, commencé à entrer au conseil et entendre aux négo-
ces. • (Lettre de Tisnacq à la duchesse de Parme, du 28 juin 4-564.)
La duchesse de Parme, écrivant à Lazarus Schwendy, le 26 août, lui
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CHAPITRE VII. 155
de l'organisalion de sa mahoD. Don Garcia de Tolède,
ayo et grand maître du prince, était mort le 29 jan-
vier de cette année Ç) : c'était son grand éeuyer, Luis
Quijada, l'ancien et fidèle serviteur de Charles-
Quint (^), qui depuis lors remplissait provisoirement
les fonctions du défunt. Philippe II , plus d'une fois
déjà, avait eu à se plaindre de l'esprit d'indépendance
de son fils et du peu de déférence qu'il lui mon-
trait (^) : il lui parut important de placer auprès du
prince quelqu'un qui lui fût tout dévoué. Il conféra à
Ruy Gomez de Silva la charge que le décès de doa
Garcia de Tolède avait rendue vacante (*); pour que
disait : « Par les dernières qu'avons d'Espaigne, du vi« de ce mois, Toa
« nous advertisi que monseigneur le prince se renforçoit de plus en
« plus, et fréquentoit desjà le conseil d'Estat, à la grande salisfaction
« d'ung chascun, pour le grand espoir qu'il donne et de sa personne et
« de son esprit. » (Archives du royaume, papiers d'État.)
Sur quel témoignage Marguerite de Parme faisait-elle cet éloge de
don Carlos? Nous avons vainement cherché à le découvrir.
(^) Archives de Simancas : Contadurias générales, 4<* época, leg. 1031,
Nomincu originales de la casa del principe nuestro senor.
{*) Philippe II, comme nous Tavons dit (p. 73, note 4], l'avait nommé
grand éeuyer du prince, après la mort de l'empereur. Nous aimons à
consigner ici les expressions de la lettre où le roi l'informait de cette
Domination : « En lo que à vos toca, acordàndome de lo mucho, bien y
• continuamente que servistes à S. M. y à mî , y à vuestros mérites y
« calidades, y lo que importa poner cerca del serenissimo principe,
« mi hijo, persona tal como la vuestra, de quien tengo tanta satisfa-
« cion, e determinado elegiros y proveeros del carga de su cavallerizo
« mayor, etc. • (Arch. de Simancas, Eslado, leg. 2.)
Saint-Sulpice écrivait à sa cour, le 12 juin 1564, que don Garlos
commençait à se montrer « assez à rebours au roy et à ce qu'il luy ordon-
« noit. »
{"] L'ambassadeur Saint-Sulpice étant allé féliciter le prince d'Ëboli
sur sa nouvelle charge, celui-ci lui répondit « que le roy son maistre
« luy avoit voulu commettre ceste charge, pour la fiance qu'il avoit en
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456 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Quijada ne fût point blessé de cette préférence , il le
fit conseiller d'État, et le gratifia, en outre, de la
meilleure commanderie, parmi celles qui étaient dis-
ponibles Ç).
Issu d'une ancienne et illustre famille de Portugal,
Ruy Gomez de Silva était venu enfant en Castille avec
sa mère, à la suite de la princesse Isabelle, qui épousa
Charles-Quint en i526 Q. L'empereur l'ayant admis
au nombre de ses pages , il fut élev^ avec le prince
Philippe , et une grande intimité s'établit entre eux.
Pour des raisons qu'on ignore , Charles-Quint jugea
convenable un jour de l'éloigner de son fils : le prince
« luy, et pour estre prez de son filz jusques à ce qu'il seroit maryé, car
« lors sa femme prendroit le seing de luy. » (Lettre secrète du 7 octo-
bre 1564.)
Lorsque Tentrevue de Bayonoe entre la reine Elisabeth et la reine-
mère fut convenue, Saint-Sulpice, conformément à ses instructions,
sollicita le roi afin que le prince d'Ëboli accompagnât la reine. Philippe II
lui dit • que, pendant ce voyage de Bayonue, le prince son filz debvoit
« aller à Notre-Dame de Guadalupe, lequel il ne vouldroit fyer à homme
« du monde que Ruy Gomez, et estoit dangier, s'il n'estoit tousjours
« bien près de luy, qu'on ne le trouvast au retour là où on Tauroit laissé
« au partir. » (Lettre secrète du 46 mars 4565.)
(>) Ya Vm. sabra como Su Mag<i hizo mayordomo mayor de su
hijo al senor Ruy Gomez, y à Luis Quijada hizo del consejo, y le dio la
mejor encomienda vacante.... » (Lettre de Gonçalo Ferez à Juan Vazquez
de Molina, du 26 août 4564 : Archives de Simancas, Estado, leg. 444.)
(') a Os Silvas tiuham una grandeza que nâo possuia uenhuma outra
familia de Europa.... Ruy Gomes de Silva, d'esta mesma casa, senhor de
algumas terras em Portugal, passou a Castella ao service de dona Tsabel,
mulher do emperador Carlos V. • (A. P. Lopes de Menoonça, Aponta^
mentos para a historia da conquîsta de Portugal por Filippe II , dans
les Annales des sciences et des lettres de l'Académie royale de Lisbonne,
partie des sciences morales et politiques et des belles-lettres, t. 1, 4857,
p. 268.)
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CHAPITRE VII. 157
en éprouva une telle affliclion qu'il fallut le lui
rendre (^). C'était Ruy Gomez, comme on l'a vu, que
Philippe avait chargé d'aller porter à l'empereur,
alors en Allemagne , la nouvelle de la naissance de
don Carlos; c'était lui encore qu'en 1547 il avait
envoyé à Augsbourg, pour féliciter son père des vic-
toires signalées qui venaient de le rendre l'arbitre
suprême de la Germanie f ).
Lorsque Philjnpe fut monté sur le trône, il combla
Ruy Gomez de ses faveurs : il le fît son sommelier
de corps, membre de son conseil d'État et grand tré-
sorier de Castille ; il lui conféra le titre de comte de
Melito, et bientôt après l'éleva à la dignité de prince
d'Eboli. Telle élait l'influence de ce ministre auprès
de lui, que communément on ne l'appelait plus Ruy
Gomez, mais roi Gomez Q. Aussi, son dévouement
à son souverain était-il sans limites, et il offrait
le modèle d'un courtisan accompli. Antonio Ferez a
dit de lui qu'il était le plus grand maître de la science
des cours qu'il y eût eu en beaucoup de siècles Q. Le
duc d'Albe, dont il était l'émule, reconnaissait que,
s'il n'avait pas été au nombre des plus éminenls
(^) Relation de Federico Badoaro, faite au retour de son ambassade
auprès de Charles-Quint et de Philippe 11, en 4557, dans les Relations
des ambassadeurs vénitiens, etc., p. 45.
(«) Sandoval, Historia de Carlos F, liv. XXIX, § 38.
{*) Relations des ambassadeurs vénitiens, etc., p. 45.
{") a El principe Ruy Gomez, aquel gran privado, aquel maestro de
privados y de conoscimiento de reyes.... El mayor maestro desta sciencia
que ha havido en muchos siglos.... • (Obras y relaciones, pp. 539
et 636.)
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458 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
ministres, nul n'avait mieux connu que lui l'humeur
et le naturel des rois Q).
Don Carlos avait peu regretté don Garcia de Tolède,
qu'il n'aimait pas (^) ; il vit avec un déplaisir marqué
la nomination du prince d'Eboli : il comprit parfaite-
ment que c'était un surveillant que son père lui don-
nait dans Ruy Gomez. Ce favori du roi était toutefois
si souple, si insinuant, si adroit, qu'il parvint, pen-
dant quelque temps du moins, à convertir en affection
la haine que le prince lui portait (^),
La maison de don Carlos se trouvait, à cette époque,
composée de la manière suivante :
(1) « Me dixo un dia el duque d*Alva à mi estas mismas palabras en
el retrete del rey : • Senor Antonio, el senor Ruy Gomez, de quien tan
« apasionado vivis, no fuéde los mayores consejeros que ha habido, pero
« del humor^ natural de reyes, os le reconozco por tan gran maestro
« de lo de aqui dentro, que todos los que aqui andamas, tenemosia
« cabeza donde pensâmes que traemos los pies.... • (Antonio Perez,
Obras y relaciones, etc., p. 539.)
(') L'évéque de Limoges écrivait à Catherine de Médicis, le 25 mars i 562:
« Don Garcia de Tolède, gouverneur du prioce d'Ëspagoe, est un petit
homme assez fascheux, et que le père désire ester, pour sçavoir que
« son filz ne Ta pas fort à gré.... »
(') a .... Ama poco li servitori del padre, et odlava don Roi Gomez,
sebben li era maggiordomo maggiore ; ma è taie la destrezza con la
quale procède, mediante la quale astringe hora ad amarlo.... » (Relation
d*Antonio Tiepolo, retourné de son ambassade auprès du roi catholique,
en 4567, dans les Relations des ambassadeurs vénitiens, etc., p. 453.)
Le fait suivant, que nous fournissent les comptes de la maison de don
Carlos, vient à Tappui de ce qui est rapporté ici par Tambassadeur véni-
tien. Dans Tété de 4566, don Carlos, étant à Ségovie, envoya à San
Lucar de Barrameda , où le duc de Medina-Sidonia résidait, un gentil-
homme chargé , en son nom, de recevoir Tacte {phito homenage) par
lequel le duc devait promettre d'accomplir ce qu'il avait traité touchant
son mariage avec la fille du prince d'Eboli, encore enfant à cette époque.
(Archives de Simancas : Contadurias générales, l^época, leg. 4070.)
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CHAPITRE VII. 459
Grand maître : Ruy Gomez de Silva, prince d'Eboli.
Grand écuyer : Luis Quijada.
Confesseur : fray Diego de Chaves (').
Chapelle : Honorato Juan , ancien précepteur du
prince, élu évêque d'Osma; Francisco Osorio, aumô-
nier; don Antonio Manrique, chapelain.
Maîtres (majordomes) : don Fadiique Enriquez;
don Fernando de Rojas.
Gentilshommes de la chambre : don Diego de
Acufia; le marquis de Tâvara; le comte de Gelves,
don Alonso de Cordova.
Premier écuyer : don Pedro de UUoa.
Écuyers de pied : Francisco de Porres ; Juan de
Vallejo; Juan de Torres; Pedro de Soto; Diego de
Hoyos; Francisco de Carrion; Juan de Fuenles.
Pages : don Antonio Osorio ; don Carlos Osorio ;
Diego Maldonado; don Alejo de Teves.
Aides de chambre : Juan Estebez de Lobon ; don
Juan de Hondarza ; Pedro Laynez ; Juan Martinez de
la Cuadra ; Diego de Neyra ; Pero Alvarez de Casa-
sol a.
Aide de garde-robe : Garcia Alvarez Osorio.
Maréchal des logis du palais : Juan de Paiva ; Juan
Suarez, aide.
Fourrier : Francisco de Anaya de Grado ; Gonzalo
de Castro, aide.
Grand muletier {acemilero mayor) : Simon de
Silbra.
(') Il remplissait cette charge depuis le 28 juillet 4563. (Arcbives de
Simancas : Contadurias générales, 4« épooa, leg. 1031.)
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4dO DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Nous laissons de côté une foule d'officiers subal-
ternes, tels que panetiers, sommeliers^ cuisiniers,
pâtissier, saucier, barbiers, tailleur, cordonnier,
lavandières, couturière, huissiers, laquais, por-
tier, etc. (').
Le roi compléta la maison de son fils, en lui don-
nant pour secrétaire Martin de Gaztelù Q, qui avait
rempli cette charge auprès de l'empereur Charles-
Quint pendant les deux dernières années de sa vie.
Dans le mois d'août 1564, une nouvelle vint rem-
plir d'émotion et d'inquiétude l'Espagne entière : on
apprit que la reine était dangereusement malade. A la
suite d'une fausse couche, elle avait eu une fièvre
violente accompagnée de divers accidents des plus
graves. On l'avait saignée quatre fois, la dernière au
haut du front ; son état n'avait fait qu'empirer. Elisa-
beth de Valois comptait à peine dix-neuf ans ; par sa
douceur, sa grâce, sa bonté envers tous ceux qui l'ap-
prochaient, par sa tendresse pour son mari, elle avait
conquis l'amour des Espagnols. Aussi, la désolation
fut universelle, et se manifesta par des processions,
des prières , des jeûnes , des vœux , des disciplines
qu'on vit des enfants mêmes prendre sans hésita-
tion. Au milieu de l'affliction générale , don Carlos
se montra plus affligé que personne Q : plusieurs
(») Cédule de Philippe II donnée à Valladolid, le U mai 1564. (Archi-
ves de Si mancas : Contadurias générales, 1« época, leg 1034.)
(') Il prêta serment le 29 novembre 4564. (Archives de Simancas :
Contadurias générales, 1« época, leg. 1421 .)
(^) a Doulant oultre mesure, r* dit de lui l'ambassadeur Saint-Sulpice,
dans une lettre du 49 août.
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CHAPITRE VII. -fOI
jours de suite il alla processionnellement^ avec les
princes de Bohême, les ambassadeurs et les grands^
visiter les églises et les hôpitaux de Madrid. I^a situa-
tion de la reine était désespérée : ses médecins espa-
gnols la regardaient comme perdue ; elle avait fait son
testament^ et l'on s'apprêtait à lui donner l'exlrême-
onclion. Alors un médecin français de sa suite, le
docteur Monguyon , demanda au roi l'autorisation de
tenter l'emploi d'un remède dont les effets devaient
être décisifs : l'ayant obtenue, il administra à l'auguste
malade un purgatif d'agaric qui , en moins de deux
heures, produisit des résultats merveilleux. Elisabeth
était sauvée. Quelques jours après, elle entra en
convalescence (*). Notons ici, sans tirer de ce fait
aucune induction, que, pendant sa maladie, Philippe II
ne voulut pas permettre une seule fois à son fils de
la voir, tandis que l'ambassadeur de France put l'ap-
procher aussi souvent qu'il le désira Q).
Au moi» de septembre, la fièvre reprit à don
(^) Lettres de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, des 10» 49 et
25 août 4564. — Lettres de Tisnacq à Viglius, des 2 et 24 août. — Lettre
de Courtewille à Viglius, du 26 août.
Courtewille s'exprime ainsi : « Par une fiebvre continue, elle (la
« reine) a avorty au bout de sept jours , demeurant icelle tousjours , et
« s'augmentant de jour à aultre, avecq divers accidens : de sorte que,
« au boult du xviii«, Ton se trouvoit en désespoir de sa vie, et n'y eust
« médecin qui n'y eust perdu le noort, si avant que Ton tenoit Fextrôme-
« unction preste en court pour la luy donner. Et , comme à une créa-
« ture abandonnée, Ton bazarda, par consentement du roy, de luy
« donner une purge bien forte en ung breuvaige, qui opéra de sorte
« qu il s'en ensuivit jusques à xxxii ou xxxiii chambres : chose non
^ espérée, et de laquelle elle s'est trouvée mieulx.... »
f^j C'est Saint-Sulpice qui l'écrit ainsi dans sa lettre du 49 août.
41
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162 DON CABLOS ET PHILIPPE II.
Carlos , et d'une manière assez sérieuse ; mais elle
dura peu (').
Ce fut vers ce temps Q) que Brantôme passa par
Madrid , revenant de Portugal. Il s'y fît présenter à
la cour, et le prince d'Espagne ne fut pas le person-
nage qu'il y observa le moins : « A mon petit juge-
ce ment, — dit-il — je le jugeois un jour grand, et îuy
« trouvois une très-bonne façon et bonne grâce ,
« encores qu'il eust son corps un peu gasté ; mais cela
« paroissoit peu. » Son témoignage est moins favo-
rable au caractère et à la conduite de don Carlos :
« S'il eust vécu, — c'est ainsi qu'il s'exprime — il
« eust fait enrager son père, car il «sloit fort bizarre
« et tout plein de natretés (^). Il menaçoît, il frappoit,
« il injurioit : si bien que don Ruy Gomez, fort favory
« du roy d'Espagne, s'il en fut oncques, n'en pouvoit
« jouir , et à iqnie heure il supplioit le roy de lui
« oster ceste charge, et de la donner à un autre ; qu'il
« en seroit très-aise (*), Mais le roy, se fiant en Iuy,
{*) Lettres de Sainl-Sulpice à Catherine de Médi-cis, du 42 et da
S7 septembre 4364.
(*) Nous trouvons la date précise dans une dépêche de Saint-Sulpice.
Cet ambassadeur écrit , le 9 novembre 4564, à Catherine de Médicis,
qu'il profite du passage par Madrid du seigneur de Bourdeille, revenant
de Portugal, pour lui annoncer, etc.
(*) Natretés, ruses, détours. Dans plusieurs éditions de Brantôme, on
lit : (Topiniâtretë.
(*) Ceci ne contredit pas absolument ce que nous avons avancé p. 4 58,
car il «st certain que, au commencement, don Carlos ne souffrait point
Ruy Gomez. Je ferai observer toutefois que, dans la correspondance de
Saînt-Sulpice, il n'y a pas un mot qui puisse servir d'appui à l'assertion
de Brantôme : or , l'ambassadeur de France était au mieux avec Ruy
Clomcz, dont il parle souvent.
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CHAPITRE vtr. m
(c ne voulut jamais ; et totisjours ce prince menaçoit
c< son gouverneur qu'un jour, quand il seroil grande
« il s'en repentiroit. Quant à ses autres serviteurs et
« oflQciers, quand ils ne le servoieni pas bien à son gré,
c< il ne faut point demander comment il les estrilloit. »
Brantôme ajoute : « Moy estant en Espagne, il me
c( fut fait un conte de luy, que son cordonnier luy
« a voit fait une paire de bottes très-mal faites ; il les
w fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes
ce de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en
Cl sa chambre, de ceste façon (^). Il aymôit fort à ribler
(*J Ce que Beantôme donne ici comme un conte qui lui a été fait de
don Carlos, Cahrera le rapporte d'une manière positive, comme un des
griefs que le roi avait contre son fils : « El rey avia mandado à don
« Pedro Manuel que hiziese el menestral las votas para el principe
« justas como éllas traia, porque al contrario las queria don Carlos. Al
« calçarles con dificultad, diziendo que su padre mandé fuesen tan
« estrechas (estando en Alcala), dié un bofeton é don Pedro Manuel,
« t guisadas i picadas en ntenudas piestas hizo corner las ^t€U al
tt menestral. » (Liv. VI ï, chap. XXII, p. 469.) Il semble que, si ce fait
révoltant avait été avéré , Brantôme se fût exprimé d'une autre
manière. Et puis il est difficile de croire que Philippe II s'occupÀt de la
dimension des bottes de son fils, à un âge surtout où ce dernier croyait
pouvoir se permettre de donner des soufflets à un officier de sa cour.
Quoi qu'il en soit, cette anecdote du cordonnier forcé de manger le
cuir des bottes faites par lui, passa dans les traditions populaires. On
trouve, en un recueil de poésies {Diversas rimas) d'Espinel, imprimé à
Madrid, en 4594, p. 440, les Vers suivants :
Hiio po«s bien el olro cocinero
Qoe convido à corner (por ser mandado)
Contra sn Tolantad à an zapatero,
V para rrgalar al convidado,
V mostrar variedad en la comida.
Le hiio de anas boUs un goisado,
La mejor cota que comio en su vida.
(Voy. le Serapeum, année 4855, p. 433.)
M. DE Castro regarde, comme une calomnie inventée par les conseil-
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<64 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
« le pavé (') et faire à coups d'espée, fost de jour,
« fust de nuit : car il a voit avec luy dix ou douze
>< enfants d'honneur, des plus grandes maisons d'Es-
« pagne, les uns les forçant d'aller avec luy et en faire
'< de mesmes^ d'autres y allant d'eux-mesmes et de
« très-bon cœur Quand il alloit par les rues
« quelque belle dame^ et fust-elle des plus grandes du
« pays, il la prenoit et la baisoit par force devant tout
« le monde, et il l'appeloit p,...n, bagasse, chienne,
« et force autres injures lui disoilnl. Celles qui le
« venoient baiser à l'amiable, quand il leur disoit :
'< P....nj baisez^moy, il les caressoit plus modeste-
«< raenl, en leur disant qu'elles estoient fort gracieuses
'< p....ns et vesses. Bref, il leur faisoit mille petits
v< affronts, car il avoit très-meschante opinion de
« toutes les femmes, et plus encore des grandes dames
« que des autres, les tenant pour très-hypocrites et
« traistresses en amour; qu'en cachette et sous les
« rideaux elles estoient plus p....ns que les autres.
« Bref, il estoit le fléau de toutes, fors de la royne,
« que j'ay veu qu'il honoroît fort et respectoit,
« car , estant devant elle , il changeoit du tout d'hu-
« meur et de naturel, voire *de couleur. Enfin il estoit
« un terrible masle Q. »
lers de Philippe II contre don Carlos, l'anecdote du cordonnier forcé de
manger Je cuir de ses bottes. [Historiade los protestantes espanoles,
p. 340.)
(>) Riblerîe pavé, « courir la nuit, comme font les filoux, les débau-
« chés, les tralneursd'épée.... » (Dictionnaire de Trévoux.)
(') Brantôme, Œuvres complètes, édit. Buchon ,1838, t. I , pp. 126
«1-127,
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CHAPITRE VII. 46»
Pie IV n'en crut pas moins devoir donner an fils du
plus puissant et du plus zélé protecteur de TÉglise
une marque de sa bienveillance spéciale : au mois de
février 1565, il envoya à don Carlos, par Wenceslas
Rangon , l'un de ses camériers, l'estoc et le chapeau
qu'il avait bénits le jour de Noël précédent, selon
l'usage des souverains pontifes (*).
Le comte d'Egmont^ chargé par la duchesse de
Parme d'aller représenter au roi la situation déplo-
rable où se trouvaient les Pays-Bas, et de le supplier
de s'y rendre, ou de les secourir d une manière effi-
cace ^ arriva à Madrid à cette époque. Il y séjourna
un mois environ (-). Il ne manqua certainement pas
de faire sa cour au prince qui était placé sur les
plus proches degrés du trône; mais faut-il ajouter
foi à ce que Brantôme rapporte : que don Carlos fut
engagé par lui à partir pour la Flandre y même sans
('] « .... El esloque y pileo consagrado q.ue Su Saotidad euviô à Su
Alteza con Vinceslao Rangon, su caraarero, por hebrerodel ano pasado
de 4665.... » (Archives de Simancas : Contadurias générales, 4* época,
leg. 4054.)
Dans une lettre à Charles IX, du 46 mars 4565, Saint-Sulpice annonce
Tarrivée du camérier, porteur de Tépée bénite, et ajoute qu'il doit la
remettre au prince d'Espagne « ung de ces jours. »
« Acostumbran — dit SigOenza, Historia de la ôrden de San Gerâ-
nimo, part. Hl, liv. III, pp. 636 et suiv. — los pontffices romanes, en la
ilustre fiesta de la Natividad del Senor, dar ô embiar à algun célèbre y
christianissimo principe una espada guarnecida ricamente. »
En 4594, Grégoire XIII envoya Testée et le chapeau bénits au prince
Philippe, depuis Philippe III. SicOenza, 1. c, donne la description d©
ces objets, et raconte les cérémonies qui en accompagnèrent la remise.
{') Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. 1,
pp. 334 et suiv.
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466 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
le SU et le consentement du roi (') ? Nous y sommes
d'autant moins disposé que Brantôme parle ici d'après
(les bruits recueillis longtemps après : il n'était plus
en Espagne, quand le comte d'Egmont y arriva.
Depuis plusieurs années, Catherine de Médicis,
sous le prétexte de revoir sa fille, sollicitait une entre-
vue avec Philippe II : c'était une des choses qu'elle
désirait le plus ardemment ; ses ambassadeurs, l'évêque
de Limoges et le S*" de Saint-Sulpice , n'avaient né-
gligé aucune occasion ni aucun moyen de la faire
goûter au roi catholique, ainsi qu'aux deux ministres
influents, le prince d'Eboli et le duc d'Albe; de son
côté, Elisabeth, docile aux avis de sa mère, ne cessait
d'agir dans le même but auprès du roi. Philippe II
avait bercé pendant quelque temps Catherine de
Médicis de lespoir d'une décision conforme à ses
vœux 5 elle avait pu s'en flatter surtout en 1S63, au
moment où il partait pour l'Aragon, puisque là il
allait être à proximité des frontières de France, et
qu'en quittant Madrid, il avait formellement promis à
la reine Elisabeth de la faire venir à Monzon. Tout
démontre cependant que ce monarque était bien ré-
solu de n'acquiescer pas à la conférence proposée. Au
commencement de 1S6S, le duc d'Albe dit à Saint-
Sulpice, par son ordre, qu'il regrettait beaucoup de
(*) « .... Il se faschoit fort de demeurer oysif en Ëspaigoo, et mesmes
quand il ouyt parler le comte d'Aiguemont, qui luy proposa force belles
choses, dont les mains luy desmangèrent si fort pour mener guerre ,
qu'on dict qu'il se voulut desrober pour aller en. Flandres. » {(Muvres
complètes, elo , 1. 1, p. 126.)
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CHAPITRE VII. 467
ne pouTOÎr céder à sen désir de voir le roi son beau-
frère et la reine sa belle-mère, mais que cette entre-
vue pourrait exciter de fe jalousie parmi les princes
chrétiens ; qu'il n^en serait pas de même d'une entrevue
de la reine sa femme avec la reine-mère ; qu'il don-
nait donc volontiers son consentement à celle-ci. Il y
eut quelques discussions sur le point de savoir si
rentrevue aurait lieu en Espagne ou en France : les
ministres espagnols nlnsistèrent pas, et Bayonne fut
acceptée par eux Q)^
Elisabeth de Valois se mît en route le 9 avril ; ce
jour-là toute la population de Madrid fut sur pied
pour assister au départ de sa souveraine bien-aimée.
Don Carlos, les princes de Bohème, don luan d'Au-
triche et tous les grands lui firent cortège jusque près
du lieu où elle devait s'arrêter la première nuit.
Le roi l'avait précédée de quelques jours ; elle le
retrouva à Guadarrama. Là ils se séparèrent de nou-
veau, pour aller faire leurs pàques, la reine au monas-
tère de la Mejorada, le rm au couvent de Giiisando.
Ils ne se rejoignirent qu'à Yalladolid Q.
Durant le trajet de la reine de Madrid à Yallado-
lid, don Carlos l'envoya visiter trois fois, témoignant
ainsi l'attachement et le respect qu'il professait pour
elle C).
(') Mémoire adressé par Sain t-Sulpice à sa cour, le 24 janvier 4565.
(') Lettres de Saint-Sulpice à Charles IX et à Catherine de Médicis,
écrites de Mediiïa del Campo, les 42 et 49 avril 4565.
(») On lit dans un compte de dépenses de Melchor de Herrera : « A don
« Juan de Càrdenas 47,448 maravedîs que Su Âlteza le mandé dar,
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468 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
Philippe II s'était proposé d'abord d'envoyer le
prince, son fils, tandis que la reine et lui seraient
absents, en pèlerinage à Notre-Dame de Guadalupe :
il changea d'opinion depuis, par des motifs sur lesquels
il est à regretter que Saint-Sulpice s'exprime en
termes trop énigmatiques (^), et fit venir le prince
auprès de lui, au monastère de Guisando (-).
Le roi et la reine séjournèrent quelque temps à
Valladolid, où, en leur honneur, les principaux sei-
gneurs d'Espagne coururent eux-mêmes les taureaux,
et se livrèrent aux exercices du jeu des cannes. La
reine profita de ce séjour, pour aller visiter les monas-
tères , les jardins et les lieux de plaisance des envi-
rons; chaque après-midi était consacrée à ces excur-
sions, dans lesquelles elle était toujours accompagnée
de don Carlos et de don Juan d'Autriche Q.
Philippe II prit congé de sa femme, le 15 mai, à
Cigales, à deux lieues de Valladolid. Il avait eu l'in-
tention d'aller avec elle jusqu'à Burgos, et les habitants
de cette ville avaient fait de grands préparatifs pour la
« por otros tantos que de su propio dinero gastd en haber ido y vuello
« très veces à visitar, por mandado dé Su Alteza, a la reyna nueslra
« senora, ai camino yendo desta villa de Madrid à Valladolid para Bayona,
« por el mes de abril de 4565. » (Archives de Simancas : Contadurias
générales, 1" época, leg. 1070, pliego 6».)
(*) Lettre secrète du 4 6 mars \ 565. Saint-Sulpice, après y avoir dit que
le roi a changé d'opinion, ajoute : « ce qui n'est encores guièresdivul-
« gué, et tfest besoing qu'on en parle, car l'occasion de ce ne s'en peult
• aussi encores escripre. »
(') Lettre deTisnacq à Viglius, du 16 avril 1565. — Lettre de Saint-
Sulpice» du 19 avril.
(*) Lettre de Saint-Sulpire à Catherine de Médicis , écrite de Villa-
Dueva, le 16 mai 4565.
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CHAPITRE VU. 169
réception de leurs souverains : mais, la peste y ayant
éclaté, il lui fallut renoncer à son projet, et il fit
prendre à la reine le chemin de Soria. On remarqua
qu'Elisabeth versait des larmes en recevant les adieux
du roi Q.
Apres avoir passé une quinzaine de jours à Bayonne,
avec la reine sa mère et le roi son frère , Elisabeth
reprit le chemin de l'Espagne. Philippe II l'allendait
à Ségovie : il alla au-devant d'elle jusqu'à Sepulveda,
à dix grandes lieues de là. Don Carlos vint lui-même
à leur rencontre , à une distance de trois lieues :
d'aussi loin qu'il aperçut la reine, il mil pied à terre
pour la saluer, montrant un grand empressement à lui
baiser la main f ). C'était le 30 juillet. Cette entrevue
fut marquée par un incident digne d'être rapporté.
Don Juan d'Autriche avait quitté la cour à Tinsu du
roi , pour aller assister en volontaire à la défense de
Malte, assiégée par les Ottomans. Le roi, dès qu'il en
avait été informé , avait expédié des courriers dans
toutes les directions, afin qu'on ne laissât pas don
Juan exécuter son projet^ il avait fait partir plusieurs
officiers attachés à sa maison, avec l'ordre de le
ramener ; il lui avait écrit à lui-même, le menaçant de
sa disgrâce, s'il ne revenait au plus tôt. Don Juan
avait obéi, mais non sans résistance : il était déjà en
(*) Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, écrite du monas-
tère de Rodillas, le 23 mai 4 565.
(*) « .... Et travailla assez de luy prendre la main pour la luy baiser,
et elle n^oblya de lui rendre bien son salut.... » (Lettre de Saint-Sulpice
à Catherine de Médicis, écrite de Ségovie, le W août 1565.)
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470 DON CARLOS ET PHl^PPE II.
Catalogne, et une foule de gentilshommes, animés
par son exemple, accouraient, de divers points de la
Péninsule, pour se ranger sous sa bannière (*). Don
Juan, qui accompagnait le prince d'Espagne, n'avait
pas encore vu le roi depuis son équipée. Il courut à
lui, et lui demanda pardon. Le roi le reçut affectueu-
sement, l'embrassa, puis il lui dit d'aller baiser la
main de la reine. Elisabeth lui ayant demandé, en
riant , si les Turcs el les Mores étaient des hommes
de guerre, il répondit, avec un accent de tristesse,
qu'il n'avait pas été assez heureux pour qu'on lui
permît de s'en assurer Q.
Don Carlos, malgré tous les avertissements, conti-
nuait de se livrer à ses excès de bouche habituels ; ils
lui occasionnèrent une nouvelle indisposition, qui
toutefois fut de peu de durée (^). Le roi et la reine
s'étaient établis à la maison du Bois, avec la princesse
doîîa Juana, les princes de Bohême et une partie de la
cour ; il alla les y retrouver (*). II revint, ainsi qu'eux,
(') Cabrera, lib. V, cap. XXIV, pp. 360 et 361.
(') Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, du 41 août 1565.
(3) Le prince d'Orange écrivait au comte Louis, son frère, le 2 novem-
bre 1565, que le prince d'Espagne, aprèà avoir mangé seize livres
de fruit , et quatre livres de raisin , avait bu là-dessus de Teau par
deux fois : ce qui lui avait occasionné une syncope, et déterminé sa
maladie : « Es soll auch der printz von Hispanien , gleichwie vorhin
« 46 pfund obs, also itzunder 4 pfund trauben geszen, und darauff zwen
« wasser-trunck gethan haben, darauss er zu schwachbeit gefallen und
« kranck worden seye. » {Archives ou Correspondance inédite de la
maison d'Orange-Nassau , publiées par M. Groen Van Prinstbrer ,
1. 1, p. 434.)
(*) Lettre de Saint-Sulpice à Catherine de Médicis, écrite de Ségovie,
le 9 septembre 1563.
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CHAPITRE VU. 471
à Madrid, à la fin d'octobre Q). Le 13 novembre, il se
porta avec le roi au devant du cardinal Ugo Buon-
compagnie légat de Pie lY, qui faisait son entrée dans
cette capitale (^). Il accompagna son père à Tolède,
lorsque, deux jours après, Philippe s'y rendit pour
recevoir le corps de saint Eugène Q : Charles IX, sur
les instances du roi son beau-frère, venait de gratifier
de cette précieuse relique l'église métropolitaine de la
cité impériale, malgré les représentations du chapitre
de l'abbaye de Saint-Denis, où elle était conservée^
depuis plusieurs siècles (*).
(*) Lettres du S' de Fourquevaulx à Charles IX, des 23 octobre et
5 novembre 4565.
(') Lettre de Fourquevaulx à Charles IX, du 24 novembre 4565. —
Lettre de Tarchevéque de Rossano au cardinal Alessandrino, du 5 dé-
cembre 4565.
(') Lettre de Tarchevèque de Rossano, du 5 décembre 4565. — Lettre
de Tisuacq à Viglius, du 46 décembre.
(*) Cabrera, Felipe 11, liv. VI, chap. XXII et XXIII, pp. 354 et 356.
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<72 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
CHAPITRE VIII.
Ouvertures faites à Philippe II en vue du mariage de don Carlos. —
Catherine de Médicîs propose pour lui Marguerite de Valois sa fille.
• — Les princes de Lorraine mettent en avant Marie Stuart. — L'em-
pereur Ferdinand tâche de faire préférer Tarchiduchesse Anne, sa
petite-fille. — La princesse dona Juana prétend la préférence pour
elle-même. — Observation sur la reine Elisabeth d'Angleterre. —
Don Carlos se montre réservé à Tégard de Marguerite de Valois. —
Il né peut souffrir dona Juana. — 11 trouve mieux à son gré Marie
Stuart. ^ Mais l'archiduchesse Anne lui plaît davantage, et il annonce
l'intention de n'en épouser pas d'autre. •— Politique de Philippe II
relativement au mariage de son fils. — Il incline pour une alliance
avec la branche allemande de sa maison. — L'empereur veut avoir
une réponse catégorique. — Explications qu'il a avec le comte de
Luna, ambassadeur d'Espagne à Vienne. — Démarches qu'il fait faire
par son ambassadeur à Madrid. — Réponse dilatoire de Philippe II. '
— L'empereur n'insiste pas. — Négociation du cardinal de Lorraine
à Inspruck, pour le mariage de Marie Stuart avec l'archiduc Charles.
— Fâcheuse impression qu'elle produit en Ecosse et en Angleterre.
— Lethington, secrétaire d'État d'Ecosse, propose formellement à
l'évèque d'Aquila, ambassadeur de Philippe II à Londres, le mariage
de Marie Stuart avec don Carlos. — L'évèque rend compte de cette
proposition au roi. — Perplexité de Philippe. — Il fait à son ambas-
sadeur une réponse ambiguë. — L'évèque insiste pour avoir des
instructions plus positives, et envoie, en attendant, une personne de
confiance à Marie Stuart. — Philippe lui mande de donner suite aux
ouvertures de Lethington. — Catherine de Médicis a vent de ce qui
se passe; elle tâche de s'en éclaircir; réponse de Ruy Gomez à l'am-
bassadeur de France à Madrid. — Embarras de Philippe II, qui s'aug-
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CHAPITRE VIII. 473
mente par les instaDces que lui fait faire l'empereur, pour qu'il se
décide d'une manière ou de l'autre. — Préoccupation que lui donne
le caractère de son fils. — Il cherche à gagner du temps. -- Il est
disposé à préférer dona Juana; mais il trouve dans don Carlos une
répugnance invincible pour une union avec sa tante. -— H rompt la
négociation d'Ecosse. ■— Il donne des espérances à l'empereur Maxi-
milien. — Don Carlos se prononce résolument pour l'archiduchesse.
— Catherine de Médicis revient, à Bayonne, sur le mariage de Mar-
guerite de Valois avec le prince d'Espagne. — Philippe lui déclare
catégoriquement qu'il est engagé envers l'empereur.
Quelles que fussent les imperfections physiques et
morales de don Carlos, et quoique, depuis Tâge de
quatorze ans, sa santé • languissante fît naître des
appréhensions continuelles pour sa vie, il n'y avait
pas de princesse, en Europe, qui n'eût été fière de
donner sa main à l'héritier présomptif du plus puis-
sant empire de la chrétienté. Aussi, bien avant que le
roi son père songeât à le marier, des ouvertures lui
avaient été faites, de plus d'un côté, en vue de ce
mariage.
Les premières vinrent de Catherine de Médicis.
Non contente d'avoir pour gendre le souverain ac-
tuel des Espagnes, la veuve d'Henri II aurait voulu
qu'une autre de ses filles s'assît à son tour sur
le trône de Ferdinand et d'Isabelle : elle propo-
sait pour don Carlos madame Marguerite, née le
14 mai 4SS5, plus jeune ainsi de hi;|it ans que le
prince des Asturies. Le 28 juillet 1560, le cardinal de
Lorraine, écrivant, par son ordre, à l'ambassadeur de
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«74 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
France à Madrid (^), le chargea de pressentir adroite-
ment le roi catholique sur ses intentions relativement
à son fils : la cour de Lisbonne faisait en ce temps-
là solliciter la main de la princesse Marguerite pour
le roi don Sébastien ; « mais — disait le cardinal à
« Fambassadeur — s'il y avait espérance du prince
« d'Espaigne, nous Taymerions beaucoup myeulx
a qu'aultre party qui se pust présenter f ). » Cathe-
rine ajoutait, de sa main : « Set heune dé chause de
« set monde que je désirerès le plus, que de la voyr
(c auprès de sa seur Q. » On pense bien que,
dans sa correspondance avec la reine Elisabeth, elle
ne négligeait pas de lui recommander les intérêts de la
jeune Marguerite; voici, entre autres, les tc^rmes dans
lesquels elle le faisait : « L'évesque de Limoge m'a
«c mandé que le prince n'a plus la fièvre. Si cela
« continue d'estre guéri, ne perdez pas Taucasion de
« garder qui ne soit marié hà aultre femme que à
« vostre seur , et me sanble que y devez mestre
ce tous vos sin san : car aultrement vous seriez
« en danger d'estre la plus malheureuse du monde,
ce si vostre mary venoit à mourir, luy estant roy,
ce coment il seroit, si n'avest aypousé quelque femme
ce qui feùt heun vous-même, come seret vostre
ce seur Cela, ma fille, fet que me semble que
a devés commenser de louin à bâtir ; et en set
(*] Sébastien de rAubespine, évêque de Limoges.
(') Négociations, lettres et pièces diverses i^latives au règne de Fran^
çùis II, etc. ; publiées par M. Louis Paris; Paris, 4841, in-4», p. 436.
p) Ibid., p. 440.
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CHAPITRE VllI. 475
« faysant, vous fairés ynfiniment pour vous et pour
« tous nous aultres issy ('), »
Peu de temps après ces tentatives de la reine-mère
à Madrid, François II mourut (-). Marie Stuart restait
veuve à 1 âge de dix-huit ans. C'était un immense mal-
heur pour elle que la perte de son mari : les princes
de Lorraine, ses oncles, jugèrent qu'il serait réparé,
s'ils parvenaient à lui faire épouser le fils du roi d'Es-
pagne; le cardinal s'en ouvrit à Thomas Perrenot,
seigneur de Chantonay, ambassadeur de Philippe II
à Paris (*). A la vérité, elle était plus âgée de deux
ans et demi que don Carlos ; mais les rares agréments
réunis en sa personne rachetaient bien, et au delà,
cette légère différence d'âge. « Elle était grande et
« belle. Ses yeux respiraient l'esprit et resplendis-
c( saient d'éclat. Elle avait les mains les mieux tour-
ce nées du monde. Sa voix était douce, son aspect
ce noble et gracieux, son langage animé, et son attrait
<< irrésistible Son éducation extrêmement soignée
« avait ajouté des talents variés à ses grâces natu-
(c relies. Outre le latin, qu'elle savait et parlait bien,
<i elle était instruite dans l'histoire, connaissait les
a langues vivantes, excellait dans la musique, chan-
ge tait fort agréablement en s'accompagnant du luth,
« et composait des vers que louaient Ronsard et du
« Bellay. D'un esprit vif et ouvert, d'un caractère
{^) Lettre sans date, dans les Négociations , lettres, etc., p. 84 4.
*(«) Le 5 décembre 4560.
[') Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 décembre 4500, citée par
M. MiGNET, Histoire de Marie Stuart, 1. 1, p. 102.
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^76 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
« insinuant et aimable, elle était l'ornement de la
<c cour dont elle faisait les délices (*)• » A ce portrait
de Marie Stuart, tracé par un éminent historien^ nous
ajouterons qu'elle pouvait être regardée comme un des
plus brillants partis de l'Europe, car elle apportait en
dot à son mari un royaume et des droits éventuels à la
succession de la couronne d'Angleterre.
Catherine de Médicis fut informée des communica-
tions faites à l'ambassadeur d'Espagne au nom des
princes lorrains ; elle écrivit aussitôt à Févêque de
Limoges, afin qu'il se mît en peine de savoir l'accueil
qu'elles recevraient de la cour de Madrid Q ; elle eut
soin aussi, comme c'était sa coutume, de réclamer
l'intervention de la reine, sa fille. Elle l'exhorta à
agir de concert avec l'évêque ; elle désirait que l'un
et l'autre usassent de tous les moyens qui étaient en
leur pouvoir pour faire écarter les propositions de la
maison de Guise. Cette affaire lui tenait extrêmement
au cœur : ce II n'y a rien — mandait-elle à l'évêque —
« que je ne veuille plutôt lanter et bazarder que de
« venir ce qui me desplairoit tant , et qui nous seroit
« à elle (Elisabeth) et à moy si dommageable, et à ce
c< royaulme aussi Q. » Elle se plaignit au car-
(') Histoire de Marie Stuart, t. I, pp. 39, 40, 47.
(') Lettre du 49 décembre 4560, dans les Négociations, lettres et pièces
diverses relatives au règne de François //, etc., p. 787.
(») Lettre du 4«' avril 4560 (4564, n. st.), dans les Négociations, lel-
iresy etc., p. 844.
Le 42 janvier précédent, Chantonay écrivait à Philippe II : « La
« reyna tiene grandes celos del casamiento del principe d'Espana con
« la reyna Maria. » (Archives de l'Empire , à Paris , collection de
Simancas, B 12, n«64.)
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CHAPITRE Vin. 477
dinal de Lorraine lui-même qu'on parlât d'un nouveau
mariage pour la reine d'Ecosse, lorsque la cendre du
roi son époux était à peine refroidie : le cardinal lui
répondit qu'il n'en savait absolument rien, mais qu'il
n'était pas étonnant que le mariage d'une reine fût le
sujet des conversations, car on s'occupait de celui de
la moindre dame de la cour (^). Alors , ainsi qu'une
de ses lettres nous l'apprend , elle mit en œuvre des
moyens détournés pour faire renoncer les princes de
Lorraine à leur dessein; elle ne nous dit pas quels
étaient ces moyens, mais ils durent être habilement
choisis, puisqu'elle parvint à son but ("). Au moment
(') « He sabido que han pasado algunas palabras, sobre el casamiento
del principe d'Espana con la reyna Maria, entre la reyna y el cardenal,
qaexàndose la reyna de que todo el mundo hablava en este casamiento,
y diziendo que le parecia que salian muy temprano estas vozes. El car-
denal respondiô que no sabia cosa ninguna dello, pero que no era mara-
viUa que se echasse juizio sobre el casamiento de una reyna , pues se
echava sobre el delà menor dama de la corte.... » (Lettre de Chantonay
k Philippe II, du 4 î janvier <564 : Archives de l'Empire, à Paris, collec-
tion de Simancas, B 42, n» 64.)
(') Elle s*exprimait ainsi dans une lettre du 3 mars 4560 (4561 , n. st.)
à révoque de Limoges, après avoir dit qu'elle voulait qu'on sût à Madrid
combien elle avait à cœur le mariage de sa fille Marguerite avec le prince
d'Espagne : « Au moins, cela servira pour rompre l'autre coup (le
« mariage de Marie Stuart), auquel je donneray de deçà sourdement tout
« Tordre que je ponrray ; et jà y a si bon commencement, que ceulx
• qui ont mis en avant ceste menée, et celuy mesme à qui elle touche,
« sont bien empescbez à couvrir ce qui y est, et s'i monstrent si refroi-
« dîz qu'ils veuillent faire croire qu'il n'en est rien , ou endormir la
• chose, jusques à ce qu'ils y croient plus d'asseurance. « [Négocia-
tions, lettres, etc., p. 818.)
Quatre années après, lord Leihington, premier ministre d'Ecosse ,
causant avec l'ambassadeur delPhilippe II à Londres, don Diego Guzman
de Silva, lui dit que la reine-mère avait fait appel aux sentiments
patriotiques du cardinal de Lorraine et du duc de Guise ; qu'après leur
42
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47» DON CARLOS ET PHILIPPE H.
OÙ Marie Stuart quittait la France , elle consulta le
duc de Guise sur son mariage. Le due s'excusa de lui
donner conseil, ne pouvant, lui dit-il , lui conseiller
ce qui lui convenait le mieux (').
L'empereur Ferdinand aussi avait pensé au prince
d'Espagne pour l'ainée de ses petites-filles, rarchi-*
duchesse Anne. Il n'adressa pourtant point, d'abord,
au roi son neveu de proposition formelle à cet égard ;
il se contenta de lui faire insinuer que la princesse
serait probablement demandée par le roi de France,
et il le pria de lui dicter la réponse qu'il aurait à
donner à ce monarque (') : mais son but était trop
avoir représenté que, si leur nièce épousait le prince d'Espagne, il pour^
rait arriver que les États du roi catholique s*augmen tassent de l*Éoosse
et de TAngleterre, elle les avait conjurés, avec les plus vives instiances,
de ne concourir en aucune manière à un mariage qui pouvait avoir pour
la France des conséquences aussi préjudiciables , et que le duc et le
cardinal lui avaient donné leur parole qu'ils agiraient conformément à
ce qu'elle souhaitait d'eux, parce qu'ils préféraient le bien de la Franco
à ravantage de leur nièce. (Voy. Histoire de Marie Stuart, par M. Mi6net«
t. I, p. U8.)
Cette histoire, toute à Tbonneurdes princes lorrains, ne semble guère
â'ac<x)rd avec le langage tenu par Catherine de Médicis, dans sa lettre
du 3 mars 1564 . En admettant qu elle soit vraie, le cardinal de Lorraine
n'aurait-il pas eu d'autre motif de céder aux désirs de la reine-mère?
n'aurait-il pas craint, par exemple, en les contrariant, de se voir privé
des riches bénéfices qu'il possédait en France? L'évéque d'Aquila écri-*^
vait de Londres, le 47 juillet 4563, au comte de Luna, ambassadeur
d'Espagne à Vienne : « Como el cardenal tienetemor de perderlosbenor
« ficios que tiene en Francia, en ninguna manera osarà dar su voto para
« cosa que no contente à Franceses, aunque en secreto lo desee cuanto
« es razon.... * (Archives de Simancas, Estado, leg. 816.)
(^) Histoire de Marie Stuart, par M. Mignet, 1. 1, p. 448.
(') « S. C. R. M^,.... me ha dicho Su M^ que, no teniendoV. M^ hga
con que el rey de Francia pueda casar, le paresce que séria à propésito
una de sus nietas 6 hijas, de lo cual sin parescer y voluntad de V. M^
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CHAPITRE VIII. 471
facile à pénétrer pour qu'il échappât à la sagacité
de Philippe II. D'ailleurs, il ne tarda pas à aban«*
donner ce langage qui servait à déguiser sa pensée^
pour manifester ouvertement ses intentions. Sous
bien des rapports, la jeune archiduchesse convenait
à don Carlos. Elle était âgée de quatre ans moins
que lui ('); elle était jolie. Le comte de Luna la pei*
gnait en ces termes , lorsqu'elle venait à peine d'ac-
complir sa douzième année : u Ce que je puis dire
« de la princesse Anne est tout à son avantage, parce
« que, à ce qu'il me parait, on ne saurait demander
ti mieux. Pour son âge, elle montre beaucoup d'in-
« telligence et une remarquable tranquillité. Elle est
w très-dévote; elle a le meilleur caractère qu'on
(( puisse avoir. Elle est bien faite. Elle sera grande^
« car elle Test déjà, et elle croît à vue d'œil, telle-
n ment qu'on lui donnerait quinze à seize ans; sa
« figure est charmante. Sa mère l'élève avec un soin
« extrême ; elle ne la quitte pas : elle et le roi l'ado-
« rent et l'aiment plus que tous leurs autres enfants.
« En résumé, il est certain, selon moi, qu'on ne sau-
ce rait désirer plus de qualités qu'elle n'en a, dans une
« femme qui serait destinée à devenir la compagne
« du prince (^. »
él no tratarâ ; que pide y ruega mucho à V. M»! le haga saber lo que en
eslo leparece y quiere que se haga.... • (Dépêche du comte de Luna à
Philippe II, écrite de Vienne, le 28 décembre 1560 : Archives de Siman-
cas, Eslado, leg. 650.)
n Elle était née à Valladolid, le 4«r novembre 4549.
(') « .... La relacioD que de la ynfante Ana puedo hacer es muy
buena, porque, â lo que à mî me parece, no hay mas que pedir, porque
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il 80 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Mais il y avait, à la cour et dans la famille même
de Philippe II , une princesse qui se croyait appelée,
plus que toute autre, à devenir la femme de don
Carlos : c'était la propre sœur du roi, doiia Juana.
Restée veuve, à l'âge de dix-huit ans et demi, de
l'infant don Juan, héritier de la couronne de Portugal,
dofia Juana était réputée l'une des plus belles, des
plus gracieuses femmes de Castille, et d'éminentes
vertus rehaussaient encore sa grâce et sa beauté (').
Depuis son veuvage, les prétendants ne lui avaient
pas manqué : elle s'était vue recherchée , presque en
même temps, par le duc de Ferrare, de la maison
d'Esté, et par le prince de Florence, François de
Médicis , fils de Cosme. Elle avait rejeté bien loin la
recherche du premier, qu'elle regai*dait comme « trop
de su edad tiene muy buen entendimiento y gran reposo ; es muy devota,
y tiene la mejor condicion que se ^puede pedir ; tiene linda disposiciou,
y sera grande, porque agora lo esta, y crece mucho, que parece de quince
deciseis auos ; tiene arto buen gesto ; tiénela su madré muy bien
crJada ; no se aparta della, y ansî ella y el rey la adoran y quieren mas
que à todos los otros ; y es cierto que, a mi parecer, no se pueden desear
mejores prendas en una persona, para compania del principe, que ella
tiene.... » (Dépêche écrite de Prague, le 49 janvier 4562, dans la
Coleccion de documentos inëditos para la historia de Espana, t. XXVI,
p. 425.)
(^) « La principessa,.... stimala la più bella di quella provincia,.... •
dit l'ambassadeur vénitien Badoaro , dans sa relation au sénat, faite
en 4 557. (Voy. Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint
et Philippe 77, p. 62.)
Un autre Vénitien disait d'elle, en 4572 : « Ê questa principessa di
« bellissime manière , di faccia delicata, di pelo bruno e di carnagione
« bianchissima, di vita esemplare e di stalura grande. Ë proportionna tu
« molto, et in ogni sua azzione grandissima d^ingegno e di prudenza. »
[Ibid., p. 174.)
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CHAPITRE Vin. 481
« basse et petite pour sa qualité (*) ; » le second
n'avait pas mieux réussi auprès d'elle. François de
Médicis vint en personne à la cour d'Espagne Q). Le
duc Cosme entretenait d'étroites relations avec Phi-^
lippe 11^ dont la bienveillance lui avait valu l'acquisi-
tion de Sienne, et était le fondement de son influence
en Italie. Il ne croyait pas trop présumer de sa for-
tune, en se flattant que son fils serait agréé de la
princesse : il eût été disposé, en ce cas, à abdiquer en
sa faveur ('). Philippe II fit au prince de Florence un
accueil affectueux; mais, dans sa cour, il n'en fut pas
de même : la prétention de François de Médicis parut
indiscrète et choqua tout le monde ; don Carlos , eu
particulier, s'en montra blessé à un tel point qu'il
pouvait à peine le voir. Quant à dofia Juana , elle
déclara, de la manière la plus explicite, qu'elle ne
prendrait jamais pour mari le fils d'un marchand (^).
('} Expressions de Tévéque de Limages, dans une dépêche à Catherine
de Médicis, du 9 mars 4562.
(') Au mois d'août 4562.
(') « .... Vedendosi d^avere da se solo acquistato uno Stato di Sieoa ,
Ghe pareva àvere deir impossibile,.... gli pare moltopiù facile di con-
eeguire una donna, quand'anche dovesse rinunziare del tutto lo Stalo
al figliuolo per incoronarlo, ad imitazione di Carlo V, perché questa
regina se ne venisse assolutamente regina di Toscana. » (Kelaziune di
Firenze, di messer Vincenzo Fideli, tornato da quellacorte, ranno'4564 ,
dans les Relazioni degli ambasciatori veneti al senato, série II, t. 1,
p. 360.)
(*) « .... Questa andata del principe partori diversissimi eflFelti, perche
fu tenuta in Ispagna leggerezza del principe Taspirare al matrimonio di
una tanta principessa, la quale ebbe a dire più vol te che non piglierebbe
per marito mai il figliolo di un mercante ; ed il principe per il^uo pro-
cedere si acquisto i'odio di tulia la eorte, e massime del principe di
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49% DON CARLOS ET PHILIPPE K.
C'était sur don Carlos que dona Juana avait arrêté
ses vues. La Providence n'avait pas permis qu'elle
s'assit sur le trône de Portugal, qui lui était destiné :
le trône deCastiUe pouvait seul, dans sa pensée, la dé-
dommager de ce qu'elle avait perdu. Et sa manière de
sentir à cet égard n'était pas nouvelle : dès 15S6, deux
ans après la mort de son époux, Jean III, roi de Por-<
tugal, à son instigation ceriaiqement, avait représenté
a Philippe II, par l'intermédiaire de l'ambassadeur
d'Espagne à Lisbonne, les avantages qui résulteraient
d'une union entre elle et le prince des Asturies ('},
Une objection grave pouvait cependant y être faile :
doiîa Juana comptait dix ans de plus que son neveu (^J.
Malgré cela, les Espagnols, se ressouvenant de la pru-
dence , de la sagesse , de la justice qu'elle avait dé-
ployées diins le gouvernement de la monarchie à une
SpagDa, il quale 9ppena pativa di vederlo.... » (Relazionedi FireDze, del
Glarissimo M. Lorenzo Priuli, ritornato ambasciator 1 anno 4566, dans les
Belazioni degli ambasci^lori veneti al setiato, série 11, t. H, p. 82.)
(^) • Los dias pasados, se me olvidô de escribir à Y. M. cierta plàtica
que e) serenissimo rey pasQ conmigo en presencia de la serenissima
reyna. dicieoclo que él queria taoto à la princesa mi senora como quiso
é su hijo, y que, pues Nuestro Senor le habia llevado à su ^arido, que
00 deseaba cosa mas que vella casada coo su nieto, y que era cosa que à
Vuestras Magestades estaba muy bleu , vella remediada y casada tan
bien ; que no babia ningun principe en el mundo con quien ella estu-
t>ie8e tan bien casada, ni el principe mi senor con nioguna muger mejor,
para bien de los reynos de V. M. y de todos ; que no eran tan diferentes
las edades que no estubiese bien, y que de la priocesa y a se ténia espe-
riencia que tendria hijos, y que él estaba determinado de io enviar à
decir â S. M. y é V. M • (Dépèche de don Luis ^armiento de Men-
doza écrite au roi, de Lisbonne, le 40 juin 4556 : Archivas de Si mancas,
^stado,Aeg.31S.]
(') Elle était née k Madrid le 23 juin ^5^^.
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CHAPITRE VlII. 483
époque difficile, lui étaieuLgénéralement favorables (').
Nous ne comptons pas, parmi les princesses qui
aspiraient à la main de don Carlos, Elisabeth d'Angle-
terre : car nous ne saurions, en vérité, prendre au
sérieux le reproche que cette reine faisait à don Diego
Guzman de Silva, ambassadeur de Philippe II à sa
cour, qu'on ne Teùt pas proposée au prince d'Es-
pagne (^). Jamais Elisabeth ne voulut réellement s'as*
sujétir aux liens du mariage, et don Carlos aurait été
le dernier qu'elle eût accepté pour époux.
Le (ils de Philippe II n'était pas d'humeur à se
laisser marier contre son gré. On le savait : aussi
Elisabeth de Valois et les dames françaises de sa cour
ne laissaient-elles échapper aucune occasion de faire
valoir en sa présence les avantages de madame Mar-
(') Les ambassadeurs véoitions Andréa BadoaroetÂugoslino Barbarigo
disaient d'elle, dans leur relation de 4561 , que nous avons plusieurs fois
citée : • È stimata da S. M. C, cosi da tutta la Spagna, per il prudente
• governo ch* ella ha fatto di quel regno, neir assentia del re.... »
(*) « Gon ocasion de las vistas concertadas de la reina de Espana con
su madré la reina de Francia en Fuenterrabla, moviô Isabel nueva mente
la plàtica de casamiento, en la cual dijo â Guzman de Silva.... que
estaba quejosa de que no se la hubiese propuesto al principe don Car-
los. • [Apuntamientos para la historia del rey don Felipe II, por k>
tocante à nus rehbciones con la reina Isabel de Inglaterra, par don Ton as
Gonzalez, dans le tome VU des Memorias de la real Academia de la his-
toria de Madrid, p. 307.)
Dans une lettre de Guzman de Silva au roi, du 40 juillet 4564 (Colec-
cion de documentos inéditos para la historia de Espana, t. XXV J,
p. 509), nous trouvons le passage suivant, qui confirme le fait rapporté
par le chanoine Gonzalez : « La reina tornome â preguntar en lo pasado
« de V. M. y si el principe habia crescido. Yo le dije que si; y estuvo
« pensando un poco, y dijo : En fin todos me desdenan : entiendo que
• se ha tratado de casarle con la de Escocia. »
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<84 DON CARLOS ET PHILIPPE U.
guérite. Au mois de février 1561, Elisabeth étant à
Tolède, sa mère lui envoya son portrait, avec ceux de
ses fils et de ses deux autres filles. Don Carlos les vit,
et dit plusieurs fois en riant : Mas hermosa es la
pequefia^ « la petite est la plus jolie. » Elisabeth
l'assura que sa sœur était bien faite ; madame de Cler-
mont ajouta que c'était une belle femme pour lui : il
rit de nouveau et ne répondit rien ('). A son retour de
Rayonne , Elisabeth rapporta un portrait de sa sœur,
alors âgée de douze ans; elle le montra au prince.
Don Carlos , l'ayant contemplé longtemps , dit qu'elle
avait les yeux beaux, la bouche belle, qu'elle était
toute belle. Mais on ne put tirer autre chose de lui (^).
Soit qu'il la trouvât trop âgée, soit parce qu'elle lui
avait en quelque sorte servi de mère, ou par d'autres
motifs, don Carlos ne voulait pas entendre parler,
pour sa femme, de doîïa Juana. Un jour qu'il causait
familièrement à Alcala (c'était quelque temps avant sa
chute) avec le fils de don Garcia de Tolède, son gou-
verneur, celui-ci, à propos des bruits qui couraient
d'un prochain mariage entre lui et sa tante, lui de-
manda quels étaient ses sentiments pour la princesse.
Il répondit avec vivacité « que plutôt se laisseroit-il
« mourir, si son père vouloit le forcer de l'épouser,
« pour ne l'aimer en façon que ce fût f ). » Doîîa
t
(^) Lettre d'Elisabeth de Valois à CatheriDe de Médicis, dans les Négch
ciationSy lettres et pièces, etc., p. 805.
C) Mémoire de SaiDt-Salpice, du 44 août 4566.
(') Lettre de l'évêque de Limoges à Catherine de Médicis, du 3 jan-
vier 4562.
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CHAPITRE VIII. 485
Juana se flatta pendant quelque temps de vaincre
rindifférence de son neveu ('); elle fut très-affeclée
du dédain dont elle était l'objet de sa part : <( la pauvre
« dame en maigrit à vue d'oeil, » écrivait l'évêque de
Limoges à sa cour (^).
Marie Sluart aurait plu davantage à don Carlos ;
cette alliance répondait mieux à ses aspirations ambi-
tieuses« Il disait à ce même fils de son gouverneur
dont nous venons de faire mention ( il comptait alors
seize ans et demi à peine) « que ^ pour sa grandeur,
« et avoir tiltre et moien d'estre es Païs-Bas quelque
<c chose plus que lieutenant de son père, qui estoit
« jeune, et duquel il ne pouvoit de longtemps attendre
« grands estatz , il avoit l'œil sur la royne d'Escosse,
c< pour la cognoistre belle, saige et bonne catholique,
« et maistresse de ses droictz , alléguant ce que luy
« en avoient rapporté les seigneurs qui l'avoient vue
(') « La princesse fait estât de sod neveu, et ne se peult dire qu'il eu
faille ne penser ne croire aultre particularité : car ce roy est du tout
gaigné, et d*autant plus que, le duc d*Albe et prince d'Evoly estans,
avec infiniz adhérens, ennemys à mort, et maintenant balançant leur
faveur, ladicte dame princesse, qui est fine et assez bien garnye d'amys,
a réduict son frère là.... • (Lettre de l'évêque de Limoges à Catherine de
Médicis, du 3 juillet 4564.)
« .... Jamais ne divisa- l'on plus asseurément du mariage du prince
d*Hespaigne et de sa tante, qui, sans faire semblant d'y penser, en faict
bien la belle et gaillarde.... » (Id., du 24 juillet 4561.)
« .... Madame, il semble que vous n'estes pas assez satisfaicte de moy
en ce qui concerne le mariage du prince, vous ayant mandé résolument
ce que j'en sçavois. Pour cela, madame, je ne lairray tousjours à vous
dire la vérité, non pas que je vous en veuille désespérer , mais vous
représenter à l'œil l'asseuranc* que la princesse y a, et tous les siens. ...»
{/d.,du 4«' octobre 4561.)
(') Lettre à Catherine de Médicis, du 15 avril 1562.
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486 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
<c en France Q). » Il s'en était expliqué aussi avec la
reine Elisabeth , de manière à lui faire comprendre
qu'il appréciait les avantages que Marie Stuart appor-
terait en dot à son mari^ et particulièrement ses pré-
tentions sur le royaume d'Angleterre (^).
Plus tard, lorsqu'il eut vu un portrait de sa cousine
Anne d'Autriche, il la trouva si à son gré qu'il ex-
prima résolument l'intention de l'épouser et de n'en
épouser pas d'autre : on l'entendit déclarer, à cette
occasion , qu'en toutes choses il obéissait au roi son
père, mais. qu'en ce qui concernait son mariage et le
choix de celle avec laquelle il devait passer sa vie,
cela le regardait ; il dit encore qu'il ne croyait point
que le roi voulût mettre obstacle à son bonheur, ni le
contraindre à se marier avec une femme qu'il n'aime-
{^) Lettre de Tévêque de Limoges, du 3 janvier 4 562.
(*) « La royne catholicque et moy avions inispeynede pénétrer,. par
tous les moyens que nous avons peu , au secret de ce mariage de la
royne d'Escosse avec le prince d'Hespaigne.... Et remémoroys là-dessus
plusieurs choses : premièrement, ce que, à ce propoz, le susdict prince
avoit dict à la royne catholicque, qu'on luy avoit parlé de troys partys :
l'ung de madame, Taultre de la fille aisnée du roy des Romains, et le
tiers de la royne d'Escosse. Et discourant les occasions qui le convie-
roient d'entendre à Tung ou Taultre des troys, avoit dict de ce dernier
qu'on Tavoit asseuré qu'elle estoit fort belle : joinct que, ayant d'assez
longtemps faict sonder de ce propoz le confesseur, il avoit respondu n'y
avoir pour encores rien eu termes; loutesfois, que la consommation
n'en seroituue proffitableau bien de la chrestienté, pour tenir en bride
la royne d'Angleterre et ses subgectz, et avoir par ce moyen ung bon
pied dedans ceste isle, pour la réduire ung matin, ou de gré ou de force,
à l'obéissance de l'Église , et que iadicte royne d'Escosse avoit de si
bonnes prétentions en Angleterre, que le party en pourroit estre à l'ad-
venir bien fort grand. » (Lettre secrète de Saint-Sulpice, du 41 octo-
bre 4563.)
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CHAPITRE VIfl. 487
rait pas(^). D'autres faits semblent prouver qu'il avait
vraiment conçu un attachement sérieux pour l'archi-
duchesse^ sans la connaître. Nous citerons le suivant.
Il se trouvait au bois de Ségovie, avec le roi et la
reine, au mois d'août 1565, Une après-dinée, la reine
le fit monter avec elle et plusieurs dames de sa cour
dans une charrette à bœufs, pour aller visiter le parc.
Comme il fut quelque temps sans parler, elle lui
demanda où étaient ses pensées; il répondit qu'elles
étaient à plus de deux cents lieues de là. « Et où est
a cela si loin? » dit la reine. — « A ma cousine, n
repartit-il (^),
Philippe II entendait bien faire servir aux intérêts
de sa politique et à l'affermissement de sa puissance
le mariage de son fils {^). Par ce motif, quoique lui et
(*] Voy. les lettres du S' de Chanlonay , ambassadeur à Vienue, écrites
h Philippe II, le 20 mai et le 30 juin 4565, dans les Papiers d'État du
cardinal de GranveUe, t. IX, pp. SI 3 et 377.
(') Lettre secrète de Saiot-Sulpice, du 9 septembre 4565.
(') C'est ce que i'évéque de Limoges, Sébastien de TAubespine, n*avait
cessé d'écrire ^ Catherine de Médicis. U lui mandait, le 40 mars 4564 :
• En fin de compte, ils prendront ce qu'ils trouveront le plus à leur
« avantage; » et le 25 avril suivant : « Le roy catholique branle çà et
w là, faisant son prouffit et monstre de sa marchandise, pour déguiser
« ses intentions doubles, et enfin accommoder ses affaires du meilleur :
• en quoy il est vray, comme Dieu, qu'ils regardent la Flandre et ce qui
u la peut toucher plus que chose du monde. » (Négociations, lettres et
pièces diverses relatives au règne de François II , pp. 823 et 856 ) Le
6 février 4562, lui rendant compte d'une conversation que la reine Elisa-
beth avait eue avec son mari, et dans laquelle elle avait mis en avant
d'abord madame Marguerite, puis dona Juana, il lui disait : « La sub-
« stance de toute la response fut comme de coustume, et telle qu'elle est
« ordinaire de ceulx qui, soubz couleur d'un bon mariage, désirent
tt d'entretenir ung chascun, sans désespérer personne, jusques au pren-
• dre. » 11 en concluait « qu'icy l'on prendroit le meilleur, et celluy
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488 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
ses ministres berçassent d'espérances Catherine de
Médicis, il ne songea pas un instant à unir don Carlos
à Marguerite de Valois ('). Il n'avait rien à gagner de
ce côté : son propre mariage avec la sœur de Margue-
rite le mettait en possession de tous les fruits qu'il
pouvait tirer d'une alliance entre sa maison et celle de
France. Il ne prêta pas l'oreille, non plus, aux pre-
mières ouvertures qui lui furent faites au nom de
Marie Suart. Ce fut pour sa nièce , l'archiduchesse
Anne, qu'il pencha dès le principe : en lui faisant épou-
ser le prince d'Espagne, il resserrait son union avec la
branche de sa maison qui occupait le trône impérial,
et par là il acquérait des garanties pour la sûreté des
Pays-Bas, qui était l'un des principaux objets de ses
combinaisons politiques. L'empereur son père, d'ail-
leurs, en mourant, lui avait recommandé ce mariage
de préférence à tout autre , si la disproportion d'âge
qu'il y avait entre don Carlos et dona Juana ne per-
mettait pas que le prince épousât sa tante Q. Quant
« qui seroit, en biens et seureté d'Estatz du Pays-Bas, plus utile, comme
« il sembloit que non-seulement le conseilloient ceulx de par deçài
« mais tous autres ministres de S. M. »
(^) Encore au mois d'août ^563, lorsque Philippe II chargeait expres-
sément son ambassadeur à Londres de négocier le mariage du prince
avec Marie Stuart, à certaines conditions , Ruy Gomez disait à Saint-
Sulpice « que le mariage du prince n'estoit tant hors d'espoir comme
« l'on eust penséf mais que. l'indisposition et l'imbécillité qui se voyoii
« en sa personne avoit retenu son père jusques icy de traicter rien de
« son mariage, de peur que de luy bailler sitost femme portast préjudice
« à avoir lignée. » Il l'assurait en même temps qu'il n'était pas ques-
tion de rarchiduchesse Anne. (Lettre secrète de Saint^Sulpice , du
45 août.)
(') C'est ce que don Martin de Guzman, ambassadeur de l'empereur
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CHAPITRE VIII. 189
à Marie Stuart , il se montrait disposé à seconder les
desseins de l'empereur Ferdinand, qui avait jeté les
yeux sur elle pour rarchiduc Charles , son troisième
fils (*). Il transmit des instructions dans ce sens au
comte de Luna, son ambassadeur à Vienne , mais en
évitant soigneusement de s'engager sur aucun point.
L'empereur aurait voulu une réponse plus catégo-
rique. La cour de Fontainebleau venait de lui faire
demander la main de l'archiduchesse Anne pour le roi
Charles IX, et cette demande était appuyée des sym-
pathies des princes et des peuples d'Allemagne. II
exprima à Philippe II, par l'organe de don Martin de
Guzman, son ambassadeur à Madrid, le désir de savoir
si son intention était que l'archiducliesse fût gardée
pour le prince d'Espagne, ou si l'on pouvait la donner
à la France (^).
La question était précise; mais le cabinet de Madrid
n'était jamais embarrassé de trouver des moyens
évasifs. Philippe fit déclarer, par le duc d'Albe, à don
Ferdinand à Madrid, assura à révoque de Limoges. (Dépêche de i'évéque
à Catherine de Médicis. du 46 février <562.)
(^) Les vues de Philippe II, telles que nous les énonçons ici , résul-
tent d*une dépêche du 43 octobre 4561 du confie de Luna, ambassadeur
d'Espagne à Vienne, en réponse à une lettre que ce monarque lui avait
écrite le 28 août. (Archives de Simancas, Estado, leg. 650.) La lettre
du 28 août n'a pas été trouvée dans les archives de Simancas.
(«) « .... Desea Su M** Cesarea saber la voluntad de V. M** C. en si se
debatratar del casamiento de su nieta la mayor con Francia, 6 si es la
de V. M^ que se guarde para el principe, y se trate de dar la segunda
nieta à Francia, porque, no habiendo V. M<i de venir en lo primero, no
se perdiese ocasion de remediar la mayor, por no tener en esto la clari-
dad de V. W que la suya desea.... » (Mémorial de don Martin deGuzman
à Philippe II, sans date : Archives de Simancas, Estado, leg. 651.)
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490 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Martin de Guzman que, àon fils étant malade et très-
jeune encore, il paraissait que le moment n'était pas
venu de traiter de son mariage; qu'il priait en consé-
quence l'empereur de trouver bon que celte négocia-
tion fut remise à plus tard; que si, dans l'intervalle,
quelque autre occasion qu'il n^entrevoyait pas actuel*
lement venait à s'offrir, à l'avantage des deux maisons,
auxquelles tout était commun , il lui en donnerait
connaissance, et prendrait son avis (*).
Ferdinand ne se paya pas de ces raisons. Ayant
appris, au commencement de lS6â, l'amélioration qui
s'était manifestée dans l'état de don Carlos, il expédia
un courrier à son ambassadeur, afin quil sollicitât du
roi catholique une réponse positive. Il s'en expliqua
aussi avec le comte de Luna. II lui dit qu'aucun parti
ne convenait autant au prince d'Espagne que sa petite-
fille , non-seulement pour les rapports d'âge qu'il y
avait entre eux et les belles qualités de Tarchiduchesse,
mais encore pour d autres considérations d'une haute
importance, et qui touchaient le bien d'eux tous et la
conservation de la maison d'Au triche f) ; il l'engagea à
(*] « .... Lo que sobreslo V. M. babia escrito y mandado decir à
Martin de Guzman por el duque de Alba, que es en suma que, por estar
e1 principe indispuesto, y en edad que con su parescer no se podia tratar
de semejante cosa, à V. M. le parecia que no era tiempo de tratar dello;
que S. M. tuviese por bien que se dejase esta plàtica para adelante ;
que si en tanto se ofreciese otra cosa, la cual al présente no vîa* que le
pareciese convenieote à esta casa de V. M. y suya, que todo era uno, que
V. M. le daria cuenta dello, para hacello con su parescer.... » (Dépêche
du comte de Luna à Philippe II, du 49 janvier 4562, ci-dessus citée.)
(*) « .... Que, por parecerleà S. M. que al présente no hay cosa mas
conveniente ni mas à proposito del principe, ansi por la conformidad
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CHAPITRE VIII. m
faire au roi, son maître, un portrait fidèle et conscien-
cieux de la jeune princesse (*) ; il ajouta que , s'il
savait quelque autre parti qui convint mieux au roi
ou au prince, il le verrait préférer avec beaucoup de
plaisir Q.
Le comte de Luna s'efforça de le persuader que le
roi ne ferait rien, en ce qui concernait le mariage de
son fils , non plus qu'en d'autres affaires d^une égale
importance, sans prendre son avis, et que, dans l'état
où le prince se trouvait, après les fièvres dont il avait
souffert si longtemps, il pouvait y avoir de graves
inconvénients à le marier.
L'empereur avoua que le comte avait quelque rai-*
son ; il lui dit que jamais il ne conseillerait au roi une
chose qui pourrait avoir les conséquences qu'on avait
vues en Portugal (^). « Je vais, comte — poursuivit-il
« — vous parler en confidence, et pour que cela ne
de las edades y buenas partes que la ynfanta tiene, como por otras cosas
que auo importaD mas, que se pueden considerar, para el bien de todos
y coDservacion desta casa.... » (Dépôcbe du comte de Luua, du 40 jan-
vier 4562.)
(') Le comte de Luna le fit. Nous avons cité, p. 479, le portrait de
l'archiduchesse Anne, tel qu*i] fut envoyé par lui à Philippe il.
P) « .... Y que dijese, demas desto, a V. M. y le certiflcase que, si
viese otra cosa, ù la entendiese, que le pareciese que a V. M. 6 al prin-
cipe les conviniese mas, lo tendria por bueno, y le daria mucho conten-
tamiento. » (Dépêche du comte de Luna, du 19 janvier 4561.)
Dans une lettre autographe au roi, du 44 janvier 4562, Ferdinand lui
tenait le même langage : « .... Certificando â V. A. que, si supiese yo
« que algun otro casamiento estaria mejor al principe y al bien de nues-
« tras casas que este, no trataria dél en maneraalguna. » {Coleccionde
documentos inédilospara la historia de Espana, t. XXVI, p. 449.)
[*) Allusion au mariage de Tinfant don Juan avec la princesse doiîa
Juana.
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\91 DON CAKLOS ET PHILIPPE II.
« sorte pas d'ici. Savez-vous ce qui me meut à faire
« cette démarche ? C'est qu'on me mande, de Flandre
w et d'Italie, qu'il est question du mariage du prince
« avec la sérénissime princesse de Portugal , et que
(( l'affaire est même si avancée qu'on a écrit à Rome
<( pour les dispenses Je la fais aussi parce que,
« bien que la princesse de Portugal soit une personne
u telle qu'elle ne laisse rien à désirer, je trouve
c( l'alliance de ma petite-fille plus à propos pour le
<c prince. D'abord, il y a entre eux conformité d'âge;
« ensuite, par cette alliance, le roi catholique acquiert
« en Allemagne des parents et des amis ( ce que ne
« donne pas l'alliance avec la princesse) ; et quoique,
w pour le présent, il ne paraisse pas en avoir besoin,
c< il lui importe de pouvoir compter sur eux dans
« l'avenir. Il y a à dire encore que la princesse a dix
<t ou onze ans de plus que le prince, et c'est beaucoup :
« car, lorsqu'il deviendra homme , elle commencera
« à vieillir, et ce n'est pas là un petit inconvénient.
« En outre, et indépendamment des liens étroits de
« parenté qu'il y a entre eux, se marier avec une
« personne à qui l'on doit le respect qu'on porte à
« une mère, ressemble à je ne sais quoi. Enfin, bien
« que la princesse soit très-jolie, je crois que l'archi-
« duchesse satisfera ceux qui la verront. Les motifs
« qui paraissent avoir déterminé, ou qui détermine-
« raient le roi à ce mariage, sont que le prince est
« jeune ; que la princesse est très-capable, et l'aidera
« à gouverner ; que , marié avec elle , le roi pourra
c( ou le laisser en Espague, ou bien l'envoyer en Italie
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CHAPITRE VIII. 193
« OU en Flandre. Ces motifs ont une certaine appâ-
te rence de fondement ; mais je vous 'dis que, comme
« le démontre l'expérience, une semblable combi-
« naison peut avoir des inconvénients très-graves, et
ce auxquels il serait difficile de remédier, au point de
« vue du gouvernement, aussi bien que par rapport
« ati bonheur du prince et à la tranquillité de son
« père. Je ninsiste pas sur ces considérations parti-
<c culîères : le roi est doué d'une telle prudence, qu'il
« les appréciera mieux que personne Ç). »
(M « Mas dijome : Hablando con vos, cotide, en confidencia, y para
« que no saïga de aqai\ os bago saber que yo me muevo à esto, porque
a de Flandes y de Italia me escriben que se trata este casamiento con la
« serenîsima princesa de Portugal, y que la plâtica iba tan adelanteque
• se habia enviado por la dispensacion à Roma.... Y por esta la hago,
a y por parecerme que, auuque la princesa sea tal persona que no baya
« masque pedir en ella, tengo por mas à propôsito y mas conveniente
« para el principe el de mi nieta, ansi por la conformidad de las edades,
u y porque con ella se toman en estas partes mas deudos y amigos, que,
« aunque al présente no parece que sean menester, importa el confir-
« mallos (tara lo de adelante, y que aquestos no se toman con la princesa;
« y que tambien lleva al principe diez ù once anos, que para Uevarlos la
« muger al bombre es mucho, porque cuando él veuga à ser bombre,
« sera ella entrada en dias, que no es poco inconveniente; y después el
« deudo tan grande, que parece no se que casar con persona à quien se
« debe el respeto de madré; y que aunque la princesa sea muy hermosa,
« creo que la ynfanta no degarà de contentar à los que la vieren. Las
• causas que escriben que al rey le mueven 6 le podrian mover à bacer
« este casamiento, dicen que son que el principe es moço , y que la
« persona es muy bastante y le podria ayudar à gobernar, y que en su
« compania le podria ô dejar en Espana, ô enviar à Ytalia ô Flandes; y
a auuque esto tieiie una color y aparencia, os digo que las mas veces
« suele traer grandes inconvenientes, y que se pueden remediar muy
« mal, ansi para lo que toca al gobiemo como para lo que toca al con-
« tentamiento del principe, como tambien para lo que toca al descanso
• y sosiego de su padre. Y porque el rey es tan discrète que todo lo
43
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494 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
Le comte de Luna ne répliqua rien ; il était sans
inslniclions. I) rendit compte au roi de tout son
entretien avec l'empereur , en l'accompagnant de
quelques réflexions pour lesquelles il sollicitait l'in-*
dulgence de son maître. Selon lui, le roi ne devait
actuellement ni s'engager ni engager le prince, car,
d'un moment à l'autre, il pouvait se présenter une occa-
sion qui fût plus avantageuse à sa couronne et a la
grandeur de sa maison : objet que devait avoir prin-
cipalement en vue un souverain si puissant , et qui
était si près de parvenir à la monarchie universelle Ç).
« Ce qui me fait dire ceci, — ajoutait-il — c'est qu'on
« tient pour certain que la reine d'Angleterre ne peut
(c avoir d'enfants , qu'elle a peu de santé , et qu a son
« défaut, la reine d'Ecosse est hérîlière de ce royaume.
« S'il en était ainsi, la chose vaudrait la peine qu'on
« y regardât. Un point à considérer encore, c'est que
i< les Guise , oncles de la reine d'Ecosse, s(mt les
« hommes les plus catholiques de France, qu'ils sont
c( détestés et maltraités de Vendôme Q, dans les
c( mains duquel est aujourd'hui le gouvernement, et
c< qui le conduit de manière à n'en faire attendre que
(c les plus fâcheux résultats. Tout cela, j'en suis
« entendcrà tan bien como se lo sabra nadie decir, yo no quiero tratar
« destos particulares. » (Lettre du comte de Luna, du 49 janvier 1562.)
(^) « .... Pues de una hora à otra se podria ofrecer cosa que fuese mas
à propôsito de los Estados de V. M. y de la grandeza de su sucesioo, con
que principalmeote se ha de tener cuenta , especialmente un rey tan
grande como V. M. y que tan propinco esta à la monarquiadel mundo. »
{IM.)
(*) Antoine de Bourbon, roi de Navarre.
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CHAPITRE Vin, 195
<c assuré, Y. M. l'aura déjà pesé dans sa sagesse et
« sa prudence; l'occasion, quand elle s'oflFrira, la
« trouvera en mesure d'en profiter, et , quand il en
a sera temps, elle accomplira ce qu'elle est obligée de
« faire comme prince si catholique et si valeureux.
« Pour celte entreprise, elle doit se fier en ses forces,
<( et non en des alliances, ni en des promesses qu'on
« lui fait peut-être sans avoir l'intention de les accom-
« plir (*). »
Don Martin de Guzman, ayant reçu le courrier de
l'empereur, demanda audience au roi catholique, et
lui fit la communication dont il était chargé. Phi-
lippe II , suivant sa coutume, prit un délai pour ré-
pondre. Le 7 mars , le duc d'Albe dit, de sa part, à
l'ambassadeur de Ferdinand « que Dieu savait s'il y
c< avait quelque chose en cette vie qu'il désirât plus
« et qui pùl lui donner plus de contentement que de
a voir son fils avec une compagne telle que la prin-
(') « He querido decir eslo, porque se tiene por cosa cierta que la
reioa de Ynglaterra do puede baber hijos, y que tiene poca salud, y que
en su defeto la de Escocia es sucesora de aquel reino ; que si aquesto
fuese, 00 séria de dejar de miraren ello, y tambien en que les de Guisa,
sus tios, son ios mas catolicos que hay en Francia, y son aborrecidos y
maltratados de Vandoma, en cuya mano esta agora el gobierno, el cual
le lleva por un camino de que no se puede esperar menos de que las
cosas de aquel reino ban de dar al través. Todo lo cual teogo por cierto
que V. M., como principe tan sabio y prudente, tiene bien considerado,
y muyprevenido estaré à la mira para no perder la ocasioo, cuando se
ofreciere, y fuere tiempo'de hacer lo que, como principe tao catôlico y
valeroso, fuese obligado ; para lo cual se ha de hacer fundamento en
sus fuerzas, y no en ligas ni otras ofertas, que se puede sospechar que
son mas para meter é V. M. en necesidad que para cumplirlas/* (Dépêche
du comte de Luna, ci-dessus citée.)
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496 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
(c cesse Anne , tant pour la naissance de cette prin-
«< cesse, et parce qu'elle était fille de princes auxquels
« il avait voué une si vive affection, que pour le
ce respect et l'amour filial qu'il portait à l'empereur,
« mais que l'indisposition du prince d'Espagne était
(( dans les mêmes termes que par le passé (*); que sa
« faiblesse était toujours extrême, et que la maladie
« l'avait tant travaillé qu'il n'avait pu prendre sa
« croissance, ni se développer selon son âge, comme
« Martin de Guzman lui-même en était témoin ('). »
Le roi était donc, pour le moment, dans l'impossibilité
de se résoudre sur le mariage de son fils; il suppliait
l'empereur de ne pas s'en formaliser, en l'assurant
que ce point et toutes les autres affaires qui leur
étaient communes seraient réglés d'accord avec lui,
après un plus mûr examen, et pour le plus grand bien
de leurs deux maisons Q.
Philippe envoya copie de cette réponse au comte
(>) Voy. p.190.
(2) Que Dios sabia si havia cosa en esta vida que él mas desease,
ni de que mas contentamiento pudiesse recibir, que de ver à su hijo
en tal companîa, assi por ser hija de taies padres à quien él ama tanto,
como por la observancia y amor de hijo que tiene al emperador, mas
que la indisposicion del principe se estava en los mismos términos que
por lo passade, y la flaqueza tan grande que la enfermedad le ténia tan
opprimido que no le dexava medrar en la disposicion , ni mostrar los
otros effectos que se requerian à su edad , como el mismo Martin de
Guzman lo havia- visto y sabia.... » [Respuesta qttedià el duque de Alt^a
à Martin de Guzman, en Madrid, àl de marzO 4562, dans la Coïeccion
de documentos inéditos para la historia de Espana, t. XXVI , p. 498.)
(^) a .... Assi suplicavaà Su Magestad Cesarea tomasse à buena parte
esta dilacion, pues era para hacerlo con mas comunicacion, y encami-
narlo para mayor bien de todps. » [Ibid.)
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CHAPITRE VIIÏ. 497
de Luna, afin que, dans ses rapports avec l'empereur,
il y conformai; ses discours. En même temps, il l'initia
aux secrets de sa politique : a II Taut que vous sachiez
« — lui écrivit-il — qu'il importe au bien de mes
« affaires et de la chrétienté de tenir te prince libre
« de tout engagement, pour beaucoup de raisons,
« jusqu'au moment même où son mariage devra avoir
« lieu. Tel est mon but, et ce qui convient pour nous
ce tous ('). » Il l'autorisa aussi à dire et à certifier à
l'empereur que les renseignements qu'on lui avait
donnés touchant le mariage du prince avec sa tante
étaient inexacts; que jamais ce mariage n'avait été
dans la pensée du roi. Enfin il lui recommanda de
faire en sorte que S. M. I. patientât jusqu'à ce que la
santé du prince fût rétablie, et qu'on vit la tournure
que prendraient tes affaires publiques et celles de la
maison d'Autriche : ce délai tournerait à leur avan-
tage commun; lorsque te temps en serait venu, ils
verraient ce qu'ils auraient à faire. S. M. I. pouvait
s'assurer d'ailleurs que le parti auquel, de son côté,
il se déterminerait, lui serait dicté par son respec-
tueux attachement pour elle , ainsi que par son désir
de complaire au roi , son beau-frère, et à sa sœur f ).
(*) « .... Por demàs de aquello, es bien que entendais que ai bien de
mis negocios y de la cnstiandad conviene tener al principe libre , por
mucbos respectos , y no prendalle hasta el mismo tiempo en que se
huviere de casar; y este es mi fin y lo que conviene para todos.... »
(Lettre du 40 mars 4562, dans la Coleccian de documentos inéditos, etc.,
t. XXVÎ, p. 445.)
(*) « Por lo que decis que Su Magcstad Cesarea se da priesa en lo que
toca à este casamiento, por lo que ba entendido y le avisan de algunas
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498 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
A l'empereur, qui lui avait écrit de sa main ('),
Philippe répondit en se référant à ce que don Martin
de Guzman et le comle de Luna lui déclareraient :
a C'est — lui disait-il — ce qui convient au bien de
c( tous; et y, M. doit le prendre ainsi, puisqu'elle
« doit être persuadée que, si j'agis de la sorte, ce n'est
« pas faute d'amour réciproque pour V. M., ainsi que
« pour mon beau-frère et ma sœur, ni parce que je
« méconnaîtrais tout ce que vaut pour mon fils une
« compagne telle que l'archiduchesse Q, »
Le comte de Luna comprit et remplit parfaitement
les vues de son maitre. L'empereur, cette fois, ne fit
nulle objection : il écrivit, de sa main, au roi catho^
lique qu'il demeurait satisfait des explications données
à son ambassadeur; qu'il espérait que le prince recou-
vrerait la çanté, et qu'alors le roi se ressouviendrait
de sa petite-fille (^).
partes que se trata dç casalle con la princesa mi hermana, y que se
havia embiado à procurar la dispensaciou, podreis dezir y cerlificar à
Su Ma que no es asi, ni nunca me pasô por pensamiento, y que, hasta
que el principe esté en buena disposicion, y veamos como se encaminan
los negocios publiées y los de nuestra casa, pues todo ba de redundar en
bénéficie comun, Su M^ se debe contentar desta dilacion ; que à su
tiempo veremos le que mas convernâ, y yo, por mi parte, lo miraré con
el amor y observancia que le tengû â él, y el deseo de complazer à mis
hermanos.... » (Lettre du 10 mars 4562, déjà citée.)
(') Le U janvier 156?. Voy. la note 2 à la page 190.
(*) Es lo que conviene al bien de todos,y asi lodebe tomar
V. M., pu&s no queda por falta de correspondencia de amor queyo teoga
â V. M. y â mis hermanos, ni por dejar de conocer la calidad de tal
companîa.... « (Lettre du 12 mars 1562, Coleccion dç documentas iné-
ditos, etc., t. XXVL p. 420.)
P) <i Sçnor,..,. tambien recebî anteyer tarde la otra carta de V. A. de
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CHAPITRE VIII. 499
Cependant Marie Stuart avait refusé les offres de
mariage des dues de Nemours et de Ferrare, princes
qu'elle trouvait trop petits et trop foibles pour elle :
elle n'avait pas accepté davantage le comte d'Arran,
que la reine d'Angleterre voulait lui faire épouser (*).
Le mari qu'elle désirait — elle ne s'en cachait point
— était don Carlos (^) : le prince des Asturies lui
paraissait^ de tous ceux qui prétendaient ou pouvaient
prétendre à sa main, le seul qui fût en position de for*
tifier son trône. Ses ministres, la plupart des seigneurs
et la grande majorité de ses sujets partageaient sur ce
point sa manière de voir. Les Français s'étaient fait
détester en Ecosse ; les Anglais n'avaient jamais pu
s'y faire aimer : la nation écossaise , pour s'afiranchir
de la tyrannie des uns, de l'arrogance des autres, et
doce deste,.... y quedé satisfecbo con lo que me escribe V. À. cerca del
casamiento del principe mi sobrino con mi nieta, y con la respuesta que
en éi se diô à Martin de Guzman, teniendo esperaozaque Nuestro Senor
darà salud al principe mi sobrino, y que à su tiempo se acordarà V. A.
de este negocio. » (Lettre écrite de Prague, le 30 mars 1562 : Coleccion
de documentos inéditos, t. XXVI, p. 444 .)
(^) Histoire de Marie Stuart, par M. Mignbt, t. I, p. 450.
{*) « Dice Moreta (ambassadeur de Savoie) que eila esté puesta en
casarse muy altameote, y que no disimula lo del principe nuestro
senor. » (Lettre d'Aharo de la Guadra, évoque d'Aquila, ambassadeur
de Philippe II à Londres, au cardinal de Granvelle, du 3 janvier 4562 :
Arch. de Simancas, Estado, leg. 845.) — « Este Moreta me dice que,
cuando alla estuvo , le hablaron de propôsito algunos consejeros de la
reyna en el casamiento del principe nuestro seÊior, y le certiûcaron que
nohabia bombre en el reyno, catbôlico ni^berege (sacado el conde de
Harem) que no lo desease en estremo, y que la reyna misma esta con
este pensamiento y esperanza : por lo cual dio poca audiencia al casa-
miento del duque de Ferrara, para el cual babia ido alla Moreta, etc. »
(Dépêche de Tévêque d'Aquila au roi, du 27 janvier 4562 : md,)
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200 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
faire valoir les droits de la maison de Stuart au trône
d'Angleterre , appelait de ses vœux une alliance avec
l'Espagne (*). Les protestants , malgré leurs scrupules
sur l'article de la religion, pensaient à cet égard comme
les catholiques : la seule chose qu'ils demandassent,
c'était que la reine ne sortit pas d'Ecosse jusqu'à ce
qu'elle eut des enfants; elle pourrait alors, en les y
laissant , aller où bon lui semblerait Q), Mais ces dis-^
positions , ces vœux de Marie Stuart et de la nation
écossaise ne pouvaient aboutir à rien, s'ils n'étaient
pas portés, d'une manière officielle, à la connaissance
du roi Philippe : or, il semblait à Marie qu'elle com-»
promettrait sa dignité de femme, en faisant la pre-*
mière démarche, et ses oncles de France n'osaient agir
pour elle, de crainte du ressentiment de Catherine de
Médicis (^). Un instant elle eut la pensée de se mettre
(') « Escoceses nos desean, y aborrecen à Franceses , y à Yngleses
quieren como sueleo. Y porque veen agora de acordio à Franceses y
Yngleses contra ellos, aunque con diverses fines, proveen la hora de
meterse debajo de la mano del rey nuestro senor, para egecutar {sic) a
estos, y li])rdrse de la tirania de los otros. 9 [Lettre de l'évêque d'Aquila
au cardinal de Granvelle, du H jai^vier 4562 : Arch. de Simancas,
Estado, leg. 846.)
(') « Dice Moreta que, preguntando â la reyna como tomarian este
casamiento los hereges del reyno , le respondié que muy bien , y que,
aunque les pesase por lo de la religion, era tantolo queatendian à la
egecucion de su derecho en este reyno, que no harian dificultad en esto,
con que estuyiesen seguros que esta no saliese de Escocia , sino cuando
hubiese ya hijos ; que entonces, con quedar alla sucesor, la dejarian à
ella ir donde quisiere ; y desta opinion dice este que es milord Jaimes, y
todoso lamayorpartedelossenoFesdelreyno.... » (Lettre de l'évéque
d^Aquila au cardinal de Granvelle, du 3 janvier 1562, ci-dessus citée.)
{*) a .... El Ledinton se calentô mas en el négocie, diciendo que, si
po liabia hablado en él hasta agora, era por no ser licite à las mugeres
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CHAPITRE VIII. 201
en rapport avec l'ambassadeur d'Espagne à Londres ;
elle fut retenue par l'appréhension qu'il ne commu-^
niquât sa lettre à la reine Elisabeth Q).
Tandis que Marie Stuart était dans ces dispositions^
elle apprit que le cardinal de Lorraine , son oncle ^
venait de traiter de son mariage à son insu. Les choses
s'étaient passées comme nous allons le dire.
L'empereur Ferdinand, après la mort de Fran-
çois II, avait envoyé à Paris le baron de Polweiler,
avec la mission de complimenter le nouveau roi :
c'était un gentilhomme de la Haute-Alsace, alors à
son service, et qui passa depuis à celui de Philippe II.
Polweiler, selon ses intructions, avait profité de son
séjour à la cour de France, pour sonder le cardinal de
Lorraine sur l'accueil que recevrait de la reine douai-
rière une proposition de mariage entre elle et l'un des
archiducs (^). Le cardinal, à la suite de ses pourparlers
buscar marido , y los tios de FraDcia, por respecto de la reyna, do la
habian osado proponer, y asi andaban todosinciertos.... » (Précis d*uDe
dépèche de l'évèque d'Aquila à Philippe II, du 48 mars 1563 : Archives
de Simancas, Estado, leg. 846.)
('] « «... Tambieodice Moreta que pensé la reyna de escribirme à mi
una carta por comenzar é tener inteligencia coDmigo, pero que lo dejo de
hacer, temiendo queyo no lo dijese à esta reyna.... » (Lettre de l'évèque
d'Aquila au cardinal de Granvelle, du 3 janvier 4562, ci-dessus citée.)
(*) Le comte de Luna écrivait de Vienne, le 34 mai 4564 , à Philippe II :
« Guanto al casamiento del archiduque Carlos, me dijo (el emperador)
« que lo que pasaba en este negocio era que, cuando Polvailler habia
« ido à Francia à visitar al nuevo rey, el cardenal de Lorena hablando
« con él, y vinieudo de unas plàtica^ en otras , le habia dicho que le
« parescia que séria à proposito el casamiento del archiduque con la
« reina viuda, etc. » (Arch. de Simancas, Estado, leg. 650.)
Ce texte n'est pas clair ; il laisse du doute sur le point de savoir si la
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S02 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
avec Polweiler, avail dépêché une personne de con-
fiance à Marie Stuart, qui n'était plus à la cour, afin
de connaître ses vues. Elle avait répondu : qu'elle s'en
remettait entièrement à ses oncles et à leur mère du
soin de lui conseiller la détermination qu'elle avait à
prendre ; qu'elle suivrait leurs avis en petite-fille et
nièce obéissante; qu'elle savait qu'elle pouvait se con-
fier en eux. et qu'ils ne lui conseilleraient rien qui ne
lui fût honorable, utile et avantageux ; qu'ayant plus
d'expérience et de prudence qu'elle , ils connaissaient
mieux ce qui lui convenait qu'elle-même ; qu'elle pré-
férait enfin, pour tout dire, faire mal, en se conduisant
selon leur avis, que faire bien d'une autre manière (^).
Les choses n'avaient pas été plus loin pour le moment.
Au mois de février 1563, le cardinal de Lorraine,
qui assistait au concile de Trente, alla trouver l'em-
pereur à Inspruck. Il lui dit que, s'il désirait qu'un
proposition vint du cardinal ou de Polweiler; mais la lettre de Tempe-
reur du 9 mars 4563, dont on trouvera des extraits dans plusieurs des
notes suivantes, prouve qu'elle fut faite par ce dernier.
(*) « Tambien hizo el cardenal de Lorena mencion que sobre lo que
àntes le habia hablado Polviler sobrel càsamiento de su sobrina viuda
de Francia y reyna de Escocia con mi hijo, que él luego habia despa-
chado un criado de la dicha reyna, hombre muy confidente, para ella
sobre el dicho négocie, el cual era vuelto, y traido respuesta que la dicba
reyna su sobrina lo remitia todo à ellos, es à saber à su madré y her-
manos, y que le aconsejasen, fuese 6 de casarse,' ô con quien, o de que
mauera ; que holgaria como su obediente nieta y sobrina, y que sàbia
que se podia confiar dellos que no le aconsejarian cosa que no le fuese
honrosa, util y provecbosa, y que, como de mas edad y prudencia,
sabrian mejor lo que le convenia.que ella misma, y que aunque hiciesen
el contrario, se queria àntes dejar enganar por su cousejo y seguirio ,
que acertar de otra manera.... » (Lettre autographe de l'empereur à
Philippe II, du 9 mars 1563 : Archives de Simancas, Estado, leg. 846.)
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CHAPITRE YIll. Î03
de ses fils épousât la reine d'Éeosse, ils s'y emploie-
raient très-volontiers , lui , son frère et sa mère ; que
ce mariage leur paraissait convenable sous tous les
i*apports, qu'ils n'en sauraient imaginer de meilleur,
qu'ils étaient certains que la reine-mère et le roi de
France l'approuveraient et le favoriseraient (*). L'em-
pereur alors proposa, pour la reine, l'archiduc Charles,
qui pouvait, mieux que son frère Ferdinand, résider
en Ecosse, et il fut convenu que le cardinal enverrait
à sa nièce, par la voie de Flandre, la même personne
de confiance qui déjà s'était rendue auprès d'elle Q,,
afin qu'elle fît tenir, aussitôt que possible, à lui, à son
frère et à leur mère, un pouvoir suffisant pour con-
clure le mariage f ).
(*) « Por conclusion, dijo que, si yo queria procéder en este casa-
miento por uno de mis hijos, que lo podia hacer, y que su madré y her-
mano y él lo proourarian de muy buena gana, como casamiento que les
parescia a propôsito para todas partes, y él mejor que elles podian pen-
sar, y que sabian que dél se holgarian la reyna y rey de Francia, y lo
amarian de favorescer, » (Lettre de Tempereur à Philippe II, du 9 mars
4663, déjà citée.)
(') C'était un gentilhomme français, nommé de Grocq, qui avait été au
service de Marie Stuart, pendant son séjour en France. Il passa par Lon-
dres, se rendant en Ecosse, dans les premiers jours du mois de mai 4563*
L*évôque d*Aquila, en Tannonçant à Philippe II, ajoutait : « El
« embaxador de Francia me ha dicho que este Krok lleva un despacho
« del rey de Francia para la reyna, por el qudl le persuade à dar oydos
« al casamiento del archiduque Carlos, persuadiéndola à elia con muchas
« razones. Dice que la respuesta que el emperador ha dado al cardenal
a de Lorena sobrello ha sido que, si la reyna es contenta, él embiarà
« sus embaxadores à Escocia é tratar del négocie ; y me certiiica el
« dicho embaxador que es assi, y que él ha visto todo el despacho y
« inslrucciones.... » (Lettre du 9 mai 4563, dans le registfe Négocia-
tions d'Angleterre, t. I, aux archives du royaume de Belgique.)
(') « Le respondimos que en cuanto tocaba â la reyna de Escocia con
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204 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Les pourparlers d'Inspruck furent divulgués en An-
gleterre par l'ambassadeur de France, à qui Catherine
deMédicis en donna avis (*), et bientôt après en Ecosse.
Ils produisirent dans ce dernier pays une fâcheuse im-
pression. Ni la reine ni la nation écossaise ne trouvè-
rent à leur gré un prince, né en Allemagne, qui n'avait
que la cape et l'épée, et dont le seul mérite consistait
à être parent du roi d'Espagne (^); Marie Stuart, pour
apaiser les esprits, assura qu'elle était dans une entière
ignorance de ce que le cardinal , son oncle , avait
négocié, et elle en témoigna son méconlenlement (^).
uno de mis hijos, que es yerdad que Polviler lo babia propuesto, y que
pues vïamos su buena voluntad que ténia él y su madré y bermaDO ,
por muchos respectes lo teoiamos por mejor con Carlos , y priocipal-
mente que podrla mejor residir con la reyna y aquel reyno que no Fer-
nando, de manera que vino tan adelante la plàtioa que venimos à resol-
vernos en que él enviaria luego de aqui, por el camino de Flandes, aqu&l
criado do la reyna que ténia aqui consigo, y con él le avisaria desla
nuestra buena respuesta, y la aconsejaria y pediria que luego enviase
poder suficiente à su madré, bermano y à él para poder concluir el dicbo
casamiento.... » (Lettre de Tempereur du 9 mars 1563, déjà citée.)
(^) Lettre de Tévêque d'Aquila à Tempereur, du 10 avril 4563. {Arch.
de Simancas, Estado, leg. 846.)
{*) « .... ApuntàndoleQuadra[à Letbington) lodel arcbiduque Carlos,
le respondiô que tampoco cuadraria à su ama ni à su reyno, pues se
sabe que no tiene de bueno mas que el deudo de S. M. » (Précis d'une
lettre de Févéque d'Aquila au roi, du 48 mars 4563 : Areh. de Simancas,
Eskuio, leg. 846.) ~ « Letintou me dijo clara y afirmativamente que la
reyna su ama no bolgaba de casar con bombre nacido en Alemania, y
especialmente con quien no ténia sino la espada y la capa. » (Lettre
du même évoque au comte de Luna, du 47 juillet 4563 , dans la Cofec-
cion de documentoa inéditos para la kistoria de Espana, t. XXVI ,
p. 454.)
(*) « .... Arto ba tenido que bacer la reyna en satisfacer los Esco-
ceses en este caso (el casamiento del arcbiduque) , diciéndoles que ella
DO sabe nada de lo que el cardenal ba tradado ; pero esto no se le crée
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CHAPITRE VIII. 205
En Angleterre , Témotion ne fut guère moins vive ; il
y avait là trois prétendants à la main de la reine
d'Ecosse : lord Henry Darnley, fils du comte de
Lennox, de la maison de Stuart, et de lady Margue-
rite Douglas , descendante des Tudor ; le comte
d'Ârundel ^ d'une haute naissance , mais déjà avancé
en âge , et dont les prétentions se fondaient sur l'in-
fluence de sa famille (^), enfin le comte de Warwick,
frère de lord Robert Dudley, favori de la reine Elisa-
beth Q). Les catholiques aussi bien que les protestants
y désapprouvaient le mariage avec l'archiduc f ).
Sur ces entrefaites, William Maitland, lord Lelhing-
Ion, fut envoyé par Marie Stuart à Londres. Lelhington
nadie.... > (Dépêche de Tévêque d*Aquila au roi, du 3 avril 4563 :
Archives deSimancas, Estado, leg. 846.)
« .... Se que la reyna de Escocia se habia descontentado roucho de lo
que el cardenal platicaba eu este negocio del archiduque, àutes aun que
Ledinton me bablase, porque Ledinton mismo me dijo que la reyna se
enfadaba de lo que el cardenal hacia, y él andaba por aqui desinfor-
mando à loâ que pensaban que podria ser que la reyna se casase con el
archiduque, y dando toda la culpa dello al cardenal. » (Lettre de Tévè-
que d'Aquila au comte de Luna« du 47 juillet 4563, ci-dessus citée.)
Le secrétaire Baulet écrivait encore à Tambassadeur d'Espaj^ne, le
26 avril 4663, de Saint-André : « Ay trouvé S. M. aucunement esmer-
« veillée d'où estoit sorty le bruict qui couroit en Angleterre, que mon-
• seigneur le cardinal de Lorraine avoit traitté et couclud son mariage
« à Ispruck, pour estre chose dont S. M. n'avoit ouy parler. » (Arch. de
Simancas, Eatado, leg. 846.)
(^) « .... Hombre principal, pero y a de edad, fundadoen el favor de
sus deudos y linage. » (Lettre de Tévêque d'Aquila à Tempereur, du
40 avril 4663, ci-dessus citée.)
(*) Lettre citée à la note précédente.
(^) « En Inglaterra no satisface el casamiento del archiduque ni à los
catôlicos ni à los hereges. » (Lettre de l'évoque d'Aquila au comte de
Luna, du 47 juillet 4563.)
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ë
206 DON CARLOS ET PHÏLIPPK H.
était le principal secrétaire d'État d'Ecosse, l'un des
personnages les plus considérables de ce royaume et
le chef du parti protestant Q) ; du reste , homme de
bien, fidèle à sa reine et désireux de sa grandeur,
quoique très-obstiné dans les opinions religieuses qu'il
avait embrassées Q. L'objet avoué de sa mission était
de s'interposer dans les différends de la France avec
l'Angleterre qui s'était emparée du Havre de Grâce;
mais le but réel en était d'obtenir que la reine Elisa-
beth déclarât la reine d'Ecosse son héritière, comme
plusieurs fois elle en avait manifesté l'intention : si
elle s'y refusait, Lethington devait passer en France,
sous prétexte d'y négocier un arrangement avec la
couronne britannique, et y traiter du mariage de sa
maitresse avec le roi Charles IX f ).
L'ambassadeur de Philippe II à Londres. Alvaro de
(*) « Ledioton, que es un secretario de aquella reyna, persona prin-
cipal en aquel reyno, y especialmente coo la parte de los protestantes,
de los cuales éi como caudillo vino aqui, enviado de su ama. » (Lettre de
l'evôque d'Aquila au comte de Luna, du 47 juillet 1663, déjà citée.)
(*) « La reyna.... sïrvese muchodeste Ledinton, el cual es obstina-
tisimo en sus opiniones, pero en lo demâs fiel y hombre de bien, à lo
que parece, y deseoso de la grandeza de su ama. . . > (Lettre de Tévéque
d'Aquila à Tempereur, du 40 avril 4563, ci-dessus citée.)
Dans la même lettre, il dit que « Ledinton es el que lo gobierna todo
a con el conde de More (Murray), hermano baslardodelareyna. »
(') « Ledinton vino.... conocasion en lo pûblico de interponerse entre
la reyna de Inglaterra y el rey de Francia en estas différencias de Abre
de Graz ; pero en sustancia su venida era procurar con esta reyna que
declarase à la de Escocia por su heredera, como muchas veces ha dado
intencion de quererlo hacer, y caso que esto no hubiese efecto, pasar à
Francia, como que iba à tratar del concierto, y tratar del casamientode
su ama con aquel rey. » (Lettre de Tévêque d'Aquila, du 47 juillet 4563,
ci-dessus citée.)
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CHAPITRE VIII. 207
la Cuadra, évêque d'Âquila, reçut de Lethinglon lui-
même la confidence des desseins de sa souveraine. Il
avait invité ce ministre à dîner. Pour le faire parler,
il lui dit que, à son avis, le seul moyen qu'eût la reine
d'Ecosse de parvenir plus tard au trône d'Angleterre,
était d'accepter le mari qui lui serait proposé par la
reine Elisabeth. Lethington répondit que jamais sa mai-
tresse n'épouserait un protestant, et qu'elle n'accepte-
rait ni un protestant ni un catholique de la main d'Eli-
sabeth, lui offrit-on même de la déclarer héritière delà
couronne : car celte reine voudrait lui donner pour
époux quelqu'un de ses vassaux, et elle se marierait
bassement, sans sortir des embarras où elle était, puis-
que, d'une part, avec ses forces seules, elle serait dans
l'impuissance de faire exécuter la décoration qu'elle
aurait obtenue, tandis que, de l'autre, elle s'aliénerait
l'affection des catholiques (^). Lethington ajouta qu'il
ne pouvait être question ni du comte d'Ârran , ni du
duc de Ferrare : sa maîtresse détestait le premier, et
elle avait refusé le second, malgré toutes les instances
de la reine-mère. Elle était résolue de mourir plutôt que
de prendre un mari qui ne fût pas égal à celui qu'elle
(') • .... RespoDdio el Ledinton que en esto hdbia dos dificultades :
la una, que su ama en ninguna manera se casaria con protestante, y la
otra que ni con catôlico ni protestante, por mano de la de Inglaterra,
aunque por solo esto la declarasen por sucesora, porque, demàs que pen-
saria darle por marido algun yasallo suyo, casando bajamente, le que-
daba la misma dificultad que agora, porque sin fuerzas propias nunca
podria egecutar la declaracion que se hiciese, y perderia las voluntades
de los catôlicos.... » (Précis de la lettre de l'évêque d'AquIla à Phi-
lippe II f du 18 mars 4563, déjà citée.)
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208 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
avait perdu ('); par ce motif ^ elle repoussait aussi la
recherche de lord Henry Darnley Q). Son désir eut été
de s'unir au prince d'Espagne : vu l'opposition qu'y
mettaient la reine-mère de France et la reine d'Angle-
terre, elle avait pensé au roi Charles IX; au cas qu'elle
échouât de ce côté, mais en ce cas seulement, elle
pourrait accepter l'archiduc Charles ; encore ne l'épou-
serait-elle que si le roi catholique faisait à son cousin
des avantages considérables et presque impossibles f).
S'ouvrant de plus en plus à l'évéque d'Aquila,
Lethington en vint à lui proposer formellement le
mariage de sa maîtresse avec le prince d'Espagne : si
le roi catholique, lui dit-il, voulait y entendre, il se
ferait presque le maître du monde : car il ajouterait
à ses domaines les royaumes d'Ecosse , d'Angleterre
et d'Irlande, dans la possession desquels il entrerail
sans aucune difSculté, à cause de la grande incli-
nation qu'avaient les catholiques pour ce mariage,
(') « .... Y que no habia que tratar del conde de Aran ni del duque de
Ferrara, porque al primero aborrescia, y al segundo habia desechado,
aunque la habia apretado sobrello la reyna madré, porque esta resuelta
de morir an tes que tomar marido desigual al que perdiô.... » (Précis de
la lettre de l'évéque d'Aquila à Philippe II, du 48 mars 4563, déjà citée.)
(*) Lettre de Tévèque d'Aquila au cardinal deGranvelle,du 8 mars 4 563 :
Arch. deSimancas, Estado, leg. 846.
[>) a Cuanto al matrimonio de su ama con el rey de Francia, dice que
lo propond rà, no por cumplimiento, como yo pensaba, sino porque con
efecto vendria en ello la reyna su ama, à mas no poder, visto que la
reyna madré le estorba el casamiento del principe nuestro senor, que es
donde ella tiene el pensamiento, lo cual me ha confesado ingenuamente ;
y dice que, no sucediendo el de Francia, de muy mala gana vendria en
el del archiduque Carlos, sino fuese con grandes abonos y asistencias
del rey nuestro senor, y taies que por ventura no son platicables. »(/6tff.)
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CHAPITRÉ VIIÎ. 209
ainsi que pour la réunion des trois couronnes (^).
L'évêque objecta la dîfféreace de religion. Lethington
lui répliqua qu'à la vérité la plupart des nobles écos-
sais étaient protestants , mais qu'ils étaient si obéis-
sants et si attachés à leur reine, que, la voyant décidée
à se marier avec un catholique , ils applaudiraient à
un choix avantageux au royaume ; qu'il était certain,
du reste, qu'en considération d'un tel mariage, où per-
mettrait aux catholiques de vivre dans leurs maisons
à leur mode, d'y célébrer leurs messes, et même
d'avoir leurs églises propres (-). Il lui dît encore
que la reine sa maîtresse possédait, en Ecosse et en
France, 200,000 ducats de revenu, et qu'elle en avait
800,000 en argent et en joyaux (*).
L'évêque d'Aquila rendît compte de son entretien
avec Lethington au roi et au cardinal de Granvellc.
Il assura le roi qu'en Angleterre le mariage du prince
d'Espagne avec la reine d'Ecosse avait de nombreux
partisans ; que quelqu'un était venu lui offrir de se
mettre à la tète de 500 chevaux, pour en appuyer la
conclusion ; que d'autres lui avaient fait des offres non
moins importantes (*). Il écrivit à Granvelle : « Selon
(>] « .... Si s. M. quisiese ateûder à este casamiento, demâs de dar à
su hijo una tal muger, càsi le venia a hacer monarca, con anadir a sus
Estados aquellos reynos d'Escocia, Inglaterra é Irlanda, la posesion de
los cuales se le daria sin nlnguna dificultad, por la grande inciiDacion
que los catôlicos tienen à este casamiento y à la conjuncion de aquellas
coronas. » (Précis de la lettre de Tévêque d'Aquila à Philippe II, du
48 mars 4563, déjà citée.)
{') Ibid.
(') Ibid.
{*) Ibid.
a
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2(0 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
« moi, ce mariage est conclu, si S. M. le veut : il a
u pour résultat la sûreté des Pays-Bas, le maintien
« de la religion catholique dans ces provinces, et,
« comme le dit Lethington, il est le chemin qui mène
a directement à la monarchie universelle (*). » Dans
une dépêche postérieure, il manda au roi , comme le
tenant de Raulet, secrétaire de la reine d'Ecosse, hien
intentionné et catholique, que le comte de Murray.
frère naturel de la reine , était tout à fait porté pour
le mariage de sa sœur avec don Carlos ; que tous géné-
ralement en avaient un extrême désir , et qu'enfin il
n'y avait pas en Ecosse moins de catholiques que de
protestants, surtout parmi le peuple Q). Quelques
jours après , il lui fît savoir que la reine Elisabeth
venait de proroger le parlement, et que dix ou douze
des seigneurs qui en faisaient partie , au moment de
retourner chez eux, lui avaient renouvelé leurs in-
stances pour le mariage de la reine d'Ecosse; que
quelques-uns d'entre eux avaient même été jusqu'à
lui offrir de s'obliger sur-le-champ, par des actes for-
mels, envers ladite reine et le prince d'Espagne con-
(^] « A mi juicio, este casamiento esta hecho, si Su Magestad quiere,
y trae coosigo el remedio de la religion y la soguridad dessos Estados,
y, como Ledinton dice, séria camino derecho para la monarchia.... «
(Lettre du 8 mars 4563, ci-dessus citée.)
(') « Este secretario Raulet (dans un autre passage il le qualifie de
buena persona y catôlica) me ha dicho que es graodisimo el deseo que
milord Jaimes tiene del casamiento del principe nuestro senor, y que
todos generalmeDte lo desean en estremo, y que en lo de la religion no
hay menos catôlicos que hereges, especialmente el pueblo que dice ser
muy bueno.... « (Dépèche du 3 avril 4563 : Arch. de Simancas, Estado,
leg.816.)
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CHAPITRÉ VIII. ÎM
jointement ('). A l'en croire, il régnait, parmi les
seigneurs d'Angleterre en général , beaucoup de mé-
contentement contre la reine Elisabeth, et cette reine
n'avait aucune force , étant mal vue , méprisée , sans
troupes, sans argent, sans alliances, ayant enfin tout
le monde contre elle (^).
Ces communications de son ambassadeur à Londres
émurent vivement Philippe IL Pour réunir l'Angle-
terre à la monarchie espagnole , et pour y restaurer
la religion catholique, il avait, neuf années aupara*
vaut, épousé Marie Tudor, qu'il n'aimait pas, qui était
beaucoup plus âgée que lui, et dépourvue d'agréments
personnels ; après la mort de Marie, il avait recherché
la main d'Elisabeth, quoique des considérations de la
nature la plus grave dussent l'en détourner , et qu'il
s'exposât sciemment à un refus qui aurait porté
atteinte à sa considération (^) : maintenant on lui pro-
posait, pour son fils, une princesse jeune, belle, gra-
cieuse, ornée de tous les dons de l'esprit et du corps,
(') « Al partir destos caballeros y senores para sus casas, se me ha
torDado à bacer mucha instancia, de parte de diez ô doce dellos, sobre
el négocie del casamiento de la reyna de Escocia.... Algunos destos
caballeros me ofreçian obligarseme y bacer pleito homenage desde laego
â la reyna de Escocia y al principe nuestro senor juntamente, lo cual he
desYiado cortesmente.... * (Dépèche du 24 avril 4563 : Arch. de Siman-
cas, EsUtdo, leg. 846.)
(') « .... Ningana sustancia tiene esta reyna, estando, como esta, tan
mal quista y menospreciada, sin gente y sin dinero y sin concordia, y
con todoel mundo enemigo. » (Ibid.)
n Voy. sa lettre du 40 janvier 4569 au comte de Feria, son ambas-
sadeur à Londres, dans les Apuniamientos de don Tomas Gonzalez.
(Memoriaa de la real Academia de la hisioria de Madrid, t. VH, p. 405}
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212 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
qui non-seulement apportait à son mari des droits an
trône d'Angleterre, mais encore placerait tout de suite
sur sa tête la couronne d'Ecosse; on lui faisait entre*
voir la perspective du rétablissement du culte catho-
lique dans ces deux pays; on le flattait enfin de
l'espoir d'arriver par là à la monarchie universelle.
Quoi de plus fait pour tenter un monarque ambilicux,
et dont le zèle pour la foi était si ardent ! Philippe
d'ailleurs avait à craindre, s'il se montrait dédaigneux
d'avantages aussi brillants, que le roi de France n'en
profitât pour lui-même. Sa perplexité fut grande tou-
tefois : car il était engagé envers l'empereur, il l'était
même doublement, par ce qui s'était passé entre eux
au sujet du mariage du prince des Asturies avec l'ar*
chiduchesse Anne , et par l'intention qu'il lui avait
manifestée de seconder de son influence celui de l'ar-
chiduc Charles avec Marie Stuart. Pour surcroit d'em-
barras, les cortès de Castille, assemblées à Madrid, lui
exprimèrent le vœu , fondé sur des raisons majeures
d intérêt public, que le prince épousât sa tante (^).
Sa réponse fut celle d'un prince dont la politique
manquait de résolution et de franchise. II écrivit à
févêque d'Aquila :
« Voyant que le mariage de mon fils avec la reine
(I) « L'on tient pour tout résoUu le mariaige du prince avec la fille
aisnée du roy de Boesme, bien que les eslatz de Castille ayent requis le
roy cathollicque de le vouloir marier avecques la princesse, pour aul-
cunes occasions et commoditez bien considérables : à quoy Sadicte
Majesté Cathollicque a faict responce quMlz feussent de bonne espérance
en cela ; qu'il estoit délibéré de le marier avec une Castillane»... » (Dé-
pêche de Saint-Sulpice à Charles IX, du 8 juillet 4563.)
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CHAPITRE vin. f 213
d'Ecosse peut procurer le moyen de remédier aux
maux de la religion en Angleterre, j'ai décidé d'en
admettre la négociation. Vous y donnerez donc suite^
par la même voie qui a servi à l'entamer, si vous
tenez cette voie pour sûre et pour secrète. Vous leur
direz (') qu'ils vous déclarent particulièrement les
iiitelligences qu'ils ont en Angleterre , afin que vous,
comme quelqu'un qui sait ce qu'elles peuvent valoir,
m'informiez de ce qui en est, avec votre avis. Vous
m'instruirez poncluellement de tout, sans en venir à
aucune conclusion, jusqu'à ce que vous appreniez de
moi ce qu'il m'aura paru convenable de faire ; vous
pourrez les assurer toutefois que mon intention est
t^lle que je l'ai exprimée plus haut. Vous leur recom-
manderez le secret sur toutes les circonstances de la
négociation ; il faut que cette affaire soit conclue avant
que d'être divulguée, pour qu'elle produise les avan-
tages qu'on doit s'en promettre : car, si les Français
la découvrent , ils en auront une extrême appréhen-
sion, emploieront tous leurs moyens, totlt ce qui est
en leur pouvoir, pour y mettre obstacle : n'y réussis-
sent-ils même pas, ils lâcheront d'eu rendre les résul-
tats stériles , à cause du dommage qu'ils en doiyent
recevoir ; quant à la reine d'Angleterre et à ses
hérétiques, qui y sont si spécialement intéressés, vous
jugerez facilement de <îe qu'ils feraient» Le secret est
donc nécessaire, et vous vous appliquerez à en per-
suader ceux avec qui vous traiterez^, pour qu'ils le
(^) A Lethington et à Raulet.
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21* DON CARLOS ET PHILIPPE II.
fassent bien comprendre à la reine, leur maîtresse,
ce L'empereur, se confiant en ce que le cardinal de
Lorraine lui a dit, et ne connaissant pas la volonté de
la reine d'Ecosse et de ses ministres aussi bien que
vous me l'avez fait connaître, regarde comme assuré le
mariage de l'arehiduc son fils avec ladite reine. Certes,
si j'en voyais l'apparence, et qu'on pût attendre de ce
mariage les fruits qu'il paraît à présent qu'on tirera
de celui du prince mon fils, j'y donnerais la main avec
plus de plaisir qu'à l'autre , pour la grande affection
que je porte à l'empereur et à ses enfants. Ce qui m'a
décidé à embrasser cette affaire , sans attendre que
S. M. L soit désabusée de l'opinion qu'elle a, c'est le
rapport que vous m'avez fait du peu de goût que la
reine et ses ministres montrent pour une alliance avec
l'archiduc, dans la persuasion des médiocres avantages
qu'elle leur offre; c'est aussi, et plus particulièrement,
l'avis que vous m'avez donné de leur dessein <le négo-
cier le mariage de la reine avec le roi de France : car
je me souvins de la peine et de l'inquiétude où
j'étais, dans le temps qu'elle fut mariée au roi Fran-
çois. A coup sur, si ce roi eut vécu, la guerre aurait
éclaté entre nous , lui voulant envahir l'Angleterre ,
^ comme il y était résolu, et moi étant obligé de défendre
la reine Elisabeth. Or, faire la guerre pour des intérêts
étrangers est chose fâcheuse , et je l'aurais faite sur-
tout avec déplaisir pour une personne qui m'en aurait
eu le gré que vous savez ('). »
(*] Lettre du 45 juin 4563, dans la Coîeccion de documentos inéditos
para la historia de Espaiia, t. XXVf , p. 447.
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CHAPITRE VIIF. 2<5
Philippe II cliargeait ensuite son ambassadeur de
continuer à encourager les Anglais catholiques et bien
intentionnés par la voie indirecte qu'il avait employée
jusque-là^ et sans se montrer en aucune manière du
monde. Il lui reeonunandait de même de ne faire
aucune démarche qui pût le compromettre, dans le
but de connaître et d'accroitre les intelligences que les
Écossais avaient en Angleterre.
Le duc d'Albe écrivit une lettre particulière à
l'évêque d'Aquila, pour insister sur le secret que
prescrivait le roi (*).
L'évêque, en recevant ces dépêches, fut décon-
certé. Les instructions qu on lui transmettait étaient
loin de répondre aux exigences de la situation. Depuis
l'envoi de ses derniers rapports, Lethington était
retourné de France en Ecosse f) : il avait eu pour
réponse de Catherine de Médicis , que la reine , sa
maîtresse, voulût attendre une couple d'années, et
qu'alors le roi l'épouserait certainement Q. Il était
venu peu après à Londres , et la reine Elisabeth lui
(*) Elle est du 46 juin 4563. (Archives de Simancas, Estado, leg. 816.)
P) Lettre de Tévêque au cardinal de Granvelle, du 47 mai 4563.
{Wid.)
(») « .... Ledinton.... me dijo, en lo de la negociacion con el rey de
Francia, que ténia entendido que, si ella (Marie Stuart) queria aguardar
un par deanos, el casamiento habria efecto'sin falta. » (Lettre deTévê-
que d*Aquila au duc d'Albe, du 47 juillet 4563, dans la Coleccion de
documentas inéditos para la historia de Espana, t. XXVI, p. 455.)
L'évêque est moins affirmatif dans une lettre du même jour au comte
de Luna ; il y dit seulement que le mariage pourra avoir lieu : « Segun
« Ledinton me ha dicho, le hah dicho en Francia que, si la reyna qui-
« siese aguardar un par de anos, el casamiento con aquel rey podria
a efectuarse. » (Arch. de Simancas, Estado^ log. 816.)
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216 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
avait dit, d'un ton plein de hauteur, que, si la reine
d'Éeosse épousait un prince de la maison d'Autriche,,
elle aurait en elle une ennemie , tandis qu'elle pro-
mettait de la déclarer son héritière, si elle se mariait
à sa satisfaction Q). Il était à craindre que Marie
Stuart, voyant les hésitations du roi catholique,
effrayée des menaces de la reine d'Angleterre , solli-
citée par ses sujets, et probablement par Lethington
lui-même, d'épouser un protestant, ne prît un parti
qui aurait des conséquences funestes, non-seulement
pour la religion, mais encore pour la conservation de
la tranquillité dans les Pays-Bas Q.
Dans ces circonstances, l'évéque trouvait que la
commission qui lui était donnée n'avait ni l'efDcacité
ni le caractère décisif qu'il aurait fallu. Pour un mal
aussi dangereux, le remède lui paraissait faible. II
appréhendait que ceux avec qui il avait traité ne
prissent la détermination du roi pour un refus : car,
qu'était-il besoin qu'il leur demandât les intelligences
(') « V. E. babrâ entendido el fiero. que eçta reyna hizo à Ledinton, al
partir de aqui para Escocia, diciéndole que, si su ama se casaba con
hombre de la casa de Austria, la tendria por enemiga, y que al contra-
rio, si sequisiese casar à su satis/acion, prometia declararla por here^
dera..,. » (Lettre de l'évoque d'Aquila au duc d'Albe, du 47 juillet 4 563,
ci-dessus citée.)
(') « ..,. Temo que la de Escocia, desconfîada de los casamientos que
prétende, y ametrentada de los fieros que esta se le bace, y de la instan-
cia que le dpben de hacer sus vasallos para que se case con algun pro-
testante, y Ledinton entre ellos, no se deje persuadir à alguna cosa que
pueda bacer mas daûo que provecho , no solamenle à las cosas de la
religion, mas aun à la conservacion destos Estados de Flandes que estân
tan peligrosQS cuanto V. E. sabe. » [Ibid.)
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CHAPITRE VlII. 247
que la reine d'Ecosse avait en Angleterre ? Lethinglon
et lui s'étaient confié mutuellement, et au long, tout
ce qu'ils savaient à cet égard : c'étaient les mêmes
individus qui avaient parlé à l'un et à l'autre, qui les
avaient engagés à proposer le mariage de la reine
avec le prince d'Espagne, qui leur avaient offert leur
concours, qui leur avaient donné la liste des personnes
d'autorité, catholiques et autres, prêtes à soulever le
peuple pour le service de ladite reine Après de
pareilles confidences, il n'était pas douteux qu'ils n'en-
visageassent une telle demande comme ayant pour but
de les amuser En outre, leur défendre de donner de
la publicité à cette affaire, c'était faire naître en eux le
soupçon que le roi ne pensait pas à la conclure; de
cette publicité, en effet, dépendaient la considération
de la reine et la manifestation des volontés de ses ad-
hérents, lesquels, sans cela, n'oseraient jamais se dé-
couvrir. Quant aux inconvénients qui en pourraient
résulter , Lethington , avec qui il en avait parlé sou*
vent, était d'avis qu'on y remédierait, en tenant la
conclusion secrète jusqu'au moment où le roi serait en
mesure de soutenir ce qui serait conclu, et de mettre
à exécution ce qu'il y aurait à faire : bien entendu
que la reine aurait la certitude de cette conclusion
En procédant de la sorte, l'évcque était persuadé que
tout irait bien. En suivant les instructions qu'il venait
de recevoir, il craignait que la reine et ses ministres
ne s'imaginassent qu'on voulait se jouer d'eux , qu'ils
n'en conçussent de l'indignation, que ceux qui étaient
divisés dans son royaume ne se rapprochassent pour
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218 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
agir dans un but commun, qu'enfin tout cela n'eût de
mauvaises suites (*).
(*) a Digo que la comision que S. M. me dà en este négocie no es tan.
eficaz ni tan resoluta como séria menester.... Para enfermedad tanpeli-
grosa el remédie me paresce flaco.... Cuando vean agora que en lugar
de respuesta se les hace una protesta tan incierta, no se si la tendrais
por negativa, ô lo que pensaràn délia, porque pedirles yo que me dea
informacion de las inteligencias que aquella reyna tiene en Inglaterra,
para que yo pueda avisar délias à S. M. y darle mi parescer, estas son
todas cosas que Ledinton sabe que estàn hechas, porque él me ha dicha
à mi sus inteligencias, y yo no he podido esconder de las mias^ porque
las mismas personas que me ban hablado à mi y hecho instancia que yo
propusiese à S. M. este négocie, las mismas le ban bablado à él, y ofre-
cidosele y persuadfdole à este casamiento, y aun dâdole ïista de todas
las personas, tanto catélicas como otras, que tieneu alguua auctoridad
en este reyno, y que podrian mover gente en servicio de aquella
reyna.... Yo no dudo sino que le parescerà entretenimiento el pedirle
agora cuenta de cosas de que tan largamente él y yo habemos plati-
cado.... Tras este, el baberles de probibir que no se aprovecben de la
publicacion deste négocie, les darà manifiesto argumente de que S. M.
no esta con pensamiento de concluirlo, dependiendo desta publicacioa
toda la reputacion de aquella reyna, y el poder deducir en acte las yolun-
tades de sus aficionados, les cuales sin esto jamâs osarân descubrirse.
Y cuanto à lo que S. M. diceen su carta de les inconvenientes que desta
publicacion se seguirian, y que se estragaria el fruto que deste casa-
miento se podria esperar, si este se publicase, le parece à Ledinton, con
quien he hablado destos artas veces, que à todo se podria remediar con
lener sécréta la conclusion dél basta tanto que S. M. estuviese à punto
para juntamente con publicarse sustentar lo hecho y meter en egecucion
lo que se bubiese de bacer ; pero este aguardar babria de ser, como él
dice, estando la reyna segura de la conclusion.... Yo para mi creo que
baciéndose desta manera, y acudiendo S. M. à esta ôcasion con las fuer-
zas y consejo necesario, no babria que dudar sino que, con la ayuda de
Dios, todo sucederiâ bien. Al contrario temo que, por esta via que se me
ordena que tome, no les démos ocasion de sospechar que nuestro nego-
cio sea entretenimiento, y que esto no les cause alguna indignacion que
baga juntar à los que agora estén divididos, y que al fin nos produzga
algun mal efecta... » (Lettre de Tévèque d'Aquila au duc d^Albe, du
47 juillet 4563, déjà citée.)
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CHAPITRE VIII. 249
La Cuadra adressa ces réflexions au due d'Albe. En
même temps, comme il était essentiel d'empêcher que
Marie Stuart ne contractât d'autres liaisons, il fit partir
pour l'Ecosse, sous le prétexte d'y rechercher des
pirates qui avaient capturé un navire espagnol venant
des Indes, une personne sûre, chargée de faire savoir
à la reine qu'il avait des choses importantes à lui
communiquer touchant son mariage ; que, ne pouvant
l'aller trouver, et elle n'ayant pas d'ambassadeur à
Londres, il la priait de lui envoyer, pour recevoir
cette communication, quelqu'un de confiance, qui fût
bien instruit de l'état des choses en Ecosse, et de tout
ce qui se traitait en Angleterre (').
Philippe II allait se mettre en route pour l'Aragon,
quand le duc d'Albe plaça sous ses yeux la lettre de
son ambassadeur. Il écrivit incontinent à l'évêque
d'Aquila qu'il s'était mépris sur ses intentions, a En
« vous marquant — lui dit-il — qu'il me paraissait
c< bien de suivre l'affaire , et en vous donnant com-
(( mission pour cela , je vous parlais d'une manière
« assez positive. Le secret que je vous recommandais
« et que je vous chargeais de recommander à ceux
(( avec qui vous traitiez, n'était point un obstacle,
a C'en était moins encore un, que l'ordre que je vous
c< donnais de vous enquérir des intelligences qu'ils
ce ont en Angleterre : car, en tout cas, il sera besoin
« de le savoir, avant de conclure. Enfin, vous pres-
se crire de négocier sans vous engager en rien, n'était
(') Lettre de l'évêque d'Aquila au roi, du 47 juillet 4563, aux archives
de Simancas, Estado, leg. 846.
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220 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
« pas montrer peu de goût pour cette négociation. Je
«t vous mande ceci par ce courrier qui va à Trente,
« afln que vous sachiez que j'attends avec impatience
« d'être informé de ce que vous aurez fait, et de l'état
« dans lequel sont actuellement les choses : je vous
« écrirai ensuite plus au long sur le tout. En ce mo-
« ment je ne pourrais le faire , ayant le pied dans
c< rétrier, pour me rendre aux corlès de Monzon (*). »
Luis de Paz (c'était le nom de la personne que la
Cuadra venait d'envoyer en Ecosse) s'y rendit par
l'Irlande, afln d'écarter les soupçons sur le véritable
objet de son voyage. Arrivé au lieu où Marie Stuarl
faisait sa résidence, il se découvrit à Lethington.
Dans un conseil où celui-ci assistait avec la reine et
le comte de Murray, il fut décidé qu'elle recevrait en
public l'agent espagnol, qui la supplierait à haute voix
de lui prêter faveur pour la punition des pirates à la
recherche desquels il était, et qu'ensuite elle éloi-
gnerait ceux dont elle serait accompagnée, de manière
(^] « .... No 1o entendistes como fué mi intencion , pues diciéndoos
que à mi me parescia bien que se platicase, y dâodoos comision para
eilo, no habia mas que decir, ni lo estorbaba el encargaros el secreto, y
mandaros à tos que se le encargàsedes à elles, ni menos mandaros que
supiésedes dellos las inteligencias que tienen en ese reyno, de quien
se piensan y podrân favorecer, porque este en todo caso séria menester
saberlo àntes de la conclusion ; y tambien el déciros que platicâsedes
sin concluir nada, no fué mostrar poca gana al negocio. Y asi, con este
correo que va â Trente, os he querido escribir este, para que entendais
que espero con deseo saber lo que habreis platicado, y en el estado que
habreis ballade y estàn las cosas, para poderos escribir mas largo sobre
todo : que agora no puedo, por estar el pié en el estribo para ir à las
certes deMonçon.... De Madrid, à -15 de agosto 4563. *> {Coleccion de
documentos inéditos para la historiade Espatia, t. XXVI, p. 460.)
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CHAPITRE VIII. 22
qu'il pût lui dire librement ce qu'il avait à lui com-
muniquer. Les choses se passèrent ainsi. L'audience
unie, un nouveau conseil fut tenu entre la reine,
Murray et Lethîngton : on y fit choix de l'évêque de
Ross pour la conférence que proposait l'ambassadeur
de Philippe IL Ce prélat avait une excellente occasion
de passer en Angleterre : il devait aller en France
pour le rétablissement de sa santé ; il était même déjà
muni d'un passeport de la reine Elisabeth; sa présence
à Londres n'exciterait ainsi aucune défiance ; nul ne
désirait, d'ailleurs, plus que lui l'alliance de la reine
avec l'héritier présomptif de la couronne d'Espagne ;
il convenait donc, sous tous les rapports, à la mission
pour laquelle il était désigné. Mais, au moment où il
aurait fallu qu'il se mît en route , la maladie dont il
souffrait l'en empêcha : alors on le remplaça par le
secrétaire Raulet. Quand Raulet arriva à Londres,
l'évêque d'Aquila venait de mourir ('). Sur l'ordre de
la reine, sa maîtresse, il alla trouver aux Pays-Bas le
cardinal de Granvelle (-). Le cardinal ne connaissait
pas les dernières instructions données par le roi à son
ambassadeur à Londres ; il ne connaissait pas non plus
les relations que l'évêque d'Aquila avait eues avec
Raulet : il commença par se défier de celui-ci ; ensuite
(') Le 24 août 4563. {Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. VII,
p. 225.)
(*) Belacion de la comision que et embajador obispo la Cuadra diô à
Luis de Paz de lo que habia de decir à Ledinton, secretario de la reyna
de Escocia, y después d ella, quando alla le envié : en Monçon, à 6 de
otubre \ 563, dans la Coleccion de documentas inëditos para la historia
de Espana, t. XXVI, p. 462.
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222 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
il éluda des explications pour lesquelles il n'était pas
autorisé^ et il engagea Marie Stuart à attendre qu'un
successeur eût été donné à Fambassadeur défunt (*).
Malgré tout le secret, toutes les précautions appor-
tés dans cette négociation entre Marie Stuart et l'Es-
pagne , quelque chose en avait transpiré : Catherine
de Médicis écrivit à la reine catholique et à son am-
bassadeur à Madrid, afin qu'ils ne négligeassent rien
pour savoir ce qui en était. Mais Philippe II n'avait
pas l'habitude de dévoiler à sa femme les mystères de
sa politique : Elisabeth ne put rien découvrir. Saint-
Sulpice se flatta d'être plus heureux, en s'ouvrant
conGdentiellement au prince d'Eboli, qui faisait pro-
fession d'un grand attachement à la reine-mère et au
roi de France. En digne ministre du prince le plus
dissimulé de l'Europe, Ruy Gomez lui fit une réponse
qui, sous les apparences de la franchise, était calculée
de manière à l'abuser entièrement sur le véritable état
des choses (^). Il lui dit que messieurs de Guise, dans
la vue de ressaisir l'influence qu'ils avaient eue sous
le règne de François II, désiraient beaucoup plus
marier la reine d'Ecosse avec le roi Charles ou le
(') Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. Vïl, pp. 208, 298, 340,
344, 358, 369, 362, 383, 396, 397, ZdS. — Correspondance de Philippe I!
8ur les affaires des Pays-Bas, t. II, pp. xii et suiv.
(•) « Ledict prince, après avoir bien diligemment noté tout mon dis-
cours, le redisant luy-mesmes de mot à mot en hespagnol, pour veoir
sMl Tavoit bien comprins, alBn, à mon advis, d'en entretenir puis après
le roy son maistre, me fit une responce d^bomme bien vif et non endormy
en Tapparence des choses. » (Lettre secrète de Saint-Sulpice, du U octo-
bre 4563.)
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CHAPITRE VIII. 223
duc d'Orléans qu'avec le prince d'Espagne, et qu'afln
d'amener la reine-mère à ce mariage , le cardinal de
Lorraine publiait que les partis ne manquaient pas à
sa nièce, qu'en outre de l'archiduc Charles , le comte
de Luna l'avait fort sollicité pour don Carlos : il ajouta
— c'est Saint-Sulpice qui parle — « qu'il me pouvoit
« bien asseurer que, si ledict comte s'estoit advancé
t< d'en parler , qu'il l'avoit faicl sans charge , car il
x( sçavoit bien que, de la part du roy son maistre,
« ny en aucune façon, de deçà l'on ne luy en a voit
x( rien mandé, et qu'il croyoit que tous ces tretz pro-
« cédoient du vif esprit et intention du cardinal pour
« faire réussir les choses au point qu'il désiroit ; en
« somme, que c'estoit propos de gens oisifz qui ima-
<« ginoient et se proposoient les choses qui n'estoient
« point, n'ayant rien de cela été aulcunement traitté
« icy (*). »
En réalité, et quelque afSrmatif que semblât le ton
de la dernière dépèche adressée par Philippe II à son
ambassadeur à Londres , il s'en fallait de beaucoup
qu'il fût résolu à poursuivre la négociation avec Marie
Stuart. Don Martin de Guzman, qui était allé trouver
l'empereur Ferdinand à Vienne, et l'avait suivi à
Inspruck, revînt en ce temps à sa cour : il était chargé
de lui faire les instances les plus pressantes pour qu'il
se décidât, d'une manière ou de l'autre, sur le mariage
de son fils avec l'archiduchesse Anne , car le roi de
France sollicitait vivement la main de la princesse Q.
(^) Lettre secrète de Saint-Sulpice, du 44 octobre 4563, déjà citée.
(*) Voy. la lettre de Philippe II au duc d'Albe, écrite de Monzon, le
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224 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Son irrésolution s'en augmenta. Elle devînt encore
plus grande à l'arrivée en Espagne des princes de
Bohême : les premiers discours que lui tinrent le car-
dinal d'Augsbourg et le baron de Dîetrichstein, dont
ces princes étaient accompagnés , eurent pour objet
d'obtenir de lui une déclaration positive de ses inten-
tions. Il était préoccupé aussi du caractère et de l'hu-
meur de son fils : sous ce rapport, il reconnaissait que
le vœu qui lui avait été exprimé par les cortés de
Castille ne manquait pas de fondement ni d'opportu-
nité. On discourait beaucoup de tout cela à sa cour :
u Les gens de bon advis — écrivait l'ambassadeur
« de France — disent qu'il n'y a grande apparence
« de mariage de la royne d'Ecosse avec le prince
« d'Espaigne, parce que à la qualité dudlct prince ne
« convient party qui ne soit plus aisé et plus esloigné
« de troubles et d'entreprinses que celluy de ladicte
« royne, avecques ce que les Escossois ne sont pour
ce permettre plus que leur princesse s'en aille hors du
« pays, ny qu'elle introduise un mary dedans qui ne
c( soit pour y demeurer (*). »
Gagner du temps était le système favori de Phi-
lippe II (^) : il répondit aux ambassadeurs impériaux
qu'il ferait connaître ses intentions à leur maître par
le seigneur de Chantonay, qui allait à Vienne rem-
42 octobre -1563, dans les Papiers d* État du cardinal de Oranvelle,
t.VJI,p. 225.
(^) Lettre secrète de Saint-Sulpice, du 4 «novembre 4563, écrite de
Balbastro.
(') « Dezia muchas vezes que el liempo y él para olros dos.... »
[Don Felipe el Prudente, par Vander Hammen, Madrid, 4632, p. 434.)
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CHAPITRE VIII. 22S
placer le comte de Luna , mort depuis plusieurs
mois ('); il différa ensuite le départ deChantonay aussi
longtemps qu'il le put.
A son retour d'Aragon, il sembla disposé à écouter
les désirs de la nation espagnole, en donnant la préfé-
rence , pour son fils , à la princesse dona Juana : il
portait une grande affection à sa sœur ; il appréciait
ses hautes qualités; il espérait par elle posséder mieux
le prince. Toute sorte de moyens et d'artifices furent
mis en œuvre pour faire revenir don Carlos de la
répugnance que lui avait toujours inspirée une union
avec sa tante; mais il demeura inébranlable f), et les
(') C'est ce que Saint-Sulpice dit dans une lettre secrète du -1 \ mai 1 564.
Il l'avait appris, à Barcelone, de la bouche du cardinal d*Augsbourg.
(') « Le roy catholicque vouldroit marier son filz avecques la prin-
cesse sa sœur, ainsi que toute l'Hespague le désire, à cause des qualitez
assez imbécilles de luy, qui pourroient estre grandement aidées et secou-
rues par les perfections qui sont en elle , qui s'y est tousjours aussy
beaucoup attendue ; et son frère, qui l'ayme et estime, ne Ten vouldroit
frustrer, et espéreroit, par le moyen d'une telle sœur, posséder mieulx
son filz, lequel commence à se monstrer assez rebours à luy et à ce qu*il
luy ordonne.... Il presse, tant qu'il peult, d'effectuer les choses pour la
princesse, et dict-on que cela est bien avant, et que chascun jour s'es-
sayent nouveaulx moyens et artifices pour y faire condescendre le
prince, qui, à ce que j'entendz, s*y rend tousjours assés froid et diffi-
cile.... » (Lettre secrète de Saint -Sulpiee, écrite de Madrid, le
42 juin 4564.)
« Ce que je mandiz dernièrement que le mariage du prince d'Hespai-
gneavedques la princesse sa tante seroit pour estre effectué, avoitlors
tant d'apparence, qu'il sembloit que toutz en la maison de ce roy n'enten-
dissent en aultre chose.... L'on voulut bien encor faire cest essay pour
le contentement de ladicte princesse, bien qu'on y eust tousjours cogneu
le prince répugnant, lequel ayant de mesme ceste fois esté persévérant
en sa première opinion, l'on dict que le roy catholicque a du tout résolu
sa sœur qu'il ne falloit plus qu'elle s^ actendlt : ce que, pour sa vertu,
elle a monstre porter bien patiemment ; mais l'on a opinion qu'elle est
45
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2«6 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
paroles brutales qu'il adressa aux certes de Castille^
au mois de janvier 1567, montrèrent à quel point il
avait été irrité de ces tentatives faites en opposition
à ses sentiments.
Il ne restait donc plus qu'à choisir entre Marie
Stuart et rarchiduchesse Anne. Philippe II s'était
désabusé de l'idée que, par le mariage de son fils avec
la veuve de François II, l'Ecosse et l'Angleterre pour-
raient devenir des annexes de la monarchie espagnole,
et la religion catholique y être rétablie, ou, plutôt
encore, l'état physique et moral du prince, ainsi que
les difficultés attachées à une pareille entreprise, l'en
avaient dégoûté (^). En outre, la situation des Pays-
pour s'en rendre en ung monastère. .. . • (Lettre secrète de Saint-Sulpice,
écrite de Madrid, le 31 juillet 1564.)
Voy., dans Koch, Quellen zur Geschichte des Kaisers Maximilian 77,
pp. 448, 4?4 et 430, les lettres du baron de Dietrichstein à Tempereur,
des 49 avril, 29 juin et 2 juillet 4561.
(^) Voy. le texte de sa lettre, du 6 août 4 564, au cardinal de Granvelle,
dans V Histoire de Marie Stuart, par M. Mignet, t. I, p. 459.
Un passage de la lettre du duc d'Albe au roi, du 34 octobre 4563, qui
est insérée dans les Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. VII,
p. 235, fait mieux comprendre encore les motifs qui déterminèrent
Philippe H. Le duc, dont le roi avait demandé Tavis sur le mariage de
son fils avec Marie Stuart, s'exprime ainsi : « Si e1 négocie conviene
« hacerse 6 no, yo no sabria decir à V. M. otra cosa que lo que en
« Madrid, en presencia del prier don Antonio y de Ruy Gomez, le dije :
« â la edad, la persona y habilidad del principe nuestro seno'r se debe
« tener gmn respeto para el fruto que deste négocie se piensa sacar.
« Este todo se ha de dejar al juicio de V. M., que sus criados no nos
« hemos de meter en este juicio. Inconvenientes, trabajos, peligros no
« se pueden en ninguna manera del mundo excusar en este négocie,
« porque V. M. tendra contra si â Francia y à Inglaterra, y podria ser
« que al emperador.... La persona de V. M. ha de ser la que baga al
« efecto, y esta ba de estar en Flandes. »
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CHAPITRE Vin. 227
Bas lui faisait de plus en plus comprendre Timpor-
lance de resserrer l'union entre les deux branches de
sa famille^ et d'empêcher que le roi des Romains ne
s^alliâl; à la maison de Valois Ç). Il fit savoir à son
nouvel ambassadeur à Londres, don Diego Guzman
de Silva, que si, de la part de la reine d'Ecosse, on
cherchait à renouer avec lui les négociations entamées
avec son prédécesseur, il aurait à s'en excuser de son
mieux, et à plaider, avec toute l'adresse et la chaleur
possible, les intérêts de l'archiduc Charles (^); il ajouta
cependant que, si les Français mettaient sur le tapis
le mariage de leur roi avec Marie Stuart, dans ce cas,
vu les graves inconvénients qui en pourraient résul^
ter, il prêterait de nouveau l'oreille aux ouvertures
qui lui avaient été faites pour son fils Q.
(*) « Le roy catholique.... veoit aussy d'ailleurs que Valliance du roy
des Romains luy est fort nécessaire, tant pour se conjoindre davantage
en nouvelle proximité de parentage et en nouvelle assurance d'amytié
entre eulx, que pour guarder qu'ung aultre n'y entre. » (Lettre secrète
de Saint-Sulpice, du 42 juin 4564, ci-dessus citée.)
(*) d .... En resolucion es mi voluntadque, si se os hablase en ello,...
os salgais lo mejor que pudiéredes de la plâtica de mi hijo, y que apre-
teis con toda buena manera y dexteridad la del archiduque Carlos mi
primo.... » (Dépêche du 6 août 4564, dans la Coleccion de documentas
inëditos para la historia de Espana, t. XXVT, p. 524 .)
(') « .... Solo una cosa se habia olvidado de advertiros, y es que de
tal manera procureis de caminar en este négocie que no pierdan los
Franceses el temor al casamiento del principe mi hijo, y no viendo 6
estorbando lo del archiduque, procuren de tomar à la reyna de Escocia
para el rey de Francia, que séria tan danoso y traeria consigo tantos
inconvenientes, que en este caso solo, cuandotal seentendîese, volveria
à la plâtica del principe mi hijo.... » {Ibid.)
Malgré le refus de Philippe H, et lorsque déjà Marie Stuart était déci-
dée à épouser lord Henry Damley , Lethington fit encore, à Londres, au
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228 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Celle réserve élail-elle sérieuse? Il esl permis d'en
douler. Quoi qu'il en soil ^ Gbanlonay fui chargé de
faire à l'empereur Maximilien (Ferdinand étail mort
le 2S juillet) une de ces « belles responces pleines
«< d'espérances el bien coulourées Ç) » par lesquelles
son maître ne s'engageait à rien. Dans une instruction
particulière el secrète dont il était porteur , le roi lui
avait exprimé ainsi sa volonté : « Vous direz à l'em-
(c pereur, mon frère, que, toutes les fois qu'il a été
« question du mariage de la princesse Anne avec mon
« fils , j'ai toujours parlé avec cette affection , cette
« sincérité et cette franchise dont il convient d'user
c< entre nous, et que je lui parlerai de même aujour-
« d'hui ; que déjà je lui ai fait savoir que mon fils
« n'était point dans une situation physique qui per-
ce mît de le marier ; que je suis forcé encore , non
« sans une vive douleur, de lui répéter la même
(( chose; que, bien que mon fils ait dix- neuf ans
« accomplis, et qu'on voie d'autres jeunes gens tardifs,
« Dieu a voulu qu'il le fût plus qu'eux tous; que,
« quoique ma coutume soit d'être si vrai dans mon
c( langage qu'il n'est pas besoin d'autre garant de ce
<i que j'avance ici, ils pourront s'assurer, auprès des
« personnes qu'ils jugeront à propos , si ce que je
« leur dis est une excuse afin de traîner l'affaire en
mois d^avril 4565, une tentative auprès de Tambassadeur Guzman de
Silva, pour renouer la négociation de son mariage avec don Carlos. Il y
a là-dessus une dépêche détaillée de cet ambassadeur, en date du
26 ayril, dans la Coleccion de documentos inéditos, etc., t. XXVI, p. 530^.
(^) Expressions de Saint-Sulpice dans sa lettre secrète du 4 2 juin 4 564,
déjà citée.
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CHAPITRE VI rî. 229
« longueur^ ou un obstacle trop réel à sa conclusion,
« comme je le croîs ; que, dans ce dernier cas, il faut
« que nous prenions tous patience, et que nous
i< ajournions cette affaire jusqu'au moment où le
i< mariage pourra s'effectuer : car s'il avait lieu aupa-
« ravant, le mal qui en résulterait serait commun à
«c nos deux familles, pour l'intérêt que l6s uns et les
« autres nous y avons; enfin qu'une des stipulations,
« et la principale, dont nous aurons à convenir,
« quand cette affaire se traitera , est le mariage de
« l'archiduchesse Elisabeth avec le roi de Portugal ,
« notre neveu, puisque cette princesse ne saurait être
« nulle part ailleurs aussi fêtée et honorée, ni aussi
<c près de sa sœur ; que là elles pourront en quelque
« sorte se croire toujours ensemble, et qu'il nous
ce importe tant à tous deux qu'elle n'épouse pas un
<c autre prince Q). »
(') « .... Direis al emperador mi hermano que, otras vezes que en
este negocio se ha platicado, yo be hablado siempre con aquel amor,
syiiceridad y llaneza que conviene usar siempre entre nosotros, y con
la mesma le hablaré agora, sin perdonar à mi hijo, por llevar siempre
este camino ; que otras vezes les he hecho saber la mala disposicion que
en mi hijo havia para poderle dar muger, que ha sido la causa de no
averse Uegado este negocio al cabo, y que, no sin gran dolor mio, de
nuevo le digo ahora que la misma causa milita al présente, aunque mi
hijo tieneyaxix anos, que, aunque otros mozos ha zen tarde, Dios es
servido que el mio pase tan adelante à los otros todos como este ; y aun-
que mi costumbre es bablar siempre tanta verdad que por esto no havia
menester mas testigo, podràn informarse de las personas que les pares-
ciere, si esto que yo les digo es escusa para alargar ei negocio, ô tan
verdadero impedimento para no concluyrlo como à mi me paresce; que
siendo esto assî, sera menester hayamos todos paciencia, y alarguemos
este negocio para quando el tiempo nos muestre poderse tratar de la
efectuacion dél, pues del hazerse sin tiempo tan comun séria el daîio,
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230 DON CARLOS ET PHILIPPE II,
Maximilien répondit à Chanlonay qu'il était tou-
ché de la sincérité avec laquelle le roi lui faisait con-
naître ses sentiments, et qu'il voulait aussi s'expli-
quer avec franchise; qu'il était instruit du peu de
santé du prince d'Espagne, mais qu'il ne pouvait
rester dans l'incertitude sur le sort de sa fille ; qu'il
désirait savoir positivement si don Carlos l'épouserait,
quand sa santé serait meilleure : dans le cas con-
traire, il la donnerait au roi de France, qui le solli-
citait et le faisait solliciter vivement par la plupart
des électeurs (*).
A cette époque, une amélioration notable se fit
remarquer dans l'état de don Carlos : le baron de
Dietrichstein , fidèle aux instructions de l'empereur ,
en tira argument pour demander que le roi ne dif-
férât plus sa résolution (-). Philippe II était dans un
embarras qu'accrurent encore les informations reçues
de Chantonay . L'empereur avait appris , par des let-
tres de son ambassadeur à Madrid, que le prince
por las preudas que los unos y los otros metemos en él ; y que entiendan
que uno de los capîtulos, y el principal, que havemos de assentar,
quando este négocie se tratare, es el casamiento de la infante Isabel con
el rey de Portugal, nuestro sobrino, pues en ninguna parte podrà estar
tan servida y regalada como alli, y tan cerca de la princesa su hermana,
y podrân dezir no apartarse de la compania que agora tieneu, y al parti-
cular de nuestros comunes negocios tanto conviene no casarse en otra
parte. » {El capitulo que se diô d parle à Chantoné, cuando fué à Alema^
nia, sobre lodel principe, en Madrid, d i'i, de setiembre ib6i : Arch.de
Simancas, Estado, leg. 652.)
(*) Lettre de Chantonay au roi, écrite de Vienne, le 34 mars 4565.
[Papiers d*Élat du cardinal de Granvelle, t. IX, p. 406.)
(*) Lettre de Dietrichstein au roi, écrite d'Aranjuez, le 4 4 mai 4565.
(Archives de Simancas, Estado,]eg. 657.)
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CHAPITRE VllI. 834
souhaitait passionnément d'épouser sa cousine; qu'il
s'était exprimé à cet égard de la manière la plus éner-
gique, et avait voulu avoir un portrait de la prin-
cesse devant lequel on le voyait souvent en contem-
plation ('). Il avait su de plus, par la même voie, que
lors de sa chute à Alcala, dont un rendez-vous donné
à Tune des filles du concierge du palais avait été,
comme on l'a vu, la cause, don Carlos avait fait
vœu de ne jamais s'approcher d'une autre femme;
qu'ainsi il n'en était aucune dont il eût envie de s'occu-
per Q). Ces particularités avaient causé un vif plaisir
à la famille impériale, et augmenté l'inclination qu'elle
avait pour le mariage de l'archiduchesse Anne avec le
prince.
C'était le moment où la reine Elisabeth de Valois
partait pour Bayonne avec le duc d'Albe. Philippe II,
qui voulait encore temporiser, répondit au baron de
(*) Nous trouvons la description de ce portrait dans un inventaire,
rédigé le 9 février 1568, de Targent, des bijoux et d'autres choses qui
étaient dans un petit coffre confié à la garde du secrétaire Gaztelù.
Nous la donnons ici :
« Un retrato de la infanta Ana, hija del cmperador Maximiliano,
de seda de colores, con très rubies y très esmeraldas y ocho perlas en la
cabeça, y con el brazo izquierdo un rubi y una esmeralda cou dos perlas,
y en los brabones de entrambos braços otros cinco perlas ; puobto en
una caja redonda de ebano, con una moldadura de plata sobredorada. »
(Ârch. de Simancas, Contcuiuria mayorde cuentas, l» época, leg. 1050.)
(*) « Que quando S. A. diô la cayda en Alcala, havia hecho voto de no
llegarse jamâs â otra muger, y assi ny curava uy queria enamorarse de
ninguna.... » (Lettre de Cbantonay à Philippe II, du 20 mai 1565, dans
les Papiers d*ÉUU du cardinal de Granvelle, t. IX, p. 213.)
Philippe II écrivit, de sa main, sur le dos de cette lettre, en la ren-
voyant au secrétaire Zayas : Esta novea nadie: « Que personne ne voie
« celle-ci. » (Arch. de Simancas, Eslado, leg. 653.)
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232 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Dietrichsteîn qu'il se résoudrait sur le fait du mariage
dès que le duc reviendrait de France. Une pareille
réponse ne pouvait causer qu'une médiocre satisfac-
tion à Vienne : Tempereur dit assez froidement à
Chantonay qu'il passerait encore par ce délai, quoique
le roi eut eu assez et trop de temps pour prendre un
parti Q.
Catherine de Médicis , malgré toutes les observa-
tions que lui avaient faites, pour l'en dissuader,
l'évêque de Limoges et le seigneur de Saint-Sulpice,
son successeur à Madrid, n'avait pas cessé de nourrir
l'espoir qu'elle marierait sa fille Marguerite avec le
prince d'Espagne. A Bayonne, elle proposa formelle-
ment ce mariage au duc d'Albe , en même temps que
celui du roi de France avec rarchiduchesse Anne., et
de dona Juana avec le duc d'Orléans (^). Raymond de
Pavie, seigneur de Fourquevaulx, qui, dans l'automne
de 1565, alla remplacer Saint-Sulpice à Madrid , fut
chargé de suivre avec chaleur cette négociation auprès
du roi, du duc d'Albe et du prince d'Eboli. Le duc
avait témoigné à Saint-Sulpice qu'il approuvait assez
les mariages mis en avant par la reine-mère; Ruy
Gomez lui avait promis d'y être favorable (^) : mais,
en tenant ce langage, ces ministres le trompaient,
car la façon de penser de leur maître leur était bien
{*) Lettre de Chantonay au roi, du 30 juin 4565, dans la Coleccion de
documentos inéditos, etc., t. XXVI, p. 544.
(') Mémoire particulier de Saint-Sulpice, du K\ août 4 565. — Mémoire
de Catherine de Médicis, envoyéau S"^ de Fourquevaulx, sur ce qui a été
traité à Bayonne, du 28 novembre 1565.
(') Mémoire particulier de Saint-Sulpice, du W août 4565.
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CHAPITRE VIII. 233
connue. Le roi mit fin aux poursuites de Catherine
de Médicîs, en déclarant, d'une façon catégorique, à
la cour de France, qu'il avait pris, en ce qui con-
cernait le mariage de son fils, des engagements dont il
lui était désormais impossible de revenir Q).
(*) Réponse du roi catholique sur les traités proposés à Rayonne,
présentée par son ambassadeur à la reine très-chrétienne : sans date.
(Correspondance de Fourquevaulx, 1. 1, p. 66.) ~ Voy. aussi la lettre de
Philippe II à don Francés de Alava, son ambassadeur en France, dans
les Papiers d'État de Granvelle, t. IX, p. 549.
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234 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
CHAPITRE IX.
DisseuBioDS entre don Carlos et le roi. — Portrait de Philippe II :
son caractère^ ses goûts, ses habitudes, son système de gouverne-
ment, ses ministres. — Remontrances quMl fait à son fils et qui sont
mal accueillies par le prince. — Griefs de don Carlos contre le roi :
il est mécontent de n'avoir point de pouvoir, de n*étre pas placé à la
tête du gouvernement des Pays-Bas, du retard apporté à son mariage
avec l'archiduchesse Anne. — Il blâme tout ce que fait son père, et
le tourne môme en ridicule. — Son mécontentement s'étend aux
ministres et aux serviteurs du roi; scène violente qu*il fait au pré-
sident d'Espinosa. — Ses propres oflSciers sont vus par lui avec
déplaisir ; mauvais traitements qu'ils essuient de sa part. — Ses pro*
cédés envers la princesse dona Juana et les princes de Hongrie. — La
reine Elisabeth est seule l'objet de ses déférences; explications à ce
sujet; fables débitées sur une prétendue inclination réciproque de la
reine et du prince. — La reine douairière de Portugal, Catherine
d'Autriche, cherche à ramener don Carlos à de meilleurs sentiments
pour son père. — Son ancien précepteur, l'évoque d'Osma, y emploie
aussi son zèle et son influence. — Estime et affection de don Carlos
pour Ilonorato Juan ; marques qu'il lui en donne. — Lettre notable
que Juan lui écrit, en quittant la cour. ~ Mort de Juan. — Nouvelle
grossesse d'Elisabeth de Valois ; joie que Philippe II en éprouve. —
Elisabeth se rend au bois de Ségovie où le roi l'avait précédée. —
Don Carlos reste à Madrid ; remarque à ce sujet. — Il va plus tard
rejoindre la famille royale. — La reine accouche d'une fille. — Don
Carlos en est le parrain; débilité physique qu'il montre en cette
occasion. — Noms d'Isabel-Clara-Eugenia que reçoit la jeune infante ;
motif de chacun d'eux. — Don Carlos donne un nouveau sujet de
mé^ntenlement à son père, en frappant don Diego de Acuna, Tun
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CHAPITRE IX. 235
doses geDtilshommes. — Le roi le réprimande, fait passer Acuna à
son service, et le gratifie d*uDe commaDderie supérieure à celle quMl
avait.
Depuis quelque temps déjà, don Carlos ne vivait
pas dans une parfaite harmonie avec le roi. Des
dissensions plus graves s'élevèrent bientôt entre eux.
Elles étaient inévitables : car, par le caractère, les
goûts, les habitudes, le prince était, s'il est permis de
s'exprimer ainsi, l'antithèse vivante de son père Q).
Les détails que nous avons empruntés aux récils de
Brantôme, aux dépêches du baron de Dietrichstein,
aux rapports des ambassadeurs de Venise, forment,
croyons-nous, dans leur ensemble, un portrait assez
fidèle et assez complet de don Carlos : il convient que
nous fassions connaître aussi Philippe IL
Ce monarque, qui avait été élevé selon les plus
minutieuses prescriptions de l'étiquette espagnole,
s'était montré, de bonne heure, jaloux à l'excès de
sa dignité. Il était encore enfant lorsque le cardinal
de Tavera, archevêque de Tolède, entrant dans sa
chambre au moment qu'on l'habillait, son gouverneur
voulut qu'il invitât ce prince de l'Eglise à se couvrir :
sans avoir Fair de l'entendre, il prit son bonnet, le
mit sur sa tête, et puis il dit au prélat : « Cardinal,
(^) « AdeodissimiiUmi suut moribus pater et ûlius, » écrivait le garde
des sceaux Hopperus au président Viglius, le 26 avril 4567. (/. Hopperi
epislolae ad Viglium, etc., Lovanii, 4765, p. 426.)
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236 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
« VOUS pouvez VOUS couvrir maintenant (^). » A sa
première sortie d'Espagne, pour se rendre auprès de
l'empereur son père aux Pays-Bas, il déplut, par sa
fierté et sa hauteur, dans tous les pays qu'il traversa ;
les Italiens ne le trouvèrent pas plus à leur gré que
les Allemands et les Belges. Il fallut que le cardinal de
Trente d'abord, ensuite la reine Marie de Hongrie, et
enfin l'empereur lui-même, lui fissent des observa-
tions sérieuses sur les conséquences que pourrait avoir
une conduite qui lui aliénait l'esprit des peuples. Il
eut la sagesse de le comprendre : dès ce moment,
un changement sensible se fit remarquer dans ses
manières ; la raideur, le dédain, firent place, en lui,
à de la courtoisie et de la bienveillance Q). A la diète
d'Augsbourg de loSO, on le vit s'appliquer à gagner
l'amitié des princes de la Germanie, allant dîner chez
eux, les conviant à sa table, et, comme il ne possédait
pas leur langue, leur parlant en latin (').
(*) Gadrera, Felipe 11, liv. I, chap. I, p. 4.
(*) Voy. les Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint
et Philippe II, pp. li, 38, 4 23, 483.
(') Antoine Perrenot, évoque d'Arras, écrivait à la reine Marie de
Hongrie, le 43 octobre 4550 : « Monseigneur nostre prince faict très-bien
« son debvoir maintenant avec les électeurs et autres princes de la
« Germanie, et parle avec eulx lalin. »
Et le 30 octobre : « J'envoye à V. M. lettres que monseigneur nostre
« prince lui escript. V. M. feroit, à mon advis, bonne œuvre, s'il luy
o plaisoit, en respondant, louher, sans dire de qui elle Va entendu, ce
Q que Ton dit du contentement qu*il donne aux princes allemands, con~
« versant et devisant avec eulx comme il faict. » (Archives du royaume,
à Bruxelles.)
Voir aussi, dans les Relations des ambassadeurs vénitiens, p. 423,
note 2, ce que l'ambassadeur Marillac écrivait là-dessus au connétable
de France, le 24 octobre 4550.
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CHAPITRE IX. 237
Quoiqu'il fui d'une taille au-dessous de la moyenne,
il régnait dans toute sa personne un air de majesté
que rehaussait encore sa manière de se vêtir, à la fois
élégante et simple , car il ne portait que du drap de
soie, à l'exclusion de l'or et de l'argent Q). Son abord
était grave, mais il recevait avec affabilité et il écou-
tait avec attention ceux quijivaientà l'entretenir Q.
Jamais il ne se fâchait, quelque chose qu'on put lui
dire Q. Habituellement il ne regardait pas son inter-
locuteur ; il tenait les yeux baissés, et s'il les levait,
c'était pour les promener çà et là (*). Il parlait si bas
que le seigneur de Fourquevaulx, ambassadeur de
Charles IX, ne put entendre presque rien de ses
paroles, à la première audience qu'il eut de lui f ). Ses
réponses étaient en général précises et gracieuses ; le
plus souvent, il les accompagnait d'un sourire aima-
ble , mais il évitait de décider ou de s'engager sur les
(^] « Puesto en solio, coroDacion, ô en otro acto mayor pûblico, con
esta graodeza parecia divinidad su autoridad y gloria. » (Cabbera» liv. V,
chap. XVII» p. 275.) — « Non usa nel vestire oro ne argento, ma sola-
mente panni di selaecon pochi lavori; e veste roolto gentilmente.
portando panni che gli stanno soprammodo bene ed attilati....» (Relation
de Giovanni Soranzo, de 4565, dans les Relazioni degli ambasciatori
veneti, série I, t. V, p. 412 ] — « Ë attillatissimo nel vesUre, e tanto
che non si puô vedere cosa più perfetta. • (Relation d'Alberto Badoero,
de 4578, Ufid., p. 276.)
(') Relazioni degli ambasciatori veneti, etc., série I, t. V, passim.
('] « Ascolta ognuno con molta pazienza, ne per cosa che se gli dica,
brava ne si altéra. » (Relation de Sigismondo Cavalli, de 4570, 7?^/a-
zioni, etc., série I, t. V, p. 483.)
(*) Relation de Federico Badoero, dans les Relations des ambassadeurs
vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. 38.
(^) Relations des ambassadeurs vénitiens, etc., p. 470, note 4. Four^
quevaulx eut sa première audience au mois d^octobre 4565.
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238 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
demandes qui lui étaient faites : il voulait prendre le
loisir de les examiner et de les faire examiner par ses
minisires. Il était réservé surtout dans ses eommuni-
cations avec les ambassadeurs étrangers, qu'il invitait
presque toujours à lui remettre des mémoires ou des
notes sur les sujets dont ils venaient de l'entretenir Q).
Quand il était à Mad||d, il donnait audience à tous
ceux qui la demandaient. En se rendant de sa chambre
à la chapelle où, chaque matin, il entendait la messe,
en sortant de la chapelle pour aller se mettre à table,
enfin en retournant à sa chambre après son diner, il
recevait toutes les suppliques qu'on voulait lui pré-
senter , et si quelque personne témoignait le désir de
lui adresser la parole, il s'arrêtait pour écouter ce
qu'elle avait à lui dire f ).
La délicatesse de sa complexion lui imposait plus
d'un ménagement : il dormait beaucoup ; il était très-
réglé dans sa manière de vivre, ne mangeant ni poisson
ni fruits, dont son père faisait une consommation im-
modéréCi) et se nourrissant des mets les plus substan-
tiels f ). Le vendredi - saint était le seul jour de l'an-
née où il ne fût pas servi de viande sur sa table ; les
autres jours de jeûne prescrits par l'Église, il avait
reçu du pape la permission d'en manger, pourvu qu'il
le fît d'une seule espèce , telle que chapon , veau ,
(^) Relazioni degli ambasciatori veneti, etc., série I, t. V, passim.
(*) RelatioDs de Paolo Tiepolo, de Giovanni Soranzo, de Sigismondo
Cavalli, dans le tome cité des Relazioni.
{^) Voy. les relations de Michèle Sariano . de Paolo Tiepolo, de Gio-
vanni Soranzo, de Sigismondo Cai^alli, de Lorenzo Priuli, d*Alberto
Badoero, dans les Rehzioni degli ambasciatori veneti, série T, t. III et V.
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CHAPITRE IX. 239
IxBuf OU mouton ('). Les vendredis, les samedis et les
vigiles, il dînait toujours en particulier, pour ne pas
donner un mauvais exemple f). Sa tempérance était
remarquable; il vidait, deux fois ou deux fois et
demie au plus, à son repas, un verre de cristal, de
médiocre grandeur (').
Soit en particulier, soi^en public, il dînait ordi-
nairement seul ; ce n'était que dans des occasions
extrêmement rares qu'il admettait à sa table la reine,
le prince son fils, ou la princesse sa sœur. D'autres,
quels qu'ils fussent, n'étaient pas jugés par lui dignes
de s'y asseoir (*).
Il n'y avait personne, à sa cour, qui remplît plus
ponctuellement que lui ses devoirs religieux. Il assis-
lait avec régularité aux offices divins, et communiait
quatre fois au moins par année. Il connaissait, aussi
.(*) « Dal venerdi santo in fuori, ipangia sempre carn«; e il digiimô
délie altre vigilie hà facoltà di farJo con mangiar d*una cosa sola, ma cio
sera cappone, vilello e cosa taie.. . » (RelatioD de Sigismondo Cavalli,
déjà citée, p. 183.)
(•) « Il venerdi, sabalo e le vigilie, per non darcaltivo esempio, sempre
mangia ritirato.... « (Relation de Giovanni Soranzo, déjà citée, p. 412.)
(') • Nel bever è modestissimo, ne beve nel suo desinare più di due
voUe ... » (Même relation, ibid.) — « Beve due volte, o duevoltee
mezzo, in un biccbiere di cristal lo di médiocre tenuta.... » (Relation
d^AlbertoBadoero, t6tV/., p. 276.)
(*) u Mangia S. M. ordinariamente sola, non facendo degno disfare
alla sua tavola alti i cïie la sereuissima regina, il principe e la princi-
pessa, i quali perô cbiama rarissime volte, e scorrono molti e molti mesi
prima che mangi con alcun di loro.... » (Relation de Giovanni Soranzo,
/. c) — Dans sa relation de 4563, Paolo Tiepolodit de môme, à propos
du dîner du roi : « Gbe faalcuue volte in pubblico e altre ritirato, ma
quasi sempre solo, perché rarissime mangia colla moglie, col figiio e colla
sorella, che altri non è falto degno délia sua mensa.... o [Ibid., p 61 .
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240 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
bien qu'un ecclésiastique même, les cérémonies de
l'Eglise (*). En toute occasion^ il témoignait son respect
de la religion et de ses ministres. Pendant qu'il tenait
les cortès de Monzon Q, il arriva un jour qu'allant à
cheval de son palais au lieu où les cortès étaient
assemblées, il rencontra le saint sacrement qu'on
portait à un malade : il descendit aussitôt de cheval,
accompagna le prêtre, son bonnet à la main, jusqu'à
la maison où celui-ci était appelé, attendit à la porte
qu'il eût rempli les devoirs de son ministère, et enfin
reconduisit le saint sacrement, toujours la tête décou-
verte, à l'église d'où il avait été tiré f ).
Ses passe*temps étaient des plus paisibles. Les
fêtes, les spectacles, avaient peu d'attrait pour lui.
Dans sa jeunesse, en Espagne et aux Pays-Bas, il
avait quelquefois pris part à des joutes et à des tour-
nois, mais il l'avait fait moins par goût que pour
l'opinion du monde (^). Ce qu'il aimait, et sa nature
lui en faisait en quelque sorte un besoin, c'était la
campagne, la solitude (^). Aussi, bien souvent, il
quittait à l'improviste Madrid, pour aller, tantôt au
Pardo, tantôt à Aranjuez ou à l'Escurial, quand il eut
(') RelatioD de Paolo Tiepolo, déjà citée, p. 62. — Relation de Matteo
Zane, de 4584, dans les Relazioni, etc., série I, t. V, p. 360.
(*) Voy. pp. 98 et suiv,
(') Relation de Giovanni Soranzo, déjà citée, p. 442.
(♦) Relations des amhMsadeurs vénitiens, etc., p. 39.
f) Il avait eu ce goût de bonne heure. Le 49 février 4559, il écrivait,
de Bruxelles, à Granvelle et à Ruy Gomez, qui se trouvaient au congrès
de Cateau-Cambrésis : « Por el provecho que vos, Ruy Gomez, sabeys
« que me liaze à la salud el ejercicio y el campo, etc. » [Papiers d'État
du cardinal de Granvelle, t, V, p. 491.)
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CHAPITRE IX. 24^
fait bâtir ce somptueux monastère. Là il ne s'entourait
que d'un petit nombre de ses serviteurs, ne recevait les
ambassadeurs étrangers que dans des occasions extra-
ordinaires et pressantes, et ne communiquait avec ses
propres ministres que par écrit Q). On se tromperait
pourtant, si l'on s'imaginait qu'il allât chercher dans
ces résidences un repos absolu de l'esprit : loin de là,
il y travaillait plus encore peut-être qu'en son palais
de Madrid Q.
II entretenait des bouffons dont il s'amusait quel-
quefois dans sa chambre; c'était d'eux, car ils s'intro-
duisaient partout, qu'il apprenait les faits et gestes des
personnes de sa cour : il était extrêmement curieux
de renseignements de ce genre Q.
(') Ama sopra ogni cosa la qoiete e Tozio, del tutto lontaDO dai negozi,
i quali quanto sia possibile fugge ed abborrisce. Perô, cosi spesso, si
parte air improvviso , fuori della espettazione di ogDuno , alcune vol te
iDoaDzi giorno, con soli cinque o sei in compagnia, dal loco dove sta la
corte, e si ritira in solitario, dove ba le sue delizie, e consuma il tempo
in una estrema tranquillité e riposo, senza voler udir cosa che gli dia
impaccio o pensiero.... » (Relation de Paolo Tiepolo, déjà citée, p. 64.)
— Voy. aussi la relation de Sigismondo Cavalli, déjà citée, p. 482.)
(') L'ambassadeur Fourquevaulx écrivait à Charles IX le 30 novem-
bre 4567 : « Quand il s*esloingne ainsi de la multitude, c'est pour mieulx
« adviser à ses négoces, car il n'est jamais oisif, ni plus attentif à ses
« affaires qu'estant seul en ses maisons des champs. • La chose est
confirmée par Hopperus , qui en pouvait parler plus pertinemment
encore. Voici ce qu'il mande à Viglius, dans une lettre du 2 novem-
bre 4569 : « Bex nondum ex agro reversus est; sed bac septimana spe-
«f ramus ad futurum. Et vero eum morem habet, ut, sive adsit, sive non
• adsit , ne minimam quidem partem temporis, in rébus cum summa
« diligentia administrandis, amittat ; nec quidquam ad illum prescri-
« bimus tam parvum ad quod non continue sua manu respondeat. »
{Joachim Hopperi epistolae ad Viglium, p. 445.)
(') « È amioissimo di certa sorte di buffoni , con i quali si trattiene
46
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242 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Il était très-adonné aux femmes Q), Si ron en croît
un écrit fameux^ lorsqu'il épousa la princesse Marie
de Portugal, un mariage secret le liait à dona Isabel
Osorio, de laquelle il avait plusieurs enfants Q* Pen-
dant son séjour aux Pays-Bas, il avait eu une fille
d'une jeune Bruxelloise f). Après son retour en
Espagne, il vécut, pour ainsi dire, publiquement
avec dona Eufrasia de Guzman, dame de la princesse
sa sœur, qu'il fit épouser au prince d'Ascoli, dans le
temps qu'elle était enceinte de son fait (*). Elisabeth
aile Yolte, ed è curiossimo di saper tutti gli andamenti délie persoDe
di qualité délia corte, e si serve per lo più di loro per istrumentodi
questa sua curiosità, poichè sintromettono da per tutto.... « (Relation
de Matteo Zane, déjà citée, p. 364 .] — Voy. aussi les relatious de Fede-
rico Badoero, de Paolo Tiepolo et de Francesco Vendramino, dans les
Relazioni, etc.
(*) « Nelli piaceri délie donne è incontinente.... » (Relation de Federico
Badoero, de 4557, Relazioni, etc., série I, t. III, p. 234). — « Grinter-
tenementi suoi sono...., ma più di tutto le donne, délie quali mirabil-
mente si diletta, e con loro di nascosto ben spesso si ritrova.... • (Rela-
tion de Paolo Tiepolo, déjà citée, p. 63.) — « Moito ama le donne, con
le quali spesso si trattiene nei detti luoghi del Pardo et di Aranguez. »
(Relation de Giovanni Soranzo, déjà citée, p. 444.)
(») Apologie de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, p. 38 de l'édi-
tion originale de Leyde.
C) « Haavuto, essendo in Fiandra, con una giovanedie Brusseles, una
figliuola, la quale fa nutrire in quoi paesi molto secretamente.... » (Rela-
tion de Giovanni Soranzo, 1 c.)
(*) Apologie de Guillaume de Nassau, 1. c. — « Dopo che si ritrova in
Spagna, ne ha avuta un* altra (figliuola] con donna Eufrasia de Guzman,
che era dama délia principessa sua sorella, e ha maritata la madré nel
principe d'Ascoli con dote onorata, etc.... » (Relatiop de Giovanni
Soranzo, 1. c.)
L'évéque de Limoges écrivait à Catherine de Médicis, le 3 juillet 4 564 :
« Le roy est à son plaisir, pour les chasses, qu'il a proches, et assez
« d'autres bonnes cognoissances en ceste ville, qui pour cela ne le font
« pas estre mauvais mary, car il est des bons du monde. »
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CHAPITRE IX. 213
de Valois n'ignorait pas sa conduite : mais, douée
d'une sagesse et d'une raison au-dessus de son âge,
tolérante ainsi que sa mère lui avait appris à l'être
par son exemple , elle supportait les galanteries de
son mari sans jamais faire entendre un seul mot de
plainte, ne manifestant qu'un désir, celui de lui com-
plaire, n'ayant d'autre volonté que la sienne (') : on
pourrait même supposer, en lisant quelques-unes de
ses lettres à Catherine de Médicis, que les soins et
. l'affection du roi la rendaient « la femme la plus heu-
reuse du monde w (-). Il est juste de dire que Philippe,
Saint- Sulpice, successeur de l'évéque à Tambassade de Madrid »
mande à sa cour, dans une lettre secrète du 7 octobre 4 564 , que Ruy
Gomez lui a dit que la grande maladie de la reine avait augmenté Taffec-
tion de son mari pour elle ; « et adjousia quelques choses de ses amours
« passées, qui avaient cessé et estaient hors de la maison^ de sorte que
« tout alloit si bien quMI ne se pouvoit désirer mieulx. »
Les relations de Philippe avec la princesse d'Ëboli sont trop connues
pour que nous ayons à en parler.
(') « Sa la regina cbe il re fa molti disordini con donne, ma avendo
impara to la toUeranza de sua madré , pazientemente lo sopporta senza
mai dir parola di risentimento.... Cosi ella , savia sopra Tetà sua,' cerca
in tutti i modi mostrar di riportarsi alla volontà del re, e di non voler
più innanzi di quelle che place a lui. .. » (Relation de Paolo Tiepolo, déjà
citée, p. 7^.) — « La serenissima regina.... è stimata da tutti molto
savia e prudente, in modo che molto supera Tetà sua.... Con tutto questo
S. M., prudentemente dissimulando sempre, non dimostra alcuna mala
satisfazione, ne mai parla di simili cose, e sempre si mostra desiderosa di
satisfare il re, e voler tutto quelle ch' esso vuole.... » (Relation de
Giovanni Soranzo, déjà citée, p. 447.)
(') Une fois elle écrivait à la reine, sa mère, à propos d*un endroit
(qu'elle nMndique pas) où elle se trouvait et qui était peu plaisant :
a Vous dirès-ge, madame, que sy se u*estoit la bonne compaignie où je
u suis en se lieu, et Theur que j*ai de voir tous les jours le roy mon
« seigneur, je trouverois se lieu Tun des plus fâcheux du monde. Mais
« je vous assure, madame, que fay un si bon mary et suis si heureuse
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244 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
s'il la négligeait., avait toujours pour elle les plus
grands égards, et qu'il lui donna même, en certaines
occasions, des marques d'une véritable tendresse (*).
On a reproché à ce prince de manquer de libéralité,
de se montrer économe jusqu'à la parcimonie (-) ; on
a fait la remarque qu'il laissait vacantes les princi-
pales charges de sa cour, pour n'en pas supporter la
dépense Q; on a dit que sa maison semblait être
plutôt celle d'un pauvre gentilhomme que d'un grand
roi (^)^ on a ajouté que les murs de son «palais étaient,
nus en été, et que, s'ils étaient tendus en hiver, c'était
plutôt afin de parer au froid que pour la décoration des
appartements f). Combien il serait à souhaiter, pour
sa mémoire, que l'histoire n'eût pas d'autres reproches
à lui faire !
Dans le gouvernement de ses États, il ne suivait pas
« que y quant il le seroit ceDt fois davantage , je ne m'y fascheroy
« point. » Une autre fois elle lui disait que le roi faisait office de bon
mari ; que, tant qu'elle avait eu la fièvre, il n'avait pas bougé un instant
d'auprès d'elle, et elle ajoutait : « Je vous dires comme je suis la plus
« heureuse famé du monde. » (Négociations, etc., relatives au règne de
François U, pp. 703 et 843.)
0) Voy., dans \e3 Négociations, eic.^ relatives au règne de François II,
pp. 803 et 809 , les lettres de madame de Clermont à Catherine de
Médicis, écrites en 4561, et dans VHistoire d'Elisabeth de Valois, par
M. le marquis Du Prat, pp. 233, 239, 458, ce que l'ambassadeur Four-
quevaulx mandait à la reine-mère le 4 février et les 4 et 48 août 4566.
(') Relations de Giovanni Soranzo, de Gioan Francesco Morosini, de
Matteo Zane, de TommasoContarini, de Francesco Vendramino.
(') Relation de Francesco Vendramino.
(•) « Nel governo délia sua casa somiglia più ad un povero gentiluomo
che ad un gran re. « (Relation de Gioan Francesco Morosini, de 4584,
Relazioni, etc., série I, t. V, p. 325.)
(^) Relation de Tommaso Contarini.
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CHAPITRE IX. 245
le même système que l'empereur son père. Charles-
Quint avait toujours eu un ministre chargé de la
principale direction de ses affaires : il ne voulut avoir
que des conseillers qui lui donnassent leur avis lors*
qu'il lui plairait de les consulter , et sur les choses
dont il jugerait à propos qu'ils prissent connaissance^
se réservant de dicter lui-même ses déterminations à
ses secrétaires, avec lesquels il travaillait directement.
Deux de ces conseillers toutefois, le prince d'Ebolî
et le duc d'Albe, jouirent, au début et dans les quinze
premières années de son règne, d'une influence con-
sidérable auprès de lui. J'ai parlé plus haut du prince
d'Eboli (^). Le duc d'Albe avait été beaucoup employé
par l'empereur; il avait une expérience consommée
des affaires militaires et politiques Q; c'était « un
grand personnage, » selon le mot du cardinal de Gran-
velle f ). Ruy Gomez et Fernando Alvarez de Tolède
prétendaient tous deux à la prépondérance dans le
conseil; l'opinion de l'un était assez ordinairement
opposée au sentiment de l'autre (*). Philippe, comme
j'en ai fait l'observation ailleurs, ne voyait pas avec
déplaisir cette rivalité de ses ministres ; il y trouvait,
au contraire, l'avantage de les tenir plus sûrement
n Pag. 456-458.
(•) « Il duca d'Alva, grave d'elà, cognizione ed esperienza, avanza di
gran lunga tulli gli altri di reputazione e di conslglio. » (Relation de
Paolo Tiepolo, déjà citée, p. 68.)
(*j Lettres de Granvelle au prieur de Bellefontaine, t. I, p. 318, à
la bibliothèque de Besançon.
(*) Relation de Michèle Suriano, dans les Relations des ambassadeurs
vénitiens, p, 430, et d'Antonio Tiepolo, ibid., p. 450.
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246 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
dans sa sujétion, d'être moins accessible à des sur-
prises , de connaître mieux la vérité sur les choses
dont il lui importait d'être éclairci (*). Dans les
matières d'État, de guerre et de gouvernement, il
déférait surtout aux avis du duc d'Albe; dans les
concessions de grâces et la distribution des honneurs,
il s'en remettait volontiers à ce que lui proposait le
prince d'Eboli (-).
Peu après le retour du roi en Espagne, le duc
d'Albe réussit un instant à écarter Ruy Gomez du
maniement des affaires d'État ; déjà il se flattait que
son crédit serait désormais sans partage. C'était se
méprendre étrangement sur le caractère du maître.
Un jour que le roi était enfermé avec le secrétaire
Erassof),le duc se présenta à la porte de sa chambre.
Il en avait une clef comme grand majordome, mais
il essaya en vain de s'en servir, le roi ayant mis la
sienne en la serrure, pour empêcher qu'on n'entrât.
(*) Correspondance de Philippe 11 sur les affaires des Pays-Ba^, 1. 1,
p. ux.
('] « Siccome nelle cose di guerra e Delle risoluzioni importantidi cose di
Stato, deferisce sempre più il consiglio, e il re medesimo, al duca d'Alva,
perché ha più esperienza che Ray Gomez, cosi in contrario nelle cose
di grazia, di danari, di mercedi, di pagamenti e simili, per Taffezione
del re, ha Buy Gomez sempre il meglio. » (Relation d'Antonio Tiepolo,
de 4567, dans les Relazioni degli ambasciatori veneti, série I, t. V,
p. ai.)
(') Francisco de Erasso était conseiller au conseil des finances, secré-
taire des conseils des Indes et des ordres, et, depuis que Juan Vazquez
s'était retiré, il remplissait aussi la charge de secrétaire d'État pour les
affaires de Castille. ( Voy. les Relazioni degli ambasciatori veneti, série I,
t. V, p. 65.) — Erasso était fort en faveur auprès du roi à celle époque,
mais depuis il fut disgracié.
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CHAPITRE IX. 247
Il frappa; Erasso vint savoir qui c'était, mais n'ouvrit
point. Le duc fut obligé d'attendre plus d'une heure
dans ranlicbambre, confondu avec les officiers infé-
rieurs du palais. Il en fut si mortifié qu'il prétexta des
affaires de famille pour se retirer pendant quelque
temps dans ses terres (*).
A l'époque où nous sommes parvenu, Pbilippe II
avait tout récemment appelé à faire partie de son
conseil un personnage qui bientôt y acquit la prin-
cipale autorité : je veux parler de don Diego d'Espi-
nosa, que, de simple conseiller au conseil de Castille,
il fit gouverneur ou président de ce tribunal, le plus
élevé de tous ses royaumes, en remplacement de Juan
Rodriguez de Figueroa, mort le 2S mars 1565 Q.
L'impartialité et la loyauté d'Espiposa, la promptitude
et l'babileté avec lesquelles il expédiait les affaires, le
discernement et la droiture qu'il apportait dans le
choix des candidats pour les offices ecclésiastiques et
civils dont la présentation était un des attributs de sa
charge, son détachement de toute espèce de passions
et d'intérêts en dehors du service public, plurent
tellement au roi f), qu'il accumula sur la tète de ce
(^) Ces curieuses particularités sont consignées dans un mémoire que
révèque de Limoges, Sébastien de l'Aubespine, envoya au cardinal de
Lorraine, le 26 septembre 4560. (Voy. Négociations, etc., relatives Su
règne de François II, pp. 558-562.)
(*) Davila, Teatro de las grandezas de Madrid, p. 363.
('] « Il re era cosi fastidito e stanco délie parzialità del suo consiglio,
cbe quando ha trovato uno libero da queste passioni e di buona inten-
zione, gli ha posto tutto il governo nelle mani. £ veramente il cardinale
è schieito e libero servitor del suo principe, senza dipendenze e senza
parentado di signori, U che è stimato molto dal re, ne ûno a qui mostra
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248 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
ministre les dignités et les honneurs : il le fit inqui-
siteur général, lorsque l'archevêque de Séville, Fer-
nando de Valdès, lui témoigna le désir, motivé sur
son grand âge, de résigner ces difficiles et importantes
fonctions (*); il sollicita et obtint pour lui, de Pie V,
le chapeau de cardinal f ) ; il le gratifia de l'évéché de
Sigûenza, l'un des plus riches d'Espagne f), et tout
cela en moins de trois années. Il n'y eut pas un second
exemple, sous ce règne, d'une élévation aussi éclatante
et aussi rapide Q.
di stimar molto Tinteresse suo parlicolare, ne di lasciar majorasco molto
ricco in casa sua. Si affatica e travaglia grandemente, ed ba assai buon
giudicio, ma non è molto pratico de' negozj di Stato, essendo poco tempo
che li traita; tuttavia per giornatasi va accomodando. « (Helation de
Sigismondo Cavalli, déjà citée, p. 480.) -— « Parlando di questi (le car-
dinal dTspinosa, le duc d*Albe et Ruy Gomez), dico esser nel cardinale
molta diligenza e molto pensiero aile cose del suo re; è uomo di gran
fatica, e perô il re sopra di lui scarica quasi tutti i negozj, confidando
dover aver da questa persona, non molto nobile, più sincera relaziome
e piii sincero parère che dagf altri due.... » (Relation d'Antonio Tiepolo,
de 4572, Relazioni, etc., série I, t. V, p. 218.)
(*) Au mois de novembre 4566.
(*] Au commencement de 4568. .Dans une lettre du 47 avril de cette
année au cardinal Alessandrino, rarchevéque de Rossano, nonce de
Pie V à Madrid, lui fait part de la gratitude du président d'Espinosa
pour sa promotion à la dignité de cardinal, et du plaisir que le roi aussi
en éprouve.
(») L'archevêque de Rossano mandait au cardinal Alessandrino, le
4«'' mai 4568, que le roi avait nommé le cardinal d'Espinosa évéque de
SÎgflenza, avec réserve d'une pension de 3,000 ducats pour lui, cardinal
Alessandrino : ce qui n'empêcherait pas qu'il ne restât encore à Espinosa
4 00 écus à dépenser par jour.
(♦) Dtjà le 26 janvier 4567, le garde des sceaux Tisnacq écrivait au
président Viglius : « Et se dict vulgairement qu'il (Espinosa) a heu,
« contre l'expectation commune, beaucoup de bonheur en peu de
« temps. » Le 25 mai 4568, c'était bien autre chose: « Le président»
« naguère cardinal, lui mandait-il, est évesque de Sigûenza, et s'entent
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CHAPITRE IX. 249
Un autre personnage qui avait aussi beaucoup d'in-
fluence était Févêque de Cuenca, confesseur du roi.
Fray Bemardo^ qui avait pris le nom de Fresneda,
du lieu de sa naissance (il était de si basse extraction
qu'on ne connaissait aucun de ses parents), apparte-
nait à l'ordre de Saint-François. Il était devenu le
confesseur de Philippe II, par la protection de Ruy
Gomez, alors que le fils de Charles-Quint n'était encore
que prince des Asturies. Son ambition n'avait pas de
bornes.* Bien différent en cela de Ruy Gomez, qui
jamais ne se targuait de la faveur du roi, et qui évi-
tait jusqu'aux occasions de se montrer en public ('j,
il aimait à faire parade de son crédit ; il était heureux
de voir que chacun lui rendît honneur. Comme il
avait le privilège d'entrer dans tous les conseils f), il
n'y avait pas de choses dont il ne cherchât à s'entre-
mettre. Il avait de l'esprit et discourait bien de la
plupart des matières, mais il était peu versé dans les
tf que le pape le dispense pour demeurer icy en court à ses charges;
« ET EN AURA PROU. •
(') i^ Huy Gomez.... ne* suoi ragionamenti non si vanta mai délia
grazia ch* egli abbia col re. Dai luogbi pubblici sta lonlano più che tutti
gli allri, ne si vede ch' egli cfaerchi di lasciarsi veder al volgo, per
godere di quelle che sogliono goder volentiéri gli uomini vani.... •
(Relation d'Antonio Tiepolo, de 4572, déjà citée, p. 219.)
(*) C'était surtout pour la décharge de sa conscience, que Philippe H
avait donné à son confesseur l'entrée dans tous les conseils : « Quesla
« sua devozione è una deile principali cause che gli ha fatto porre il
a reverendissimo vescovo di Cuenca suo confessore in tutti i consigli,
« e volerlo présente iu tutte li deliberazioni per discarico délia sua
« coscienza, parendogli che essendo quelle présente, e dicendo lui la
« opinione sua in lulti i negozi, lei non debba restar caricata di alcuna
« operazione. »> (Relation de Giovanni Soranzo, déjà citée, p. ii%)
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250 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
affaires d'État. Le roi faisait grand cas de lui, et le
consultait très souvent ('). A la dignité épiscopale et à
la charge éminente de confesseur il réunissait les
fonctions de commissaire de la cruzada (^) ; en l'ab-
sence de l'archevêque Valdès, il le suppléait comme
inquisiteur général, et il remplissait l'office de grand
chapelain, quand rarchevéque de Saint -Jacques
n'était pas à la cour (').
Après les ministres qui viennent d'être nommés,
le comte de Feria, le prieur don Antonio de Tolède,
beau-frère du duc d'AIbe, et don Juan Manrique
étaient ceux auxquels le roi accordait le plus de
confiance.
(*) « .... Il confessore del re,.... quanto si possa immaginar ambizioso,
onde facilmente abbracia quanti negozi gli veogooo proposti, o s'inlro-
mette in moite cose, desiderando che si conosca quanto vaglia e possa ...
(Relation de Paolo Tiepolo, déjà citée, p. 68.) •— « 11 vescovo di Guenca,
confessore di S. M., frate deir ordine di S. Francesco, nominato fra
Bernardo di Fresneda. nato in delto luogo di Gastiglia cosi bassaroente
cbenon vien nominato alcuu suo parente, è ascesoin tanta grandezza
cori Ja sua buona fortuna e con Tajuto e favore di Ruy Gomez, il quale
lo fece accettare da S. M. per confessore mentre era principe. Ê ambi-
ziosissimo, s'intromette in tutti i negozi, entra in tutti i cousigli, ed ba
molto piacere d'esser fatto capo in tutte le cose e d'esser molto onorato
da tutti.... Ha nome di saper poco, e particolarmenle dei maneggi di
Stato.... 11 re lo stima molto, comunicando con lui tutte le cose, e
spesFC voile lo vuole in caméra solo, e con lui sta lungamente. L'autorità
e grandezza sua ogni giorno va crescendo..-. » [Relation de Giovanni
Soranzo, déjà citée, p. 90.) — « .... 11 vescovo di' Guenca, confessore
di S. M., cbe entra nei consigli : persona d*iugegno vivo, e cbe intende e
discorre bene délie materie. Ha servito assai, e per le sue mani passano
moltissime faccende.... » (Relation de Sigismondo Cavalli déjà citée,
p. 481.)
(*) Nous donnerons, dans le cliap. XI, quelques détails sur ce subside
dont les rois d'Espagne jouissaient en vertu de bulles des papes.
(•) Relation de Giovanni Soranzo.
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CHAPITRE IX. 251
Sur les matières de droit publie et les questions
litigieuses^ il prenait habituellement l'avis du doeteur
Martin de Velasco ('), des conseils de Castille, de la
càmara et des finances, qu'Antonio Ferez appelle
c< une grave personne de ce temps-là ("). »
Il ne présidait que très-rarement son consejl ; il en
expliqua la raison à Antonio Ferez, un jour qu'il
discourait familièrement avec lui : <c Vous saurez,
« Antonio Ferez, lui dit-il, que l'empereur, mon
c< seigneur, me donna sur ce point un avis tout à
« fait en particulier ; il me dit qu'un roi ne devait
c( pas tenir en sa présence les conseils d'État, mais
« bien ceux de guerre, lorsqu'il était en campagne,
« parce que, dans les dangers de la guerre, la prê-
te sence du prince calme et modère, excite et anime
c( les plus et les moins courageux. Dans les conseils
« d'État il en est tout autrement. Si le prince y
« assiste, les conseillers ne découvrent pas autant
« leurs intentions et leurs fins : chose de grande
« importance pour le succès des résolutions que pren-
« nent les princes. Mais cela s'entend en ce sens, que
« le prince a un serviteur fidèle et dévoué, qui lui
« rapporte tout ce qui se passe Q. » Et ce « serviteur
0) « .... Si serre anco spessissimo il re dei coosigli del dottor Velasco,
massime quando occorre trattar io jure e far scrilture d'importanza in
cose ardue, per esser grandissime valentuomo e gran jurista.... » [Rela-
tion de Sîgismondo Gavalli, déjà citée, p. 482.)
(•) « Grave persona de nuestros tiempos.... » [Obrcu y relaciones,
p. 71, édition de 4 63i:)
(') Antonio Ferez, Obras y rel&ciones, p. 449.
Tout le monde n'en jugeait pas à cet égard comme Philippe II. L'am-
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252 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
« fidèle et dévoué, » Philippe l'avait alors dans la
personne d'Antonio Ferez lui-même; il l'avait égale-
ment en Gabriel de Zayas, son autre secrétaire d'État,
comme il l'avait eu , avant eux , en Gonzalo Ferez,
père d'Antonio.
Il exigeait, d'ailleurs, de ses secrétaires une abné-
gation égale à leur dévouement. Ils ne pouvaient
penser que par lui et pour lui. Les lettres particu-
lières qui leur étaient écrites, ou qu'ils écrivaient,
devaient être mises sous ses yeux, aussi bien que les
dépêches ofBcielles.
Il voulait surtout que ceux que leur charge rendait
dépositaires des secrets de l'État, eussent une conduite
et des mœurs qui fussent des garants de leur discré-
tion : par ce motif, à la mort de Gonzalo Ferez ('), il
hésita à donner sa place à son fils, malgré la bonne
opinion qu'il avait de ses talents et les recommanda-
tions instantes du prince d'Eboli; sa répugnance se
fondait sur ce qu'Antonio était jeune encore, répandu
dans le monde et dissipé Q. Aussi ne connaissait-on
pas de cour, en Europe, où il fût plus diflîcile de
pénétrer les mystères de la politique qu'à celle de
bassadeur vénitien Lorenzo Priuli, dans la relation qu'il lut au sénat,
le 28 juin 4576, signale avec détail les inconvénients graves qui résul-
taient, pour la bonne expédition des affaires, de la règle que s*était faite
ce monarque, de ne point assister aux assemblées de son conseil.
Voy. iielazioni degli ambasciatori veneti, série I, t. V, p. 253.
(*) Au mois d'avril 4566.
(') « No le diô, luego que vacô, el ofîcio a Antonio Perez, por ser moço
derramado, i querria el rey gran virtud i recogimiento en los ministres
i oficiales participantes à sus secrètes. » (Gabreba, liv. VII, chap. Vil,
p. 443.)
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CHAPITRE IX. 263
Madrid ; les choses même qui auraient pu être divul-
guées sans le moindre inconvénient, restaient ense-
velies par les ministres dans le silence le plus pro-
fond ('). C'était un sujet de grand désappointement
pour les diplomates.
On citerait bien peu de souverains qui aient autant
travaillé que Philippe II dans le cabinet. Les dépê-
ches de ses ambassadeurs et de ses vice -rois, les
rapports de ses ministres, les consultes de ses conseils,
les mémoires et requêtes des particuliers, il voulait
tout lire, et il apostillait tout de sa main ; il revoyait
et corrigeait les minutes de ses secrétaires f ). Il avait
établi pour règle que la moindre décision devait être
revêtue de sa signature ; l'ambassadeur vénitien Gio-
vanni Soranzo mentionne jusqu'à des cédules accor-
(') Voy., dans les Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-
Quint et Philippe U, pp. 224 et 243, ce que disaient là-dessus Tommaso
Gontarini en 4593, et Francesco Vendraroino en 4595. Le système de
silence qu'ils avaient trouvé en vigueur à la cour de Madrid y avait été
pratiqué de tout temps sous le règne de Philippe II. Lors des troubles
des Pays-Bas en 4566, le S' de Fourquevaulx, ambassadeur de France à
Madrid, avait été particulièrement chargé par Charles IX de s'enquérir
de ce qu'il y avait de vrai dans l'intention, attribuée au roi d'Espagne,
de passer en Flandre et de confier la régence de ses royaumes à la reine-
Elisabeth, sa femme. Fourquevaulx répondit à son souverain quMl
n'était pas facile de le satisfaire : a car — lui disait-il — au conseil de
« guerre n*entrent sinon le duc d'Albe, Ruy Gomez, don Jehan Man-
« rique, le prieur don Antonio et un secrétaire d'État, desquels on ne
« saurait arracher une parole de ce qu'ils arrestent entre eulx, et moins
• de ce qui est résolu par le roy. » (Histoire d'Elisabeth de Valois, par
M. le marquis Du Prat, p. 244.)
(') Voy., à ce sujet, dans la Correspondance de Philippe II sur les
affaires des Pays-Bas, t. IV, p. 494, une lettre très-curieuse du garde
des sceaux Hopperus au conseil d'État des Pays-Bas.
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254 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
dant vingt ducats de gratiGcation, jusqu'à des permis-
sions telles que d'exporter un cheval des royaumes
d'Espagne^ auxquelles 11 fallait qu'elle fût apposée (^).
Cette application infatigable au travail, cette volonté
de connaître et de décider des questions même les
moins importantes, ne tournait pas à l'avantage de la
chose publique : au contraire, l'expédition des affaires
en souffrait considérablement ; souvent , quand une
décision était prise, elle arrivait trop tard. C'est ce
qui faisait dire à un autre diplomate vénitien que rien
n'était insupportable comme de négocier à la cour de
Madrid Q.
Il était doué d'un bon jugement et d'une mémoire
heureuse; il avait des notions de géographie, d'his-
toire, de mathématiques ; il possédait plusieurs lan-
gues ; il aimait les arts : les soins que s'était donnés
le savant Siliceo, son maître, pour former son intelli-
gence, n'avaient pas été employés sans succès. Mais il
avait un défaut qui lui aurait fait perdre le fruit des
plus belles qualités, défaut d'une gravité extrême dans
le chef d'une grande monarchie : il ne savait pas pren-
dre un parti; il consultait, il délibérait, alors qu'il
aurait fallu agir. Thomas Perrenot, seigneur de Chan-
tonay , qui le connaissait bien, n'écrivait pas sans raison
au cardinal de Granvelle, son frère : « Quant à nostre
(*) Relazioni degli ambasciatori veneti, série L t. V,p. 446.
(') « .... Non potendo S. M. supplire a tatte le cose, vengono taoto
ritardate le espedt2iooi, cbe tutto si fa fuori di tempo, ed è cosa insop-
portabile negoziar a quella corte.... » (Relation de Lorenzo Priuli, de
4576, dans les Relazioni, etc., série 1, t. V, p. 255.)
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CHAPITRE IX. 255
a maistre, tout va de demain à demain^ et la prinei*
« pale résolution en toutes choses est de demeurer
« perpétuellement irrésolu (*). » Cette indécision dans
le caractère fut cause de presque tous les malheurs de
son règne.
Dans ses rapports avec les souverains étrangers, il
faisait profession d'être observateur scrupuleux de sa
parole Q).
Nous avons dit, en l'un des précédents chapitres,
qu'il abhorrait la guerre ; il ne l'avait faite, au com-
mencement de son règne, que parce qu'il y avait été
forcé. Aussi s'empressa-t-il de traiter avec le pape
Paul lY à des conditions si peu honorables pour lui
que Charles-Quint, alors retiré dans le monastère de
Yuste, ne put s'empêcher d'en témoigner tout haut
son mécontentement (*); et, après les victoires de
Saint-Quentin et de Gravelines, qui avaient frappé la
France de terreur, il ne songea qu'à entrer en accom-
modement avec Henri II (*). Rien n'était plus opposé
(^) Lettre du 6 octobre 4563, dans les Papiers d'État du cardinal de
Granvelle, t. IX, p 568.
(*) « S. M. fa proressione dresser osservantissima délia sua parole,
ne fin qui si è veduto che abbia mancato a* principi di quanto loro ha
promesse.... » (Relation de Sigismondo Cavalli, déjà citée, p. 492.)
Voy. Retraite et mort de Charles^Quint au monastère de Yuste,
1. 1, pp. 228 et 245; t. H, pp. 304 et 306.
(*] Les négociations se ressentirent du vif désir de Philippe II de
conclure la paix. Granvelle écrivait, de Cercamp, le 2 novembre 4558,
au confesseur du roi : «< sea por nuestros peccados, 6, porque assî lo
« quiere Dios, por otra cosa, no andan estes Franceses camino (si no se
« mudan) de hacer paces, y deve nos daiiar haver elles entendido la
« gana que délias tenemos, y nos la querrian vendercara.... » (Papiers
d'État du cardinal de Granvelle, t. V, p. 354.)
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256 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
à ses penchants que cette ambition, ce désir de gloire
dont Fempereur avait élé possédé, et qui Favait fait
s'engager dans de si grandes entreprises. Le mou-
vement, les fatigues répugnaient à sa nature. Il se
souciait moins d'augmenter ses États que de les
conserver (^).
Si le soin d'entretenir la paix avec ses voisins for-
mait l'une des bases de son système politique, et s'il
voyait avec déplaisir toute altération de l'ordre de
choses existant en Europe (~), il y avait un point qui
faisait plus particulièrement encore l'objet de ses pré-
occupations : c'était le maintien, dans toute leur
pureté, dans toute leur intégrité^ du dogme catholique
et de l'autorité du saint-siége en matière de foi. Animé
pour la religion d'un zèle qu'il poussait jusqu'au fana-
tisme — nous en avons déjà fait la remarque f ) — il
se croyait appelé à être le bouclier de l'Église, dans
un temps où elle était attaquée de toutes parts , et il
était autorisé à le croire par le langage du souverain
pontife lui-même (*). De là les mesures acerbes qu'il
(') o 11 re 6*è Visio, sin dai primi suoi anni, incliDare alla pace, esser
inimico di guerra, non desiderare maggior stato di quello che s*abbia,
e corne in questo è caldissimo ed ardentissimo, cosi in quest*aItro dell*
acquistare esser tepido e forse pieno di ghiaccio. » (Relation d'Antonio
Tiepolo, de 4572, déjà citée, p. 220.)
Dans sa relation de 4576, déjà citée [p. 258), Lorenzo Priuli dit aussi :
« Ha sempre S. M. mostrato Tanimo inclinato a conservargli stati suoi
« con la pace, e non ad amptiarli con la guerra. »
(') « £ nimicissimo di sentir rumori o innovazioni nella cristianità,
ne puô aver maggior dispiacere che quando gli van negozj tali per le
roani. » (Relation de Sigismondo Cavalli, déjà citée, p. 483.)
(») Pag. 57.
(*) Granvelle lui écrivait de Rome, le 23 décembre 4566, au sujet de
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CHAPITRE IX. 257
prit afin que l'hérésie ne pénétrât point ou ne s'étendit
pas dans les provinces soumises à son sceptre ; de là
son intervention dans les discordes religieuses de la
France, qui commença aussitôt après son alliance avec
la maison de Valois et ne finit en quelque sorte qu'avec
sa vie ; de là encore l'opposition énergique qu'il fit, à
Vienne et à Rome, aux vues de l'empereur Maximi-
lien II concernant le mariage des prêtres Q) ; de là
enfin cette invasion de l'Angleterre préméditée dès le
principe de son règne, quoiqu'il n'ait essayé de la
réaliser que longtemps après.
11 ne faudrait pas croire toutefois que son dévoue-
ment au saint- siège fût entièrement désintéressé :
les cruzadas^ les subsides sur le clergé et les autres
grâces ecclésiastiques qu'il en obtenait, sous prétexte
de faire la guerre aux Turcs , lui valaient chaque
Pie V :« El qaiere muy liernamenle â V. M. y entiende, y lo dice mucbas
• vezes, que es V. M. la sola columna y fundameoto de la religion. »
[Correspondance de Philippe II $ur les affaires des Pays-Bas, t. II,
p. LVIII.)
Le DODce de Pie Va Madrid, Tarchevêque de Rossano, rendant compte
au cardinal Alessandrino, dans une dépêche du 28 septembre 4567,
d^une conversation qu'il avait eue avec Philippe II, lui rapportait ainsi
le langage du roi : « Ghe conosce Tobbligo che io gi'havea detto che tiene
« a uostro signore Dio, poichè pare che habbia permesso che in Sua
« Maestà sola si posi hormai ogni speranza délia defensione et restau-
« ratione délia religione cattolica, e che cercarà di non esser ingrate di
a questo favore che Tomnipotente Dio fa più a Sua Maestà che a gral-
a iri principi sccolari.... »— Voy., dans les Relazioni degli ambasciatori
veneti, série 1 , t. V, pp. 62, 329 et 367, ce que disent, à ce sujet, Paolo
Tiepoio, Gioan Francesco Morosini et Matteo Zane.
(') Voy. le t. IX des Papiers d*Ètat du cardinal ae Granvelle, et
notamment la lettre de Philippe II au seigneur de Chanlonay, son
ambassadeur, du 34 mars 4565.
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258 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
année plusieurs millions d'or; il avait besoin aussi
d'être bien avec la cour de Rome pour la sécurité de
ses Étals d'Italie. Ce dévouement n'empêchait pas
d'ailleurs que, dans les occasions, il ne Ht sentir sa
. domination à l'Église, car il prétendait que le clergé lui
fût soumis comme tous les autres ordres de citoyens :
rien ne fut plus fréquent, sous son règne, à Milan, à
Naples, en Sicile, que les conflits de juridiction ecclé-
siastique entre ses ministres et ceux du souverain
pontife. Dans les Pays-Bas il Gt promulguer une prag-
matique aux termes de laquelle nulles bulles, provi-
sions ni autres dépêches ou impétrations de Rome
ou des légats et nonces apostoliques ne pouvaient
être reçues et mises à exécution qu'après avoir été
vues eiplacéteesi^SiTle conseil privé ou le conseil sou-
verain de Brabant(^). En Espagne, son conseil s'attri-
buait le pouvoir d'admettre, de rejeter, de modifier les
ordres et les décrets pontificaux : là l'alcade ou le
corrégidor qui n'avait pas été excommunié au moins
pendant dix mois n'était pas réputé bon ministre ; on
tenait pour le meilleur celui qui s'opposait le plus
aux prétentions de la cour de Rome (^). C'est par ces
procédés , ainsi que l'a dit un écrivain français dans
une magnifique étude sur la politique religieuse de
(^) Cette pragmatique est de Tannée 1574. — Voy. Lotbns, Tractatus
de curia Brabantiae, p. 287, et Van Espen, Opéra omnia, t. I, p. 567.
(') « Non è tenuto per buon ministre queir alcalde o corrégidor che
non sia stalo almeno dieci mesi scomunicato, e quello è tenuto per
meglior ministro che fa maggior forza contra la giurisdizione eoclesias-
tica.... (Relation d'Agostino Nani, de 4598, dans les Relazioni, etc.,
série I, t. V, p. 485.)
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CHAPITRE IX. 259
Philippe II ('), qu'il acheva de façonner tout le clergé
de la péninsule en instrument ardent et docile de l'au-
torité royale.
Il gouvernait l'Espagne, selon l'expression d'un
diplomate vénitien, avec une verge de fer (^). Un jour
le cardinal archevêque de Séville lui dit que. d'après
les rapports des confesseurs, tous les pénitents fai-
saient entendre des plaintes contre lui : il répondit
que, puisqu'ils avaient la langue libre, il était bien
qu'ils eussent les mains liées (^).
Sous ses prédécesseurs, l'ambition des grands avait
plus d'une fois causé des troubles dans la monarchie
et tenu en échec le pouvoir royal; il prit à tâche,
pendant tout son règne, de les abaisser, les écartant
avec soin des charges principales de l'État, les sou-
mettant à la juridiction des tribunaux du royaume
comme les moindres de ses sujets : on raconte même
que, si quelqu'un d'eux s'enrichissait par la sagesse
de sa conduite ou par quelque événement heureux,
il cherchait à lui faire faire de la dépense, afin qu'il se
ruinât (*). Il fit cesser, par des poursuites et des peines
(*) M. le vicomte de Mbaux. Voy. Le Correspondant , année 1860,
t. XLIX, pp. 221 et suiv., t. L, p. 666 et suiv.
(') « Governail re questi popoli di CastigUa con virga ferrea.» (Rela-
tion de Gioan Francesco Morosini, déjà citée, p. 293.)
P) « 11 cardinal di Siviglia disse alla M. S. che i confessori gli riferi-
vano, tutti i penitenti essere mal contenti di lei , ed essa rispose che
poichè avevano sciolta la lingua, era beoe che avessero legate le mani. >»
(Relation d'Âgostino Nani, déjà citée, p. 488.)
(*) • Di questi grandi si serve il re manco che puô, anzi procura di
tenerli bassi per ogni verso, e quando alcuno di essi, o per buon
governo o per buona fortuna, diventa daooroso, procura il re dargli occa-
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260 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
sévères^ les divisions qu'entretenait dans plusieurs
provinces la rivalité séculaire de familles puissantes,
les Zûiiiga et les Carabajal à Plasencia. les Chaves et
les Vargas à Truxillo, les Avila et les Villavicencio à
Xerez, les Médina Sidonia et les d'Arcos à Séville, les
Agramontais et les Beaumontais en Navarre, les Onez
et les Gamboa en Biscaye (').
Dans les choses qui régardaient l'intérieur de son
palais, de même que dans les affaires de son empire,
il voulait être le maître absolu. Le châtiment qu'il
infligea au duc d'Albe Q, à la stupéfaction de toute
sionedi spendere, per tenerlo estenuato. .. Sono questi grandi e signori
sottoposli alla giustizia del regno nienle meoo che il più abietto e più
basso uomo della plèbe.... » (Relation de Gioan Francesco Morisini, déjà
citée, pp. 289 et 290.)
Déjà, en 4565, Giovanni Soranzo signalait en ces termes les inten-
tions du roi à Tégard des grands : « Avendo S. M. graodissimo desiderio
« di levare le grandezze e autorità che lianno i signori di Spagna, onde
(c cerca quanto puè ogni occasione per abbatterli edomiuare quella
« provincia con altra maniera ed altro imperio di quelle che hanno
« fallo i suoi predecessori.... » (Relation déjà citée, p. 96.)
(») Cabrkra, liv. V, chap. XVIl, p. 273.
(') En décembre 4578. Le duc d*Albe fut relégué à Uzeda, d'où le roi
ne le rappela qu'en 4580, lorsqu'il eut besoin de lui pour commander
Tarmée destinée à entrer en Portugal. Voy. la Coleccion de documentos
inéditoupara la historiade Espana, t. VU, pp 464el suiv., et Herrera,
Historia gênerai del mundo, partie II, liv. IX, chap. Xlï.
Une des pièces les plus curieuses publiées dans la Coleccion de
documentos est, sans contredit, un billet du président du conseil de
Castille Pazos, en date du 26 novembre 4578, où il rend compte au roi
d'une conversation qu'il a eue avec le duc d'Albe sur Tafifaire de son fils :
« Il me dit avec quelque colère : Qua veut S, M. faire de noua autres ?
a Veut-elle nous faire couper la télé? Elle le peut, ou nous chasser
« dHci ; nous irons en d'autres états ou royaumes. Celui qui tant de
tt fois exposa sa vie pour le service de S, M,, ne devait pas s'attendre
« à une telle injure, » Il sgouta que le président était obligé, en
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CHAPITRE IX. 26-1
l'Espagne, parce que don Fadrique, son fils, n'avait
pas tenu ses engagements envers dofia Madalena de
Guzman, dame de la reine Anne, en est un témoignage
éclatant. Il n'y avait personne, en Castille, si élevé
que fût sa naissance ou son rang, qui, au moindre
signe d'un alguazil le touchant de sa baguette au nom
du roi, n'allât de soi-même se constituer prisonnier (*).
On ne saurait contester qu'il ne fût grand zélateur
de la justice Q : sa maxime était qu'elle devait être
égale pour tous, pour les humbles comme pour les
puissants, pour les pauvres comme pour les riches (^),
et il apportait la plus scrupuleuse attention dans le
coDscience, de conseiller au roi de ne plus se mêler de cette affaire et
de la remettre au juge ecclésiastique ; que la justice le voulait ainsi,
qu'on ne devait pas plus la lui dénier qu'au plus pauvre vassal, qu'il la
demanderait en conseil , et il répéta : Que le roi nous fasse couper la
tête. Le président lui répondit qu'il n'y avait pas matière à couper tant de
létes. Il répliqua : Ce que S. M. fait est plus que de nous les couper, etc.
('] C'est la remarque que fait l'ambassadeur vénitien Morosini, dans
sa relation de 45S4 : « Non s'ha alcuno cbe ad un minimocenno d'un-
aguzzino, cosi detto da loro, che con una bacchetta li tocca a nome del
re, non vadino a porsi prigione da per se. » (Voy. Bulletins de la
commission royale d'hitoire de Belgique, 2* série, t. IX, p. 84.)
La même observation est contenue dans la relation faite, en 4563,
par Paolo Tiepalo : « Vien pero esercitata la giustizia con grande e
mirabil favore, percbè senza adoperar la lorza e moltitudine di officiali,
un solo esecutore^ il quale si conosce per certa bacchetta che porta in
mano, è sufficiente a metter quai si voglia in prigione. .. » [Belazioni
degli ambasciatori veneti, série 1, t. V, p. 20.)
(*) « La giustizia gIièraccommandatissima,« dit Paolo Tiepolo, dans
sa relation de 4563, p. 62.
La plupart des autres ambassadeurs vénitiens rendent hommage au
zèle de Philippe 11 pour la justice.
(') « .... Fué en el hazer justicia tan libre éigual que.... la prontitud
del castigo igualaba los ricos â los pobres, los poderosos à los humil-
des.... » (Cabrera, liv. X, chap. V, p. 736 )
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262 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
choix des magistrats appelés à la rendre. Il faisait régu-
lièrement visiter les tribunaux de ses royaumes, afin de
s'assurer que tout s'y passait conformément aux lois,
et de contenir chacun de ses officiers dans les bornes
du devoir Q) ; il visita lui-même, un jour, le conseil
suprême de Castille, remplissant à la fois l'office de juge
et celui de secrétaire Q. Une foule d'ordonnances éma-
nées de lui attestent sa sollicitude pour cette branche
importante de l'administration publique. Ses ministres
s'inspirant de ses pensées, tous les délits étaient l'objet
d'une prompte répression. Aussi le nombre en diminua
beaucoup sous son règne, et l'on pouvait, en toute sécu-
rité, dans la Vieille et la Nouvelle Castille, voyager la
nuit aussi bien que le jour, tandis que l'Aragon, le
royaume de Valence et de Catalogne , où les fueros
mettaient des restrictions à son autorité, étaient infestés
de brigands et de voleurs de grands chemins Q).
Trop de faits ont prouvé son insensibilité, sa dureté
de cœur, pour qu'elle puisse être mise en doute :
(^) « Siempre tuvo este rey por coDstaote que era grande remedio
para la conservacion de la justicia el de las visitas, » dit Hebrera,
Historia gênerai del mundo, part. II, liv. XI, chap. VIII, p. 448, édit.
de 4606.
Cabrera appelle les visites qu'ordonnait Philippe M, « remedio de las
« quexas, freno de los oficiales, custodia de las leyes, universal con-
a tento i esperanza de pueblos, indicio mayor de la santa intencion del
« rey catôlico. » {Felipe 11, liv. V, chap. XVII, p. 273.)
(«) Cabrera, liv. XII, chap. XXI, p. 4063.
(■) Relation d'Antonio Tiepolo de 1567, ci-dessus citée.
Le secrétaire Courtewille écrivait au chef et président Viglius,
le 24 mai 4563 : « La justice est icy telle que Ton peult aller par toute
« TEspaigne avecq une bourse en la main, sans que personne osast faire
« oultraige. »
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CHAPITRE IX. 263
disons seulement ici, d'après le témoignage d'un am-
bassadeur qui avait résidé plusieurs années à sa cour,
qu'il ne faisait jamais grâce à un condamné, quoique
la clémence soit la plus belle vertu des rois (^).
Nul ne savait mieux réprimer les mouvements de
son âme : il ne manifestait pas plus une joie extrême,
en apprenant un événement heureux pour sa cou-
ronne, qu'il ne se troublait à la nouvelle d'un désastre,
si grand qu'il fût (^). II ne s'abandonnait point à la
colère Q. Tout en lui était calculé : l'expression du
(*) « Ë di Datura piuttosto severa, per no dire crudele, che aitri-
menti ;... oè si sa che mai ad alcano condanDato abbia fatta grazia
alcuna..... » (Relation de Morosini, déjà citée, p. 324.)
(*) « Modéra con facilita tutti gli afifetti, ne perché Fimpresa dlnghel-
terra gli sia iofeliceroente riuscita, o perché i suoi eserciti abbiano
patito tanti sinistri accidenti in Fiandra, ba4)unto mutato la calma e
uniformità délia fascia.... » (Relation de Tommaso Contarini, de 4593,
dans les Relazioni, etc., série I, t. V, p. 422.) -— « Vive con Tanimo
cosi giusto e costante, et cosl ben composte, che non mostra mai altera-
zione alcuna per disgracia o avversità che in alcun tempo gli soprav-
venga.... >» (Relation de Francesco Vendramino, de4ô95, ibid., p. 445.)
Dans une Vie de Philippe H, attribuée sans raison à Antonio Ferez
(MS. Bb 422 de la Bibliothèque nationale, à Madrid), Tauteur rapporte,
comme preuves de la modestie de ce monarque dans la prospérité et de
sa constance dans Tadversité, qu'à la nouvelle de la victoire de Lépante,
i] ne changea point de visage et dit ces seules paroles : Mucho ha aven-
turado don Juan (don Juan a risqué beaucoup), et que, quand ou lui
apprit le désastre de Tinvincible armada, il répondit, avec la même
tranquillité : Contra los hombres la embié, no contra los vientos y la mar
(je Tavais envoyée contre les hommes, et non contre les vents et la
mer).
Voy. aussi les Relations des ambassadeurs vénitiens, etc., p. lxxi.
(') « .... Ut quantumcumque pius ipse, démens et taciturnus sit, nec
unquam animi irati vel minimam dederit significationem.... » (Lettre
d'Hopperus à Vi gli us, du 30 mai 4567, dans Joach Hopperi Epistolae,
p, 428.)
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264 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
visage aussi bien que les paroles. II ne faisait et ne
disait rien sans l'avoir pesé, et, ce que dans les autres
on aurait regardé comme fortuit, était réglé et combiné
par lui avec réflexion Q). On peut juger de sa sincé-
rité et de sa franchise par cette maxime que rapporte
de lui l'ambassadeur Fourquevaulx : a qu'il estoit
« d'opinion que les grands princes qui dient ouverte-
« ment qu'ils fairont quelque chose concernant leur
« service , que c'est en intention de ne le faire
« point f). » Un autre diplomate le peignait parfaite-
ment en deux mots, lorsqu'il disait que c'était a un
« seigneur et prince plein d'artifice, et père, pour
ce ainsi parler, de la dissimulation f). »
Il ne se familiarisait avec aucun de ses serviteurs,
pas même avec les plus anciens et les plus intimes,
mais il conservait toujours la gravité inséparable, à
ses yeux, de la dignité royale (*) : différent encore.
(^) « .... Non esce mai parola délia sua bocca, ne atlo alcuDO délia
sua persoDa, che dod sia molto bene pondéra to e pesato, sicchè aoco
quelle cose che in altri sono giudicale fortuite, in S. M. sono regolate e
moderate da una incomparabile prudenza ...» (Relation de Tommaso
Contarinif de 4593, dans les Relations des ambassadeurs venHknSf etc.,
p. 223.)
(*] Lettre du 8 mai 4368 à Catherine de Médicis.
Le secrétaire Courtewille, écrivant, le 30 décembre 4564, au chef et
président Viglius, lui marquait que la nécessité du voyage du roi aux
Pays-Bas l'engagerait probablement à ne plus le différer, et, ajou-
tait-il, « ce que S. M. n'en fait semblant nous fait croire que tant plus
« est-elle d'intention d'y aller. »
(^) « .... 11 quale è signore e prencipe pieno di artificio, et padre, si
puô dire, délie simulationi.... » (Relation de Francesco Vendramino,
dans les Relouions des ambassadeurs vënUiens, p. 247.)
(*) Relation d'Antonio Tiepolo de 4567, déjà citée, p. 455,
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CHAPITRE IX. 265
en cela, de Charles-Quint, à qui il arrivait souvent
de plaisanter avec les officiers de sa chambre, surtout
avec le baron de Montfalconnet , l'un de ses maîtres
d'hôtel, dont il aimait les saillies, pleines de vivacité
et de finesse (').
Il supportait beaucoup de ceux qui le servaient,
et prêtait difficilement l'oreille aux accusations diri-
gées contre eux; il les défendait même, afin que le
prestige de l'autorité ne souffrît point des fautes
imputées à ceux qui en étaient les dépositaires. Mais
quand l'un de ses ministres ou de ses agents avait
encouru sa disgrâce, jamais plus il ne lui rendait sa
faveur Q.
Il n'oubliait et ne pardonnait point les injures. Il
savait toutefois dissimuler son ressentiment et en
suspendre les effets jusqu'à ce qu'il trouvât une
occasion opportune de le faire éclater : c'est pourquoi
l'on disait en Espagne que, du sourire du roi au
(') Relation de Marioo Cavalli sur Charles-Quint, dans Les monuments
de la diplomatie vénitienne, p. 409.
(*) « Da quelli che lo servono sopporta moite cose, e spesso le di fende,
se ben son fatte senza suo ordine, per non diminuir la riputazione e
autorità de' suoi magistruli : ma quando finalmente ne piglia uno in
disgrazia, mai più lo rimette o gli perdona. » (Relation de Sigismondo
Cavalli, déjà citée, p. 483.)
Lorenzo Priuli, dans sa relation déjà citée (p. 271) , dit aussi : « Nei
« suoi ministri comporta e sopporta il re moite imperfezioni, anco a
o maleficio délie cose sue medesime.... »
Paolo Tiepolo avait dit avant eux : « A imitazione del padre, permette
« moite cose a' suoi ministri, per non levar loro il crédite e la reputa-
« zione, ne solamente manca di casligarli, ma ancora di mostrar pur un
« minime segno d'alterazion^ contra loro.... «(Relation déjà citée, p. 63.)
Voy. aussi Cabkera, liv. XII, chap. XXI, p. 4063.
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266 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
couteau, il n'y avait d'autre distance que l'épaisseur
du couteau ('). S'il ne se pressait pas de frapper ceux
qu'il prenait en haine, une fois qu'il avait commencé
de les persécuter, il ne s'arrêtait plus ; sa vengeance
était implacable Q.
Tel était le souverain qui disposait des destinées
de vingt nations diverses; tel était le père de don
Carlos.
Philippe II ne pouvait voir, avec indifférence, ni
les excès de bouche que faisait son fils et qui détrui-
saient sa santé, ni les extravagances et les brutalités
auxquelles il se livrait et qui compromettaient sa
dignité autant que sa réputation. Il l'en reprenait
fréquemment, et même avec sévérité. L'orgueil du
(^) « .... Ë molto veodicativo, ne si scorda facilemeote riogiurie, ma
sa coprire molto bene i suoi afifetti, procedendo sempre con gran
flemma ; di maniera che dicono in Spagna, per proverbio, che dal riso
del re al coltello non vi sia distanza alcuna, perché se bene avrà deter-
minato di castigar uno, venendo gli colui dinanzi, gli mostrerà quella
medesima cera che faceva prima.... • (Relation de Giovan Francesco
Morosini, déjà citée, p. 324.^ — « Vale moKo il re in dissimulare e tener
nascoste le passioni dell' animo suo; ma Tartificio non basta perd a
coprire Tintimo deir afifetto, essendosi sempre S. M. dimostrata ricorde-
voie deir ingiurie ricevute e difficile al perdonare.... » (Relation de
Matteo Zane, déjà citée, p. 362.)
Cabrera dit, de même que Tambassadeur Morosini dans un des pas-
sages de son histoire, « que de su risa al cuchillo avia poca distancia •
(liv. X, chap. V, p. 736). Il dit ailleurs : « Su risa i cuchillo eran con-
a fines » iliv. VII, chap. XXII, p. 474).
Et Antonio Ferez : « No hay dos dedos de su risa al cuchillo.... »
(Retrato, pp. 24, 216.)
(') « Ha questa natura e proprietà il re, che non si presto piglia in
odio alcuno, non lo castiga o fa vendetta ; ma quando entra in una di
queste vie, segue innanzi senz* alcuna remissione. « (Relation de Sigis-
mondo Gavai li, déjà citée, p. 483.)
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CHAPITRE IX. 267
prince se révoltait contre ces observations, qui étaient
chaque fois une cause de nouvelle aigreur entre
eux Q).
De son côté, don Carlos avait des griefs contre le
roi : il se rappelait que son père, à Tâge de seize ans,
avait été investi par l'empereur du gouvernement des
royaumes d'Espagne; il en comptait dix-neuf, et il
n'avait aucun E,tat à régir, aucune charge qui lui
donnât quelque pouvoir. II manifestait, en toute ren-
contre, l'humeur qu'il en ressentait f ). Il attachait
une médiocre valeur à la grâce que le roi lui avait
(*) Saint-Sulpice, ambassadeur de France à Madrid, ayant félicité le
roi de la convalescence de son fils, Philippe le remercia, disant « qu*à
« présent le prince estoit assez bien guéry de sa fiebvre ; adjoustant,
• avecque un soubzrire, qu'il espéroit qu'avec l'advertissement qu'il luy
« faisoit asseg souvent de ne faire plus tant de désordres contre sa
« santé, et avec les inconvéniens de maladye où il retomboit à tout
• coup, il se rendroit, possible, plus saige et plus chastyé pour l'adve-
« nir. » (Lettre de Saint-Sulpice à Charles IX, du 9 septembre 4565.)
~ Era stalo alcuna volta il padre costretto a garrirlo, econ acerbe
reprensioni a mostrargli che a re e a prencipe, corne gli era, non conve-
nivano ne vita ne costumi cosi fatti : di che quel giovane si era fiera-
mente sdegoato.... » (Adbiani, Isloria de' suoi tempi, t. V, p. 435, édit.
de 4823.)
Herbera parle dans le même sens : « Su padre procurava mostrarle
« que à rey ni principe como él era, couvenia tal manera de procéder : *
« de que recibia el principe gran pesadumbre. » [Historia gênerai del
mundo, t. I, liv. X, cbap. II, p. 394, édit. de 4604.)
(*) Fourquevaulx écrivait à Catherine de Médicis, le 24 novembre 4 565 :
« L'on s'apperçoit qu'il s'ennuye de n'avoir desjà quelques grands Estatz
• en son pouvoir, pour y commander. »
Dietrichslein mandait à l'empereur, le 2 janvier 4566 : Le principal
« sujet de plainte que le prince a contre son père, c'est que, malgré
• son âge, il n'a ni commandement ni pouvoir, mais est traité comme
« uo miner annis. » (Koco, Quellen %ur Geschichte des kaisers Maxi-
milianll, p. 454.)
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268 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
faite de l'appeler à siéger au conseil d'État, et ce
n'était pas sans raison : car les grandes questions poli-
tiques, les affaires majeures de la monarchie étaient
rarement soumises aux délibérations de ce conseil ;
le roi les traitait en particulier avec ceux de ses
ministres qui étaient le plus avant dans sa confiance.
Don Carlos avait été destiné, dès son enfance, au
gouvernement des Pays-Bas. La fièvre continue dont
il fut atteint, sa chute à Alcala, les maladies qu'il eut
depuis , n'avaient pas permis , pendant plusieurs
années, qu'il quittât l'Espagne : il était le premier à
le reconnaître. Mais ces obstacles n'existaient plus ; sa
santé était rétablie ; il pouvait aisément supporter les
fatigues du voyage ; pourquoi donc son père ne réa-
lisait-il pas une intention qui était de notoriété
publique en Europe (*)? II s'en offensait et s'en
plaignait avec amertume.
Il était mécontent aussi de ce que le roi différait
de le faire recevoir, comme héritier présomptif de la
couronne, par les corlès d'Aragon, de Catalogne et
de Valence. Enfin il lui en voulait du retard qu'il
apportait dans la conclusion de son mariage avec
rarchiduchesse Anne (^). On a vu qu'il s'était pris
(^) Fourquevaulx nous en dooDe la raison dans une de ses lettres
à Catherine de Médicis (elle est datée du 24 novembre i 565) : « Bien
« des personnes, dit-il, doutent que le roi veuille quitter TEspagne;...
« et moins permettra-t-il que le prince eu sorte sans luy : car c'est un
« jeune personnage sujet à sa teste, et facilement fairoit-il telles choses
« entre les Italiens et les Flamans, dont l'un et l'autre se repenti-
« roient.... »
(') Voy. les lettres du baron de Dietrichstein à Maximilien II, du
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CHAPITRE IX. 269
d'une sorte de passion pour sa cousine^ et sans doute
l'idée qu'en le mariant avec la fille aînée de l'em-
pereur, son père ne pourrait se dispenser de lui
faire la cession ou du moins de le mettre à la tête
de quelqu'un de ses États, n'était pas étrangère à
ce sentiment. Aussi , lorsque Chantonay était parti
pour Vienne, il lui avait recommandé de lui donner
souvent des nouvelles de la famille impériale, mais
surtout de la princesse qu'il regardait comme sa
fiancée Q). Afin de montrer encore plus combein
il était porté pour ce mariage, il se mit à étudier la
langue allemande Q).
On ne s'étonnera pas que, dans les dispositions où
il était, don Carlos blâmât tout ce que faisait le
roi Q ; mais si l'on en croit Brantôme, il poussait plus
22 octobre 4565 et du2 jauvier 4566, dans Eoch, Quellen, etc., pp. U9
et 454.
(') Chantonay se garda bien de satisfaire à ce désir, et surtout de
rinformer des instances que l'empereur et Timpératrice faisaient pour
la conclusion du mariage. (Voy. sa lettre du 34 mars 4565 à Gonzalo
Ferez, dans la Coleccion de documentos inédiloa para la historia de
Espana, t. XXVII, p. 529.)
(*) Son professeur s'appelait Louis Morisot. On lit, dans les comptes
de la maison de don Carlos :
« .... Mas 35,600 maravedis que, por libranza de Rui Gomez fecha en
Madrid, à ùltimo de juuio de 4568, pagô à Luis Morisot, que ensenaba
à S. A. la lengua alemana, por sus gajes desde 4o de julio de 4566, que
comenzé à servir, hasta ùltimo de junio de dicho ano de 4568, à razon
de cièn maravedis al dia.... » (Archives de Simancas, Contadurias
générales, leg. 4054.)
('] « Il resprouve et mesprise communément toutes les actions du
roy son père, » écrivait, le 3 novembre 4565, à Catherine de Médicis le
seigneur de Fourquevaulx, ambassadeur de France à Madrid.
Dietrichstein mande aussi à Tempereur, le 24 jauvier 4566, que le
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270 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
loin encore l'oubli du respect qu'il devait à son père :
<c II fit fère — dit cet écrivain — un livre de papier
« tout en blanc^ et^ par mocquerie^ fit mettre en la
<c subscription et au commencement dudit livre :
« Los grandes viages dei rey don Felipe, et au
« dedans y avoit : El viage de Madrid al Pardo, del
« Pardo al Escurial, del Escurial à Aranges, de
ce Aranges à Tolledo, de Tolledo à Falledolit, de
« Valledolit à Burgos, de Burgos à Madrid, y del
« Pardo â Aranges, de Aranges al Escurial, del
« Escurial â Madrid, etc. ; et ainsi^ de feuillet en
« feuillet, en emplit le livre par telles inscriptions
c< et escriptures ridicules, se mocquant ainsy du roy
« son père et de ses voyages et pourmenades qu'il
ce faisoit en ses maisons de plaisance. Ce que le roy
c< sceut, et en vit le livre, et dont il en fut fort aigry
ce contre luy Q). »
Le mécontentement que don Carlos avait du roi
prenait, de jour en jour , le caractère d'une vérita-
ble aversion; il s'étendait aux ministres et aux ser-
viteurs de son père, à ceux surtout qu'il honorait
particulièrement de sa faveur. On rapporte que,
rencontrant au palais le président du conseil de Cas-
tille, don Diego d'Espinosa, qui avait mis obstacle
à ce qu'un comédien, nommé Cisneros, donnât une
représentation devant lui, il le saisit par le pan
de sa robe, et, mettant la main à son poignard, lui
prince, dans la liberté de ses discours, n'épargne pas ]e roi. (Koch,
QueUen, etc., p. 454.)
(') Œuvres complètes de Brantôme, etc. Paris, 4822, 1. 1, p. 324.
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CHAPITRE IX.
dit avec colère : « Méchant petit prêtre , vous osez
« vous attaquer à moi, en empêchant Gisneros de
« venir me servir ! Par la vie de mon père, je vous
c< tuerai. » On ajoute que, s'il ne se porta point
aux dernières violences, ce fut parce que Espinosa
lui demanda grâce à genoux. Si ce fait est vrai (^),
on peut juger de l'impression qu'il produisit sur
Philippe II.
Les propres officiers de don Carlos étaient, pour
la plupart, mal vus de lui, par la seule raison que
c'était le roi qui les lui avait donnés : on sait déjà
comment il les traitait ; le témoignage de Brantôme
à cet égard est corroboré par celui de l'ambassadeur
de Florence Leonardo de Nobili Q. Du reste, sa tante
elle*même^ la princesse dona Juana, avait souvent à
se plaindre de ses procédés, et s'il montrait quelques
égards à ses cousins, les princes de Hongrie et de
Bohême^ c'était à cause de l'archiduchesse Anne,
leur sœur f ). Une seule personne à la cour se voyait
(1) Nous n*en avons d*autre garant que Cabiuira (liv VII. chap. XXII,
p. 469), et il ne nous inspire pas une entière confiance. On pourrait
croire d^ailleurs , d'après les termes dans lesquels cet historien le
raconte, qu^Ëspinosa était cardinal et évêque, quand don Carlos se
port^ à cette violence envers lui ; ce serait une erreur : Espinosa ne
reçut le chapeau et ne fut pourvu d'un évéché qu'après l'emprisonne-
ment du prince. (Voy. p 248, notes 2 et 3.)
(*] « Infra S. M. e il prencipe è una malissima satisfazione, talmente
che non potendo S. A. dimostrarsi con altro, odia tutti li servitori clie
le ha dado suo padre , e in ogni poca d'occasione da loro e pugni e
minaccia di pugnalarli. » (Lettre de Nobili au duc Cosme de Médicis, du
24 juillet 4567.)
(') C'est l'observation que fait Dietrichstein dans uoelettre du 26 sep-
tembre 4565, à Maximilien II. Voy. Koch, Quelîen, etc., p. 448.
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272 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
l'objet de ses déférences et de ses hommages : c'était
la reine Q).
Catherine de Médicis, en se séparant de sa fille,
n'avait certainement pas oublié de lui faire sentir
combien il lui importait de captiver la bienveillance
du prince d'Espagne. Il était naturel de supposer que
don Carlos survivrait à son père, et le sort d'Elisa-
beth, celui des enfants qu'elle aurait eus du roi, se
seraient alors trouvés en ses mains. Un autre motif
encore faisait désirer à Catherine que sa fille pût
prendre de l'ascendant sur le prince : c'était le projet
qu'elle avait conçu, et qu'elle poursuivit, on l'a vu,
avec tant d'insistance, de marier Marguerite, son autre
fille, avec l'héritier de la monarchie espagnole.
Hâtons-nous de le dire : la bonté, la générosité
innées d'Elisabeth furent, bien plus que des calculs
d'intérêt personnel, le mobile de sa conduite envers
le* prince son beau-fils. A son arrivée en Espagne,
elle trouva don Carlos en proie à un mal qui le
minait : elle compatit à sa situation ; elle s'efforça de
(^) « Quant au prince, il est aujourd'huy le plus honneste et obéis-
sant du monde : car, bien qu'il resprouve et mesprise communément
toutes les actions du roy son père, et qu'il n'aye agréable chose que la
princesse ny que les petis princes d'Hongrie facent ou dient, il faict
néanmoins semblant de trouver bon tout ce que la royne vostre Glle
faict et dit, et n'y a personne qui dispose de luy comme elit^, et c'est
sans artifice ni faincte : car il ne sçait faindre ne dissimuler. >» (Lettre
de Fourquevaulx à Catherine de Médicis, du 3 novembre 4565.)
Fourquevaulx écrivait encore à la reine-mère, le 42 septembre 4567 :
« Mais de tant que ledict fils hait son père, de tant augmente son affec-
« tion vers la royne sa belle-mère, car c'est à elle qu'il a tout son
« recours, et S. M. est si sage qu'elle s'y gouverne discrètement. »
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CHAPITRE IX. 273
le consoler, de lui inspirer de la résignation et du
courage; elle Tadmit dans son intimité, ne négligeant
rien de ce qui était propre à le distraire, à lui procu-
rer des c( passe-temps honnêtes ('). » Ce corps infirme
et cet esprit malade réclamaient des soins, des ména-
gements ; elle prodigua au prince, avec une douceur
angélique, tous ceux qui étaient en son pouvoir. Elle
ne cessa point, tant qu'il vécut, de s'intéresser à sa
destinée. Elle aurait voulu qu'il dépendit d'elle de
mettre un terme à la discorde qui régnait entre lui et
son père (').
Don Carlos fut touché de l'accueil et des attentions
de la reine. Celte nature intraitable ne put résister à
l'influence de tant de grâces et de vertus. Lui qui ne
connaissait nul frein à ses volontés, dont l'arrogance
était redoutée de tous ceux qui l'approchaient, — en
présence d'Elisabeth, il se montrait plein de respect,
de prévenance, de soumission. Il aimait à prendre
part à ses jeux ; il recherchait les moyens de lui com-
plaire ; en toute occasion il témoignait la sympathie
qu'il professait pour elle : nous en avons cité plusieurs
(") « Pendant l'absence de S. M., M. le prince d'Espaigne, aux jours
qu'il n'a point la fiebvre, l'a visitée (la reine) : ayant ladicte dame mis
toute la peine qu'il a esté possible à luy donner, aux soirs, quelque
plaisir du bal et autres bonnestes passe-temps, desquels il a bon
besoin.... » (Lettre de l'évêquede Limoges à Charles IX, du 4 «^ mars 4560,
dans les Négociations, lettres et pièces diverses relatives au règne de
François //, p. 290.)
(*) «La reyna i la princesa, por lo que le amabao como tia i madré,
i aver tenido primero nombre de marido, procuraban reconciliarle con el
rey ; mas la obstinacion de padre i hijo impidiô la concordia. «> (Cabrera,
liv. VII,chap.XHI, p. 443.)
18
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274 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
exemples ('). Nous trouvons encore, à cet égard, dans
les comptes de ses dépenses, des indications qui ne
doivent pas être négligées : tantôt c'est une bague en
rubis f ), tantôt ce sont des tapis d'or et de soie (^),
dont il fait présent à la reine ; une autre fois il lui
donne un coffret et une peinture (*) ; une autre fois
encore, il lui envoie un chapeau de paille garni d'un
crancelin d'or, et auquel était attaché, en forme de
médaille, un Jésus en diamant que supportaient des
anges et qui était entouré de rubis et d'émeraudes f ).
Les dames d'Elisabeth étaient fréquemment aussi
l'objet de ses libéralités.
Les poètes et les romanciers ont transformé en une
passion ardente le respect et la sympathie de don
Carlos pour la reine sa belle-mère Ç) ; ils ont été plus
n Pag. 460 et 467.
(*) o .... Uoa sortija de un rubî que S. A. mandô dar à la reina Dues-
trasenora.. . » {Coleccion de documentos inédilos para la historia de
Espana, t. XXVil, p. 87.)
(') « .... Diô S. A. dos alhombras de oro y seda à la reina nuestra
senora ...» [Ibid., p. 92.)
[*) « .... Una arca y un retablo que S. A. mandô dar â la reina nues-
tra senora.... » {Ibid , p. 89.)
(^) « En Madrid se dio à la reina nuestra senora un sombrero de paja
con un crancelin de oro tirado que hizo un tirador de oro portugués,
el cual sombrero llevaba una medalla bêcha un Jésus de diamante, y
por titulo del Jésus un rubi y esmeralda encima del tilulo, con unos
ninos que le tenian, esmaltados de blanco, y en la misma medalla puesta
una espiga de oro tirado. » [Ibid., p. 95.)
(«) Nous regrettons que des esprits sérieux aient adopté cette fable.
Dans les Négociations, lettres et pièces diverses relatives au règne de
François II, recueil de documents d'une haute \aleur historique,
M. Louis Paris donne (p. 460) une lettre d'une dame de la cour d'Eli-
sabeth à Catherine de Médicis, où Ton lit : « La royne et la princesse
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CHAPITRE IX. 275
loin : ils ont fait partager cette passion par Elisabeth,
celle princesse si pure, cette épouse si chaste et si
attachée à son mari. Le roman et le théâtre n'ont
rien de commun avec l'histoire ('). Nous avons dit les
^ seuls rapports qu'il y eut entre le fils et la femme de
Philippe II ; nous n'ajouterons qu'un mot : don Carlos
était aussi peu fait pour éprouver de l'amour que
pour en inspirer (').
La mésintelligence qui régnait entre le prince et le
roi n'était un mystère, à Madrid, ni pour les courti-
sans ni pour les ambassadeurs étrangers. Le peu
d'amis qu'avait don Carlos s'en affligeaient, convaincus
qu'elle ne pourrait avoir que des suites fatales pour
• (dona Juana) sopent souvent en un jardin qui est près de la mèson,
« et te prince avec elles, qui aime la royne singulièrement, de façon
a quMI ne ce peult soler de an dire bien. Je croys qu'il voudrait estre
« davantage son parant. » Sur cette dernière phrase, M. Paris dit en
note : « Voilà certainement Tindication de Taraour du jeune don Carlos
• pour Elisabeth. • Nous ne le comprenons pas ainsi, et, à nos yeux, il
est évident que la dame en question veut faire allusion au mariage de
don Carlos avec Marguerite, sœur de la reine. II n'aurait pas été
• davantage son parant, » en se faisant aimer d'elle.
M. le marquis du Prat nous parait lui-même avoir attaché trop d'im-
portance à ce fragment de lettre. (Voy. Histoire d'Elisabeth de Valois,
p. i32etsuiv.)
(') Dans un livre publié par M™» Martha Walker Free, sous le litre de
ÈlisUbeth de Valois, queen ofSpain, and the court ofPhilipp II (Londres,
4857, 2 volumes in-i2), et qui contient un grand nombre de documents
tirés des archives et des bibliothèques de Paris, on trouve, t. II, p. 434,
un dizain en français prétendument adressé par don Carlos à Elisabeth.
Don Carlos ne faisait pas de vers et ne parlait pas le français.
{») Nous atons sous les yeux l'inventaire, dressé après la mort de don
Carlos, de ses livres et de ses objets d*art. Nous trouvons, parmi ces der-
niers, un portrait de la reine Elisabeth, mais nous y trouvons aussi ceux
de Philippe II, de Ferdinand et d*lsabelle la Catholique, etc.
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276 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
lui. La reine douairière de Portugal^ Catherine d'Au-
triche, son aïeule et sa grand'tante, n'était pas celle
qui s'en inquiétât le moins ; elle portait une vive affec-
tion à son petit-flls, quoiqu'elle ne l'eût jamais vu :
elle essaya de le ramener à une conduite plus digne
de lui, et à de meilleurs sentiments pour son père ('). *
Son ancien précepteur, l'évèque d'Osma, y employait
aussi tout son zèle et tout ce qu'il avait d'influence sur
l'esprit de son élève. Don Carlos, si dur pour tant
d'autres, avait toujours honoré, respecté, aimé Hono-
rato Juan. Nous avons cité les termes dans lesquels
il s'exprimait sur son compte en une circonstance
solennelle Q. Plusieurs lettres qu'il lui écrivit et qui
ont été conservées sont tout autant significatives :
dans l'une il appelle Juan le plus grand ami qu'il ait
au monde, il promet de faire ce que Juan lui deman-
dera (^); dans une autre il lui marque qu'il est fou
de plaisir en pensant qu'il va bientôt le voir (*). C'était
sur ses instances, on le sait, que le roi avait conféré
à Juan l'évêché d'Osma; ce fut aussi à sa prière que,
par un bref du 13 mars 1S66, Pie V exemptu ce
prélat de la résidence dans son diocèse pendant six
mois de l'année {^). Don Carlos ambitionnait, pour
(") Voy. l'extrait d'une àe ses lettres dans Kircher, Prmcipis
christiani archetypon, p. 484.
(«) Pag.434,U^
(") «... Mi mayor amigo que tengo en esta vida, que baré lo que vos
mepidiéredes.... » (Kircher, p. >IS4.)
(•) «.... y estoy loco de placer de vuestra venida.... « (Lettre du
23 janvier 4665, dans Kircher, p. 482.)
(') Kircher, p. 480.
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CHAPITRE IX. 277
son précepteur, une dignité plus éminenle encore que
celle dont il avait été revêtu : il écrivît au pape, et il
pressa vivement son nonce à Madrid, Tarchevêque de
Rossano. afin qu'Honora to Juan fût élevé au cardi-
nalat (*), comme l'avait été le précepteur de son père,
Juan Martinez de Siliceo.
L'évéque d'Osma avait un sincère attachement pour
son royal élève, quoiqu'il ne se dissimulât ni ses
défauts ni ses torts Obligé de quitter la cour, au
commencement de 1 566, pour aller dans l'Eslrémadure
respirer un air plus favorable à sa santé, il voulut
faire entendre encore une fois au prince le langage de
la raison et du devoir. Il lui écrivit, de Valladolîd,
une lettre que nous traduirons presque tout entière,
malgré son étendue, parce qu'elle servira à faire
apprécier en même temps et le maître et le disciple.
« La prière, que j'adresse à Votre Altesse, lui
disait-il, est de se ressouvenir de trois choses que je
lui ai souvent mises devant les yeux.
« La première est l'amour et la crainte de Dieu,
avec ce qui en dépend, et qui consiste à tenir grand
compte de ses commandements, à les observer aussi
(') « 11 prencipe di Spagna mi disse, riceveûdo quel brève di Sua
Santità, che io scrivessi a Sua Beatitudine che si ricordasse etli conce-
desse quéllo ch'egli Thavea dimandato ; et perché stava con grao pia-
cevolezza ragioùando, li dissi : « Io to faro, benchè oon sappia di che gii
« scriverô » Sua Altezza con un certosolito suo riso disse che vorrebbe
che Sua Santità facesse cardinale il suo maestro il vescovo d'Osma. »
(Lettre de Tarchevêque de Rossano au cardinal Alessaodrino , du
30 juin 4566 : MS. de la bibliothèque nationale de Madrid, X Ht ,
pp. 415-H9,)
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278 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
bien inlérieurement qu'extérieurement, pour le bon
exemple que V. A. est obligée de donner à tout le
monde ; à entendre la messe et les offices divins avec
attention et dévotion ; à respecter les choses de l'Église
et ses ministres, ainsi que les ordres religieux, sans mon-
trer de partialité pour aucun de ceux-ci, car ils sont
également bons et approuvés, et en les considérant,
au contraire, en les favorisant, en les gratifiant tous
indistinctement. Je supplie aussi V. A. de se rappeler
qu'elle doit regarder comme tout à fait siens les choses
et les ministres du saint oflîce, et leur être toujours
favorable : si, dans tous les temps, cela fut juste et
très-agréable à Dieu, aujourd'hui c'est d'une nécessité
absolue, non-seulement pour ce qui touche l'honneur
et le service de Notre-Seigneur, mais aussi pour ce qui
concerne, en particulier, l'état royal, la tranquillité
de ces royaumes et leur bonne administration.
c( La seconde chose, après ce qui touche Dieu, est
que V. A. obéisse à son père, le servant, le satisfai-
sant en tout ce qu'il vous ordonnera et que vous sau-
rez qu'il désire pour votre propre bien et avantage.
Si même V. A. laisse de côté l'obligation que Dieu en
a si expressément et si spécialement imposée, et la
récompense temporelle qu'il a attachée à l'accompfis-
sement de celle-ci, outre l'éternelle , elle reconnaîtra
que cette voie est la plus unie et la plus directe pour
parvenir à ses fins, et y être aidé de Dieu, qui lui ser-
vira ainsi de boussole et de guide. De cette façon,
V. A. aura pour elle le public, qui naturellement voit
avec satisfaction les enfants respecter leurs parents et
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CHAPITRE IX. 279
leur obéir. Et elle doit tenir pour très-certain, comme
ce Test, que tous les autres chemins sont dangereux et
trompeurs, et qu'ils conduisent à des embarras réels,
sans aucun avantage, parce que Dieu le permet ainsi.
« La troisième chose est que V. A. s'applique , en
tout temps, à traiter ses serviteurs, en faits et en
paroles, avec amour et douceur. Comme je l'ai dit
plus d'une fois à V. A., c'est là une des choses qui
d'ordinaire donnent et peuvent donner le plus de lustre
à un prince, qui ont le plus de retentissement, non-
seulement dans son propre pays, mais encore chez les
nations étrangères, et qui servent le mieux à faire
connaître son caractère et son inclination : car il y a
lieu de présumer que tel il est avec ce petit nombre
de gens qu'il voit habituellement, tel il sera avec tout
le monde, et que, s'il traite mal ceux qui le servent
nuit et jour, il sera peu disposé à traiter bien ceux qui
à peine pourront l'approcher, loin de pouvoir le servir.
« V. A. doit observer la même conduite envers les
serviteurs et les ministres de son père : on juge habi-
tuellement que le fils est d'autant plus ami du père et
désire d'autant plus le contenter, qu'on le voit mon-
trer de l'afifeclion à ceux que le père aime et honore.
« Ce que je dis des serviteurs et des ministres, je
rapplique également à tous les autres, puisque V. A.
doit être le père de tous, après les longs et bienheu-
reux jours du roi, notre seigneur. Que V. A. accueille
donc ceux qui viennent la voir et la servir ; qu'elle
les écoute avec bienveillance ; s'ils la supplient de de-
mander pour eux quelque chose à son père, que, sans
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280 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
s'engager trop, elle leur promette d'en parler à Sa Ma-
jesté, et qu'elle lui parle en effet, la sollicitant de les
favoriser en ce qui sera juste et possible ; enfin qu'elle
leur dise peu de paroles, mais distinctes et claires,
sans leur faire de questions étrangères à l'objet dont ils
l'auront entretenue, ni les obliger à des réponses diffi-
ciles et dont ils seront aises de pouvoir se dispenser.
« Surtout je supplie V. A. d'avoir une très-grande
attention à n'offenser qui que ce soit, en particulier
ni en général : car, ainsi que je le lui ai dit souvent,
c'est là pour les rois une chose dangereuse et qui peut
avoir les plus fâcheuses conséquences , en leur fai-
sant perdre l'amour de leurs sujets, comme des exem-
ples notables l'ont prouvé. II est clair, en effet, que
de pareilles offenses ne se prennent de personne plus
mal que des princes, par la raison que chacun désire
être honoré d'eux et obtenir leur faveur, et que ceux
qui reçoivent cette injure, ne pouvant s'en venger
par une injure semblable ou par d'autres, la ressen-
tent d'autant plus vivement.
w Pour prévenir cet inconvénient, j'ai toujours
trouvé avantageux de ne pas s'enquérir de la vie des
autres, ni de chercher à savoir les fautes commises par
eux : l'expérience nous apprend que de celte curiosité
naît un autre mal, car celui qui ne fait pas de ques-
tions ne connaît pas tant de particularités, et, ne les
connaissant pas, n'a pas tant à dire ni tant d'occasions
d'offenser. Il arrive ordinairement aussi que cela ne
reste pas secret; il en résulte alors des troubles
sérieux dans la maison même du prince et dans son
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CHAPITRÉ IX. 281
royaume, et, à la fin, il perd toul crédit auprès des
gens, qui, n'osant plus se fier à lui, ne lui disent pas
ce qu'il lui importe de savoir. Or c'est là une perte
qui est grande pour tous ; mais, pour les princes, elle
est d'une portée incalculable.
c( Je sais bien que j'aurais pu me dispenser de dire
tout cela à V. A., puisque Dieu lui a donné un si
bon entendement ; qu'elle a à son service des per-
sonnes qui lui font souvent des observations sem-
blables et d'autres encore; puisque surtout je l'ai
déjà différentes fois entretenue moi-même de cet
objet : mais il me resterait des scrupules, si je ne l'en
entretenais de nouveau en ce moment.
« Je supplie humblement V. A. de me pardonner
cette prolixité, en l'attribuant au désir que toujours
j'ai eu de la servir, d'être témoin de l'amour de Dieu
et du monde pour elle, de la voir croître enfin pour
les grands effets que réclament les conjonctures dans
lesquelles il a plu au Tout-Puissant de la donner à ces
royaumes, la première et la seconde fois (').
« Que Dieu garde Votre Altesse, etc. Valladolid,
10 janvier.
Ci Humble domestique de Votre Altesse,
« HoNORATo Juan f ). »
On ne connaît pas l'impression que ces remontrances
et ces conseils si paternels et si sages produisirent sur
(*) Double allusion à la naissance de don Carlos et à sa guérison à
Alcala.
(*) Cette lettre est dans Kircuer, p. 486.
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282 DON CARLOS ET PHILIPPE H. ,
don Carlos ; on sait seulement qu'il ne réforma ni sa
conduite ni son caractère. Ce furent^ au surplus, les
derniers avertissements qu'il reçut de son ancien pré-
cepteur : cet homme de bien succomba, peu de temps
après ('), à la maladie qui le travaillait depuis deux
années. A son lit de mort, il voulut encore donner une
preuve de sa tendresse pour le prince : il l'institua son
héritier universel, l'autorisant à modifier son testament
en tout ce qu'il jugerait à propos Q.
Depuis l'accident arrivé à Elisabeth de Valois,
en 1S64, Philippe II n'était pas sans inquiétude sur
la chose du monde qui le préoccupait le plus, je veux
dire la perspective d'une lignée qui pût assurer la
continuation de sa dynastie, car il ne mettait guère
d'espoir à cet égard dans le prince son fils. Aussi
apprit-il avec bonheur, au commencement de 1566,
que la reine était de nouveau enceinte. Dèscemoment,
il l'entoura des soins les plus assidus, des attentions
les plus délicates. Il résolut qu'elle ferait ses couches
au château de Valsain, dans le bois de Ségovie f),
et, le 19 mai, if lui fit prendre le chemin de cette
n Le 30 juillet 4566. (KiRCUEa, p. 216.)
n Ibid., p. 242.
On trouve, dans les comptes de dépenses de don Carlos, qu'il envoya
2,000 écus aux exécu leurs du testament d'Honorato Juan, à Osma, * para
« cumplir el anima y testamentodel dicbo obispo en las cosas necesarias. »
(Archives deSimaucas, Contadurias genercUes, l** época, leg. 4050.)
(') Il ne resle plus aujourd'hui que des ruines du château de Valsain,
dont la construction remontait au xiiie siècle.
Philippe II datait du Bois de Ségovie les dépêches auxquelles il appo-
sait sa signature, pendant qu'il habitait ce château.
Plusieurs membres de la famille royale, des personnes de la cour et le
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CHAPITRE IX. 283
résidence royale, où il l'avait précédée de quelques
jours. Pendant ce temps, la princesse doua Juana se
rendait à Aranjuez avec les princes de Hongrie. Don
Carlos resia seul de la famille royale à Madrid Q).
Il n'en était pas fâché : au contraire, il lui semblait
que, en l'absence du roi, il y était le maître; il allait
chaque soir souper à la casa real del Campo^ lieu de
plaisance situé en face du palais, sur l'autre rive du
Manzanarès. La natation était un de ses goûts favoris ;
il s'y livrait souvent en compagnie de don Juan d'Au-
triche, qui continuait d'être avec lui dans les meilleurs
termes Q. Du reste, il menait à Madrid sa vie habi-
tuelle (^). A la fin du mois de juin, il partit pour le
château de Valsain, où toute la famille royale fut
bientôt après rassemblée.
La reine accoucha heureusement d'une fille dans la
nuit du 11 au 12 août. La cour attendait l'événe-
ment avec anxiété, car, depuis plusieurs jours,
Elisabeth souffrait d'une fièvre tierce. Sa délivrance
roi lui-même y étant tombés malades en 4566, il n*y retourna presque
plus après cette époque.
(') Lettre d'Alonso de Laloo au comte de Homes, écrite de Madrid,
le 29 mai 1566, dans Montigny's leven en dood, de M. Van Vloet,
Bylage, p. 1 . — Lettre de Fourquevaulx à Catherine de Médicis, écrite
de Madrid, le 5 juin.
('] Au mois de septembre suivant, au château de Valsain, don Juan
devint quasi perclus des bras et des mains, pour s'être trop fréquem-
ment baigné, avec don Carlos, en une petite rivière passant dans le bois
deSégovie. (Lettre de Fourquevaulx à Charles IX, du 44 septembre 4566.)
(') « El principe nuestro senor siempre ha estado aquî, y le parece
que eu ausencia del padre es suijuris. El haze la vida acostumbrada.
Va cada dia ceuar à la casa del Campo, donde tambien se bana.... »
(Lellre d'AIonso de Laloo, du 29 mai 4566.)
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284 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
ne dissipa pas entièrement les craintes qu'on avait
conçues; la fièvre durait toujours; elle se changea
même en tierce-double, et, le 19 août, l'état de
l'auguste princesse fut assez grave pour qu'on la crut
à deux doigts de la mort ('). Elle ne tarda toutefois
pas à se rétablir.
Certain désormais de la fécondité de sa femme,
Philippe II accueillit l'enfant qu'elle venait de mettre
au monde avec autant de joie que si elle lui eût donné
un fils (^). Il désigna don Carlos pour en être le par-
rain; la marraine qu'il choisit fut sa sœur, doiia
Juana. Le baptême fut administré à la princesse, le
25 août, dans la chapelle du château, par l'arche-
vêque de Rossano, Giovanni-Battîsta Castagna, nonce
du pape, et qui devint pape lui-même, vingt-cinq ans
après, sous le nom d'Urbain VII f ) : telle était la
débilité physique de don Carlos, que don Juan
(') C'est Texpression dont se sert Foiirquevaulx, dans une dépêche à
Charles IX, du ^aaoùt 4566— Tisnacq écrivait à Viglius le 22 du même
mois : « Nous nous sommes icy, ces jours passez, trouvez, depuis
« Taccouchemerit de la royne, en grand doubte de sa disposition et
« reconvalesceuce, ayant esté lundy dernier en extrême dangier, voire
« sy avant, comme se m'est dict, qu'elle a esté oncques en l'aultre
« maladie qu'elle eust passé deux ans. »
(•) • Je fus, vendredy dernier, seiziesme de ce moys, féliciter la nais-
sauce de l'inrante à Leurs Majestés Catholicques... » Le roy catho-
licque (après la délivrance de la reine] voulsit voir l'infante et la feit
veoir à la royne sa femme, puis s'en alla à la chapelle remercier Dieu
fort dévotement, disant à tous qu'il estoit le plus content prince du
monde, et trop plus aise d'avoir une fille que si ce fût un infant.... »
(Lettre de Fourquevaulx à Catherine de Médicis, du 48 août 4566.)
i^j Lettre de Tisnacq à Viglius, du 29 août 1566. — Lettie de Cour-
tewille à Viglius, du 30 août.
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CHAPITRE IX. 285
d'Autriche dut^ à sa place, tenir Finfante et la rap-
porter dans la chambre de la reine. Don Carlos,
selon ce qu'un ambassadeur écrivit à sa cour, n'avait
de force que dans les dents ('). '
Ce fruit si ardemment désiré de l'union de Phi-
lippe et d'Elisabeth de Valois reçut les trois noms
d'Isabel-Clara-Eugenia : le premier, en mémoire de
la reine catholique, sa trisaïeule, et de l'impératrice
Isabelle, femme de Charles-Quint ; le deuxième, par
le motif que la délivrance de la reine avait eu lieu
le jour de Sainte-Claire; le troisième, parce que,
étant allée, le 14 novembre, à Getafe, à deux lieues
de Madrid, voir passer le corps de saint Eugène f),
elle avait fait vœu, si elle devenait mère, d'appeler
du nom de ce saint l'enfant qu'elle aurait (^). Ce fut
cette princesse à qui, trente-deux années plus tard,
Philippe II céda les Pays-Bas, en la mariant avec
l'archiduc Albert, l'un des fils de Maximilien II.
Quelques jours avant l'accouchement de la reine,
don Carlos avait donné un nouveau sujet d'indisposi-
tion à son père. Philippe s'était enfermé avec plu-
sieurs de ses ministres, pour délibérer sur des affaires
(') Lettre de Fourquevaulx à Catherine de Médicis, du 36 août 4566.
(«) Voy.p.474.
{') Lettre de Fourquevaulx à Catherine de Médicis, du 26 août 4566.
L^ambassadeur, après avoir raconté ces particularités, qu'il tenait de la
reine elle-même, ajoute : « Tellement qu'elle pense avoir conceu ceste
« infante la nuit ensuivant, car elle fut de retour vers le roy son mary. »
Courtewille, dans sa lettre du 30 août à Viglius, déjà citée, rapporte
les mêmes circonstances à peu près que Tambassadeur de Charles IX ;
il dit de plus : « Je tiens que son principal nom sera la infanta dona
Ysabel. » L'événement justifia cette conjecture.
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286 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
d'importance. Don Carlos, curieux de connaître ce
dont ils parlaient, appliqua son oreille à la porte de la
chambre où ils étaient réunis. Il se trouvait là exposé
à la vue des dames de la reine, qui étaient dans les
appartements supérieurs, et des pages, qui étaient en
bas. Don Diego de Acuna, l'un de ses gentilshommes,
lui en fit l'observation; il lui dit aussi que le roi pour-
rait sortir subitement , et qu'il s'étonnerait de le trou-
ver en cet endroit. Don Carlos en voulait depuis long-
temps à AcuQa (') ; il prit mal ses paroles ; il s'oublia
même jusqu'à le frapper du poing. Le roi, qui le sut,
réprimanda vertement son filsQ. Il attacha depuis à sa
propre maison don Diego de Acuna, qui ne pouvait
plus rester au service du prince, après avoir reçu de
lui un tel outrage, et le gratifia d'une commanderie
supérieure à celle dont il avait joui jusqu'alors f ).
(') D'après une lettre de DietrichsteiD à Maximilien, du 19 avril 1564,
don Carlos détestait Acuna, parce que celui-ci Tavait obsédé pour qu'il
épousât sa tante dona Juana. (Koch, Quellen^ etc., p. 419.)
(') « No puedo dexar de avisar a V. S. como estes dias, estando Su
Magd. en la camara del consejo d'Estado sobre las cosas de Flandes, ei
principe nuestro senor se puso arrime à la cerradura de la puerta para
escucharlo. Y como don Diego de Acunha le dixese que Su Magd. saldria,
y que Su Alteza se fuese de ally, porque le veyan de arriba las damas
de la reyna, y de abaxo los pages, le començôel principe à tratar mal, y
aun dar de pescosones con los punos cerrados.... Su Magd. lo ba sabido,
y ha renido mucho à su hijo.... Al dicho don Diego trae de mucbo tiempo
odio, y dize quequantos anos le ha servido, taotos le trae enfadado.... »
(Lettre d'Alonso de Laloo au comte de Homes, écrite de Ségovie, le
3 août 1566, dans Montigny's leven en dood, Bylage, p. 18.)
(') La commanderie d'Acuna était de 2,000 écus ; le roi lui donna celle
du seigneur de la Chaulx, qui était de 3,000. (Lettre de Jean de Noir-
carmes, seigneur de Selles, au comte de Bornes, écrite de Madrid, le
27 mars 1567, aux Archives du royaume.)
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CHAPITRE X. 287
CHAPITRE X.
Troubles dans les Pays-Bas. — Origine, causes et caractère de ces
troubles. — Philippe II, à sod départ de ces provinces, veut y laisser
trois mille Espagnols, pour gardt^r les places fortes ; mécontentement
qu'en conçoit la nation. — Autres griefs des Belges. — Placards sur
la religion. — Inquisition. — Ordres rigoureux donnés par Philippe.
-- Nouveaux évéchés ; causes qui les rendent impopulaires. — Jalou-
sie des grands contre le cardinal de Granvelle, dont le renversement
devient le but des efiforts communs des mécontents. — Imputations
dirigées contre ce ministre et dont l'histoire doit le justifier. — Le
roi résiste d*abord à l'opposition, mais il finit par céder, et invite le
cardinal à s'éloigner des Pays-Bas. — Mortification que Granvelle en
éprouve. — Il quitte Bruxelles. — Situation des Pays-Bas après sa
retraite. — État de la religion : calvinisme ; luthéranisme ; secte des
anabaptistes ; répugnance des juges à appliquer les placards ; mur-
mures du peuple lors des exécutions capitales ; protestants arrachés
des mains des officiers de justice ; prisonniers délivrés par force ou
évadés par la connivence ou l'incurie des magistrats ; refus de con-
cours aux inquisiteurs ; progrès des idées de tolérance ; dépopulation
du pays ; émigrations eu Angleterre ; machinations des émigrés contre
le gouvernement du roi. — État des finances : vieille dette envers les
gens de guerre ; emprunts faits par les villes de Flandre pour le roi ;
sommes levées en Allemagne et aux Pays-Bas ; déficit dans les aides
accordées par les états ; insuffisance du produit des domaines pour
couvrir les dépenses de l'administration ; arriéré des traitements et
des pensions ; mauvais état des places fortes ; impossibilité de payer
l'entretien des détenus condamnés aux galères. — Envoi du comte
d'Egmont en Espagne. — Accueil qu'il reçoit du roi, de la famille
royale et de toute la cour. — Réponses du roi sur les points mention-
nés en son instruction et les représentations particulières qu'il y a
ajoutées. — Faveurs personnelles sollicitées par Egmont et que le roi
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588 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
lui accorde. — La duchepse de Parme nomme une commission com-
pasée d'évêques, de magistrats et de théologiens, pour discuter les
questions que soulève Tétat de la religion. — Késultats des délibéra-
tions de celle-ci : elle propose des modifications dans l'application
des placards. — Publication du concile de Trente. — Aplanissement
des difficultés que Térectiou des nouveaux évêchés avait fait naître.
~ La duchesse envoie au roi les délibérations des évêques, des magis-
trats et des théologiens ; elle lui propose la révision des instructions
des inquisiteurs, la nomination de nouveaux membres du conseil
d'Etat, et la subordination à ce conseil des conseils privé et des
finances. — Fray Lorenzo de Villavicencio : quel était ce moine ; ses
voyages ; ses écrits et ses sermons contre les protestants ; ses démêlés
avec le magistrat de Bruges; ses lettres au secrétaire Erasso et
au roi ; son départ pour TEspagne ; influence qui peut être attri-
buée à ses rapports, à ses conseils et à ses exhortations sur les
déterminations de Philippe II. — Le roi se prononce contre toute
modification aux placards ; il n*admet pas la subordination des con-
seils privé et des finances au conseil d'Ëlat ; il augmente d'un seul
membre ce dernier conseil, et son choix ne tombe sur aucun des can-
didats présentés par les seigneurs ; il réitère les ordres donnés par lui
précédemment pour Texécution d'anabaptistes prisonniers ; il ne veut
pas que le moindre changement soit apporté à l'exercice de Tinquisi-
tion. — Murmures que ces résolutions excitent. — Écrits contre le
roi et la religion semés dans le pays. — Irritation des seigneurs. —
Le prince d*Orange, le marquis de Berghes, le comte d'Egmont, décla-
rent quMls n'exécuteront pas les ordres venus de Madrid ; lettre du
comte d'Egmont au roi. — Requête des quatre chefs- villes deBrabant
contre Tinquisilion. ~ Confédération des nobles. — Assemblée des
seigneurs à Breda et Hoogstraeten. — La duchesse de Parme appelle
à Bruxelles les chevaliers de la Toison d*or et les gouverneurs. —
Requête que lui présentent les confédérés. — Sa réponse. ^ Envoi à
Madrid du marquis de Berghes et du baron de Montigny.
Cependant des événements de la nature la plus
grave se passaient dans les Pays-Bas.
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CHAPITRE X. 289
Philippe II, à son départ de ces provinces, y avait
laissé les esprits mal disposés pour son gouverne-
ment.
Sous prétexte de les assurer contre toute agression
éventuelle, et d'épargner à la nation les charges qu'elle
aurait eu à s'imposer pour la solde de troupes indi-
gènes, il avait voulu y conserver, après la paix, trois
mille hommes d'infanterie espagnole, dont il avait
formé les garnisons des places frontières. C'était bles-
ser les Belges dans ce qu'ils avaient de plus suscep-
tible : leur fierté nationale et leur sollicitude jalouse
pour les libertés publiques. Déjà, pendant la guerre,
alors qu'il s'agissait d'assembler une armée considé-
rable, les états généraux avaient demandé que ks
dqux tiers au moins des gens à lever par le roi fussent
pris dans le pays (') : de quel œil la nation devait-elle
voir que, en temps de paix, la garde des places
fortes fût confiée à des étrangers, comme si les Belges
n'étaient pas en état de les garder eux-mêmes? Cela
seul eût suffi pour soulever une opposition générale
contre la détermination du roi ; mais il y avait quel-
que chose qui la rendait plus insupportable encore :
c'était l'idée que les Pays-Bas pussent être assujettis
(^] « Attendu, disaient-ils, que les iiibabitans et subgeclz des Pays-
Bas sont naturellement plus inclias et aSTectionnez au service de leur
prince et à la défense de leurs foyers, leurs femmes, eofans et biens,
ayans aussi plus parfaicte cognoissance de lu situation, entrées, yssues,
passaiges et destroictz, que les estrangiers; aussi que iesdicts subgectz
de par deçà, qui ont tmsjours esté tenus pour gens belliqueulx, se
pourroient abastardir et rendre du tout inhabiles à la guerre, en les
délaissant. » [Remontrance faite au roi, le 47 décembre 4557.]
49
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290 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
à la couronne d'Espagne de la même manière que
l'étaient l'État de Milan et les royaumes de Naples,
de Sicile et de Sardaigne (').
En vain Philippe plaça les troupes espagnoles sous
le commandement supérieur du prince d'Orange et du
comte d'Egmont (-) ; en vain il s'engagea à pourvoir
à leur solde avec régularité, ce qui devait écarter
toute crainte de désordre de leur part : aux états qu'il
tint à Gand (^), les représentants du pays, d'une voix
unanime, lui demandèrent le renvoi en Espagne de
ces soldats étrangers dans des termes si pressants,
qu'il lui fallut y consentir. Mais il ne le fit que comme
contraint et forcé ; on le vit bien au délai qu'il
apporta dans l'accomplissement de sa promesse (*).
Aussi celte satisfaction donnée au sentiment national
n'eflfaça point les mauvaises impressions que les Belges
avaient reçues de leur souverain.
Ils avaient d'ailleurs contre lui d'autres et de sérieux
C) Celte idée subsista même après que les Espagnols furent partis.
Grauvelle disait au roi, dans une lettre du 40 mars 4563, à propos
de Tantipathie universelle qu'il y avait aux Pays-Bas pour la nation
espagnole : « Lo quai paresce que nasce de la sospecha que tienen
« de que se tenga fin de subjectarlos â los Espanoles, y reducirlos
« à la forma que estân las provincias de Italia que son debaxo»de la
« corona d'Espana.... » {Papiers d'État du cardinal de Granvelle,
t. VII, p. 53.)
(') Elles formaient deux tercios ou régiments, de buit enseignes cha-
cun : Tun était commandé par le mestre de camp Julian Romero, Tautre
par don Juan de Mendoza.
(») Voy. p. 52.
(*) Les Espagnols ne quittèrent les Pays-Bas qu'au mois de jan-
vier 4564. Le roi avait promis aux états généraux de les en faire sortir
dans le délai de trois à quatre mois.
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CHAPITRE X. 291
griefs. Ils se plaignaient de la rigueur avec laquelle
il exigeait que les placards Ç) promulgués pour le
maintien de la foi catholique fussent exécutés et que
l'inquisition papale fût exercée. Ils étaient mécontents
aussi des nouveaux évéchés dont il avait sollicité et
obtenu l'érection de Paul IV. .
Les placards, qui avaient été faits par l'empereur,
étaient d'une sévérité draconienne. Il suffisait de
s'être trouvé à un prêche, d'avoir en sa possession
des livres défendus, d'avoir reçu des personnes sus-
pectes d'hérésie et de leur avoir fourni des vivres, de
n'avoir pas dénoncé, lorsqu'on en avait connaissance,
le lieu où des hérétiques se réunissaient, etc., pour
encourir la peine de mort : les hommes étaient exé-
cutés par l'épée, et les femmes enfouies vivantes.
Ceux qui persistaient en leurs erreurs étaient livrés
aux flammes (■).
L'établissement de l'inquisition était aussi l'ouvrage
de Charles-Quint Q. Elle avait été introduite aux
Pays-Bas sous le pontificat d'Adrien VI. Elle s'cxer-
(') C'était le nom qu'on donnait communément, dans les Pays-Bas,
aux édtls des souverains.
P) Voir, aux Placards de Flandre, liv. I, p. 486, l'ordonnance de
Charles-Quint donnée à Augsbourg, le 25 septembre 4550, et dans
laquelle les ordonnances précédentes avaient été refondues.
Il est important de remarquer que Tédit du 7 octobre 4534 , qui servit
de base à tous les placards postérieurs, avait été fait avec le concours
des principaux conseils des Pays-Bas, des chevaliers de la Toison d'or
et des états généraux. ^
(') Nous avons donné d'assez grands détails à ce sujet dans la Corres^
pondancede Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. I, pp. cviiiet
suiv.
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292 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
çaît par le ministère de plusieurs inquisiteurs géné-
raux que nommait le pape, sur la présentation ou
avec le consentement du souverain, et qui se choisis-
saient eux-mêmes des subdélégués dans les provinces.
Un acte de l'empereur du dernier février 1S46, renou-
velé et, dans quelques-unes de ses dispositions, modifié
le 31 mai ISSO, servait d'instruction aux inquisi-
teurs. Diverses ordonnances du même monarque
avaient enjoint à ses conseils, justiciers et oiïiciers,
ainsi qu'aux officiers de ses vassaux , de faire appré-
hender et garder en leurs prisons tous ceux, ecclé-
siastiques ou laïques, que les inquisiteurs et leurs
subdélégués leur dénonceraient, de donner à ceux-ci
toute aide et assistance, sans délai ou difficulté quel-
conque, et sans souffrir ni permettre qu'il leur fût
fait aucun obstacle ou injure Ç): de déférer à la
réquisition des inquisiteurs, lorsqu'ils réclameraient
leur présence pour le prononcé des jugements rendus
par eux, ou les inviteraient à faire annoter et inven-
torier les biens des personnes infectées ou suspectes
d'hérésie qui se seraient absentées par crainte de la
justice (-). Tous huissiers et sergents d'armes étaient
tenus de mettre à exécution les citations, ajourne-
ments, intimations, actes et ordonnances qui éma-
naient des inquisiteurs ou de leurs subdélégués (^).
Quelque dures que fussent les dispositions des pla-
cards, l'opinion publique, sous le règne de Charles-
p) Ordonnaoce du dernier février 4545 (1546, n. st.).
(') OrdoDDaDce du 31 janvier 4554 (1555, n. st.).
(') Ordonnance du 1" février 1554 (1555, n. st.).
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t
CHAPITRE X. 293
Quint^ ne s'était pas révoltée contre elles, parce que
la dureté en était mitigée par la manière dont les juges
les appliquaient (^). L'empereur lui-même avait trouvé
qu'elles étaient excessives, et les avait adoucies en
plusieurs points (-).
L'inquisition ne s'était pas universellement ni sans
opposition établie dans les Pays-Bas. Le Brabant
l'avait repoussée avec énergie. Elle était restée incon-
nue au pays de Luxembourg et à la province de Gro-
ningue. Si en Gueldre et. en Frise des inquisiteurs
avaient quelquefois exercé leur office, c'était en vertu
de commissions spéciales, dans des cas exceptionnels,
et ils y avaient été envoyés du dehors (^).
Philippe II, parvenu à la souveraineté des Pays-
(') C'est ce que le comte d'Egmont 6t observer à îa duchesse de Parme,
à la réception de la fameuse dépêche deSégovie, du mois d'octobre 4565,
ainsi qu'elle récrivit au roi le 9 janvier 4566 : « I quali placarti —
« disait le comte — eranoo stati fatti dair imperaiore, di sanla memoria,
« più per terrore che per metterli in essecutione cou quel rigore che
« V. M. comanda che si faccia al présente... »
(') L'ordonnance du 25 septembre 4550 menaçait du châtiment
réservé aux hérétiques mêmes les personnes qui auraient présenté
requête pour grâce, en faveur des fugitifs, bannis ou latiUmts ; elle
défendait aux tribunaux d'altérer, modérer ou changer les peines en
façon quelconque. Par une déclaration du 27 janvier 4554 (4555, n. st ),
Charles-Quint permit que des requêtes lui fussent adressées, ainsi qu'a
ceux de ses conseils qui avaient le pouvoir de faire grâce; de plus,
il autorisa les juges inférieurs, quand des individus prévenus d'hé-
résie seraient traduits devant eux, et qu'ils les trouveraient dignes
d'indulgence, à modérer la peine que ceux-ci auraient encourue, si le
conseil provincial, auquel ils en référeraient, était de cet avis.
(') Lettre française de la duchesse de Parme à Philippe II , du
3 avril 4566, dans le Supplément à Strada, t. U, p. 344. — Instruction
donnée au marquis de Berghes et au baron de Monligny, le 29 mai 4566.
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294 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
Bas, se contenta d'abord de confirmer purement et
simplement l'instruction donnée aux inquisiteurs par
son père, le 31 mai 1550 ('), et l'ordonnance que
l'empereur avait rendue, le 25 septembre de la même
année, en matière de religion f). Mais, au moment
où il allait retourner en Espagne, il jugea à propos de
manifester, d'une façon plus explicite, les principes
selon lesquels il entendait que ses États de Flandre fus-
sent gouvernés par rapport à la foi ; il le fit au moyen
de la lettre aux conseils de justice dont nous avons
parlé plus haut f ). 11 déclarait, dans cette lettre, que
son intention était, non-seulement d'empêcher que
les erreurs semées par les hérétiques ne s'accrussent,
mais encore de les extirper autant qu'il en aurait le
pouvoir. Il ordonnait aux conseils d'exercer à cet
égard une stricte surveillance sur les officiers de leur
ressort. Il leur recommandait l'exécution ponctuelle
des placards. Il voulait qu'elle eût lieu « avec toute
(( rigueur, sans y respecter personne que ce fût, » et
qu'on procédât aussi bien « contre les juges qui usaient
« de dissimulation et de connivence » que contre les
transgresseurs. Il défendait aux conseils de recevoir
l'excuse de ceux qui , sous couleur de la rigueur de
la loi, hésitaient à l'appliquer, « puisque, leur disait-il,
ce nous ne vous avons député, ny eulx aussi, juges,
« pour juger de la loy et des édictz, ny pour déclairer
(*) Déclaration donnée à Bruxelles, le 28 novembre 1555. {Placards de
Brabanl, 1. 1, p. 44.)
n Ordonnance du 20 août 1556. {Ibid., p. 43.)
ft Pag. 52.
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CHAPITRE X. 295
« s'ilz sont Irop ou peu modérez ou sévères, mais pour
« procéder punctuellement selon la forme desdicts
« édictz^ déclairer les peines contre ceulx qui y contre-
ce viendront, conforme au contenu d'iceulx, et les faire
t< exécuter : vous doibgant et à tous aultres souffir,
(( pour faire cesser tout scrupule, que lesdicts édictz
« et placcars soient faictz par le prince, qui a povoir
« de statuer... » Il leur enjoignait de faire procéder
contre quiconque ce aux choses de la religion et du
c< service de Dieu donneroit opinion froide, » fùl-il
de leur collège. Ënûn il leur signifiait qu'ils n'eussent
à admettre ou commettre, dans les charges de la
magistrature municipale ni dans les offices de judi-
cature et autres, personne qui fût infecté, noté ou
suspecté d'hérésie, ou qui n'eut toujours été réputé
bon catholique (').
La création de nouveaux évêchés^ nous l'avons dit
ailleurs (-), était une mesure politique, sage, réclamée
par le bien de la religion et les besoins spirituels des
peuples. Le projet en avait été conçu sous le règne
de Charles-Quint, et , afin de le réaliser , des démar-
ches avaient été faites à Rome à différentes reprises.
Rien n'eût été plus populaire alors aux Pays-Ras.
Venant de Philippe II, dont la nation se défiait, cette
innovation fut envisagée tout, autrement. Plusieurs
causes y concoururent.
(0 Nous avons dooné, dans notre Collection de documerUs inédits con-
cernant l'histoire de la Belgiqw, t. I, p. 332, le texte de cette lettre,
qui était datée du 8 août 4559, à Gand.
(') Correspondance de Philippe 11, etc., t. I, pp. xcvii etsuiv.
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296 DON CARLOS ET PHfLlPPE II.
Les seigneurs furent blessés de ce qu'une mesure
d'une importance aussi capitale avait été prise par
la seule initiative du roi, sans qu'on les eut con-
sultés, et même à leur insu ('). La noblesse vit avec
déplaisir que le grade de docteur fût exigé pour les
prébendes attachées à chaque cathédrale f ) : quoique
lettrés, les nobles n'étaient pas gradués d'ordinaire.
Ce sentiment fut partagé par beaucoup de moines,
auxquels les mêmes prébendes devenaient également
par là inaccessibles Q. Sous Charles-Quint, il n'avait
été question que de six ou sept évéchés nouveaux ;
Philippe II en avait réclamé quatorze (*) : on le soup-
çonna de vouloir faire, des prélats qui seraient appelés,
sur sa présentation, à gouverner ces diocèses, autant
d'instruments de sa politique religieuse. Les adver-
saires du gouvernement parvinrent même à accréditer
l'opinion, dans le public, que l'établissement de tous
ces évêchés était un acheminement à l'introduction
de l'inquisition d'Espagne f ).
(') Voy. la lettre de Granvelle au roi, du 6 octobre 4562. [Correspon-
dance de Philippe II, etc., t. I. p. 216.)
p) D'après la bulle d'érection, il devait y avoir, en chaque église
cathédrale, neuf prébendes à conférer à des personnes doctes et gra-
duées, savoir : les trois premières à des théologiens, les trois suivantes
à des jurisconsultes, les trois dernières à des nobles gradués en théologie
ou en droit canon.
(*) Voy. la lettre citée de Granvelle.
(*} A Malines, Bois-le-Duc, Anvers, Bruges, Gand, Ypres, Ruremonde,
Namur, Saint-Omer, Harlem, Middelbourg, Leeuwaerde, Deventer et
Groningue.
(*) Voy. les lettres de Granvelle au roi et à Gonzalo Perez, des
42 mars, 44 mai et 14 juin 1562, dans la Correspondance de Phi-
lippe II, etc., t. I, pp. 200, 204, 203
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CHAPITRE X. 2P7
L'opposition qu'ils rencontraient devint plus vive
encore lorsque, pour les doter. Pie IV, sur les instances
du roi, eut statué qu'on leur annexerait les abbayes
situées dans leur voisinage. Cette combinaison avait
un double avantage au point de vue du gouver-
nement : elle exonérait le trésor des .pensions qu'il
aurait dû payer aux nouveaux prélats, d'après la bulle
de Paul IV; elle faisait entrer dans les états les
évéques, dont le roi se flattait que le concours lui
serait acquis , quand il aurait des demandes à faire à
ces corps représentatifs de la nation, au lieu des
abbés, qui y contredisaient fréquemment. Les abbés
composaient, dans presque toutes les provinces des
Pays-Bas, le premier ordre des états.
Mais ces mêmes raisons , la dernière surtout ,
étaient aussi celles qui faisaient repousser, par l'opi-
nion publique, le plan que la bulle de Pie IV avait
sanctionné.
A ces causes de mécontentement et à des embarras
financiers dont nous parlerons dans la suite de ce
chapitre, vint se joindre, pour rendre plus difficile
encore la marche de l'administration, la jalousie des
grands conlre le cardinal de Granvelle, jalousie qui
prit bientôt le caractère d'une haine déclarée. Dès lors
tous les vœux, tous les efforts des mécontents, se
réunirent pour conspirer le renversement de ce
ministre. Une ligue à la tête de laquelle se placèrent
le prince d'Orange et Jes comtes d'Egmont et de
Homes, fut formée ouvertement dans ce but.
Les promoteurs de la coalition imputaient à Gran-
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298 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
velle d'avoir écrit au roi que, tant qu'il ne ferait pas
couper la tête à une demi-douzaine d'entre eux , il ne
serait point seigneur des Pays-Bas ; ils prétendaient
savoir aussi qu'il avait engagé le roi à venir avec une
armée dans ces provinces, afin de les conquérir et
de les mettre sous le joug. Ils l'accusaient encore d'y
vouloir introduire l'inquisition d'Espagne : c'était pour
cela, suivant eux, qu'il avait conseillé l'érection des
nouveaux sièges épiscopaux et s'était fait donner l'ar-
chevêché de Malines (').
Aujourd'hui que les correspondances les plus
secrètes de Granvelle avec Philippe II ont vu le jour,
l'histoire peut et elle doit proclamer l'injustice des
imputations dont ce prélat était l'ohjet (-). Certes il y
a plus d'une chose à blâmer dans la conduite de
Granvelle, mais il s'en fallait de beaucoup qu'il fût
aussi noir que ses ennemis prenaient à tache de le
représenter. Il n'était cruel ni par tempérament ni
par principes. Formé à l'école politique de Charles-
Quint et de la reine Marie de Hongrie, la violence
(*) « ... Si dolevano che il cardinale dovesse haver scritto a V. M. che
lei non saria mai signore di queste provincie, fin a tanto che non havesse
fatto tagliar la testa a mezza^docena di questi signori ; obe sapevano che
solecitava V. M. perche queila venisse in questi Stati, et che vi venisse
potente per conquistar di nuovo queste provincie, et por loro il freno che
volesse ; che il prefato cardinale voleva introdurre la inquisitione ia
questi Stati, et che senza dubio a questo fine si facevano 11 nuovi vesco-
vadi, et egli aveva preso il primo. . » (Lettre de ia duchesse de Parme
au roi, du Ujuin 4662 : Arch. de Simancas, Eslado, leg. 821.)
(') Nous nous permettons de renvoyer au jugement que nous avons
porté sur Granvelle, et que nous avons appuyé d'actes et de faits nom-
breux, dans la Correspondance de Philippe II, etc., 1. 1, pp. clix-clxxxii,
t. 11, pp. Ll-LVI.
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CHAPITRE X. 299
étail un moyen qui répugnait à ses maximes de gou-
vernement autant qu'à son caractère ; dans le temps
même qu'il était accusé de provoquer l'oppression
des Pays-Bas, il écrivait à Gonzalo Ferez, à propos
d'ordres venus de Madrid pour que des troupes fus-
sent envoyées au secours des catholiques de France :
« Ces pays ne sont pas comme l'Italie et Milan, où
« l'on peut prendre les mesures que l'on veut. Leur
« conservation importe tant à Sa Majesté qu'avant de
« donner des ordres de là-bas d'une manière si abso-
« lue, il faut considérer ce qui est exposé d'ici tou-
a chant l'état où sont les choses, et, conformément à
« cela, ce qui se peut et ne se peut point (*). »
Philippe II lutta contre l'opposition pendant deux
ans et demi (-) : il lui en coûtait de sacrifier le car-
dinal; il avait dît à Gonzalo Perez que, plutôt que
dy consentir, il s'exposerait à perdre les Pays-Bas (^).
(') a No soD estos Estados como Italia y Milan, | ara que se puedan
toniar espedientes â voluntad. Y importa tanlo à Su Magestad la cod-
serTaciûn d'estos Estados que, antes de maudar tan absolutamente las
"cosas. es menester coDsiderar lo que se représenta de aqui del estado en
que esta, y conforme a esto, lo que se puede 6 no se puede. » (Lettre du
6 juillet 4562 : Arch. deSimancas, Eslado, leg. 522.)
{^] La première lettre que le prince d'Orange et le comte d'Egmont
écrivirent au roi contre le cardinal de Granvelle, est du 23 juillet 4564 ;
Philippe 11 y répondit le 29 septembre suivant. Le 44 mars 4563,
Orange et Egmont, auxquels s'était joint le comte de Hornes, lui adres-
sèrent une nouvelle lettre, où ils demandaient, d'une manière plus
explicite, le renvoi du cardinal ou leur démission ; il y fit réponse le
6 juin. Le 29 juillet 4563, les trois seigneurs lui écrivirent de nouveau,
pour lui déclarer qu'ils étaient bien résolus à ne plus paraître au conseil
d'État, tant que le cardinal y assisterait.
P) Voy. la lettre de Perez à Granvelle, du 45 juin 4563, dans les
Papiers d'État du cardinal, t. VII, p. 402.
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300 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
Il savait qu'il n'avait point de ministre plus dévoué et
plus capable ; il croyait que sa justice, autant que son
intérêt, lui faisait un devoir de soutenir un homme
d'État qui avait rendu à son père et à lui-même de si
éminents services. Par-dessus tout cela, il regardait
la concession qu'on cherchait à lui arracher, comme
un acte qui pouvait porter atteinte à sa dignité et à sa
réputation en Europe : il s'était refusé longtemps, mal-
gré les instances les plus vives de Catherine deMédicis,
à rappeler l'ambassadeur qu'il avait en France, et qui
était précisément un frère du cardinal ('). Ces consi-
dérations n'empêchèrent pas pourtant qu'il ne finit
par céder. Le 22 janvier 1S64, il adressa à Granvelle
une lettre, de sa main, où il l'invitait à s'éloigner des
Pays-Bas, sous le prétexte d'aller voir sa mère en
Bourgogne (•).
Granvelle avait plusieurs fois écrit à son maître
qu'il était prêt à quitter les affaires, si sa retraite pou-
vait conduire au rétablissement de la tranquillité; que
le roi devait, sans aucun égard pour lui, prendre telle
détermination qu'il jugerait utile à son service ; qu'il
lui obéirait de bon cœur f ). Il avait tenu le même
langage à Gonzalo Perez Q. Il avait fait des déclara-
tions analogues à la duchesse de Parme (^). Il sentait
(^) Thomas Perreuot, seigneur deChantonay. Voy. p. 224.
(*) Correspondance de Philippe II, etc., t. l,p. 285.
Pj Lettres des 6 octobre 45G2, 40 mars, U avril, 44 juillet, W août
4563, daus la Correspondance de Philippe II, etc., t. I, pp. 247, 238,
245, 257 et 264.
(*) Lettres des 47 et 27 juin 1563. (Ihid., p. 253.)
(*) Lettre de la duchesse au roi, du 43 mars 4563. [Ibid., p. 242.)
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CHAPITRE X. ^ 304
parfaitement que, le roi ne venant point aux Pays-Bas,
il lui était difficile d'y rester (') : les avanies aux-
quelles il se voyait en butte, les dangers mêmes qu'il
courait, y rendaient sa position des plus critiques, et
l'on n'est pas surpris de ce qu'il dit dans une de ses
lettres, « que Ferez ne le reconnaîtrait plus, tant ses
« cheveux ont blanchi f ). » Il fut néanmoins humilié
du congé que le roi lui donnait, et surtout de la forme
dans laquelle il lui était donné : il ne lui paraissait pas
équitable qu'après une si longue carrière ministérielle,
on le renvoyât « sans satisfaction aucune (^) ; » peut-
être s'était-il laissé aller à l'espoir, dont le berçait
Ferez, qu'il serait appelé, comme du temps de Charles-
Quint, à diriger les affaires de la monarchie (*). Mais
ni le caraclère du roi, ni les sentiments des personnes
qui l'entouraient, n'autorisaient de telles espérances.
Le duc d'Albe, que Granvelle plaçait au nombre de
ses amis et avec qui il entretenait une correspon-
dance suivie, aurait été vraisemblablement celui qui
eût vu de l'œil le plus jaloux son arrivée à Madrid ; il
n'entendait pas avoir en lui un rival, et moins encore
un supérieur; le crédit dont Ruy Gomez jouissait
auprès du roi ne l'offusquait déjà que trop : lui-même
il avait la prétention d'être fait chef du gouyerne-
{*) Voir sa lettre à Philippe II, du 12 novembre 1563. [Correspondance
de Philippe II, etc., t. I, p. 274.)
(•) Voir ses lettres des 8 septembre 4563 et 21 janvier 4564. [Ibid.,
pp. 268, 284.)
(') Voir sa lettre du 27 juin à Ferez, ci-dessus citée.
(*) Voir la lettre de Ferez du 24 juillet 4563. [Correspondance de
Philippe II, etc., 1. 1, p. 258.)
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302 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
ment et ministre suprême, comme le connétable de
Montmorency l'avait été en France, sous Henri II (').
Il fallut pourtant que le cardinal se résignât à son
sort; il quitta Bruxelles le 13 mars.
C'était un grand triomphe pour l'opposition que la
retraite de Granvelle : mais, au fond, la situation dés
Pays-Bas n'en était guère changée; elle restait pleine
de difficultés et de périls.
A la suite de la paix conclue avec la France, le
calvinisme s'était aisément introduit dans les provinces
qui confinaient à ce royaume. Les huguenots qui vin-
rent y chercher un refuge contre les persécutions aux-
quelles ils étaient en butte sous le règne de Fran-
çois II (*), en avaient été les premiers apôtres. Durant
la guerre civile qui éclata après la mort de ce monarque^
l'amiral Coligny et le prince de Condé, comprenant
l'avantage qu'il y aurait pour leur parti, au double
point de vue de la politique et de la religion, à se créer
des alliés dans les États voisins, firent partir pour les
Pays-Bas des ministres chargés d'y prêcher les doc-
(^) « Il duca d*Alva.... non puô patir d'esser falto nelle deliberazioni
uguale a gli aUri, e vorria, conie si dice, che il re lo facesse capo e
supremo ministro nel governo, rinunziando tutto il carico a lui, non
altramente che solesse già fare in Francia il re Enrico col contesta-
bile.... » (Relation de Paolo Tiepolo, de 4563, déjà citée, p. 68.)
(*] La duchesse de Parme écrivait, le 40 novembre 1560, aux gouver-
neurs des provinces frontières : • Je suis de bon lieu advertie comme
« grand nombre do réfugiez de plusieurs coustelz, tant du royaulme
« de France que d'ailleurs, pour Je fait de la religion, et pour craincte
• qu ilz ont de y estre chastiez pour leurs sectes et hérésies, viennent
« cercber et prendre résidence es pays de par deçà, par la hantise et
• fréquentation desquelz les bons suhjectz de S. M. pourroient facille-
« ment estre séduictz, etc.... « (Archives du royaume.)
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CHAPITRE X. 303
Irines de Calvin (*). Ces prédicateurs eurent assez de
succès pour que, déjà à la fin de 1S6J. le gouver-
nement se vil obligé de proscrire un livret où Ton
réclamait la même confession que les sectateurs du
réformateur genevois venaient de présenter au roi de
France (-).
Ce fut surtout à Valenciennes et à Tournay que le
calvinisme fit des prosélytes. Les manifestations aux-
quelles il donna lieu dans ces deux villes, les désordres
qu'il y occasionna (*), mirent le gouvernement dans la
nécessité d'y envoyer des troupes et des commissaires
investis de pouvoirs extraordinaires. Les mesures éner-
giques qui furent adoptées y rétablirent l'autorité de
la loi, mais n'extirpèrent point les semences que les
opinions nouvelles y avaient déposées.
Celles-ci s'étaient de même répandues, avec une
merveilleuse rapidité, dans la châtellenie de Lille (*)
(1) Le U mai 4563, le marquis de Berghe? mandait à la duchesse de
Parme : « Geste esmotion qui est venue à Valenciennes et à Tournay,
« n*est sortie qu'à Toccasiou de certains prédicans nouveaulœ que a des-
• péché Tadmiral de France exprès à nous troubler nostre peuple.... •
(Archives du royaume.)
(») Circulaire aux conseils de justice et aux officiers royaux , du
4 novembre 456<. [Ibid,)
(») En 456< , 4562 et 4563. Voir, aux Archives du royaume, la corres-
pondance du gouvernement avec le marquis de Berghes, le baron de
Montigny, les officiers royaux et les magistrats, à Valenciennes et
à Tournay, et les commissaires envoyés sur les lieux.
(*) « Diverses assemblées des héréticques se sont faites depuis les
Pasques en la chastellenie de Lille, dont, entre autres, les aucunes ont
esté de plus de cinq cens, les atiltres de plus de xiic ou xiiii« personnes,
sans diverses aultres assemblées de ung cent, deux ou iif et en des>
soubz, èsquelles plus grandes assemblées preschoit ung gentilhomme
de France duquel n'avons sceu attaindre le pom, soy faisant partout
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304 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
et dans la basse Flandre, particulièrement à Armen-
lières, à Bergues-Saint-Winnoc, àHondschote, où\de
nombreuses manufactures entretenaient une popula-
tion ouvrière considérable (*). Elles avaient pénétré,
par Metz et Thionville, jusque dans le quartier wallon
du Luxembourg, où toutefois elles ne parvinrent pas
à prendre racine (-),
Le luthéranisme avait de bonne heure envahi les
Pays-Bas, et les actes de rigueur exercés par l'archi-
duchesse Marguerite, tante de Charles-Quint, contre
la communauté des augustins d'Anvers et la corpo-
ration des tapissiers de Bruxelles (^), n'en avaient pas
arrêté la propagation. Les relations commerciales de
ces pays avec l'Allemagne, le séjour qu'y firent, pen-
dant les guerres contre la France, les troupes alle-
mandes qui pratiquaient la religion réformée, contri-
buèrent nécessairement à ce qu'elle s'y développât. Les
provinces du nord étaient celles où la confession d'Augs-
nommer monsieur, sans plus. » (Lettre de Tinquisiteur Titelmans à la
duchesse de Parme, du 3 décembre 4563, aux Archives du royaume.)
(») Les commissaires envoyés par le conseil de Flandre dans la
Flandre occidentale lui écrivaient, .de Hondschote, le 28 mars 4561
(4562, n. st.) : «Semble que ce mal s*est largement espars en ce quartier
(t et ailleurs. Les fugitifz et banniz de Baillœul, ensemble les entachez
tt desaultres lieux, se sont en grand nombre fourrez audit Hondschote,
« poury cuider eslre incognuz, à cause quMl y a si grande multitude de
« gens, que Ton estime bien porter à xviii ou xx" testes en tout. » {Ihid,)
(*) Mémoire de frère Barthélémy Balan, cordelier. du 5 septembre 4 564;
lettre du conseil de Luxembourg à la duchesse de Parme, du 6 sep-
tembre; lettres de la duchesse au conseil et au seigneur de Schauwem-
bourg. du 45 septembre. {Ibid.)
(3) Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. H, p. xxxi, — Cor-
respondance de Philippe IJ, etc., t. II, p. lu.
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CHAPITRE X. 305
bourg comptait le plus grand nombre d'adhérents.
La secte des anabaptistes, longtemps inconnue hors
de la Frise et de la Nord-Hollande, avait peu à peu
gagné presque tout le pays. En 1561, l'inquisiteur
Tiletanus découvrit qu'elle avait des églises ou com-
munautés à Ypres, Poperinghe, Menin, Armentières,
Hondschote, Toumay, Anvers; dans cette dernière
ville, ses membres étaient si nombreux que, pour
faire en secret leur cène ou, comme ils disaient, leur
fraction du pain, ils devaient se diviser en plus de
vingt assemblées, qu'ils tenaient à des époques et en
des lieux différents : personne n'était admis à prendre
part à la cène , s'il ne se faisait rebaptiser ou s'il
n'avait été rebaptisé auparavant. Gand, Courtray,
Roulers, Halewin, Wervicq, renfermaient aussi beau-
coup d'anabaptistes Q). Mais nulle part la secte n'éta-
lait ses doctrines avec autant de hardiesse qu'en
Hollande. Là on entendait dire publiquement qu'on
n'était pas baptisé, et qu'on ne voulait pas l'être avant
le temps; il y avait même des gens qui allaient jusqu'à
avancer que le baptême n'était nécessaire ni aux petits
enfants ni aux grandes personnes, quand les parents
étaient chrétiens, et qu'il su£Qsait de naître chrétien,
pour être sauvé f ). Les anabaptistes reconnaissaient
(») Correspondance de Philippe II, elc, t. Il, pp 478, 484, 507
C) a ... El anabaptistay sacramentario se va ya esteDdiendo tanto
que en Olanda publicamente osan decir que no estàn baptizados ni
quiereo serlobasla su tiempo. En este ano ha levantado el demonio otra
heregia infernal nueva, la cual es que hay hombres que dicen no ser
necesario el baptismo ni à chicos ni â grandes, cuando los padres son
20
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306 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
Fautorité «fun chef qu'ils qualifiaient de prince souve-
rain Ç). Chose digne de remarque ! II y avait beau-
coup de femmes parmi ces sectaires^ et elles n'étaient
ni les moins obstinées dans leur opinion, ni les moins
ardentes à faire des prosélytes.
Malgré les ordres donnés par le roi, à son départ
des Pays-Bas, et qu'il avait plusieurs fois réitérés^
malgré les injonctions de la gouvernante, c'était avec
une répugnance extrême que les juges appliquaient les
placards, et le plus souvent ils se refusaient à les
appliquer ("). Le conseil de Flandre, en 1561, avait
envoyé des commissaires tirés de son sein dans la
châtellenie de Wameton, pour procéder contre des
individus qu'on lui signalait comme suspects d'hé-
résie: ces commissaires trouvèrent si grand le nombre
de ceux qui avaient encouru les peines statuées par
les placards , qu'ils crurent devoir réclamer de nou-
cristiaDOs ; que basta Dacer de padres cristiaoos para salvarse. » (Lettre
de fray Lorenzo de Villavicencio au secrétaire Erasso, du 25 juin 4564 :
Arch. de Simancas, Entado, leg. 526.)
(^) 11 se nommait Joachim le Sucrier, selon la lettre de Tiletanus à la
ducbesse de Parme, du U novembre \ 561 .
(*) Le conseiller d'Assonleville. envoyé à Tournay par la duchesse de
Parme, lui écrivait le 21 avril 1562 : « La justice commenche, en pfu-
« sieurs lieux, comme m'a esté icy dict par bons personnaiges, de vou-
« loir user de connivence et dissimulation à semblables désordres. »
(Archives du royaume.)
« Une bonne partie des officiers, juges et magistratz faisoient difficulté
suyvre les ordonnances, nou-seullement es cas où chéoit quelque juste
modération, mais aussi contre les opiniâtres béréticques, ny mesmes
contre les séducteurs et corrupteurs, s'excusans en général que les plac-
cars estoient par trop durs, sanguinolens, et que Ton ne les povoil.
observer. » (Instruction donnée au marquis de Berghes et au baron de
Montigny, le 29 mai 4566.)
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CHAPITRE X. 307
velles instructions. Le conseil en référa à la gouver-
nante; selon lui. les placards devaient être appliqués
seulement aux relaps, dogmatiseurs, ministres, à ceux
qui avaient prêté leurs maisons pour y tenir des prê-
ches, et il fallait pardonner aux autres (') En 1S6S,
il y avait au château de Toumay une douzaine de pri-
sonniers pour cause d'hérésie ; dans le nombre étaient
quatre jeunes filles et quatre jeunes garçons. Tous
étaient pertinaces, et par conséquent passibles de la
peine de mort. Les oflBcicrs du bailliage demandèrent
à la gouvernante qu'il leur fut permis de différer de
cinq ou six mois la prononciation de leurs sentences,
et, dans cet intervalle, de faire endoctriner les prison-
niers par des ecclésiastiques, pour les ramener à la
vraie foi : w car, lui disaient-ils, ce n'est pas chose que
« Ton ne doibve bien peser, que d'envoier légière-
(c ment, sans meure considération, à perdition éter-
« nelle les âmes de onze ou douze créatures pour les-
« quelles, aussy bien que pour nous,nostre Seigneur
<( et Sauveur a respandu enthièrement son sang (^). »
Quand, après avoir été admonestés par le gouver-
nement à plusieurs reprises , les juges ordonnaient
une exécution capitale, le peuple en murmurait tout
haut (^), et il ne s'en tenait pas toujours là : au mois
d'octobre 1S64, à Anvers, un moine apostat, Chris-
(^) Lettre du 4 septembre 4561. (Archives du royaume.)
(*) Lettre du 42 décembre 4562. {Ibid.)
(*) Le 24 septembre 4662, les officiers du bailliage de Tournay écri-
vaient à la duchesse de Parme que, lors de Texécutiou de Guillaume
Cornu, « y cubt grande exclamasse et murmure, et apparence de
« tumulte. » [Ibid.)
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308 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
(ophe Fâbricius. ayant été condamné au supplice du
feu par sentence des échevins , des huées se firent
entendre contre l'exécuteur, et des pierres lui furent
jetées (*). Plus d'une fois, des attroupements tumul-
tueux avaient arraché des mains des officiers de jus-
tice des protestants qu'ils conduisaient en prison (-),
et, en 1561 à Messines, en 1562 à Valenciennes, des
détenus condamnés pour hérésie avaient été délivrés
par force. La surveillance qu'exerçaient les magistrats
sur les prisons n'était pas d'ailleurs bien minutieuse,
et, soit connivence, soit incurie de leur part, il arri-
vait fréquemment que des prisonniers prévenus d'at-
tentat contre les édits sur la religion s'évadassent Q.
Les inquisiteurs n'étaient plus respectés (*). En
dépit des édils royaux, les magistrats dont ils récla-
(*) Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. VIII, pp. 236, 425, 442.
Des historiens rapportent que des billets écrits ayec du sang' furent
répandus, où Ton menaçait ceux qui avaient pris part à la condam-
nation ou à l'exécution de Fabricius; ce fait est démenti par les mar-
grave, bourgmestres et échevins d*Anvers qui, le 22 novembre 4564,
écrivaient à la duchesse de Parme : • Ne trouvons aulcuns billetz conte-
« nantes telles menasses, ou escriptz de sang, avoir esté semez ou
« affixez. » (Archives du royaume, reg. Correspondance d'Anvers,
4564-4568.)
(*) Notamment à Tournay et à Anvers, en 4562.
(") Voir, entre autres, la lettre de la duchesse de Parme au grand bailli
de Gand, du 45 juin 4560, touchant cinq anabaptistes qui, le jour de la
Pentecôte, s'étaient évadés de la prison de celte ville. [Correspondance
de Philippe II, etc., t. II, p, 479.)
On lit, dans Tinstruction donnée à Berghes et à Montîgny, le 29 mai
4566 : « Quand aulcuns cri mi nelz chargez d*hérésie estoient prisonniers,
« Ton les gardoit ung an, deux ou trois, sans en faire cbastoy, et sou-
« vent Ton les laissoit eschapper de prison.... »
{*) HoppERVs, Mémorial, 2« partie, chap. VIII.
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CHAPITRE X. 309
maient le concours se refusaient à le leur prêter, et
l'on vit même, à Bruges, le bailli de l'inquisiteur
Titelmans arrêté et conduit en prison, avec ses ser-
gents, par ordre des échevins, pour avoir pris un
bourgeois suspect d'hérésie (').
Le principe de la tolérance religieuse se propageait
de plus en plus dans le pays Q : une grande partie
de la noblesse, de la jeune noblesse surtout qui avait
étudié dans les universités d'Allemagne et de France,
était à cet égard en communauté de sentiments avec
le peuple et la bourgeoisie. Tel de ces jeunes gentils-
hommes n'hésitait pas à dire : « Je suis vassal du
« roi et son serviteur; je lui donnerai ma fortune et
c( ma vie ; je mourrai pour son service : mais mon
« âme, qu'a le roi à y voir ? qu'est-ce que cela lui fait,
« si je la veux donner au diable Q? » Les seigneurs
du conseil d'Etat, dans leurs conversations avec les
membres des conseils privé et des finances, donnaient
clairement à entendre qu'il fallait, suivant eux, oc-
troyer la liberté de conscience à chacun en sa maison,
et la communion sous les deux espèces (*). Même au
au sein du conseil privé, il y avait des ministres qui
(') Lettre de fray Lorenzo de Villavicencio au roi, du 20 septem-
bre 4564. (Archives deSimancas, Estado, leg. 526.)
(*) Dans un mémoire envoyé au roi au commencement de 1565 , fray
Lorenzo disait : « En todos los Estados pretenden.... libertad de reli-
« gion, que viva cada uno como quisiere, y impuniciop dehereges ...»
(') « Hay cavalleros que dicen « : Yo soy vassallo del rey y su servi -
« dor, y le daré mi hacienda y vida, y moriré por su servicio ^ Mascon
« mi anima que tiene el rey que ver? Si yo la quiero dar al diablo, que
« se le da al rey ? » (Mémoire cité en la note précédente.)
(*) HoppERts, Mémorial, chap. III.
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3-10 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
étaient d'avis qu'on n'usât plus de rigueur envers les
hérétiques (*).
Le pays cependant se dépeuplait d'une manière
effrayante. Tous ceux que frappaient des sentences
de bannissement, ceux qui se voyaient l'objet de
poursuites criminelles ou craignaient de le devenir ("),
ceux enfin qui voulaient confesser en liberté la
croyance qu'avaient embrassée leurs cœurs, allaient
chercher un refuge à l'étranger, et ils y portaient leurs
biens, leur industrie, leur trafic, avec leur haine pour
le gouvernement qui les forçait d'abandonner leur
patrie. L'Angleterre était le pays qui donnait asile au
plus grand nombre ; on n'estimait pas à moins de vingt
mille, en 1563, le nombre des Flamands qui s'étaient
établis à Londres, à Sandwich et dans les environs (^).
(') Lettre de Viglius à Granvelle, du 27 avril 4565, dans les Archives
ou correspondance inédite de la maison d' Orange-Nassau, t. î, p. 370.
(•) Un seul exemple fera voir combien le nombre en était considérable.
Dans un rapport du 4 janvier 4562, des commifsaires du conseil de
Flandre envoyés dans la Flandre occidentale disent qu'ils ont banni
trente-trois personnes de la paroisse de Kemmele, châtellenie de War-
neton; qu'ils en ont banni vingt à Messines; qu'ils ont résolu d'en
bannir cent soixante- treize de la ville et cbAtellenie de Bailleul, et en
ont ajourné soixante-deux, qui se sont retirées en Angleterre. » {Corres-
pondance de Philippe II, elc , t. Il, p. 487.)
Nous lisons encore, dans une lettre du 2 novembre 1561, écrite à la
duchesse de Parme par les commissaires qu'elle avait envoyés à Tournay,
que, à l'occasion des arrestations ordonnées par eux, «* plusieurs corn-
« plices et suspectz se rendent journellement fugitifz, transportant leurs
« meubles à Anvers et ailleurs; que le mesme advient en plusieurs
« lieux, spécialement dans ia Flandre occidentale, d*où ils se retirent en
« Angleterre ; que d'autres, après avoir demeuré en Angleterre, passent
« à Francfort, Emden, Wesel, Strasbourg, etc. «^(Archives du royaume.)
(') Correspondance de Philippe //, etc., t. f, p. 247.
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CHAPITRE X. 3H
Et ce n'était pas seulement une perte irréparable pour
les Pays-Bas que ces émigrations incessantes^ c'était
aussi une menace et un danger : car les émigrés, en
même temps qu'ils sollicitaient les Anglais de les
aider à rentrer dans leur pays, ne négligeaient rien
pour exciter leurs amis qui y étaient demeurés à se
soulever contre la domination du roi d'Espagne Q).
L'état des finances n'était pas moins inquiétant que
celui de la religion.
Il était du aux soldats qui avaient servi dans les
dernières guerres quatre millions de florins. Le gouver-
nement avait imaginé, pour se libérer envers eux,
d'ouvrir une grande loterie, dont le bénéfice était
évalué aux deux tiers environ de celte somme ; ils
auraient fait l'abandon de l'autre tiers : mais cette
opération n'était praticable que si le trésor d'Espagne
fournissait deux cent mille écus pour en couvrir les
frais et constituer des prix de nature à exciter le
public à y prendre part f ).
Les villes de Flandre avaient prêté leur crédit au
roi pour la levée de différentes sommes. Le roi, qui
avait promis de les en décharger, n'accomplissait pas
(1) • D'aultre part, sçait S. M. comme Ton ba esté ung temps et Ton est
eDCoires avec les Anglois, y estans de ce costé réfugiez par milliers des
subgectz dMcy, à cause des sectes, qui jourDeliement sollicitent non-
seullemeut lesdicts ADgloys pour les ayder à remettre et restituer en
leurs maisons, mais aussi ceulx qui sont encoires par deçà à faire
quelque commotion pour par ce boult y pouvoir retourner.... » (Instruc-
tion donnée au comte d'Egmont le 23 janvier 4565.)
(') Lettres de la duchesse de Parme au roi, des 42 mars 4563 et
40 avril 4565. (Reg. Correspondance avec Philippe II, iô62'f568.)
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3*2 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
sa promesse. A la fin de 1S64, elles restaient redeva-
bles de plusieurs centaines de mille florins, et leurs
bourgeois se voyaient, à Anvers et ailleurs, journelle-
ment exposés à des poursuites dans leurs personnes
et dans leurs biens (*).
Il avait été. fait, aux Pays-Bas et en Allemagne,
sur des lettres données par les receveurs des reve-
nus royaux, des emprunts dont le chiffre excédait
trois millions cinq cent mille florins. Les préteurs
sollicitaient instamment afin d'être remboursés ; ceux
d'Augsbourg, d'Ulm et de Nuremberg entretenaient
même, à cet effet, un agent spécial à Bruxelles f).
Le gouvernement était sans aucune ressource pour
les satisfaire.
Il n'avait même pas les moyens de subvenir aux
besoins ordinaires de l'État.
Le pays n'accordait de subsides que pour le paye-
ment des compagnies d'ordonnance et des troupes qui
avaient remplacé les Espagnols dans les places fron-
tières, et ces subsides présentaient encore un déficit
annuel que les finances espagnoles devaient com-
bler 0.
Le produit des domaines , qui en d'autres temps
avait couvert les dépenses de l'administration, était
(») Lettres de la duchesse, des U août 4562, 45 février et 7 août 4563,
29 mars 4564. 24 janvier 4565. (Reg. Correspondance avec Philippe II,
i 562-1 S68.)
(*) Lettres de la duchesse, des 45 février 4563 et 8 octobre 4564.
(Ibid.)
(') Il était de 440,000 florins : c'est ce que, dans les dépêches officielles
du temps, on appelle le court.
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CHAPITRE X. 34 3
de deux cent mille florins au-dessous des rentes
et des autres charges auxquelles il était aflfecté(*).
Il ne restait donc rien au gouvernement pour faire
face aux nécessités les plus urgentes. Aussi les traite-
ments des employés et des membres mêmes des conseils
collatéraux étaient arriérés de plusieurs années; les
pensions ne se payaient pas; les places frontières
étaient dépourvues d'artillerie et de munitions ; dans
plusieurs d' entre elles les fortifications tombaient en
ruine.
Telle était la pénurie du trésor que la gouvernante
s'était vue dans le cas d'écrire au roi qu'elle serait
forcée de faire exécuter ou mettre en liberté des
détenus condamnés aux galères, s'il ne prenait des
mesures pour qu'on les transportât en Espagne, attendu
l'impossibilité où l'administration était de fournir à
leur entretien dans les prisons (-).
Ce fut au milieu de ces circonstances que Margue-
rite d'Autriche, d'accord avec le conseil, résolut d'en-
voyer le comte d'Ëgmont en Espagne (^).
(M Lettre de la duchesse do Parme, du 39 novembre 4564. (Reg. Cor-
respondance avec Philippe //, 1562-1568.)
(*) « L'on m*a fait rapport que par deçà y a grant nombre de prison-
niers condempnez aux galères, qui se gardent jusques à ce qu'il y ait
commodité de navires pour les emmener, et cependant coustent. Et
n'estant Jehan Fernandez de Çamora furny de deniers pour payer les
despens, comme il a déclairé, je me suis advisée d*en escripre à V. M.,
afin de y vouloir pourveoir : autrement, l'on seroit constrainl de les
exécuter ou relaxer selon leurs mérites, ou de les abandonner à autres
Genevois qui les poursuivent, pour excuser les despens, ausquelz Von ne
peuU icy fumir. (Lettre du 6 janvier 1564, ibid.)
(») Voy.p.-ies.
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314 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
Dans l'inslruction qui lui fut remise, la situation
des Pays-Bas, telle que nous venons de la retracer,
était peinte des plus vives couleurs. Egmont devait
s'appliquer à faire comprendre au roi l'urgence, non-
seulement de secourir efiBcacement ces provinces, qu'a-
vaient épuisées les subsides accordés, depuis trente
ans, à leurs souverains, mais encore de calmer, par
l'adoucissement des placards, la fermentation qui com-
mençait à s'y manifester. Il lui était prescrit de ne
pas cacher au monarque que, si les seigneurs étaient
« tous entiers et bons catholiques et grands zélateurs
c( de la foi, » si la noblesse et les principaux des
bonnes villes et du plat pays étaient aussi a assez
<c entiers, » si les conseils provinciaux, les universités,
les gens d'Église se montraient u fermes en la religion
« catholique, » le respect du peuple pour l'autorité et
les ordonnances du prince n'était pas généralement ce
qu'on pouvait désirer qu'il fût; qu'au contraire, en
beaucoup d'endroits, elles étaient par lui « désestimées
« et vilipendées Ç). >>
Philippe II fit l'accueil le plus distingué au vain-
queur de Saint-Quentin et de Gravelines ; il le com-
bla d'attentions, lui donna audience autant de fois
qu'il le voulut, écouta avec bonté toutes ses remon-
trances Q. La reine, le prince, la princesse dona Juana
(*) Instruction du 23 janvier 4ô65.
n Saint-Sulpice écrivait à Charles IX, le 16 mars 4565 : « Le comte
« d'Egmont est à la veille de retourner aux Pays-Bas. Il a esté bien veu
« et bien receu de son maistre, lequel luy a faict beaucoup de faveurs et
« de privautez. »
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CHAPITRE X. 345
ne le reçurent pas d'une manière moins flatteuse. II
eut un grand sueeès à eette eour où les étrangers
réussissaient si difficilement : aussi ^ dit Brantôme,
« c'estoit le seigneur de la plus belle façon et de la
« meilleure grâce que j'aye veu jamais, fust-ce parmy
« les grands, parmy ses pairs, parmy les gens de
« guerre et parmy les dames ('). »
Egmont sollicita avec chaleur des résolutions favo-
rables sur les objets dont il était chargé par son
instruction. Il représenta, de plus, au roi la nécessité
d'augmenter de quatre membres le conseil d'État, en
lui désignant pour ces places le marquis de Berghes,
le baron de Montigny, le comte de Meghem et le sei-
gneur de Noircarmes. Il lui proposa, en outre, d'attri-
buer la connaissance de toutes les affaires du gouver-
nement à ce conseil, auquel les conseils privé et des
flnances seraient subordonnés : c'était une combinai-
son que les seigneurs avaient imaginée pour accroître
leur influence , et ils la lui lavaient particulièrement
recommandée. Enfin il engagea le roi à donner à
Meghem, avec les patentes de conseiller d'État, celles
de maître de Tartillerie, dont la charge était vacante
par la mort du seigneur de Glajon, à condition que
Meghem rendît au comte de Homes le gouvernement
de la Gueldre, qui lui avait été retiré en 1559 (^).
Philippe II ne se décida qu'à l'égard des points con-
tenus en l'instruction d'Egmont : il allégua, pour les
(*) Œuvres complètes de Brantôme, édit. Buchon, 4838, t. I, p. U3.
(») Recuerdo del conde d'Egmont, demàs de to contenido en su
inslruccion. (Archives deSimancas, Estado, leg. 527.)
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316 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
autres^ qui étaient contraires à ses idées, la conve-
nance de prendre l'avis de la duchesse de Parme. Il
accorda soixante mille écus pour le déficit des aides
destinées à la solde des garnisons et des bandes d'or-
donnance, deux cent mille écus pour la grande loterie
des gens de guerre, cent cinquante mille ducats pour
suppléer à l'insuffisance des ressources qui devaient
couvrir les dépenses ordinaires de l'administration (') :
s'excusant de ne pas faire davantage, sur les arme-
ments auxquels l'obligeaient les menaces du Turc.
Quant à la question religieuse, il déclara que c'était
une chose à laquelle il fallait beaucoup réfléchir,
comme étaqt la plus importante et la plus obliga-
toire de toutes, et qu'il aimerait mieux perdre cent
mille vies, s'il les avait, que de consentir à ce qu'il fut
apporté quelque changement à la religion (■) : il auto-
risa seulement sa sœur à appeler, sans bruil, en sa
présence et celle des membres du conseil d'État, sous
prétexte du concile de Trente, deux ou trois évéques,
autant de théologiens et quelques conseillers choisis
parmi ceux qui avaient le plus de zèle pour la religion,
afin de discuter les meilleurs moyens d'endoctriner
(') « La quantité de la provisioD pour un coup n'est sinon biea
grande, » écrivait Tisnacq à Viglius, le 9 avril 4565.
(') « En lo de la religion, le direis que me paresce que ay mucho que
nnirar, como en la cosa mas importante y mas obligatoria que todas las
otras,.... y mcnos tengo de consentir que haya mudanza en ella, y en
que no lernè en nada perder cient mill vidaSy si tantas tubiese, antes
que consentirla.... » (Instruction du roi pour le comte d*Egmont, du
% avril 1565). — Le passage imprimé en italique fut ajouté par le roi
lui-môme 5 la minute rédigée par Gonzalo Perez.
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CBAPiTRfi X. an
le peuple, de ramener les dévoyés, d'enseigner les
enfants. Il permit que la même assemblée examinât
s'il serait opportun d'adopter un autre système pour le
châtiment des hérétiques, non pas en vue de les châtier
avec moins de rigueur, mais afin de réprimer mieux
leur impudence, afin d'empêcher surtout qu'ils ne se
glorifiassent de mourir obstinés en leur hérésie , et
qu'ils n'y fussent excités par d'autres , comme cela
arrivait souvent (*). ,
Ëgmont avait des faveurs personnelles à réclamer
du roi, et il faut bien le dire, elles n'étaient pas étran-
gères aux motifs qui lui avaient fait accepter, qui lui
avaient fait désirer même cette mission à Madrid Q.
Il avait acquis du due Éric de Brunswick la seigneurie
de Ninove, en Flandre, que le roi en 1S57 avait en-
gagée à ce prince pour vingt mille ducats ; il aspirait
à en devenir propriétaire effectif. Il souhaitait, d'un
autre côté, d'ajouter à ses domaines la terre d'En-
ghien, en Hainaut, l'une des plus considérables des
Pays-Bas et qui appartenait à la maison de Vendôme :
un accord était sur le point de se conclure à ce sujet
entre lui et le roi de Navarre, lorsque Antoine de
Bourbon mourut le 17 novembre 1562 ; il continuait
(^) « .... Se mire y platique si convenrà dar alguDa otra forma en la
maDera del castigo de los hereges y desviados, no para que dexen de ser
castigados sino para reprimirios en su insoleucia y desvergQenza,...
y para escusar que elios no se alaben y precien de morir en su maldad,
ni otros hs puedan ir animando à ello, como agora lo hacen..,. «(Instruc-
tion du i avril 4565.) — Le passage en italique était aussi une addition
du roi.
(') Correspondance de Philippe II, etc., t. I, p. 347.
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318 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
la négociation avec le tuteur de ses enfants Q). Il
demanda au roi le don absolu de Ninove, l'autorisation
éventuelle de l'échanger contre Engbien et l'exemp-
tion des droits seigneuriaux qu'il y aurait, en ce cas,
à payer au fisc; il lui demanda aussi l'autorisation
d'accepter une somme dont les états de Flandre étaient
disposés à lui faire présent Q. Pbilippe se montra tout
à fait gracieux à son égard Q : il éleva de douze
mille ducats Fengagère de Ninove, ce qui était au fond
la même cbose que s'il lui en transférait la pro-
priété ; il lui accorda les autres points, sans restriction
aucune (*).
La ducbesse de Parme, ayant reçu les dépécbes de
son frère et entendu le rapport du comte d'Ëgmont,
désigna, de l'avis du conseil, les évêques, les magis-
trats et les théologiens qui auraient à examiner les
matières sur lesquelles le roi voulait bien souffrir que
des discussions s'ouvrissent (^).
Cette commission, comme on dirait aujourd'hui,
(») Lettres de la duchesse de Parme à Philippe II, des <3 novem-
bre 4562 et 45 février 4563. (Archives du royaume, reg. Correspondance
avec Philippe II, 1562'^5€8.)
(*) Correspondance de Philippe 11, etc., t. I, pp. 346, 348.
(») « Je pense, écrivit Tisnacq à Viglius, que Ton s'en trouvera par
delà assez esbahy, et non sans cause. » (Lettre du 44 mai 4565.)
(♦) Correspondance de Philippe If, etc., t. I, p. 348.
(*) C'était Martin Rithovius, évoque dTpres ; Antoine- Joseph Havet,
évoque de Namur; Gérard d'Hemricourt, évéque de Saint-Omer;
Jacques Martens, président du conseil de Flandre ; Hyppolite Persyn,
président du conseil d'Utrecht ; Antoine de Meulenaere, conseiller au
grand conseil ; Josse Tiletanus, prévôt de Walcourt, théologien de
Louvain ; Corneille Jansenius, destiné au siège épiscopal de Gand, et
Volmar Bernaert, professeur de droit canonique à Louvain.
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CHAPITRE X. 319
s'assembla pour la première fois le 29 mai : la
duchesse en quelques mots, et le conseiller Hopperus
dans un discours plus étendu, exposèrent les motifs
pour lesquels elle était convoquée. II fut délivré à
chacun de ses membres un extrait des dépêches du roi
en ce qui concernait leur charge ; la gouvernante les
invita à y réfléchir mûrement, et leur recommanda
le secret. Les discussions commencèrent le l®"* juin;
elles durèrent trois jours. A la quatrième séance, les
évéques, les magistrats et les théologiens, requis par
la duchesse de dire librement et franchcmenl leur
avis définitif sur les questions qui avaient été débat-
tues, l'exprimèrent à tour de rôle. Hopperus forma
de leurs délibérations une espèce de procès-verbal
auquel, le 8 juin, après l'avoir revu et modifié, ils
apposèrent tous leur signature Q).
Relativement aux placards, le sentiment unanime
de la commission fut qu il ne convenait pas de les
altérer, car les lois, les instructions, les exemples des
pères de l'Église et des empereurs chrétiens prou-
vaient que les hérétiques ne pouvaient être contenus
par la seule doctrine, mais qu'il fallait aussi les con-
tenir par la crainte ; d'ailleurs, telle avait été toujours
leur coutume que, si on leur faisait quelque conces-
sion, ils en profitaient pour demander davantage,
jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à tout ce qu'ils
(*) Sumario recopilado, por forma de verbal, de lo que pasô, sobre ei
jmnto de la religion, en el conaejo de Estado. (Archives de Simancas,
Estado, leg. 529.) — Notules du conseil d'État rédigées par le secrétaire
Berly. — Mémorial d'Hopperus.
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320 DON CARLOS ET PHILIPPE If.
prétendaient; si, au contraire, on leur résistait avec
fermeté, ils perdaient courage et finissaient par se
soumettre. Cependant, comme beaucoup de délits
contre la religion demeuraient impunis, par la répu-
gnance des juges à appliquer des dispositions qu'ils
trouvaient excessives, ou par Tappréhension qu'ils
avaient de tumultes populaires, la commission vou-
lait que, en continuant de punir de mort les héré-
tiques obstinés, on prit en considération, pour les
autres, leur état, leur âge, leur sexe, la qualité de
leurs délits, et que les supplices du feu, du glaive,
de la corde, de la suffocation, fussent remplacés , en
certains cas, par la condamnation aux galères ou le
bannissemeîit. A l'égard des pénitents qui n'étaient
ni docteurs, ni ministres, ni relaps, ni séditieux, elle
pensait qu'à la peine capitale il fallait substituer celles
de l'exil, de la relégation, de la prison ou d'autres de
ce genre. Et en ce qui concernait les individus ayant
contrevenu aux placards, sans toutefois être héréti-
ques ou sectaires, des amendes, les verges, une note
d'infamie, le bannissement, lui paraissaient une cor-
rection suffisante. Mais ces modifications ne devaient
pas, suivant elle, être déclarées par édit public;
elles devaient faire l'objet d'une instruction secrète à
adresser aux conseils de justice Q).
La duchesse de Parme ordonna, à cette époque, la
publication du concile de Trente (^), qui, dans le
(1) Nous doDDODs ce résumé d'après le texte même de Tacte du 8 juin,
qui est eocore inédit.
(') Circulaire du 14 juillet 4565 aux archevêques et évoques ; circu-
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CHAPITRE X. 321
principe, avait soulevé beaucoup d'objections, mais
qui finit par êlre généralement accepté et demeura
comme loi de l'État, sous les réserves énoncées dans
les lettres par lesquelles il fut envoyé aux archevêques
et évéques ainsi qu'aux conseils de justice du pays (*).
L'année précédente, les débats animés auxquels l'érec-
tion des nouveaux évéchés avait donné naissance,
s'étaient assoupis au moyen d'un concordat fait par
le gouvernement, au nom du roi, avec les abbés de
BrabantC).
Ce. fut le 22 juillet seulement que Marguerite
envoya au roi l'écrit du 8 juin où étaient résumées
les délibérations des évêques, des magistrats et des
théologiens consultés sur la question religieuse. Elle
laire du 24 juillet aux conseils de justice, dans les Placards de Flandre,
liv. II, p. 49, liv.III, p. 4357.
(') Le prince d'Orange lui-même en convient dans sa lettre du
24 janvier 4566, qui est citée plus loin : « Quant à Texécution du
« concile, dit-il, oires que, au commencement, il y avoit quelque mal-
« contentement et murmuration, toutesrois, veu qu*on y a despuis
« adjouslé aucunes réservations, je crois que en cest endroit il y aura
« peu de difficulté. »
Ces réserves portaient sur les régales, droits, hauteurs, prééminences
du roi, de ses vassaux, états et sujets, spécialement à Tégard de la
juridiction laïcale, du droit de patronage laïque, des dîmes appartenant
à des séculiers, ainsi que sur la surintendance et administration des
hôpitaux et autres fondations pieuses dont les lois, magistrats et gens
laïques avaient été en possession jusque-là.
(') Par ce concordat, le roi s'engageait à impétrer du saint-siége que
les abhayes d'Afflighem, de Saint-Bernard et de Tongerloo subsistassent
dans leur état actuel, à condition de payer annuellement huit mille
florins qui seraient affectés à la dotation de Tarchevôché de Matines et
de révèché de Bois-le-Duc. Il avait consenti, en 4563, à ce que l'érection
de révéché d'Anvers fût provisoirement suspendue.
21
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322 DON CARLOS ET PHILIPPE IL
lui proposa, à cette occasion, de faire réviser les
instructions des inquisiteurs, afin de les accommoder
à l'esprit du temps; elle lui dit que la manière dont ils
procédaient excitait des clameurs universelles, et que
partout on se plaignait que les évéques et les gens
d'Église voulussent introduire aux Pays-Bas l'inqui-
sition d'Espagne, si ce n'était quelque chose de pire
encore. Elle avait adopté les idées des seigneurs
touchant la subordination au conseil d'État des conseils
privé et des finances, et la nominatîim de nouveaux
conseillers ; elle insista auprès du roi sur ce que le
comte d'Egmont lui avait remontré là-dessus (*).
Il y avait, depuis quelques années, aux Pays-Bas,
un moine espagnol qui prenait une grande part aux
agitations religieuses dont ces provinces étaient le
théâtre. Fray Lorenzo de Villavicencio — c'était
son nom — avait été reçu docteur en théologie à
l'université de Louvain en 15S8; il avait parcouru
plusieurs contrées de l'Allemagne, déployant partout
un zèle ardent pour la religion catholique, et une
animosité extrême contre les sectateurs de Luther
et de Calvin Q). En 1561, il était venu fixer sa
résidence à Bruges, où il remplissait les fonctions du
saint ministère auprès des marchands de la nation
d'Espagne établis en cette ville. Il avait publié plu-
sieurs livres pour la défense de la religion et le
(') Correspondance de Philippe II, etc., t. L p. 360.
(') Nous nous sommes occupé plus longuement de ce personnage dans
le rapport qui est en tète du 2» volume de la Correspondance de Phi-
lippe 11, etc., p. XVI et suiv.
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CHAPITRE X. 323
maintien des droits de l'autorité ecclésiastique (').
Dans ses sermons, comme dans ses écrits, il se mon-
trait l'adversaire passionné des novateurs. Il avait
eu des démêlés avec le magistrat de Bruges, tant au
sujet de l'administration du bien des pauvres qu'à
cause des entraves apportées par celui-ci à l'exercice
de l'inquisition.
11 adressa au secrétaire Ërasso, sur les choses de la
religion aux Pays-Bas, des lettres qui, ayant'été lues
par le roi, furent -goûtées de ce monarque. Encou-
ragé dès lors, non-seulement à continuer sa corres-
pondance avec Erasso, mais encore à écrire au roi
lui-même, il donna un libre cours à l'exagération de
son zèle pour la foi. Ce fut lui qui dénonça le livre ^
du docteur Baius,' de Louvain, et demanda qu'il fût
déféré aux universités d'Alcala et de Salamanque. Il
engagea fortement le roi à être sans miséricorde pour
les hérétiques, et pour les anabaptistes surtout (^);
il le supplia de ne pas permettre qu'il fût porté
atteinte à l'autorité de l'inquisition (^); il le détourna
(M Voy. la Correspondance de Philippe II, etc., t. Il, pp. xiv et suiv.
(^} « Pido que se castigueD los hereges, » dit-il dans un mémoire
adressé au roi à la fin de 4564. Il écrivait à Erasso le 25 juin précédent :
« Vm. harà notable servicio à Dios, si advertiere à S. M. que sea servido
« tornar à mandar que el decreto del emperador, de gloriosa memoria,
« ordenado contra los anabaplistas, tome à ser guardado y en su fuerza,
« y que por ninguna via se dé perdon à ningun anabaptista....» (Archives
de Simancas, Estado, leg. 526.)
('] « .... V. M., pues tanto desea poner inquisicion, debe, y asi selo
supHcamos bumilmente todos los catôlicos, ser servido mandar que no
sea disminuida la autoridad del ioquisidor en el tiempo que Dios a
V. M. nos da por rey y senor, an tes sea sustentada y autorizada.... »
(Lettre au roi, du 20 septembre 4564, ihid.)
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324 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
de prêter Toreille à ce qui lui était allégué, que l'exé-
cution des placards entraînerait des troubles : ce au
« contraire, l'assurait-il, si les hérétiques qu'il y a
« aux Pays-Bas ne sont pas châtiés, on verra des
€< scandales et des séditions aussi cruelles qu'inévi-
« tables (*). » En nrême temps il lui signalait les
magistrats et les officiers de justice qui donnaient des
marques de tiédeur dans l'application des placards. Les
membres du gouvernement n'étaient pas à l'abri de ses
accusations ; il dépeignait Yiglius comme un fauteur
deThérésie, et Hopperus était traité par lui avec tout
aussi peu de ménagement. .
Phiiippe II, sans ajouter une créance entière aux
dires de jFray Lorenzo, y prétait une grande atten-
tion (-). Ce qui le prpuve, c'est que, à la fin de 1S64,
il lui demanda deux mémoires : l'un sur les ministres
de justice qui ne remplissaient pas les devoirs de leur
charge, l'autre sur les mesures qu'exigeait l'intérêt de
la religion Q).
Dans l'été de 1565, fray Lorenzo partit pour
(*) « .... Antes si lôs hereges que hay en los Estados do se castigan,
habrà escândalos y sediciones muy ciertas y crueles.... » (Archives de
Simancas, Estado, leg. 526.)
Le 30 décembre 4564, Philippe, envoyant à Gonzalo Ferez cer-
taines lettres et écrits de fray Lorenzo, lui disait que, quoique M>»e de
Parme et d^autres démentissent plusieurs des choses rapportées par
ce religieux, il ne pouvait laisser d'en tenir beaucoup de compte [yo
no puedo dejar de tener mucho cuidado d^ellas]. Il le chargeait donc
âe voir ce qu'il conviendrait d'en écrire à sa sœur. Il voulait, du reste,
communiquer le tout à son confesseur, Tévéque de Cuenca. [Ibid,,
leg. 527.)
(') Lettre de fray Lorenzo à Erasso, du 43 décembre 4564. [Ibid,,
leg. 526.)
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CHAPITRE X. 3Î5
l'Espagne. Le roi était au bois de Ségovie; il alla
l'y trouver. Philippe II lui douna plusieurs et de
très-longues audiences Q).
Les rapports, les conseils, les exhortations de fray
Lorenzo ne furent certainement pas sans influence
sur les résolutions que prît le roi (-), et qu'il signifia
à la duchesse de Parme par des lettres datées du i7et
' du 20 octobre 1S6S.
La substance de ces résolutions étaitnelle :
Le roi, ayant vu l'écrit des évêques, des conseillers
et des théologiens, ne trouvait pas, comme eux, qu'il
fût à propos d'adoucir le châtiment des hérétiques;
il persistait à exiger que les placards de l'empereur
(*] Tisnacq écrivait à Viglius, de Ségovie, le 25 septembre 4565 : • Il
« 8*est icy trouvé uog religieux espaigool augustin que tieos estre
« celluy qui a escript coolre le pensionnaire de Bruges, et ne Pay veu,
« qui s'est trouvé par plusieurs fois auprès de Sa Majesté et a heu, à
« chasque, des audiences de deux ou trois heures, seul avqc icelle. L'on
« présuppose qu'il aura fait ample discours et relation de ce que passe
« par delà, non-seullement sur ce de la religion, mais sur tout ce de
a l!Estat et gouvernement, et cecy est icy, du moins pour la généralité
M de ce rapport, comme chose vulgaire ; et, à ce que m'a dit le sieur
« Vandenesse (aide de chambre du roi), il auroit'aussy de luy-mesme
a entendu pluisieurs particularilez. Je pense qu'il pourroit bien estre
a homme, comme sont pluisieurs aultres, pour s'avancer de dire ce
« qu'il sçait et ce qu'il ne sçait.... »
(^) a Je ne faiz doubte — mandait Tisnacq à Viglius le 2i octobre —
comme pouvez aussi bien présumer, il y aura eu quelques c-onsulteurs
ou consulteur de par deçà, et aussy informateur de ce que peult passer
par delà, et ay opinion que le religieux duquel escripviz dernièrement,
que n'ay oncques veu, y aura esté grant part.... »
Fray Lorenzo écrivait lui-même, après son retour aux Pays-Bas, au
mois de février 1566, que le public le regardait comme l'auteur et la
cause de toutes les mesures prises par le roi. {Correspondance de
Philippe II, etc., t. Il, p. xxi.)
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3Î6 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
son père et les siens fussent observés strictemenl ,
et. s'il y avait des juges qui n'osassent ou ne vou-
lussent pas les observer, il commandait qu'on les lui
désignât, pour qu'à leur place il en établit d'autres
« de plus de cœur et de meilleur zèle Q). » La préé-
minence que la gouvernante et les seigneurs lui pro-
posaient d'attribuer au conseil d*État sur les conseils
privé et des finances, était chose si grave et si nouvelle
qu'il croyait devoir y penser encore (-). Il ne lui parais-
sait pas nécessaire d'augmenter le nombre des mem-
bres de ce conseil, les assemblées les plus nombreuses
étant ordinairement celles où il y avait le plus de
confusion (^) ; toutefois il consentait à nommer un
sixième conseiller (*), et c'était le duc d'Arschot qu'il
avait choisi. Il invitait sa sœur à faire exécuter incon-
tinent ce qu'il avait ordonné, dans des dépêches jirécé-
dentes, à l'égard de plusieurs anabaptistes (^), et d'en
(*) Apostilles sur l'écrit des évêques. etc.
(*) « .... Por ser cosa de tal calidad y iiueva y que no he vislo yo en
essos EstadoSf quiero mirar mucbo en ello.... » (Lettre du 20 octobre :
Arch. de Simancas, Eslado, leg. 525.)
Le fait est quMl n'en voulait pas. Déjà il avait écrit à sa sœur, le
3 avril 4565, que ce serait faciliter aux seigneurs les moyens de se
rendre maîtres de tout : « Séria abrirles un camino muy Jlano para
M que, con vuestra mano y autoridad, elles se apoderasen y hiciesen
« patrones de todo. •
(') « .... Me paresce que, aviendo cinco en el consejo d'Eslado, de la
calidad que son, no convernia que huviesse mas, porque donde hay
muchos no puede dexarde baver confusion.... » (Lettre du 20 octobre.)
C*) Les cinq autres é'aient le prince d'Orange, le comte d'Egmont, le
comte de Homes, le baron de Berlaymont et le chef et président Viglius.
(*) Par une dépêche datée du 13 mai 4565, à Valladolid, il avait pres-
crit à sa sœur de faire punir du dernier supplice six anabaptistes prison-
niers qui avaient sollicité leur grâce, en alléguant leur repentir.
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CHAPITBE X. 327
user de même envers tous hérétiques , de quelque
qualité qu'ils fussent^ sans négligence ni dissimula-
tion (^). Il lui déclarait qu'il avait ressenti, jusqu'au
fond de l'âme, ce qui s'était passé dans le sein du
conseil au sujet de l'inquisition, et l'idée qui y avait
été émise d'en restreindre l'exercice, en un temps où
elle était plus nécessaire que jamais (-) : « Croyez,
« lui disait-il, que je ne le souffrirai point, et que
c< cela ne convient ni au service de Dieu, ni au mien,
« ni au bien des Pays-Bas.... Tenez aussi pour certain
« qu'on vous abuse, en cherchant à vous persuader
« que la rigueur de l'inquisition entraînera de grands
« inconvénients : si les inquisiteurs ne procédaient
« pas conformément à leur charge, les maux qui en
c< résulteraient seraient bien plus grands et se feraient
« sentir plus vite. Vous comprendrez par là qu'il ne
« saurait être question de leur donner de nouvelles
« instructions, comme vous le proposez, mais qu'il
ce importe, et de cela je vous en prie aussi instam-
« ment que je le puis, que vous les favorisiez, hono-
<( riez et animiez , sans les mander pour chaque
« vétille, car cela les décourage et leur fait perdre
« toute autorité (^). En outre, vous devez enjoindre aux
(^) « .... Y asi es mi volundad que se baga justicia agora en los que
entonces lo mandé, y en los demàs hereges que se prendieren, de
qualquier calidad que sean, y que no baya en ello descuido ni disimu-
lacion.... » (Lettre du 20 octobre.)
(') tt .... No puedo/dexar de deciros.... lo mucbo que be sentido, y me
ha llegado al aima, de lo que ay se ba bablado en Jo de la inquisicion,...
y que agora, que bay mayor uecesidad, se afloxe en ello.... » [Ibid,)
(') Ceci était une allusion à ce que la ducbesse lui avait écrit le
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328 m^ CA-RLOS ET PHILIPPE 11.
« juges séculiers, non-seulement de ne pas les entra-
c( ver dans l'accomplissement de leurs fonctions, mais
c( encore de leur prêter toute aide et faveur ('). w
Il écrivit, de sa main, à la duchesse, afin d'appuyer
sur ce qu'il attendait d'elle pour le maintien de la
religion (-). « Sans la religion, » -^ lui mandait-il
dans sa dépèche en français qui devait être commu-
niquée au conseil — « mes pays de delà ne vauldriont
« riens. »
Les résolutions du roi ayant été communiquées
aux gouverneurs et aux conseils de justice, « c'est
« chose incroyable » — dit un historien, témoin des
faits qu'il raconte — << quelles flammes jecta le feu
« auparavant caché soubz les oendres (^). » Des
murmures s'élevèrent de tous les points des Pays-Bas.
22 juillet, que, sur des plaintes du sieur de Mansart, geotilhomme de
Tournay, elle avait appelé les inquisiteurs à Bruxelles. Voy. Correspon-
dance de Philippe 11, etc., t. I, p. 36i.
(') « Vos haveis de créer que no lo he de sufrir, ni conviene al servi-
cio de Dios ni al mio ni al bien de aquellos Estados.... Y tened por cierto
que no es como os informan, que se deve temer que succederân tantos
danos é iqconvenientes del rigor de la inquisicion, siuo que succederân
muy mas presto y muy mayores, si se dexa de procéder por los inquisi-
dores como toca à sus oUicios, y que no conviene por agora mover la
plàtica que dezis de dalles nuevas érdenes é instrucciones, antes con-
viene, y assi os lo ruego con todo el encarescimiento que puedo, que
vos los favorescais, honrreis y animeis, y no los hagais venir ay por
cada cosilla que se offreciere, porque esto es desanimarlos y quitarlos el
auctoridad.... Y demàs desto haveis de mandar scrivir à los juezes secu-
lares que no solamente no les estorven en el exercicio de sus officies,
mas antes les den todo favor y ayuda para ello.... » (Lettre du
20 octobre.)
(«) Correspondance de Philippe 11, etc., t. I, p. 374.
(^) UoppERUs, Mémorial, 2* partie, chap. VUI.
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CHAPITRE X. 329
L'opinion se répandit généralement que le roi y.vou-
.lait établir par force l'inquisition d'Espagne, dont le
nom seul, comme l'évéque de Namur le marquait au
cardinal de Granvelle, était en horreur aux habitants
de ces provinces (*) ; on disait qu'il faisait lever dans
ce but dix mille Allemands qui seraient commandés
par le duc Éric de Brunswick, et sept mille Espa-
gnols (^). A Anvers, à Bruxelles et dans d'autres
villes, des écrits furent affichés et semés où la religion
catholique était vilipendée, où l'on s'attaquait ouver-
tement à l'autorité royale. Déjà les idées de résistance
commençaient à se répandre parmi les masses (^). La
cherté excessive des grains, la misère dont souffraient
les classes nécessiteuses par la stagnation de l'indus-
trie et du commerce, ajoutaient à la fermentation des
esprits. Un soulèvement était d'autant plus à craindre
que le gouvernement ne pouvait compter sur les
troupes, dont la solde était arriérée de vingt-sept
mois {^).
L'irritation des seigneurs était au comble. Non-
(*) Correspondance de Philippe II, etc., 1. 1, p. 385.
(•) Lettre de fray Lorenzo de Villavicencio à Gonzalo Ferez, du
25 décembre ^565. (Archives de Simancas, Estado, leg. b^9,)
Eu rapportaot ce bruit, fray Lorenzo ajoute : « Esta fama no sola-
« mente anda entre el vulgo, mas los grandes la creen y publican. »
(») Viglius écrivait à Granvelle le 20 décembre 1565 : « .... Desjà se
« publie partout que le roy veult introduire l'inquisition d'Espaigne ;
« que, si l'on veult faire observer les placcarts, il y aura une terrible
« eflFusion de sang, laquelle Ton ne pourra plus comporter ; et l'essayant,
« l'on verra qui sera le plus fort.... » (Archives de Simancas, Estado,
leg. 528.)
(*) « .... Dovendosi alla génie di guerra due anni et tre mesi di
paga.... » (Lettre de la duchesse de Parme au roi, du 9 janvier 1566.)
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330 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
seulement le roi n'avait pas tenu compte de leurs
remontrances sur l'inquisition et les placards, non-,
seulement il n'avait eu nul égard aux changements
qu'ils réclamaient dans l'organisation du conseil d'État,
mais encore, en nommant un nouveau conseiller, il
n'avait accepté aucun de leurs candidats : il avait
préféré à ceux-ci le duc d'Arschot, qui avait tenu
le parti du cardinal de Granvelle et s'était toujours
montré en opposition avec eux. La plupart des gou-
verneurs déclarèrent sans détour à la. duchesse de
Parme qu'ils ne voulaient pas contribuer à faire brûler
cinquante ou soixante mille personnes ('). Le prince
d'Orange lui écrivit que , si le roi « persistoit sur
c( ceste inquisition et exécution des placcartz, » il
désirait être remplacé dans ses charges Q. Le marquis
de Berghes lui renouvela la demande, qu'il avait faite
à différentes reprises, de sa démission (^). Le comte
d'Egraont lui* dit à part, et ensuite en plein conseil,
qu'il ne répondrait pas à sa dépèche, ayant fait savoir
là-dessus son opinion au roi, mais que, si Sa Majesté
se fût trouvée aux Pays-Bas, il aurait remis entre ses
mains les gouvernements qu'elle lui avait confiés,
comme îl l'eût fait, quand il fut en Espagne, s'il avait
(') « La maggior parte di questi signori che teogono governi mi hanno
detto liberamente che non vogliono essere minislri ne essecutori di far
abbruziar cinquanta o sesenta mila persone.... » (Lettre de la duchesse
au roi, du 9 janvier i 566.)
(*) Lettre du 24 janvier i 566, écrite de Breda, dans la Correspondance
de Guillaume le Taciturne, t. II, p. iiO.
(*) Lettre du 8 janvier 1566, écrite de Mons. Voy. Correspondance de
Philippe H, elc, t. I,p..386.
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CHAPITRE X. 331
prévu qu'elle prît de telles résolutions Ç). Dans sa
lettre au roi, il lui représentait que les ordres qu'il
venait de donner étaient « choses de diflBeile exécu-
te lion », et lui exprimait la crainte que, par une telle
rigueur non usitée aux Pays-Bas, le service de Dieu
et le sien ne fussent « grandement retardés » f ).
La duchesse de Parme, à la réception des lettres
du 17 et du 20 octobre, avait prévu que les résolu-
tions du roi auraient les conséquences les plus désas-
treuses; elle n'avait pas craint de lui répondre qu'en
les prenant il avait écouté de mauvais conseils {^).
Ses prévisions tardèrent peu à se réaliser. Le 14 jan-
vier 1566, les quatre chefs- villes de Brabant(*) pré-
sentèrent au tribunal souverain de cette province une
remontrance contre les ordres qui leur avaient été
notifiés, et particulièrement contre l'exercice de l'in-
quisition (^). Des avis parvinrent dans le même temps
à Bruxelles, de différents côtés, qu'à l'exemple de ce
qui s'était fait en France quelques années auparavant
(^] « Il conle di Egbemont mi disse apparie, et poi oel coosiglio, che
non risponderebbe altrimeute a me sopra le cose sudelle, affermando di
haver già scritto la oppinione sua a V. M., et cbe se la si fusse trovata
qui présente, gli barebbe rimesso in mano li suoi governi, corne barebbe
parimente fatto, quando egli fu in Spagua, se havesso pensalo che
V, M. havesse presso questa ultima risolutione. v (Lettre de la ducbesse
au roi, du 26 février 1566.)
(*) Lettre autographe datée du jour de Noël 4566, à Arras. (Arcb. de
Simancas, Estado, leg. 530.)
(') • .... Per il che pare che V. M. sia stata mal consigUata in pigliar
hora questa risolutione.... » (Lettre du 9 jauvier 4566.)
(*) Louvain, Bruxelles, Anvers et Bois-le-Duc.
[^) Correspond afic de Philippe //, etc., t. H, p. 534.
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332 DON CARLOS ET PHILIPPE II.
pour la conservation de la liberté de conscience (*), il
se formait, parmi la noblesse, une confédération dans
le but de parvenir à l'abolition de l'inquisition et à un
changement radical des placards (-). On rapportait que
les confédérés s'étaient ménagé des intelligences en
France, en Angleterre et en Allemagne; qu'ils proje-
taient de lever, tant dans Tinlérieur que hors du
pays, quarante à cinquante mille hommes ; que déjà
les chefs de ces troupes étaient désignés f ). Sur la fin
de février, Berghes, Homes, Montigny, se réunirent
à Breda, chez le prince d'Orange, avec le comte de
Schwarzbourg, beau^frère du prince, le marquis de
Bade et les colonels allemands Van Holl et Wester-
holt qui s'étaient fait un renom dans les guerres
passées; les principaux chefs de la confédération y
étaient présents aussi. En se séparant, les mêmes
personnages se donnèrent rendez-vous, à quelques
jours de là, au château d'Hoogstraeten. Dans l'inter-
valle des deux réunions, Orange, Horncs, Montigny,
accompagnés des comtes d'Hoogstraeten et de Culem-
bourg et du seigneur de Brederode, allèrent trouver
le duc de Clèves (*), Ces allées et venues, ces confé-
rences des principaux seigneurs du pays, firent naître
partout une agitation extraordinaire.
(^) Ed 4562. Voy, les Mémoires de Coodé, dans la Nouvelle collection
des Mémoires pour servir à l'histoire de France, X, VI, p. 45.
(•) Correspondance de Philippe II, etc., 1. 1, p. 396.
(') Instruction donnée au marquis de Berghes et au baron de Mon-
tigny, le 29 mai 4566.
{*) Lettre de fray Lorenzo de Villavicencio au roi, du 20 mars 4566.
(Arch. deSimancas, Eslado, leg. bi9.)
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CHAPITRE X. 333
La gouvernante était en proie à une anxiété inexpri-
mable. Ses angoisses redoublèrent, lorsqu'elle reçut la
nouvelle que les gentilshommes confédérés se propo-
saient de venir, au nombre de cinq cents, lui exposer,
dans une requête, les griefs et les vœux de la nation.
Elle manda les chevaliers de la Toison d'or et les
gouverneurs des provinces, pour les consulter sur la
conduite qu'elle avait à tenir (*); ils s'assemblèrent
en sa présence le 28 mars. Tous opinèrent pour que
les placards fussent modérés et l'inquisition abolie (-).
La requête dont il était si grand bruit dans tous
les Pays-Bas fut présentée à la duchesse de Parme,
le S avril, par le seigneur de Brederode, à la tête
d'environ deux cents gentilshommes f). Les confédérés
y demandaient qu'elle dépêchât vers le roi « homme
« exprès et propre )3, afin de le supplier de pourvoira
la situation critique où se trouvait le pays, en abro-
geant les placards, qui pourraient être remplacés par
d'autres ordonnances faites de l'avis et consentement
des états généraux, et que provisoirement elle sursit
toute exécution des mêmes placards , ainsi que tout
exercice de l'inquisition. La gouvernante leur répondit
qu'elle enverrait vers le roi, et n'omettrait rien de ce
qui dépendrait d'elle pour l'engager à condescendre à
leur remontrance ; que son pouvoir n'allait pas jusqu'à
(^) Correspondance de Philippe II, etc., 1. 1, p. 40i.
(*) Voir la Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, pp. 355
et suiv.
{') C'est le nombre indiqué par la duchesse dans sa lettre au roi du
43 avril : « Brederodes venne da me, accompagnato da circa ducento
« genlilhuomini.... »
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334 DON CARLOS ET PHILIPPE H.
suspendre l'exercice de l'inquisition et l'exécution des
placards, mais qu'elle prendrait des mesures afin que,
en attendant la décision de son frère, il fût procédé,
tant par les inquisiteurs, là où il y en avait, que par
, les officiers royaux, « discrètement et modestement,
« de sorte que l'on n'auroit cause de s'en plaindre. »
Cette réponse avait été convenue avec les gouverneurs
et les chevaliers de la Toison d'or. Elle ne plut que
médiocrement aux confédérés ; toutefois il fallut qu'ils
s'en contentassent. La gouvernante écrivit aux inqui-
siteurs généraux, ainsi qu'aux gouverneurs et aux
conseils de justice des provinces, dans le sens de ce
qu'elle venait de leur promettre (*).
Le marquis de Berghes et le baron de Montigny
furent choisis pour aller solliciter du roi les conces-
sions auxquelles il ne pouvait plus se refuser , sans
exposer les Pays-Bas à une conflagration générale.
(') La lettre aux gouverneurs et aux conseils des provinces, en daf e du
9 avril, se trouve dans la Correspondance de Philippe 11, t. II, p. 554. La
lettre aux inquisiteurs généraux Tiletanus et Baius, datée du 8 avril,
est, en substance, conforme à celle qui fut adressée, le 40, aux inquisi-
teurs particuliers Titelmaus et Bonhomme, et que la même Correspond
dance contient, t. Il, p. 555.
FIN DU TOME PUEMIEU.
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h
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JAN 4 1940
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